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Immigration : où en est le « délit de solidarité » ?

Le Monde, Syrine Attia,

Pierre-Alain Mannoni, Cédric Herrou : en une semaine, deux affaires ont rouvert le débat sur l’aide que peuvent porter des particuliers aux migrants.

C’est finalement une relaxe qui a été prononcée, vendredi 6 janvier, à l’égard du professeur du CNRS Pierre-Alain Mannoni. Il était poursuivi pour avoir tenté de transporter trois Erythréennes, de la vallée de Roya à la gare de Nice, afin qu’elles se fassent soigner à Marseille. Le procureur du tribunal correctionnel de Nice avait pourtant requis six mois de prison avec sursis.

Une autre affaire, celle de Cédric Herrou, agriculteur vivant à la frontière franco-italienne et poursuivi pour avoir aidé et hébergé deux cents migrants, connaîtra son verdict le 10 février. Deux cas qui relancent la polémique sur le « délit de solidarité ».

Lire aussi :   Le soutien aux migrants devant le tribunal de Nice

Qu’est-ce que le « délit de solidarité » ?

Le « délit de solidarité » n’existe pas en tant que tel, c’est un slogan politique qui résume une situation, sans exister juridiquement à proprement parler. Aucun texte de loi ne mentionne ce terme. Il fait toutefois référence à l’article L 622-1 du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui date de 1945. Il dispose que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France » encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Si ce texte est censé lutter contre les réseaux clandestins de passeurs et de trafic humain, son utilisation contre des bénévoles et des citoyens venant en aide à des migrants lui a valu cette appellation.

L’expression « délit de solidarité » est apparue en 1995, lorsque le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), une association qui « milite pour l’égal accès aux droits et à la citoyenneté sans considération de nationalité et pour la liberté de circulation » a initié un « manifeste des délinquants de la solidarité » à la suite de la multiplication de procès contre des Français ayant aidé des sans-papiers.

Plusieurs mobilisations ultérieures ont permis l’introduction d’un certain nombre d’immunités (immunité familiale, dans le cas d’un lien de parenté ou d’un lien conjugal avec le sans-papiers, avec les lois Toubon du 22 juillet 1996 et Chevènement du 11 mai 1998). Mais ce n’est qu’en 2003, qu’une exception à ce délit a été ajoutée au texte de loi, le « danger actuel ou imminent » pesant sur l’étranger et pouvant justifier de lui venir en aide.

Après l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, et lorsque les associations de sans-papiers ont dénoncé un usage de plus en plus fréquent de cet article contre leurs membres ou d’autres citoyens venant en aide aux migrants, la polémique sur le « délit de solidarité » a été relancée. Au cours de l’année 2009, en seulement trois mois, une quinzaine de responsables de centre Emmaüs avaient été inquiétés par la police. Face à la politique du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, menée par Eric Besson, des milliers de personnes se sont déclarées « délinquants solidaires » et ont appelé à la suppression de ce délit.

Une proposition de loi présentée par le Parti socialiste, en mars 2009, pour dépénaliser toute aide faite à un migrant lorsque la sauvegarde de sa vie ou de son intégrité physique est en jeu, a été rejetée par l’Assemblée nationale. En juillet de la même année, le ministre Eric Besson a tout de même reçu les associations pour des négociations. S’il a refusé de toucher à l’article L 622-1, il a dans une circulaire demandé aux procureurs d’interpréter largement les conditions dans lesquelles le soutien aux immigrés clandestins est justifié, sans interdire toutefois le contrôle d’identité dans les locaux des associations.

Le « délit de solidarité » a-t-il été abrogé par la gauche ?

Après la victoire de François Hollande, en 2012, Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, avait promis qu’il mettrait fin au « délit de solidarité », c’est-à-dire, selon lui, à l’ambiguïté du texte de loi qui sanctionne l’aide désintéressée apportée à des étrangers en situation irrégulière. Il n’y a toutefois pas eu abrogation de la loi au sens où l’entendaient les associations.

La loi du 31 décembre 2012, tout en conservant le fameux article L 622-1, a élargi les clauses d’immunité à ce délit, en établissant une distinction claire entre des réseaux de trafic et les bénévoles et membres des associations, ainsi que les autres citoyens. Le texte précise ainsi qu’aucune poursuite ne peut être engagée si l’acte « n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien tout autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».

Cette réécriture n’a pas convaincu les associations, le président du Gisti évoquant même une « réformette cosmétique pour faire plaisir aux associations » et un texte visant, selon lui, à « noyer le poisson par la formulation ». De plus, le texte évoque l’aide au séjour mais n’évoque pas l’aide à l’entrée ou la circulation au sein du territoire français, ce qui met encore en danger les personnes transportant des migrants. Parler d’une suppression du « délit de solidarité » reste délicat étant donné qu’aucun texte de loi portant ce nom n’existe réellement.

Les derniers procès relevant du « délit de solidarité »

Des cas récents montrent, cependant, que les modifications faites par Manuel Valls n’ont pas empêché la poursuite de bénévoles ayant aidé des migrants. Plus de quatre procès ont eu lieu sous le quinquennat Hollande, démontrant un décalage entre la position du parquet et la volonté affichée par Manuel Valls (qui a déclaré notamment devant la commission du Sénat le 25 juillet 2012 : « Notre loi ne saurait punir ceux qui, en toute bonne foi, veulent tendre une main secourable. »)

En avril 2016, Fernand Bosson, conseiller municipal et ancien maire de la commune d’Onnion (Haute-Savoie), a été jugé par le tribunal correctionnel de Bonneville pour avoir hébergé pendant deux ans une famille kosovare déboutée du droit d’asile. Il a finalement été déclaré coupable mais dispensé de peine – le procureur avait pourtant requis une amende de 1 500 euros.

C’est le 23 novembre 2016, que s’est tenu le procès de Pierre-Alain Mannoni, professeur à l’université de Nice Sophia-Antipolis et chercheur au CNRS. Niçois, il avait transporté trois Erythréennes blessées, d’un camp illégal de migrants dans la vallée de Roya à la gare de Nice, afin qu’elles rejoignent Marseille pour se faire soigner.

Un jugement décisif est également attendu le 10 février 2017 : Cédric Herrou, agriculteur de 37 ans, a été jugé le 4 janvier pour avoir facilité l’entrée sur le territoire national, la circulation et la présence de deux cents étrangers en situation irrégulière, qu’il a hébergés chez lui et dans un camp. Le procureur a requis huit mois de prison avec sursis et une mise à l’épreuve. Habitant de Roya, une zone montagneuse située entre l’Italie et la France, où de nombreux migrants incapables de passer la frontière, restent bloqués, un collectif d’habitants s’est même créé dans la région pour leur venir en aide. Ces épisodes juridiques pourraient encourager le législateur à lever le flou sur les limites du « délit de solidarité ».

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L’aide aux migrants : une bonne action à risque

 , Éric Joux, 05/01/2017.

Même sans “ délit de solidarité ”, l’aide aux personnes en situation irrégulière reste très encadrée. En témoignent les récents procès visant des bénévoles.

A Nice mercredi, environ trois cents personnes étaient venus soutenir Cédric Herrou devant les marches du palais de justice.

« Notre rôle, c’est d’aider les gens à surmonter les dangers » : en entrant mercredi dans le palais de justice de Nice où il est poursuivi pour avoir aidé des migrants en situation irrégulière (lire ci-dessous), Cédric Herrou, agriculteur dans les Alpes-Maritimes, justifiait son action, au risque d’une condamnation.

Tout comme l’enseignant-chercheur niçois Pierre-Alain Mannoni, qui attend ce vendredi la sentence de son procès où ont été requis six mois de prison avec sursis. Tous deux sont intervenus en faveur de personnes entrées irrégulièrement sur le territoire français depuis la frontière franco-italienne de Vintimille. Mais des procédures à l’encontre des aidants, il y en a eu et il y a actuellement un peu partout en France.

La loi « clandestinise » les aidants

En 2010, dans les Deux-Sèvres, c’est par exemple le prêtre-ouvrier de Cerizay (Deux-Sèvres) Roger Godet, 72 ans à l’époque, qui était mis en garde à vue pour être venu en aide à un sans-papiers. Avant d’écoper d’un rappel à la loi, il s’était enchaîné pour protester, comme bien d’autres, contre la loi L622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) qui sanctionnait ce que les associations ont nommé « le délit de solidarité ».

En décembre 2012, la loi Valls amendait le texte, dépénalisant l’apport « des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes » à la personne étrangère ainsi que « tout autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique » de celle-ci.

Un texte précis, qui ne laisse pas de place pour les autres actions en faveur des migrants. Ainsi en est-il notamment des prises en charge en véhicule. Si la personne est en détresse au bord de la route – mais tout mineur en situation isolée n’est-il pas considéré comme tel ? – pas de problème. En revanche, « on tombe sous le coup de la loi si on emmène » des personnes en situation irrégulière dans sa voiture jusqu’à une gare « pour continuer leur périple », a rappelé Jean-Michel Prêtre, le procureur de Nice qui a requis dans le procès Cédric Herrou. C’est ce qui est reproché aussi à Pierre-Alain Mannoni, interpellé avec trois migrantes érythréennes dans son véhicule. « On peut porter secours, c’est un devoir, mais pas aider au séjour (l’accès au territoire, NDLR) et à la circulation », avait dit le procureur lors du procès, en novembre.

Alors, bien sûr, les peines prononcées ont été jusqu’à présent pour la plupart symboliques. Mais, comme le souligne Stéphane Maugendre, le président du Gitsi, le Groupe d’information et de soutien des immigrés, le traumatisme de la procédure policière et juridique, lui, ne l’est pas.
Sécuriser l’action des milliers de bénévoles qui œuvrent un partout en France, voilà le message que les associations envoient en ce début d’année aux candidats à l’élection présidentielle.

“Le délit existe encore”

Pour Stéphane Maugendre, « le délit de solidarité existe encore », estimant sur le texte actuel « va clandestiniser » l’aide aux migrants par la peur qu’il inspire. Il est vrai que cinq ans de prison et 30.000 € d’amende pour avoir « facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France », c’est beaucoup, même si la sanction est destinée dans l’esprit de la loi à dissuader les passeurs. Pour Mireille Damiano, avocate au barreau de Nice, « le message politique est : attention aux citoyens qui pourraient venir en aide ».

Attention, il faut effectivement faire, et ne pas oublier non plus que l’article L622-4 interdit toute « contrepartie directe ou indirecte ». Même accepter que les migrants accueillis fassent le ménage.

Les demandes d’asile en hausse

Les chiffres de l’immigration en France ne seront officiellement dévoilés que le lundi 16 janvier. Mais Le Figaro a eu accès à des premiers chiffres qui montrent une augmentation du nombre des demandeurs d’asile. Près de 88.000 demandes de statut de réfugié (réexamens compris) auraient été déposées auprès de l’Ofra (Office) l’an passé, contre 80.000 en 2015, soit plus 10 %. La progression entre 2014 et 2015 avait été beaucoup plus importante, avec près de 24 %. Mais compte tenu des clandestins, on estime entre 200.000 et 400.000 le nombre d’étrangers en situation irrégulière ou d’attente en France.

Sur le territoire, l’État a assuré ou contribué à assurer actuellement « plus de 35.000 » places en centres d’accueil pour demandeur d’asile (Cada) et 12.000 en centre d’accueil et d’orientation (CAO), selon la Direction des étrangers en France. Des chiffres qui laissent malheureusement beaucoup de place pour l’indispensable action des bénévoles.

Dans l’Indre, la capacité est actuellement de 218 personnes en Cada et 96 en CAO ; en Loir-et-Cher, près de 320 et une centaine, en Indre-et-Loire, 240 et 150, dans les Deux-Sèvres, 154 et une cinquantaine, dans la Vienne 240 et 90. Plus, dans chaque département, les accueils de mineurs isolés par l’aide sociale à l’enfance.

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« Le délit existe encore »

 05/01/2017

Pour Stéphane Maugendre, « le délit de solidarité existe encore », estimant sur le texte actuel « va clandestiniser » l’aide aux migrants par la peur qu’il inspire. Il est vrai que cinq ans de prison et 30.000 € d’amende pour avoir « facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France », c’est beaucoup, même si la sanction est destinée dans l’esprit de la loi à dissuader les passeurs. Pour Mireille Damiano, avocate au barreau de Nice, « le message politique est : attention aux citoyens qui pourraient venir en aide ».

Attention, il faut effectivement faire, et ne pas oublier non plus que l’article L622-4 interdit toute « contrepartie directe ou indirecte ». Même accepter que les migrants accueillis fassent le ménage.

Jugé pour avoir aidé des réfugiés : « C’est un véritable procès politique »

AFP/ Valérie Hache
Huit mois de prison avec sursis ont été requis contre Cédric Herrou, agriculteur de la vallée de la Roya, jugé ce mercredi à Nice pour avoir aidé des réfugiés. L’analyse de l’avocat spécialisé en droit des étrangers et ex-président du Gisti Stéphane Maugendre.

 

 Celine Rastello

« Si on est obligé de se mettre en infraction pour soutenir les gens, allons-y ! », s’est exclamé Cédric Herrou, ce mercredi 4 janvier.

Comme d’autres habitants de la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, le jeune agriculteur vient en aide aux réfugiés. Déjà inquiété par la justice en août 2015 pour avoir transporté certains d’entre eux – le parquet avait ensuite classé l’affaire sans suite –, il est cette fois poursuivi pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière, et occupation illicite de propriété privée. Huit mois de prison avec sursis ont été requis à son encontre.

Fin novembre, six mois de prison ont été requis, à Nice toujours, à l’encontre d’un enseignant-chercheur poursuivi, lui aussi, pour avoir convoyé des réfugiés venus d’Italie.

Qu’en pense l’avocat spécialisé en droit des étrangers, et ancien président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) Stéphane Maugendre ? « L’Obs » l’a questionné.

Qu’a réellement changé la loi du 31 décembre 2012 en matière d’aide aux étrangers ? Le délit de solidarité n’a-t-il pas été abrogé ?

Le délit de solidarité est extrêmement large. Le fait de donner un euro à quelqu’un faisant une quête pour les sans-papiers a été punissable ! Son abrogation est une vieille histoire. Cela fait des années qu’elle est demandée : sous Chevènement, sous Sarkozy. Sans compter l’affaire Besson, en 2009, quand le ministre avait affirmé que jamais « personne en France n’avait été condamné pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière ». Le Gisti avait démontré que c’était faux. La loi de 2012 est venue juste un peu amoindrir le délit, mais il existe toujours.

Qu’est-ce qui a changé ?

Le fait qu’il soit précisé que l’aide doit être apportée « sans contrepartie directe ou indirecte ». Et elle doit concerner des conseils juridiques, de la restauration, un hébergement, des soins médicaux destinés à assurer des conditions de vie digne et décentes à l’étranger, ou bien tout autre aide visant à préserver sa dignité ou son intégrité physique.

Cela dit, dans une affaire que nous avons suivie à Perpignan, les policiers ont dit à la personne : « Etes-vous sûr que la personne que vous aidez ne vous aide même pas un peu au ménage ? » Ça aurait pu être considéré comme une contrepartie. Donc bon… C’est une « immunité humanitaire » qui ne couvre que le séjour.

Cédric Herrou, lui, est justement poursuivi notamment pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière.

Ce délit a toujours existé et existe toujours. On oublie souvent, par ailleurs, qu’avant d’arriver au procès, la personne poursuivie a d’abord été interpellée, menottée, placée en garde à vue, que des perquisitions ont pu être menées. Bref, tout le processus policier qui est tout de même relativement traumatisant !

L’homme jugé aujourd’hui à Nice est poursuivi pour ces infractions. Mais quand les personnes qui aident ne sont pas poursuivies pour cela, on peut trouver un autre motif. Certaines sont poursuivies, par exemple, pour faux et usages et faux car ils font des attestations d’hébergement pour des personnes en situation irrégulière.

Selon le procureur de Nice, Jean-Michel Prêtre, interrogé par « La Croix« , la démarche de Cédric Herrou ne relève pas de l’humanitaire.

Je ne connais pas le dossier, mais il est poursuivi car il circule avec des réfugiés. Il est en quelque sorte poursuivi comme s’il était un trafiquant.

Quel regard portez-vous sur ce procès ?

Je trouve simplement un peu scandaleux qu’on poursuive cet homme alors qu’il y a de véritables carences autant de l’Etat français que de l’Europe en matière d’accueil des réfugiés. Sans parler des mineurs…

Cédric Herrou insiste notamment sur ce point : les mineurs qui devraient être pris en charge par l’Etat et ne le sont pas.

Il a raison ! C’est comme si on avait bien vite oublié la photo du petit Aylan sur la plage. C’est aussi des gens comme cela qu’il tente de sauver !

La loi est on ne peut plus claire : un enfant est avant tout un enfant, pas un « étranger enfant ».

L’obligation d’un Etat comme la France -les conventions internationales l’obligent également-, est de considérer un mineur avant tout comme tel, indépendamment de sa couleur de peau, sa nationalité, son lieu de naissance… Concernant les mineurs, la carence de l’Etat français est d’autant plus flagrante. On les laisse dans des situations où ils sont véritablement en danger, pas soignés, pas suivis, pas logés.

Que faire ?

Abroger purement, simplement et réellement ce délit de solidarité. L’effet d’annonce de 2012 sur le délit de solidarité quand Manuel Valls était ministre de l’Intérieur est identique à celui sur l’abrogation de la double peine quand Nicolas Sarkozy était au même poste. Ça n’a pas été aboli, ça existe toujours.

Quelle est, le plus souvent, l’issue des procédures ?

Un certain nombre de personnes sont reconnues coupables, dispensées de peine ou condamnées à payer des amendes avec sursis. Mais peu importe.

L’effet sur la population est là, le message passe : « Attention à ce que vous faites ! »

Le choix des poursuites est politique. Ce n’est pas un hasard si elles ont lieu dans le nord ou dans le sud, dans des lieux où un certain nombre de personnes se mobilisent pour aider les réfugiés et où des élus locaux disent « ça fait des appels d’air, il faut les poursuivre. » Si Eric Ciotti [président du conseil départemental des Alpes-Maritimes, NDLR] dénonce régulièrement des gens de la Roya, ce n’est pas pour rien. Il y a une indéniable pression. Le procès de cet homme, aujourd’hui à Nice, est un véritable procès politique. On juge l’action, humanitaire cette fois, d’un certain nombre de gens engagés auprès des réfugiés.

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Migrants : le «délit de solidarité» existe-t-il encore ?

Photo Laurent Carre pour Libération

Par Sylvain Mouillard  0

Depuis l’élection de Hollande, l’immunité pour les personnes qui viennent en aide aux migrants a été élargie. Mais le transport reste répréhensible.

On trouve des choses étonnantes dans les archives d’Internet. Notamment cette intervention de Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, devant la commission des lois du Sénat, le 25 juillet 2012 : «Notre loi ne saurait punir ceux qui, en toute bonne foi, veulent tendre une main secourable.» Valls propose alors de «mettre fin au délit de solidarité qui permet de poursuivre l’aide désintéressée, apportée [par des citoyens ou des associations] à des étrangers en situation irrégulière, sur la même base juridique utilisée pour les filières criminelles d’immigration». Soit, peu ou prou, ce qui est reproché à Cédric Herrou, un agriculteur de la vallée de la Roya, près de Nice, accusé d’avoir aidé des migrants (lire ci-contre). Rien n’aurait donc changé depuis la déclaration de Manuel Valls il y a presque cinq ans ? Pas tout à fait.

Une expression née sous Sarkozy

«C’est un slogan politique, résumant une situation politique et humanitaire, mais qui n’existe pas juridiquement à proprement parler», reconnaît l’avocat Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). L’expression apparaît au grand jour dans le débat public lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy, à mesure que les associations révèlent la recrudescence d’affaires où des militants et bénévoles sont inquiétés pour être venus en aide à des sans-papiers. En 2009, plusieurs milliers de personnes se proclament «délinquants solidaires» et interpellent le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, Eric Besson, pour obtenir la suppression du «délit de solidarité». Dans leur viseur, l’article 622-1 du Ceseda, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Celui-ci prévoit une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende pour «toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France».

La gauche y a-t-elle mis fin ?

Lors de la campagne présidentielle de 2012, les candidats sont interpellés sur le sujet par les associations. Arrivée au pouvoir, la gauche s’engage bien dans une réforme de la législation, mais ne supprime pas pour autant le «délit de solidarité». La loi du 31 décembre 2012 réécrit l’article 622-4 du Ceseda et élargit les clauses d’immunité. Par exemple, les proches du conjoint d’un étranger ne peuvent plus être poursuivis s’ils lui procurent une «aide au séjour irrégulier».

Mais c’est surtout l’alinéa 3 qui assouplit les règles. Ainsi, lorsque l’acte reproché «n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci», aucune poursuite ne peut être engagée. En théorie, ces conditions sont assez larges pour assurer la sérénité de militants associatifs… Sauf que cela ne concerne que l’aide au séjour, et non l’aide à l’entrée et à la circulation sur le territoire français. En bref, transporter gratuitement un exilé est toujours passible de poursuite.

Comment la situation a-t-elle évolué en pratique depuis 2012 ?

«Les poursuites ont diminué après la crise de 2009, mais on observe une recrudescence depuis 2014 et le début de la crise migratoire», remarque Marine De Haas, responsable des questions européennes à la Cimade. C’est notamment dans le Calaisis et les Alpes-Maritimes, où militants et citoyens viennent régulièrement en aide aux migrants. De Haas évoque aussi les poursuites engagées pour des «motifs connexes, comme des outrages à agents, souvent pas avérés», dont le seul but, dit-elle, est d’«intimider» les bénévoles venant en aide aux migrants. Elle réclame l’abrogation du délit de solidarité pour les «aidants qui le font gratuitement», ce qui n’empêcherait pas de continuer à lutter contre les filières de passeurs. «D’autant plus, remarque Stéphane Maugendre, que ces citoyens viennent souvent pallier une carence manifeste de la France et des Etats européens dans l’accueil.»

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Huit mois de prison avec sursis requis contre Cédric Herrou pour avoir aidé des migrants dans la vallée de la Roya

04/01/17

Huit mois de prison avec sursis ont été requis ce mercredi contre Cédric Herrou, un agriculteur de 37 ans qui comparaît à Nice pour avoir aidé des migrants dans la vallée de la Roya.

Il est poursuivi pour aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière.

Le jugement doit être rendu le 10 février.

Pour Stéphane Maugendre, avocat spécialisé en droit des étrangers, et ancien président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), « c’est un véritable procès politique ».

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Est-ce un délit d’aider des migrants ?

, , 04/01/2017

Un agriculteur de la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, comparait ce mercredi devant le tribunal correctionnel de Nice pour avoir aidé des migrants venus d’Italie.
Est-ce un crime d’aider, d’offrir un toit à ces personnes ? C’est en substance la question que le tribunal devra trancher ce mercredi

Cet homme de 37 ans, qui élève des poules à Saint-Dalmas-de-Tende, est poursuivi pour « aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière ». La justice lui reproche d’avoir hébergé chez lui, en transit, des personnes migrantes : des Érythréens, des Éthiopiens, Soudanais, ou tchadiens.

Est-ce illégal d’aider des migrants, de leur offrir un toit ?

C’est en substance la question que le tribunal doit trancher ce mercredi. Cédric Herrou, lui, pense qu’aider les autres est un devoir. Et après tout, dit-il, le procès offre l’occasion de le dire : « Mes actions, je les fais pour aider les gens et avoir la conscience tranquille. Je ne veux pas dans vingt ans avoir été complice par le silence ou l’inaction, et si je me mets en danger, tant pis. Je préfère être libre en prison plutôt qu’enfermé dans ma tête chez moi, devant ma télé ou mon ordinateur. » Cédric Herrou a donc choisi d’héberger, puis de transporter ces migrants: « C’est vrai que de chez moi je les ai emmenés où ils voulaient aller, parce que c’est des gens à qui je m’attache, ce sont des amis, des gens bien. Je les ai pris dans ma voiture, j’ai contourné des contrôles pour ne pas qu’ils se fassent attraper encore une fois et renvoyer à Vintimille ».

Pour le parquet, Cédric Herrou n’a pas agi à titre humanitaire mais par militantisme. Le procureur Jean-Michel Prêtre a requis à l’encontre de Cédric Herrou huit mois d’emprisonnement avec sursis mise à l’épreuve et la confiscation de son véhicule, ainsi qu’un usage limité de son permis de conduire aux besoins de sa profession. Pour le procureur Cédric Herrou fait usage de procès comme d’une « tribune politique ». « Nous sommes dans la situation d’un procès qui a été voulu, qui procède d’une stratégie générale de communication, de portage militant d’une cause et qui fait que la justice est saisie aujourd’hui de faits reconnus. Ce n’est pas à la justice de décider de changer la loi, ce n’est pas à la justice de donner une leçon de diplomatie à tel ou tel pays ».

Je le fais parce qu’il faut le faire

Devant le tribunal, Cédric Herroua revendiqué son action « Il y a des gens qui sont morts sur l’autoroute, il y a des familles qui souffrent, il y a un Etat qui a mis des frontières en place et qui n’en gère absolument pas les conséquences ». A la présidente qui s’étonne que les deux procédures dont il a fait l’objet n’aient pas mis un coup d’arrêt à ses actions, l’agriculteur répond « Même si vous me condamnez, le problème continuera ».

Quelque 300 personnes, dont de nombreux nombreux membres d’un collectif d’aide aux migrants Roya Citoyenne, s’étaient rassemblées devant le palais de justice pour le soutenir avant le début de l’audience.

Il y a quatre ans Manuel Valls alors ministre de l’Intérieur, avait annoncé l’abrogation du délit dit de solidarité. Pourtant…

« Notre loi ne saurait punir ceux qui en toute bonne foi veulent tendre une main secourable », déclarait Manuel Valls en 2012, en annonçant la fin du délit de solidarité. Cette infraction, qui s’appelle en réalité « délit d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers », a été édulcorée plus qu’abrogée. Le texte reste très restrictif et donne lieu à des dérives selon le Gisti, le groupe d’information et de soutien des immigrés. L’aide ne peut en effet porter que sur des domaines précis, essentiellement humanitaires. Elle doit être accordée sans contrepartie, directe ou indirecte. Ce qui a permis par exemple de poursuivre des aidants, car la famille étrangère qu’ils avaient hébergée avait participé aux tâches ménagères.

Pour le Gisti, il s’agit au final de dissuader et de punir tout forme de soutien, même si les peines prononcées sont le plus souvent symboliques. Car avant un procès les aidants ont subi une interpellation, une garde a vue et même des perquisitions. Depuis deux ans, pas moins d’une quinzaine de dossiers ont été jugés.

La loi Valls a juste un peu atténué le problème explique Stéphane Maugendre, président du Gisti, le Groupe d’information et de soutien des immigrés, invité du journal de 13h

Vendredi, c’est un chercheur niçois qui attend son jugement. Le parquet a réclamé contre lui 6 mois de prison avec sursis.

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Nicolas Sarkozy souhaite suspendre le regroupement familial: « Cela ne résoudra aucun problème »

RMC, 24/08/2016.

REACTIONS – A droite, la question du regroupement familial est au cœur des propositions des différents candidats à la primaire. La plupart veulent durcir les conditions de ce regroupement familial. Nicolas Sarkozy, de son côté, souhaite le suspendre.

Le dispositif de regroupement familial a été instauré en France par Valéry Giscard d’Estaing en 1976 et permet à plusieurs milliers de personnes de s’installer en France. Mais depuis quelques années, il est régulièrement remis en cause. Ces dernières semaines, alors que la primaire approche, cette question du regroupement familial est de nouveau au cœur des débats à droite. Si la plupart des candidats veulent en durcir les conditions, Nicolas Sarkozy va plus loin.

Dans son livre-programme Tout pour la France, sorti ce mercredi, l’ancien chef de l’Etat entré en campagne pour regagner l’Eysée estime que ce regroupement familial était une « erreur ». « Ce regroupement n’a cessé, écrit Nicolas Sarkozy, d’être l’objet de fraudes de procédures. L’attrait de prestations familiales à bon compte a exercé une pression phénoménale ». Il entend donc le suspendre.

« On ne peut pas interdire aux gens de vivre en famille »

Pour Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et spécialiste du droit des étrangers, la proposition de Nicolas Sarkozy n’a pas de sens. « Je suis étonné qu’un juriste, avocat comme M. Sarkozy puisse solliciter une telle interdiction de regroupement familial puisque cela entraînera une condamnation de la France, estime sur RMC celui qui traite chaque année de nombreux cas de demande de regroupement. En effet, selon l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, on ne peut pas interdire aux gens de vivre en famille ».

« Les personnes qui se trouvent sur le territoire français et qui veulent voir venir leurs épouses ou leurs enfants, c’est pour vivre en France, s’intégrer en France, souligne-t-il encore. Lorsqu’on vit loin de sa famille, on ne s’intègre pas dans son pays ». De même Patrick Weil, historien et spécialiste de l’immigration, considère qu’avec cette proposition Nicolas Sarkozy fait fausse route.

« C’est infaisable »

« Le regroupement familial est au niveau le plus bas depuis qu’il existe. L’an dernier, selon les chiffres, cela concernait 23.000 personnes sur 210.000 immigrés alors même qu’il y en avait 80.000 dans les années 70, rappelle-t-il dans Bourdin Direct. Sous M. Sarkozy il y en avait 14.000 donc c’est vrai que la tendance est à la hausse sous la gauche. Mais le nombre est si petit que cela concerne principalement les gens qui ont des ressources déjà très élevées. Ça n’est pas du tout, aujourd’hui, le problème de la France. Aujourd’hui, le problème c’est qu’il y a des enfants français, nés de parents français, venus soit d’Outre-mer, soit d’anciens territoires de l’Empire français, qui ne trouvent pas d’emploi. Et le regroupement familial est tout à fait mineur par rapport à ce sujet ».

« Suspendre ou supprimer le regroupement familial ne résoudra aucun problème, ajoute-t-il. Et de toute façon il n’y arrivera pas car dans la Constitution, comme dans la Convention européenne des Droits de l’Homme, le droit à une vie familiale est garanti. Je pense donc que M. Sarkozy veut attirer certains électeurs et qu’il va les mécontenter car il propose des choses infaisables, qui vont créer de la tension dans le pays, qui vont être nuisible économiquement et du point de vue de notre unité ».
Qu’est-ce que le regroupement familial?

Environ 23.000 personnes s’installent chaque année en France dans le cadre du regroupement familial, selon des chiffres du ministère de l’Intérieur (octobre 2015). Cela représente une infime partie de l’immigration dans notre pays puisque on estime que chaque année plus de 210.000 étrangers arrivent en France de manière légale.

Au fil des ans et des crises économiques, la procédure de regroupement familial s’est durcie. Les critères sont de plus en plus sélectifs et nombreux. La personne qui souhaite faire venir sa famille doit être installée en France depuis plus de 18 mois, elle doit avoir un salaire régulier, équivalent au SMIC si elle veut pouvoir accueillir une ou deux personnes. Elle doit aussi justifier d’un logement suffisamment spacieux et salubre pour accueillir sa famille. A noter que le maire de la commune a également un droit de regard sur la demande.

Roms : l’État s’arrange avec la loi pour expulser plus et plus vite

newlogohumanitefr-20140407-434 Loan NGuyen, 26/07/2016

David Maugendre
David Maugendre

Pour chasser ces citoyens roumains à moindres frais, le procureur de la République de Montpellier et la préfecture de l’Hérault ont monté un système de connivence, à base de PV illégaux, qui leur permet de multiplier et d’accélérer les procédures de renvoi.

À l’heure où les immigrés sont pointés du doigt comme un danger, l’État semble prêt à tout pour prouver son inflexibilité vis-à-vis des étrangers. Quitte à flirter avec l’illégalité. L’Humanité a eu accès à des procès-verbaux de police, que nous reproduisons en partie ici, qui attestent un véritable système de collusion entre le procureur de la République de Montpellier et le préfet de l’Hérault pour expulser des Roms en masse, au mépris de la séparation des pouvoirs et du respect de la loi. La manœuvre est simple : le procureur de la République établit des réquisitions soi-disant aux fins de rechercher les auteurs de « vols » ou de « recels » pour justifier l’envoi de forces de police dans des camps de Roms, qui procèdent alors à des contrôles d’identité et des vérifications de situation administrative sur place, systématiquement sans avocat.

Au terme de ces auditions groupées, les policiers confisquent les pièces d’identité et convoquent les Roms à venir les chercher quelques jours après au commissariat. Les procès-verbaux d’audition sont communiqués directement au service des étrangers de la préfecture de l’Hérault. Au moment où ils viennent récupérer leurs pièces d’identité, on leur délivre alors une obligation de quitter le territoire français (OQTF)… En vérité, il n’a jamais été question de rechercher les auteurs de « vols » ou de « recels ». Mais de se servir de ce prétexte pour débusquer des étrangers en situation soi-disant irrégulière.

Tout au long de cette chaîne bien huilée, de nombreuses violations du droit apparaissent. À cet égard, les procès-verbaux d’audition, qui remontent jusqu’à 2012, sont éloquents. « L’opération policière autorisée par le procureur de la République est un contrôle d’identité, qui doit répondre à des règles très précises. À partir du moment où la police commence à poser des questions, ce n’est plus un contrôle mais une audition, donc la police agit hors du cadre des réquisitions », précise Me élise de Foucauld, qui défend une dizaine de citoyens roumains. Audition qui doit normalement se tenir dans un commissariat avec, si la personne le souhaite, la présence d’un interprète et d’un avocat. « Là, c’est comme si la police procédait à une garde à vue sur le bord de l’autoroute, s’insurge-t-elle. On ne leur notifie pas le droit à un avocat alors que certaines questions font cinq lignes, sont purement juridiques, et ont des enjeux d’auto-incrimination. Même avec un interprète, ils ne sont pas en mesure de comprendre. »

Depuis quand la PAF recherche les voleurs et les receleurs ?

Deuxième point d’importance : la réquisition du procureur est de pure forme. Celle-ci est établie sur la base d’une recherche d’auteurs de « vols » ou de « recels » alors que la façon dont est mené le contrôle montre que l’intention n’a jamais été là. Les PV sont prérédigés avec des questions uniquement orientées sur la situation administrative des personnes. Et les policiers qui sont mobilisés ne sont pas des officiers de police judiciaire mais de la police aux frontières (PAF). « Depuis quand le boulot de la PAF est de rechercher les voleurs et les receleurs ? Certaines OQTF sont même datées du jour du contrôle. Ça veut dire que même elles ont été prérédigées ! » dénonce l’avocate, pour qui « les procédures qui découlent de ces opérations sont illégales sur tous les plans ».

Malgré ces entorses multiples au droit, l’espoir de faire annuler ces expulsions reste mince. « À ce stade, aucun juge ne peut vérifier la légalité de ces contrôles », reconnaît Me élise de Foucauld. Du fait de ces agissements hors cadre, le juge judiciaire ne peut exercer son droit de regard sur la procédure que le parquet a initiée. Raison pour laquelle l’avocate a décidé d’assigner le procureur de la République de Montpellier devant le tribunal de grande instance pour « violation du principe de séparation des pouvoirs, détournement de pouvoir et détournement de procédure ». Une démarche encore inédite.

Du côté de la préfecture, qui bénéficie de cette manœuvre puisque ces auditions groupées lui permettent d’établir des OQTF massives à moindres frais, on ne semble pas non plus craindre de voir ces décisions retoquées en justice. « Le préfet se cache derrière la séparation des pouvoirs pour dire que le juge administratif, saisi lorsque l’on conteste une expulsion, n’a pas à se prononcer sur la légalité d’une procédure judiciaire. Il y a un vide juridique dans lequel ils se sont engouffrés, ils y sont à l’abri et peuvent y faire tout ce qu’ils veulent », affirme Me Foucauld. À l’exception d’une décision du Conseil constitutionnel de 2013 qui juge que l’administration ne peut pas se fonder sur des éléments de preuve récoltés de manière illégale, la jurisprudence a toujours été favorable à cette dernière. De fait, sur la dizaine d’OQTF contestées devant le tribunal administratif, la justice a déjà confirmé la moitié d’entre elles.

Cette manière de tordre et d’enfreindre les procédures interroge d’autant plus que la finalité de la manœuvre semble pour le moins vaine, voire contre-productive. Non seulement les personnes concernées font état de leur volonté de revenir en France. Mais, de plus, ces expulsions ont un impact négatif sur le processus d’insertion des migrants, à l’heure où l’État ne cesse de les exhorter à « mieux s’intégrer ».

« Je crois qu’il y a un manque de conscience réel des conséquences sur les parcours d’intégration des Roms », estime un travailleur social de l’association Area, qui accompagne les habitants de deux bidonvilles de Montpellier, en partie financée par la Fondation Abbé-Pierre, mais également par… la préfecture de l’Hérault elle-même. « Tous les deux-trois mois, la police descend dans les bidonvilles, confisque les pièces d’identité des Roms et les convoque au commissariat pour leur délivrer des OQTF. Quand on discute avec les agents de la PAF, ils admettent que ça ne sert à rien, mais ça leur fait du chiffre à bon compte », poursuit-il. Le problème, c’est que ces expulsions suspendent les ouvertures de droits de ces personnes. À leur retour en France, il faut repartir de zéro pour qu’elles se réinscrivent à Pôle emploi, à la CAF, à la Sécu… « Ça devient difficile de motiver les gens, ils ne se sentent pas les bienvenus », insiste notre travailleur social.

« Une OQTF, c’est dix heures de travail social », résume, pour sa part, Catherine Vassaux, directrice de l’association Area, qui se dit dans une démarche de dialogue et de « recherche de solutions » avec les représentants locaux de l’État. Un sentiment de gâchis d’autant plus fort que la préfecture de l’Hérault – via la direction départementale de la cohésion sociale – investit de manière substantielle dans les dispositifs d’insertion. Et qu’une partie de ces citoyens roumains expulsés, qui travaillent ou sont inscrits à Pôle emploi, rentrent dans les critères d’un séjour régulier.

Contrairement à beaucoup de croyances, les Roms qui vivent dans les bidonvilles ne sont pas nomades par choix. Dans le campement Pablo-Picasso de Montpellier, qui abrite une trentaine de personnes, nombreux sont ceux qui souhaitent travailler et voir leurs enfants scolarisés. « Même si j’ai travaillé, que j’ai des fiches de paie, que je me suis inscrit dans une formation, quand les policiers sont venus pour nous parler d’OQTF, ils n’en avaient rien à foutre », résume Ionut, tout juste majeur, en France depuis l’âge de 12 ans.

Un jeune Roumain déterminé : « J’ai envie de me battre pour y arriver »

Le jeune Roumain semble tellement intégré qu’il a pris jusqu’à l’accent du Sud et les expressions d’argot des jeunes Français. Il a travaillé dans la restauration, dans la maçonnerie, a cumulé les missions d’intérim. Il espère pouvoir commencer son CAP des métiers de l’hygiène en septembre, mais la menace d’expulsion qui plane au-dessus de sa tête pourrait compliquer un peu les choses. Qu’à cela ne tienne, Ionut a la rage de réussir. « J’ai envie de me battre pour y arriver. Si j’avais pu trouver du travail en Roumanie, je ne serais pas venu ici », rappelle-t-il.Une détermination qui n’est pas forcément représentative du sentiment général dans le campement. « Quand on veut faire quelque chose, on nous bloque, on détruit tout ce qu’on a fait », explique en roumain Elisabeta (1), qui espérait voir ses enfants de 10, 7 et 3 ans faire leur rentrée à l’école en septembre. En France depuis dix ans, cette maman de 28 ans semble lasse et résignée face au sort qui lui est fait. Pour autant, elle reviendra en France si elle est expulsée. « Je ne veux pas que mes enfants restent dans la même situation que moi, je veux qu’ils étudient, qu’ils trouvent un travail, qu’ils puissent être libres de devenir ce qu’ils veulent. »

Si ces pratiques sont avérées à Montpellier depuis 2012, il semble probable qu’elles soient utilisées au-delà de l’Hérault. « Dans certains bidonvilles de France, la PAF débarque en minibus et fait venir les Roms un à un pendant cinq minutes pour faire les auditions et remplir le même genre de PV préremplis et cela satisfait les tribunaux », rapporte Manon Fillonneau, déléguée générale du collectif Romeurope, qui fédère une quarantaine d’associations et ONG de défense des droits des Roms.

Si, faute d’accéder aux PV en question, les associations qui suivent ces citoyens roumains ignorent sur quelles réquisitions se fonde l’administration, il paraît clair que ces procédures d’audition sont irrégulières. Pour Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Bobigny (Seine-Saint-Denis) spécialisé en droit des étrangers et président du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (Gisti), ce genre de manœuvre relevant de la confusion des pouvoirs est classique. « Partout en France, les procureurs de la République et les préfets se rencontrent, notamment sur la question de l’immigration clandestine. Si une complicité s’installe, des systèmes comme ceux-ci peuvent se mettre en place », analyse le juriste. « On a beau s’élever contre ce genre de pratiques, le parquet nous dit qu’il est indépendant et qu’il fait ce qu’il veut », peste-t-il. Malgré nos appels répétés, le procureur de la République de Montpellier n’a pas souhaité répondre à nos questions. Tout comme le directeur de la police aux frontières de l’Hérault, Laurent Siam, qui a refusé de communiquer sur le sujet. La préfecture de l’Hérault a, pour sa part, déclaré : « Dans la mesure où l’affaire est portée devant les tribunaux, nous nous en remettons à la décision de justice et ne pouvons nous exprimer sur des cas individuels et tant que la décision n’a pas été rendue. »

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Discours de fin de présidence du Gisti

© Stéphane Maugendre
© Stéphane Maugendre

« Chèr.e.s Ami.e.s,

..

Oui, il faut mettre les 2 points, c’est l’écriture épicène !

C’est dur de devenir président du Gisti.

Pendant 12 ans tu te fais les permanences rue de Montreuil ou rue des petites écuries, sous l’œil de Madeleine (Terrasson), d’André (Legouy) ou de Patrick (Mony).

On t’oblige à écrire des articles pour Plein Droit, à relire des brochures ou à rédiger des recours dans une langue que tu ne comprends pas : « Le Droit ».

Après, encore pendant 12  années, tu te fais taper sur les doigts par les deux présidentes successives Danièle (Lochak) et Nathalie (Ferré) parceque tu n’épicènes pas assez tes textes.

Et enfin, tu y arrives.

PRESIDENT DU GISTI.

Putain que j’étais fier.

Fier pour mes parents qui m’ont politisé,

Fier pour les membres de mon cabinet qui n’ont jamais fait la gueule ou reproché quoi que cela soit.

Fier pour Sophie, Adèle et Jules qui ont dû supporter mes angoisses, absences, fatigues….

17 mai 2008/28 mai 2016, en 8 années que d’évènements.

2008, c’est :

– L’incendie du centre de rétention de Vincennes,

– Le début du débat sur l’appel d’offre sur les centres de rétention pour écarter la Cimade,

– Le début d’une nouvelle chasse aux soutiens aux sans-papiers,

La directive de la honte,

2009, c’est :

– Le bras de fer entre le Gisti et Besson sur le délit de solidarité,

Le bras de fer judiciaire avec Besson sur les centres de rétention et l’éviction de la Cimade,

– L’appel à la délation des passeurs par les sans-papiers,

Le premier démantèlement d’une jungle à Calais suivi d’un charter franco-britanique et la mobilisation Adde, Ldh, Saf et Gisti,

– Le début du débat sur l’identité nationale,

C’est aussi l’année de la mort d’Ali ZIRI.

 2010, c’est :

Les 123 Kurdes Corses, qui nous font souvenir les Kurdes de Fréjus de 2001, prétextes pour le projet de la réforme Besson,

– La conductrice voilée de Nantes et les délires politico-juridique sur la déchéance de nationalité et la polygamie de fait,

– La circulaire et les charters de Roms d’Hortefeux,

2011, c’est :

– Les délires de Guéant sur les étrangers incivils ou délinquants,

– Les premiers contrôles massifs à la frontière franco-italienne,

– L’ Arrêt El Dridi,

– Et le fameux communiqué du Gisti « Le Gisti va déposer plainte contre l’OTAN, l’Union européenne et les pays de la coalition en opération en Libye« 

2012, c’est :

– Les quotas et discours sur la civilisation de Guéant,

– La plainte « left to die boat »

La première QPC du Gisti,

– Le nouveau gouvernement avec l’arrivée du Maire d’Evry et l’immigration qui reste à l’intérieur,

– L’ Arrêt de la Cour de Cassation sur la garde-à-vue des étrangers en situation irrégulière et le débat sur la retenue judiciaire,

– La circulaire de régularisation par le travail de Valls,

– Et le premier non lieu dans l’affaire Ali ZIRI.

2013, c’est :

– La Loi Valls avec la création de la garde-à-vue déguisée en retenue judiciaire des étrangers en situation irrégulière et le mensonge de la fin du délit de solidarité,

– La circulaire Roms,

– La chronique « Au PS, un zeste de xénophobie ? » , publié dans Libé, qui ne nous a pas fait que des amis,

– La chronique  » Défendre et juger sur le tarmac « , là encore publié dans Libé,

L’affaire Léonarda,

Non-lieu ab initio dans l’affaire « left to die boat« ,

– Le procès de l’hôtel Paris Opéra,

– Et le deuxième non-lieu dans l’affaire Ali ZIRI,

2014, c’est :

La campagne « rendez-nous la carte de résident »,

– L’annulation du non-lieu ab initio dans l’affaire « left to die boat« ,

– Les deux projets de Loi sur l’Asile et le CESEDA,

– Et l’annulation du non-lieu mais aussi le troisième non-lieu dans l’affaire Ali ZIRI,

2015, c’est :

– Les jungles du Calaisis et de Paris et l’évacuation de la Chapelle,

– La deuxième QPC sur l’ITF,

– Les interprètes afghans,

– L’accueil des réfugiés et l’appel des 800,

– Le film sur Ali ZIRI,

– Le procès de Claire MARSOL à Grasse,

– Le communiqué communiqué de presse  « Mineurs isolés étrangers : les apparences pour preuve » et ma première convocation par  la Brigade de Répression de la Délinquance contre la Personne,

– C’est la réunion du bureau le 14 novembre à deux pas du Bataclan et l’état d’urgence qui a suivi.

2016, c’est :

Les bulldozers de Calais,

– Le procès de Rob Lawrie à Boulogne-sur-mer,

– Et enfin ma convocation par-devant le Tribunal pour le 12 octobre 2016.