Archives de catégorie : AJ

Difficile réforme de l’aide juridictionnelle

index  Bertrand Bissuel, 15/09/2015

Les nouvelles propositions de Christiane Taubira sont critiquées par les avocats

DAMIEN MEYER / AFP

Christiane Taubira parviendra-t-elle à réformer l’aide juridictionnelle ? La garde des sceaux vient de mettre sur la table de nouvelles propositions pour améliorer le fonctionnement de ce dispositif, dont le but est de permettre aux plus démunis d’accéder à la justice. Elles ne sont pas « acceptables » en l’état, a indiqué, samedi 12 septembre, le Conseil national des barreaux (CNB), l’une des instances qui représentent les avocats. Pas question, pour autant, de lancer un appel à la grève, comme en 2014 : le dialogue entre la profession et la chancellerie se poursuit et pourrait déboucher sur des mesures inscrites dans le projet de loi de finances pour 2016.

L’aide juridictionnelle fait l’objet, depuis des années, de nombreuses critiques. Du point de vue du justiciable, elle « ne remplit plus sa mission », écrivent les sénateurs Sophie Joissains (UDI-UC, Bouches-du-Rhône) et Jacques Mézard (RDSE, Cantal), dans un rapport d’information remis en 2014 : le niveau de ressources pour en bénéficier est « trop bas », les démarches sont complexes, etc.

Les avocats, de leur côté, jugent la rétribution insuffisante. Et l’Etat, quant à lui, déplore que le système soit porté à bout de bras par un petit nombre de professionnels : 7 % des avocats réalisent 57 % des missions de ce type, ce qui met en évidence de profondes disparités dans la prise en charge des procédures entre cabinets.

Missions supplémentaires

Pour redresser ce dispositif à bout de souffle, Mme Taubira a, un temps, envisagé d’instaurer une « contribution de solidarité » sur le chiffre d’affaires des avocats. Refus unanime des intéressés. Depuis, la ministre a fait de nouvelles propositions. La réforme qu’elle porte se veut ambitieuse en revisitant toutes les dimensions de l’aide juridictionnelle (simplification des formulaires, développement de la médiation, rénovation du barème et des modalités d’indemnisation fondées sur des unités de valeur…). Le niveau de revenus pour être éligible à cette assistance devrait être relevé et se situer au-dessus du seuil de pauvreté, ce qui augmenterait le nombre de bénéficiaires potentiels.

Enfin, les moyens alloués par l’État devraient être revus à la hausse, pour passer de 318 millions d’euros en 2013 à 401 en 2016. Mais la garde des sceaux souhaite que les avocats apportent, eux aussi, leur écot. « Si les pouvoirs publics demandent à notre profession de payer pour des prestations dans lesquelles les avocats travaillent à perte, nous leur disons non », réagit Me Pierre-Olivier Sur, bâtonnier de l’ordre de Paris. « Chacun doit prendre ses responsabilités, renchérit Me Marc Bollet, président de la Conférence des bâtonniers. L’État doit tenir ses engagements et financer l’aide juridictionnelle. »

L’une des pistes étudiées par la ministre consisterait à demander à la profession de financer de nouvelles technologies susceptibles de faciliter la mise en œuvre de la réforme. Est notamment visé le développement de Portalis, un portail Internet qui permettra, à terme, aux avocats comme aux justiciables de suivre leurs procédures. « Nous ne sommes pas opposés au principe d’une contribution de la profession au financement de la modernisation de ses outils numériques mais qu’attend-on de nous précisément ? », s’interroge Me Pascal Eydoux, président du CNB.

Le fait de relever le plafond de ressources qui conditionne le droit à l’aide juridictionnelle constitue « une chose positive », ajoute Me Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Bobigny. Mais l’indemnisation de la profession, elle, risque de décroître, d’après lui, car les moyens budgétaires accrus ne compenseront pas les missions supplémentaires. Mme Taubira va devoir encore parlementer si elle souhaite lever les inquiétudes que sa réforme inspire.

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Les avocats promettent des actions coups de poing

18/06/2014

Réunis en assemblée générale hier matin, les avocats du barreau de Bobigny ont décidé de poursuivre leur mobilisation concernant l’aide juridictionnelle (cette aide qui permet aux plus démunis de voir leurs frais de justice et honoraires d’avocat pris en charge par l’Etat, NDLR).

Ils sont en grève depuis le 5 juin et n’assurent plus la défense des prévenus qui bénéficient de l’aide juridictionnelle, pour protester contre le financement à la peine de ce dispositif. Ils réclament un doublement des crédits. Faute de réponse du ministère de la Justice, ils ont décidé de poursuivre la mobilisation, autrement. « Nous ne voulons pas pénaliser le justiciable ni les juges, mais alerter régulièrement les chefs de juridiction et la Chancellerie », explique l’avocat Stéphane Maugendre, annonçant des actions variées. Grève du zèle, demandes de renvoi, plaidoiries à plusieurs avocats pour une même affaire, demande de collégialité… Les avocats n’excluent pas d’autres actions plus spectaculaires. Une action nationale est par ailleurs prévue le 26 juin.

Le barreau de Seine-Saint-Denis regroupe 550 avocats ; 75 % des affaires traitées sur le département relèvent du régime de l’aide juridictionnelle, ce qui représente 10 % de l’aide juridictionnelle de France.

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Les avocats redoutent de ne plus pouvoir défendre les démunis

  05/06/2014

Les audiences au tribunal devraient être perturbées aujourd’hui. Les avocats qui interviennent dans le cadre de l’aide juridictionnelle vont demander le renvoi des affaires. Partout en France, les robes noires sont en grève aujourd’hui, pour rappeler au gouvernement, alors que des arbitrages budgétaires sont sur le point d’être rendus, que l’aide juridictionnelle (AJ), [ tout citoyen qui a de faibles ressources peut bénéficier d’une prise en charge partielle ou totale des frais de justice (avocats, huissier) par l’Etat, NDLR], ne peut pas fonctionner sans le doublement des crédits.

En Seine-Saint-Denis plus qu’ailleurs les enjeux sont cruciaux : 75 % des affaires relèvent de l’aide juridictionnelle.

La question n’est pas nouvelle, comme en témoignent deux grosses grèves en 1991 et 2001, mais elle se repose à chaque fois de manière plus aiguë. « De plus en plus de personnes sont éligibles à l’aide juridictionnelle et ce régime s’étend à de plus en plus de missions de l’avocat », explique Jean Touzet du Vigier, avocat à Bobigny.

Comparution de reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), gardes à vue… L’indemnisation des avocats est calculée en fonction du type d’affaire et selon des unités de valeur dont le montant est différent d’un barreau à l’autre.

Pour une même affaire, un avocat sera moins indemnisé à Bobigny qu’à Paris. Tous le disent, rapportée au nombre d’heures passées, l’indemnisation d’un avocat avec l’AJ c’est moins que le Smic. « Pourtant notre responsabilité professionnelle est engagée de la même manière qu’on soit payé ou indemnisé », précise Anna Sarfati.

Au barreau du 93, on estime que 450 avocats sur 550, font de l’aide juridictionnelle, dans des proportions variables. Avec des indemnisations très faibles et, de plus, à retardement, certains ont fait le choix de renoncer à cette défense. « Quel salarié accepterait d’être payé avec trois ans et six mois de retard ? » interroge Ariana Bobetic, qui a choisi de ne plus faire d’Aide juridictionnelle qu’exceptionnellement. « Sinon, je mettais la clé sous la porte », assure l’avocate qui a prêté serment il y a treize ans.

Sans revalorisation de l’indemnisation, c’est le principe d’équité même des droits de la défense qui est atteint. « Notre volonté est de pouvoir continuer à défendre de la même manière avec les mêmes moyens, les riches et les pauvres, or là le fossé se creuse », illustre à son tour Stéphane Maugendre, coordinateur référent des avocats qui assurent l’aide juridictionnelle d’urgence devant le tribunal correctionnel de Bobigny et les juges d’instruction.

« Il faut bien comprendre que la défense d’urgence ne concerne pas que le voleur, mais tout le monde, tous les jours, poursuit-il. Des gens qui pour la plupart n’ont pas de casier et sont en garde à vue pour la première fois de leur vie, pour une embrouille avec un conjoint, une conduite avec de l’alcool après un pot, un défaut d’assurance parce qu’on a un peu trop tardé à payer… et c’est très important de rappeler que ça vaut aussi pour les victimes. »

La grève pourrait durer dans le temps. Tout dépendra de ce que décideront les avocats réunis en assemblée générale ce matin.

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Les avocats du 93 en grève jusqu’au 17 juin

Carole Sterlé, 05/06/2014,

Bobigny, ce jeudi. Les avocats réclament un doublement des crédits pour l’aide juridictionnelle, qui permet aux plus démunis de bénéficier d’une défense. (LP/C.S.)

Il n’y aura pas d’aide juridictionnelle en Seine-Saint-Denis jusqu’au 17 juin. Les avocats du barreau de Seine-Saint-Denis, qui regroupe 550 robes noires, l’ont décidé ce jeudi en assemblée générale, à l’occasion de la journée de mobilisation générale au sujet de cette assistance aux plus démunis.

Les personnes à faibles ressources peuvent en effet bénéficier d’une prise en charge totale ou partielle des frais de justice (avocat, huissier…) par l’Etat. Or, ce régime est à la peine, faute de crédits. De l’avis du conseil national des barreaux, il faudrait doubler les crédits, actuellement de 300 M€, pour que ce régime fonctionne réellement.

 

« Il n’est jamais facile pour des avocats d’arrêter de défendre les prévenus autant que les victimes, nous avons d’ailleurs proposé des solutions au gouvernement pour doubler les crédits de l’aide juridictionnelle mais le silence du gouvernement, pourtant de gauche, est assourdissant, c’est pour cela que nous avons décidé d’aller jusqu’à cette extrémité », explique Stéphane Maugendre, avocat coordinateur référent des avocats qui assurent l’aide juridictionnelle d’urgence devant le tribunal correctionnel et les juges d’instruction.

Seuls les prévenus qui tiennent à être jugés, même sans avocat, le seront. Les autres affaires sont renvoyées. 75 % des affaires traitées en Seine-Saint-Denis le sont sous le régime de l’aide juridictionnelle. Cela représente 10 % du volume d’affaire de la France entière.

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Aide juridictionnelle : « Si on perd de l’argent, on arrêtera »

index François Béguin, 03/10/2013

Plusieurs dizaines de barreaux ont annoncé leur ralliement au mouvement de grève des avocats prévu vendredi pour protester contre une refonte controversée de l’aide juridictionnelle, qui offre aux justiciables les plus modestes la prise en charge, par l’Etat, des frais et honoraires de justice. Le projet de budget 2014 modifie le barème d’indemnisation des avocats qui assistent les bénéficiaires de cette aide ce qui induit, dans plusieurs juridictions, une baisse des tarifs, inchangés depuis 2007. Témoignage d’un avocat.

Avocat depuis vingt-cinq ans à Bobigny (Seine-Saint-Denis), Stéphane Maugendre en est convaincu : la baisse de l’aide juridictionnelle (AJ) se fera d’abord « au détriment des justiciables » qui pourraient y perdre la possibilité de bénéficier du conseil d’avocats expérimentés. « Aujourd’hui, au sein de notre cabinet, cette aide couvre à peine nos frais, explique-t-il. Si demain le poids de ces dossiers devient trop lourd financièrement, si on perd de l’argent, on arrêtera. La question se pose notamment pour le droit de la famille, qui prend beaucoup de temps et où les enjeux sont considérables. »

Sur les huit premiers mois de l’année, l’aide juridictionnelle a représenté 22,6 % du chiffre d’affaires de son cabinet, qui compte cinq avocats associés et deux avocats collaborateurs. Le barreau de Bobigny a fait ses calculs : la réforme devrait aboutir à une réduction de 11 % de la rémunération de l’ensemble des avocats au titre de l’AJ. Soit une perte de près de 12 000 euros sur une année pour le cabinet de Stéphane Maugendre.  » Cela nous obligerait sans doute à passer une de nos collaboratrices à mi-temps « , déplore-t-il.

Aujourd’hui, Stéphane Maugendre touche par exemple dix-huit unités de valeur (UV) de 22,50 euros pour venir en aide tout au long de l’instruction à une femme victime de viol. Pour suivre ce dossier, qui pourra lui demander entre 20 à 30 heures – parfois plus – disséminées sur plusieurs années, il touchera au final 405 euros. « Avec une baisse de 10 %, je ne toucherai plus que 360 euros. » Somme à laquelle il doit encore retrancher 70 % de frais de fonctionnement de son cabinet. « Hors aide juridictionnelle, et sous réserve de modulations, je demande 200 euros hors taxe de l’heure à un client », précise-t-il.

« J’ai toujours fait de l’aide juridictionnelle par désir militant, ajoute l’avocat, par ailleurs président du groupe de soutien et d’information des immigrés (Gisti). Si cette aide représente aussi près d’un quart de mon chiffre d’affaires, elle m’empêche aussi de développer une clientèle plus rémunératrice. » Vendredi 4 octobre, Stéphane Maugendre fera grève. « Parce que les avocats doivent aider les plus démunis mais qu’ils ne peuvent pas le faire à perte. »

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Les avocats se mobilisent contre la grande misère de l’aide juridictionnelle

index  Franck Johannes,

Extrait : MARILYSE LEBRANCHU avait fait préparer un de ces discours qui comprend les « légitimes inquiétudes » de la profession, mais s’efforce de gagner du temps et dont on peine après coup à retrouver le sujet. La garde des sceaux, vendredi 10 novembre, devant un congrès du Syndicat des avocats de France (SAF), assez remonté, a compris qu’il n’était plus temps. Elle s’est bravement jetée à l’eau, sans notes, a pataugé un peu mais pris la mesure de la colère des avocats. Il ne s’agit plus de grogne, mais de grève, qui va plus ou moins paralyser les tribunaux à partir de lundi 13 novembre, jour du vote du budget de la justice. Les avocats réclament une réforme de l’aide juridictionnelle, le système d’accès à la justice des plus pauvres, qui met en péril un nombre croissant de cabinets.

 

L’aide juridictionnelle (AJ) est née de la loi du 10 juillet 1991 et vise à permettre aux plus démunis, grâce à une aide de l’État, de choisir librement leur avocat. Il y avait un besoin : l’État a consacré 574,7 millions à l’AJ en 1991, 1,54 milliard cette année, soit une augmentation de 128 %. C’est beaucoup et c’est peu : la France y consacrait ainsi 19,91 F par habitant en 1997, la Grande-Bretagne 271,95 F. Pour obtenir l’aide juridictionnelle, il faut remplir un dossier obscur de quinze pages.

PLAFONDS TROP FAIBLES « L’État peut vous demander de rembourser les sommes par lui exposées au titre de l’aide juridictionnelle, précise ainsi le formulaire, dans les mêmes proportions que les dépens lorsque la décision passée en force de chose jugée vous a procuré des ressources telles que, si elles avaient existé au jour de la demande d’aide juridictionnelle, celle-ci ne vous aurait pas été accordée même partiellement. » Dans 80 % des cas, c’est donc l’avocat qui s’y colle, trie, photocopie et joint les pièces demandées. 783 130 personnes ont demandé l’aide juridictionnelle en 1999, 10 % des demandes ont été rejetées. Huit fois sur dix, « parce que les…

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Bobigny: manifestation pour l’aide juridictionnelle

Accueil , 27/11/1996

Une cinquantaine d’avocats du barreau de Bobigny ont manifesté, hier, devant le tribunal de grande instance de la Seine-Saint-Denis pour dénoncer les dysfonctionnements du système d’aide juridictionnelle. La manifestation, organisée par le Syndicat des avocats de France (SAF), s’est déroulée en présence des députés Véronique Neiertz (PS) et Louis Pierna (PCF), ainsi que de magistrats et travailleurs sociaux. Une délégation a été reçue par Mme Sylvie Fontanille, vice-présidente du tribunal, qui, selon Stéphane Maugendre, président du SAF Bobigny, a assuré que les retards dans les traitements des dossiers seraient en partie résorbés dans six mois grâce à un apport en personnel et en moyens informatiques. Un effort «insuffisant» pour répondre aux besoins d’une «juridiction sinistrée», selon l’avocat. «Le traitement des demandes d’aide juridictionnelle dure actuellement plus d’une année» à Bobigny, contre un à deux mois dans la plupart des autres juridictions françaises, constate le syndicat. Un blocage qui empêche, notamment, des familles de faire valoir leurs droits «aux prestations familiales, au logement ou à l’emploi».

Les longues attentes du tribunal de Bobigny.

logo-liberation-311x113Didier Arnaud 26/11/1996

Les avocats dénoncent les dysfonctionnements de l’aide judiciaire et l’errance de leurs clients.

Au palais de justice de Bobigny (Seine-Saint-Denis), les justiciables les plus démunis prennent leur mal en patience. Délai pour obtenir l’aide juridictionnelle (système de prise en charge des plaignants dans le besoin) entre un an et quatorze mois. Lundi après-midi, les avocats en tenue sont sortis devant le palais pour dénoncer cette situation et les errements de leurs clients. Les uns vont à l’audience sans défenseur. Les autres préfèrent attendre ou vont se faire juger ailleurs. «Une de nos adhérentes s’est débrouillée pour faire son dossier à Paris, en un mois c’était réglé», explique la responsable d’une association de défense des droits de la femme présente à la manifestation. Des assistantes sociales encouragent les familles à donner des adresses fictives pour que leurs demandes soient traitées dans d’autres tribunaux plus rapides, comme celui de Créteil (Val-de-Marne). A Bobigny, ça traîne et les avocats râlent: «Le traitement de l’aide judiciaire: le procès arrive avant, et nous après», dit un avocat.

Tous ont des exemples en tête. Celui de cette adolescente de 14 ans victime d’un viol en octobre 1995, dont le dossier ne connaîtra d’issue qu’un an après: l’avocat est désigné le 20 septembre 1996. Cet autre où une mère de trois enfants, en procédure de divorce depuis mars dernier, attend toujours l’aide d’un conseil. Entre-temps, son mari a frappé encore plus fort. Après un séjour à l’hôpital, la maman a été placée dans un foyer d’hébergement, ses enfants confiés à des membres de la famille. Le mari, lui, vit seul au domicile conjugal.

Au bureau d’aide juridictionnelle du palais de justice, il n’y a qu’une dame derrière un guichet. Un retraité s’énerve contre les lenteurs: «Je demande juste d’avoir un avocat.» La photocopieuse est en panne. Deux étages plus haut, les dossiers attendent aussi, entassés dans un petit bureau, à même le sol, sur les tables et les sièges.

Le syndicat des avocats de France (SAF) comptabilise 6 600 foyers (représentant plus de 25 000 personnes) dont les demandes n’auraient pas été satisfaites. «Cela fait un an qu’on essaie de faire remuer les choses mais rien n’a abouti», explique Stéphane Maugendre, président de la section SAF de Bobigny.

Selon les avocats, cette situation est une conséquence indirecte de la réforme de 1991 qui a permis à un nombre plus important de justiciables de bénéficier de l’aide. Ainsi, en 1991, au civil, 3 400 personnes bénéficiaient de l’aide juridictionnelle à Bobigny. Quatre ans plus tard, ils sont 6 600. Sur le plan pénal, la proportion est quasiment la même (10 000 aujourd’hui contre 4 900 en 1991).

Pour désengorger l’entonnoir, 200 dossiers (droits de garde, résidence des enfants ou suppressions de pension alimentaires) ont été traités en urgence par les magistrats eux-mêmes » les autres attendent. Des avocats vont même jusqu’à plaider avant que leurs dossiers ne soient acceptés à l’aide juridictionnelle. «Les dossiers vont plus vite lorsque nous les pistonnons», dit un avocat. Certains magistrats trouvent la situation kafkaïenne. «On a vraiment touché le fond», explique une juge des affaires familiales.

«Tout cela pourrait se résorber très vite, explique Stéphane Maugendre, mais il y a une volonté politique de donner plus de moyens à d’autres secteurs de contentieux plus nobles.» Claude Bartolone, député PS de Seine-Saint-Denis devrait interpeller le ministre de la Justice aujourd’hui à l’Assemblée nationale: «Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour que la juridiction de Bobigny dispose des moyens nécessaires dans un délai raisonnable?» La vice-présidente du tribunal de grande instance (TGI) reconnaît l’ampleur du problème et met en avant l’obsolescence du système informatique et l’absence de moyens humains au greffe (environ 45 postes vacants). La présidente est optimiste. Elle compte augmenter le nombre d’audiences, récupérer des postes et une dizaine d’écrans. «Dans six mois, on devrait retrouver un rythme plus raisonnable», explique-t-elle. Quelque chose comme six mois d’attente. Un délai encore long.

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Avocats : lassés mais déterminés

logoParisien-292x75 30/11/1990

« En poussant l’aberration jusqu’au bout, parfois, on ferait mieux de donner de l’argent à nos clients pour aller se faire défendre par quelqu’un d’autre, cela nous coûterait moins cher ! » Pourtant, Stéphane Maugendre (avocat), vingt-neuf ans, membre du SAF, et de l’intersyndicale, a choisi de s’inscrire au barreau de Bobigny -le deuxième de France en matière d’aide judiciaire- en connaissance de cause. «Je considère que mon métier est avant tout de défendre les gens. Mais il faut aussi que je puisse en vivre». Les dossiers d’aide judiciaire représentent 30 % des affaires de son cabinet, dont les charges fixes s’élèvent à 300 francs de l’heure. « Les indemnités que nous recevons sont tellement ridicules qu’on ne va même plus les toucher… Lundi, j’ai plaidé un tout petit dossier d’assises. J’ai travaillé au moins 20 heures dessus. Je ne toucherai même pas 1000 F».

Henri Nallet a promis un projet de loi sur l’aide judiciaire à la session de printemps. Mais au-delà de ses propres revendications, la profession est excédée par la dégradation générale de la machine judiciaire.

Les bourrasques de la réforme

logo-sud-ouest-journal-annonce-legale Jean-François Barré, 03/11/1990

_DSC0003Au congrès du SAF. le Ministre n’a pas éteint le feu qui couvait. La brise de l’aide légale a même bien soufflé sur des braises qui pourraient bien enflammer le monde de la justice. Avocats en tête. L’histoire qui se répète. Et la grève qui repointe son nez.

Bien avant l’ouverture du con-grès du SAF, la chancellerie qui en avait comme c’est l’usage, pris connaissance, avait qualifié le rapport de Marc Guillaneuf de « tonique ». Comme la brise iodée qui secoue fort autour du palais des congrès des Minimes. Qui souffle aussi dans les travées du grand amphithéâtre jusqu’à décoiffer l’ombre d’un Garde des Sceaux qui plane encore sur toutes les commissions au travail. La visite de courtoisie d’Henri Nallet jeudi, ses demi-mesures et ses réserves n’ont convaincu personne.

La TVA sur les honoraires a même bien contribué à rallumer les braises d’un foyer que les professions de justice se sont évertuées à ne pas laisser mourir. Les promesses-éteignoir n’ont pas eu d’effet et l’engage-ment strictement calendaire du Ministre de la justice n’a pas joué les coupe-feu. Au contraire. L’étincelle « aide légale » a embrasé le congrès.

Pourtant le président avait insisté dès l’ouverture des travaux. Même avec l’impression de voir l’histoire des rencontres 89 se répéter, 90 ne serait pas le congrès de l’aide légale. L’actualité s’est chargée de remettre b sujet au goût du jour. Avec tout b piquant que lui confère le flou artistique harmonieusement dessiné autour du financement d’un projet au contenu pas encore vraiment défini.

Les avocats du SAF avaient prévu de s’interroger sur bien des questions. Hier, en commissions. en assemblée générale, ils n’ont pas pour autant fait l’impasse sur le droit de la famille, leurs problèmes professionnels, leurs honoraires, la réforme de leur profession. Mais c’est bien l’aide judiciaire qui s’en est subrepticement venu hanter les couloirs. Au gré des interventions, on a entendu causer « scandaleux que le Garde des Sceaux vienne nous dire qu’il n’y a pas d’argent pour l’aide légale », entendu causer droit des personnes, cher au SAF. On a surtout entendu causer « ras le bol » et « perspectives de l’arrêt de la suspension du mouvement de grève ». Avec la furieuse envie de donner toute son ampleur à la journée nationale du 15 novembre. En appelant à une grève qui devrait se trouver en bonne place dans les motions qui seront votées ce soir.

Le SAF, comme d’autres membres de l’intersyndicale, avait préféré calmer le jeu en attendant la position du nouveau Garde des Sceaux. Il n’a pas apporté grand chose et bien des hommes de robe lui ont trouvé des oursins au fond des poches. Suffisant pour que la grogne se fasse sentir de plus belle, quand les avocats font de l’accès pour tous à la justice une priorité, de la réforme de l’aide légale un préalable à toute discussion constructive.

Tout simplement parce que ce problème conditionne tous les autres. Parce que pendant des années les avocats ont pris sur eux; ont tenté de compenser les dérisoires indemnisations pour que tous aient accès à une même justice, parce que c’est un principe fondamental du droit, et parce que nous sommes tout particulièrement attachés au droit des personnes, estime Stéphane Maugendre, avocat du barreau de Bobigny. Mais au bout d’un moment on s’épuise»…

L’aide légale en guise de priorité? Pour ce jeune avocat, installé à Bobigny depuis 4 ans, c’est essentiel, à Bobigny, c’est 10% des commissions d’office sur 1% des avocats de France. Alors tout le monde en fait». Et tout le monde pâtit du système. Les «19 francs de l’heure», c’était les chiffres de Stéphane Maugendre (avocat), le passionné du droit pénal qui compte ses pertes sur des cinquante heures de dossiers d’assises que l’on indemnise 1000F. Qui s’interroge sur le principe de base de la profession, qui veut que l’on ne défende pas deux intérêts contradictoires, quand, financièrement parlant, ceux de ses clients sont contraires, aux siens.

Alors comme beaucoup de ses confrères, il tente de résoudre le problème «moral» qui se pose à sa conscience, s’interroge sur les choix à faire entre dossiers de commission d’office et dossiers «payants». Pas facile, quand au cabinet, l’un traite le civil, l’autre le pénal, quand plus d’un tiers des dossiers relève de l’aide judiciaire…

«On ne roule pas sur l’or. 10.000F par mois, c’est le maximum, sans rembourser les frais d’essence, avant d’avoir payé toutes les cotisations»… Au bout du compte, un revenu net mensuel plus près de 6.000 que de 8.000F. Et pourtant, il a pris une part active au mouvement de grève, pour bloquer la machine, quitte à ce que les justiciables ne s’y retrouvent pas forcément sur le moment. Mais c’était peut-être le seul moyen de mener à bien une stratégie de rupture sur quelques mois pour aboutir à une refonte du système». Mais il est clair que les avocats, s’ils refusent l’émergence d’une spécialité «défense du pauvre», ne peuvent faire abstraction des libertés individuelles, « celles qui préoccupent de moins en moins d’avocats, plus tentés par le droit des affaires, d’un bien meilleur rapport ». Alors que dans le même temps, l’avocat s’attend, dans le cadre de le refonte de l’instruction, à être de plus en plus présent dans le contentieux pénal.

Commission d’office ou pas, l’aide judiciaire, les avocats du SAF n’en démordent pas, reste «le» problème à régler. Pas simplement sur le plan de la «juste» rémunération de l’avocat. Chantal Fine le sait bien. Associée à Pontoise à Sylviane Mercier, elle voit passer, sur le total des affaires traitées par le cabinet, 60% de dossiers droit de la famille. «Et 70% des dossiers divorces sont du ressort de-l’aide judiciaire. Concrètement, c’est 22S0F par dossier, alors que les honoraires moyens perçus pour un client payant» pourraient être de 8 à 9.000F». Quand les frais professionnels restent les mêmes, ou presque…. Quand les délais de règlement dépassent l’entendement, quand les avocats sont payés pour leur travail parfois plus d’un an après l’ouverture du dossier…

«Un choix»

Et pourtant, au cabinet, Chantal Fine accepte toujours les dossiers d’aide judiciaire, « parce qu’il y a souvent urgence, parce que c’est un choix de notre part Même avec le risque de voir le client changer d’avocat en cours de procédure et ainsi ne rien toucher »…

Alors, la réforme de l’aide légale, elle l’attend aussi avec impatience. Pour le relèvement! du plafond pour les justiciables, comme une meilleure rémunération et de meilleurs délais de règlement parce que l’on arrive à un stade où financièrement ce n’est plus possible, parce que l’on ne peut pas « forcer » sur les autres clients « pour équilibrer ». Chantal Fine a accepté de gagner moins – aux alentours de 13.000F par mois – pour des raisons d’éthique. Mais à terme, dans son bureau aussi, les choses risquent de coincer…