Archives de catégorie : Double peine

Interdiction du territoire français : un régime pénal d’exception

Article d’origine (Voir l’article publié  en juin 2012)

A Fatiha DAMICHE [1]

© photo Stéphane Maugendre
© photo Stéphane Maugendre

Le titre de cette journée d’étude (de cet ouvrage) « Immigration un régime pénal d’exception » va comme un gant à l’interdiction du territoire français (ITF).

L’interdiction du territoire français, pendant pénal de l’expulsion administrative (AME) – le tout formant ce que l’on appelle la double peine – est une peine complémentaire, prononcée par une juridiction répressive (Tribunaux Correctionnels, Cours d’Appels Correctionnelles ou Cours d’Assises), qui consiste en la défense faite à une personne, de nationalité étrangère, reconnue coupable d’un délit ou d’un crime, d’entrer et séjourner, pour une durée déterminée ou à titre définitif (IDTF), sur le territoire français, une fois la peine d’emprisonnement effectuée [2].

Jusqu’en 1970

Rappelons rapidement[3] que sous l’ancien régime, il n’existe pas de peine d’éloignement du territoire spécifique aux étrangers, la peine de bannissement s’appliquant indistinctement aux français et aux étrangers.

La révolution française consacre le principe d’égalité devant la loi pénale (article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789).

C’est au 19ème siècle qu’apparaient dans le code pénal[4] les premières peines d’éloignement spécifique aux étrangers et le terme d’Interdiction du Territoire Français semble être introduit par la loi du 8 août 1893[5].

Au 20ème siècle, les peines, soit d’ITF, soit de reconduite à la frontière apparaissent dans des lois réprimant l’atteinte au crédit de l’Etat ou de la Nation (12 février 1924, 10 janvier 1936 et 18 août 1936).

Par son article 2, la Constitution du 4 octobre 1958 vient, encore, consacrer le principe d’égalité devant la loi pénale.

C’est dans le contexte particulier de la guerre d’Algérie que l’Ordonnance du 4 juin 1960[6] modifie l’article 106 du code pénal qui prévoit désormais une ITF pour tout étranger reconnu coupable de port d’arme lors d’un attroupement ou d’une manifestation.

Jusque-là les peines pénales d’éloignement sanctionnent soit les infractions au non respect d’une mesure d’expulsion ou d’une réglementation au séjour, soit des atteintes à l’intérêt national. Concernant ces dernières. Il s’agit de rétablir l’inégalité entre français et étrangers devant la loi pénale. En effet les français peuvent être condamnés à une interdiction de leurs droits civiques civils et familiaux ou politiques alors que les étrangers en sont, à l’époque, dépourvus.

De 1970 à Mitterrand

Les années 70 sont un tournant dans la répression de l’immigration.

Répression d’abord politique à l’égard des immigrés qui ne respectent pas « la stricte neutralité politique qui s’impose aux étrangers en France » ou troublent « l’ordre public par leur comportement ». Les cas de Fawzia et Said BOUZIRI[7] en octobre 72 et Mogniss H. ABDALLAH[8] en 79, menacés d’expulsion, en sont les exemples les plus emblématiques.

Répression juridique ensuite puisque la loi du 31 décembre 1970[9], dite « loi Chalandon », rompt avec le principe d’égalité devant la loi pénale et met en place une machine pénale répressive contre les étrangers sans précédent. Elle crée l’article L 630-1 du Code de la Santé Publique (CSP) et annonce un développement considérable de l’ITF puisque celle-ci peut être prononcée, même à titre définitif, contre tout étranger condamné pour des faits liés aux stupéfiants, même pour un simple usage. C’est d’ailleurs à cette date que l’on considère que l’ITF est introduite dans le système répressif français[10].

A cela s’ajoute que cette répression ne touche plus « simplement » ou « seulement » des immigrés de la première génération mais aussi ceux de la deuxième.

Il n’a pas fallu attendre bien longtemps, pour que les victimes de ces répressions réagissent.

L’action la plus connue est la grève de la faim aux Minguettes, débutée le 2 avril 1981, d’Hamid BOUKHROUMA (double peine), Jean COSTIL (Pasteur et responsable de la Cimade de Lyon) et Christian DELORME (Prêtre).

Paradoxalement cette action a permis de faire connaître la double peine en ce qu’elle est « inhumaine » parce qu’elle touche celui qui à des attaches fortes avec la France (parent ou conjoint de français ….) mais elle a, sans doute, figé le débat de la double peine autour des futures catégories protégées.

Par ailleurs, et parce que les AME sont de plus en plus fondés sur des condamnations pénales, la « bicéphalité » de la Double Peine (peine pénale/expulsion administrative) disparaît peu à peu. Il devient alors, intellectuellement impossible de revendiquer politiquement et juridiquement une différence de régime entre AME et ITF et donc ne pas demander la création de catégories protégées contre l’ITF, comme pour les AME. Le Gisti n’échappera pas à ce travers[11]

Face au soutien populaire et la résonnance médiatique de cette action, le candidat MITTERAND leur adresse, le 17 avril 1981, le télégramme suivant :

« J’ai déjà eu l’occasion dès le 6 avril de manifester par l’intermédiaire de Pierre Mauroy, mon porte-parole, ma solidarité avec l’action que mènent les grévistes de la faim. Ma position est connue. Avec mes amis du Parti socialiste, je suis à l’origine d’une proposition de loi déposée en décembre 1978 qui tend à inscrire la reconnaissance des droits des immigrés. Ce texte aurait pour effet de protéger les jeunes immigrés contre les expulsions que vous dénoncez et que je condamne formellement. C’est une atteinte aux droits de l’homme que de séparer de leurs familles et d’expulser vers un pays dont bien souvent ils ne parlent même pas la langue des jeunes gens nés en France ou qui y ont passé une partie de leur jeunesse. Ces pratiques sont inacceptables. Si je suis élu président de la République, je demanderai au gouvernement d’y mettre immédiatement fin et de présenter les dispositions législatives nécessaires pour que nul désormais ne puisse avoir recours à ces pratiques.

Cordialement. François Mitterrand. »

De Mitterrand à Chirac

Promesse non tenue, mais à son arrivée au pouvoir l’exécution des arrêtés d’expulsions est suspendue et il fait voter la loi du 29 octobre 1981[12]

Cette loi, premier d’une longue série de rendez-vous manqué pour l’abolition de la double peine et surtout de l’abrogation de l’ITF, institut – comme d’autres après elle – des catégories protégées contre l’expulsion (Mineur, conjoint ou père et mère de français donner exemple, résident en France de façon habituelle depuis l’âge de dix ou depuis plus de quinze années…) mais ne touche absolument pas à l’article L 630-1 du CSP, pourtant usine à ITF.

La grève de la faim, à Lyon, de Djida TAZDAIT et Nacer ZAIR, pourtant très soutenue, ne peut rien faire contre le vote de la première « Loi PASQUA » du 9 septembre 1986[13], qui balaye les quelques acquis de la Loi d’octobre 1981, (renforcée un an plus tard par la Loi du 31 décembre 1987[14] qui rend impossible le relèvement des IDTF).

Même si le monde politique et associatif de gauche s’était mobilisé autour des grévistes de la faim de 1981 et 1986, les « double peine » ne font pas partie des préoccupations de la campagne présidentielle de 1988[15].

D’ailleurs, la Loi Joxe du 2 août 1989[16], qui ne tient toujours pas la promesse du candidat Mitterrand de 1981, ne revient pas sur la pluie torrentielle des expulsions Pasqua de l’alternance et les victimes des ITF, prononcées sur le fondement de l’article 630-1 du CSP, ne cessent d’augmenter.

C’est donc dans l’indifférence quasi-générale que se créent en juin 1990, le Comité National Contre la Double Peine (CNCDP) et le collectif contre la double peine constitué par Im’Media, Mémoire fertile, les JALB (Jeunes Arabes de Lyon et Banlieue), la Fasti, le Mrap, la Cimade, le CNCDP et le Gisti [17].

Indifférence car le retour de la gauche au pouvoir bride les esprits mais aussi parce que les « double peine » ont un casier judiciaire, ils ont commis des actes délinquants[18].

Grace à l’acharnement des militants du CNCDP (On peut citer parmi d’autres Fatiha DAMICHE, Mohamed HOCINE, Tarek KAWTARI, Lahlou SISSI et Norredine IZNASSNI), il a été permis de :

  • fédérer plus de 120 associations ou syndicats autour de la double peine,
  • rencontrer les Ministres concernés,
  • être auditionné par le Haut Conseil à l’Intégration (HCI) auprès du 1er Ministre,
  • Finalement de forcer la gauche au pouvoir à reprendre le débat sur la double peine.

Mais déjà un autre rendez-vous manqué s’annonce puisque sous la plume de Jean-Paul COSTA du HCI dans une note sur les aspects juridiques de la double peine en date du 1er juillet 1991 peut-on lire :

« on ne voit guère comment on pourrait sans choquer supprimer toute ITF judiciaire«  et « Associer, politiquement, les trois mots de drogue, d’étrangers et d’indulgence (ou laxisme), dans le contexte actuel, comporte des risques, notamment médiatiques, qu’il faut peser avec une balance d’apothicaire. Le problème est donc très difficile »[19]

Même si la loi du 31 décembre 1991, dite « loi Sapin » [20] , s’attaque enfin aux ITF et constitue en cela un sérieux coup d’arrêt à la montée en puissance de celles-ci, on tombe dans le piège des catégories d’étrangers protégés (Mineur, conjoint ou père et mère de français, résident en France de façon habituelle depuis l’âge de dix ou depuis plus de quinze années…), réservées jusqu’à présent au AME.

De plus, le dispositif législatif et réglementaire ne prévoit rien pour les dizaines de milliers de « double peine » des années passées. [21]

Le 2 janvier 1992, au lendemain de la publication de la loi Sapin au journal officiel, dix-neuf « double peine » démarrent une grève de la faim dans les locaux de la Cimade aux batignoles à Paris rejoint, le 14 janvier, par sept autres à Lyon dans les locaux des JALB et d’autres partout en France.

Ces grèves permettent d’obtenir quelques abrogations d’AME ou assignations à résidence et une circulaire de la Chancellerie en date du 22 janvier 1992 pour inciter les parquets à faire appliquer la loi Sapin dans le cadre des relèvements d’ITF.

Pour la gauche au pouvoir , après une Loi et une Circulaire, la double peine est « une affaire réglée ». [22]

La mobilisation tombe, les « double peine » aussi, mais eux, encore une fois, dans l’oubli.

Or, l’adoption du nouveau code pénal, adoptée par une législature de gauche, constitue un énorme piège puisque, si son article 131-30 reprend les dispositions « protectrices » de la loi Sapin, il augmente démesurément le nombre d’infractions pour lesquelles un étranger peut se voir condamner à une ITF. En effet, plus de 270 crimes et délits peuvent être sanctionnés par cette peine[23].

Remarquons que les crimes et délits sanctionnés à titre complémentaire par de l’ITF ne touchent jamais la délinquance en col blanc. Est-ce à dire qu’il y a de mauvais / mauvais délinquants étrangers auxquels on réserve une peine supplémentaire et les mauvais / bons délinquants étrangers qui en sont dispensés? Considère-t-on ainsi que ces derniers, compte tenu de leur délit sont mieux intégrés et donc non éloignables du territoire français ou plutôt que les étrangers ne peuvent commettre que terrorisme ou atteintes aux personnes? Exemple que cette peine est bien fondée sur un présupposé fantasmagorique.

Il faut noter que cet article devient la référence concernant l’iTF et fait donc passé la notion de délinquant avant celle d’étranger et renforce encore la stigmatisation étranger=délinquant.

De plus, la loi du 24 août 1993, dite « loi Pasqua II » [24], qui modifie l’article 131-30 [25] du futur nouveau code pénal avant même qu’il n’entre en vigueur, supprime la protection des catégories protégées et édicte des normes draconiennes pour l’effacement de cette peine (Quatre années plus tard, la loi du 24 avril 1997, dite  » loi Debré »,[26] renforce le régime d’exécution de l’ITF).

Dans le contexte de quatre années d’application du nouveau code pénal et des lois Pasqua[27], qui créent des situations explosives et parce qu’ils espèrent peser sur le débat parlementaire concernant le projet de Loi de Chevènement, sept doubles peines entament une grève de la faim au mois de décembre 1997 dans les locaux des JALB à Lyon.

Pour ne pas aborder le fond de la question lors du débat parlementaire et parce que les médias commencent à se faire rapidement l’écho de ce mouvement, le Ministre de l’intérieur leur promet d’étudier leurs cas et ils cessent leur grève au bout de seize jours.

Mais la loi du 11 mai 1998[28], dite aussi « loi RESEDA », non seulement ne revient pas sur les « lois Pasqua I et II » mais ne modifie que très peu l’article 131-30 du Code Pénal.

C’est parce que la gauche au pouvoir a escamoté le débat et que trois des sept grévistes n’ont pas été régularisés, que deux d’entre eux, rejoints par huit autres « double peine », débuteront une nouvelle grève de la faim le 10 avril 1998.

Bertrand TAVERNIER, soutien fidèle par la suite, commence, à cette occasion, le tournage de son documentaire « Histoires de vies brisées » [29]

Ce mouvement, fondé sur une trahison de la gauche, est particulièrement radical et ne va s’achever qu’au bout de 50 jours, par l’obtention d’assignation à résidence avec autorisation de travail pour six mois (ce délai leur permettant de demander le relèvement de leurs ITF ou l’examen de leur situation par le Ministère de l’intérieur).

La conséquence de cette grève est aussi la mise en place de la commission présidée par Christine CHANET[30] par Elisabeth GIGOU.[31]

Mais le rendez-vous manqué de l’abolition de l’ITF s’annonce déjà puisque l’on peut lire dans la lettre de mission de la Garde des Sceaux :

« C’est la raison pour laquelle, à la suite de la mission confiée par M. Le Premier ministre à M. GALABERT, Conseiller d’Etat, relative aux « grévistes de la faim » de Lyon, j’ai décidé de mettre en place une commission interministérielle qui devra mener un travail de réflexion et d’étude sur le prononcé des peines d’interdiction du territoire à l’égard de ces étrangers ayant des liens familiaux et privés forts avec la France. »

Et si ce rapport « se montre, de façon générale, assez critique à l’égard du système actuel. Il ne va cependant pas jusqu’à proposer la suppression de ces interdictions du territoire prononcées par les tribunaux répressifs. Du reste, ses onze propositions paraissent bien timides, voire en décalage, par rapport à ses observations et critiques souvent pertinentes »[32].

En effet, il ne propose que de :

  • « Limiter l’interdiction du territoire français (ITF) aux cas de récidive pour les infractions à la seule législation sur les étrangers.
  • Limiter l’interdiction définitive du territoire français aux seules infractions pour lesquelles la réclusion ou la détention perpétuelle est encourue.
  • Clarifier l’état du droit à l’attention des juridictions.
  • Sensibiliser les barreaux.
  • Améliorer les modalités de la collecte des éléments de personnalité.
  • Favoriser le débat contradictoire dès le début de la procédure.
  • Interdire l’ITF pour les étrangers ayant suivi leur scolarité en France et y résidant habituellement depuis lors.
  • Renforcer l’efficacité de la protection pour les autres catégories d’étrangers protégés par l’article 131-30 du code pénal.
  • Elargir les possibilités de relèvement.
  • Définir une politique en matière de requêtes en relèvement.
  • Motiver les jugements rendus en matière de relèvement. »

Alors que le rapport est remis depuis de nombreux mois au Garde des Sceaux et que rien ne bouge du coté du gouvernement, Lila BOUGUESSA, l’épouse de Moncef KHALFAOUI gréviste de la faim d’avril 1998, débute seule, Ie 4 mai 1999, une grève de la faim pour obtenir la grâce présidentielle de l’ITF qui touche son mari.[33]

Bertrand TAVERNIER filme le combat de cette femme qui vient compléter son premier tournage.

Mais cette action se termine par un échec[34].

L’autre échec est la seule publication de la Circulaire dite « GUIGOU » du 17 novembre 1999 relative à la « Politique pénale relative au prononcé et au relèvement des peines d’interdiction du territoire français »[35] à l’intention des parquets. En effet, la montagne des constats du rapport CHANET ayant accouché de souricettes propositions, ces dernières n’accoucheront que d’un texte souriceau.

Or, il ne faut pas oublier que le nouveau code pénal est entré en vigueur depuis 1994 avec sa cohorte d’infractions sanctionnées par des ITF sur le fondement de son article 131-30 [36] et que certaines juridictions pénales, qui ne sont pas liées par la Circulaire GUIGOU, se montrent particulièrement « généreuses » en la matière. Ainsi, même si le nombre d’ITF prononcées chaque année est moins important que durant les années précédentes, le nombre cumulé des personnes condamnées à une ITF ne cesse d’augmenter[37].

De la campagne « une peine./ » au premier tour des élections présidentielles 2002

« Les grèves de la faim successivement menées à Lyon ont, par leur médiatisation, fait ressurgir une réalité et une expression éclipsées depuis l’action du CNCDP, et la question a retrouvé une place de premier plan au sein des préoccupations militantes[38] Des tribunes dans la presse nationale[39] , des articles dans des journaux ou revues de gauche[40], la diffusion sur Canal +, en clair et à une heure de grande écoute, d’un reportage dénonçant la double peine[41] ou encore la publication d’un petit livre de sensibilisation militante[42] entretiennent cette visibilité, tout comme les mobilisations locales autours de cas singuliers dont la presse nationale se fait régulièrement l’écho. Le contexte semble donc favorable au lancement de la campagne projetée par le collectif lyonnais »[43]

En effet, c’est de Lyon (encore) et autour de la Cimade de Lyon que se lance l’idée et démarre la campagne nationale « une peine ./ » (une peine point barre).

La Cimade salarie Bernard BOLZE (Fondateur de l’OIP) pour coordonner cette campagne et rassembler les associations préoccupées par la double peine, mais concernant l’ITF, elle ne propose que « la modification de l’article 131-10 du Code pénal par un retour aux catégories protégées ». (Celle de la Loi SAPIN du 31 décembre 1991).

Le jeudi 19 juillet 2001, le Gisti répond que :

«il ne peut en l’état de ces revendications s’associer à la campagne…Il a en effet clairement montré son opposition radicale à la double peine. »

 

et que :

« concernant l’interdiction du territoire français (ITF), le Gisti estime que le juge pénal ne doit pas avoir la possibilité de prononcer à l’égard de l’étranger qui a commis une infraction – de droit commun ou non – une ITF. Etrangers et Français doivent strictement encourir les mêmes peines complémentaires, sous peine de rompre le principe d’égalité devant gouverner le traitement pénal de la délinquance. Il y aurait par ailleurs beaucoup à dire sur cette ITF, peine faussement qualifiée de complémentaire. Elle doit tout simplement disparaître du Code pénal car elle conduit le juge répressif à des facilités, des excès, des incohérences et des traitements inhumains, et à intervenir indûment dans le jeu de la politique migratoire. »

Le MRAP et la LDH étant sur cette position, impossible donc pour la Cimade de se lancer dans cette campagne nationale sans ces trois organisations.

Le consensus se trouve et concernant l’ITF la plate-forme de la campagne [44] demande

 

« Un débat parlementaire, sur la base des constatations de la commission Chanet, qui devrait déboucher sur la suppression de la peine d’interdiction du territoire français. Étrangers et Français doivent encourir strictement les mêmes peines, pour respecter le principe d’égalité dans le traitement pénal de la délinquance ».

La campagne est lancée à LYON, le 19 novembre 2001, et à PARIS, le lendemain, avec la projection du film de Bertrand TAVERNIER « Histoires de vies brisées, les double peine de Lyon ».

Les buts de cette campagne consistent d’une part, à faire connaître et à expliquer la double peine le plus largement possible, et, d’autre part, à convaincre la gauche, et notamment le P.S, avant les élections du 21 avril, de la nécessité d’une réforme, persuader qu’elle serait victorieuse.[45]

Tout se passe comme prévu, sauf les élections.

Au lendemain de celles-ci la campagne choisit, malgré tout, de reprendre le lobbying, mais cette fois-ci plus en direction de la droite parlementaire, d’organiser un meeting au mois d’octobre 2002 et de publier un ouvrage collectif[46].

De la mise en place du groupe de travail sur la double peine à la remise du rapport MIGNON [47]

Alors que se tient le lendemain (26 Octobre 2002) le meeting à la Villette[48] et que la campagne est, après une année, à son apogée, Sarkozy annonce, la mise en place d’une commission de réflexion sur la double peine, qui, après auditions, rendra un rapport afin de préparer un projet de réforme.

De toute évidence le Ministre de l’Intérieur, déjà en campagne, surfe sur une vague que la gauche n’a pas prise.

Cette commission a fait choix, sans explication du Ministère de l’intérieur, des organisations et des personnalités à auditionner et écarte la LDH. La campagne ne réagit pas à cette éviction, mais surtout les représentants des organisations de la campagne (dont le Gisti) répondent présents à chaque convocation de dernière minute de cette commission sans recul politique.

D’une certaine manière elles vont « à la soupe », car très clairement Sarkozy annonce son courage à réformer la double peine face à sa majorité hostile (et à une gauche qui n’avait rien fait) et affirme que nous ne devrions pas être « extrémiste » au risque de voir cette réforme échouer.

La commission remet son rapport au Ministre de l’Intérieur qui convoque la campagne, comme toujours dans l’urgence, pour en prendre connaissance le 2 avril 2003.

Nicolas Sarkozy annonce que

« ce rapport expose en termes administratifs ce qui est ma conviction profonde : pour des étrangers nés en France ou ayant fondé des familles en France, la « double peine » est inhumaine. Elle est contraire à l’intérêt général car elle provoque l’éclatement des familles….

 ….Nous empêchons la réinsertion….

 ….Tout cela est contraire à l’intérêt général et même contraire à l’ordre public, alors que c’est soi-disant au nom de l’ordre public que l’on justifie ces mesures….

… Vous avez raison de poser la question : pourquoi faudrait-il traiter différemment un étranger et un Français qui ont commis la même faute et qui ont payé de manière égale leur dette à la société ? …

 Mais pour l’ITF la messe est dite

 …les membres du groupe de travail ne proposent pas la suppression générale de l’interdiction du territoire français de notre législation pénale…Cette position est logique : le groupe était chargé de réfléchir à la « double peine », c’est-à-dire à la situation de ceux qui ont de fortes attaches avec le territoire français. …

Le Rapport MIGNON

Arrêtons-nous sur ce rapport, bel exemple de populisme juridique, qui affirme que l’ITF n’est ni discriminatoire ni une double peine.

  • Selon le rapport :

 » on ne peut soutenir que la peine complémentaire d’interdiction du territoire français est la seule peine discriminatoire du droit français en ce qu’elle touche uniquement les étrangers et ne vise pas les Français. En effet, il existe au moins deux peines complémentaires qui ne concernent que les Français et épargnent les étrangers : tel est le cas de certaines composantes de la peine d’interdiction des droits civiques, civils et de famille (article 131-26 du code pénal) qui ne peuvent s’appliquer qu’à des ressortissants français (droit de vote et d’éligibilité aux élections nationales). De même, l’interdiction d’exercer une fonction publique (article 131-27) ne concerne que les Français en tant qu’elle porte sur des fonctions de souveraineté. Si l’on devait supprimer totalement la peine complémentaire d’interdiction du territoire français en raison de son caractère discriminatoire, il faudrait alors, logiquement, supprimer aussi ces peines complémentaires. » (Page 1)

On note, non seulement l’aveu de la discrimination mais aussi l’inexactitude du raisonnement.

Car on sait que le droit de vote et d’éligibilité aux élections nationales constitue une sous catégorie du droit de vote et d’éligibilité [qu’ont, par ailleurs, les communautaires sur nombres de scrutins et les non-communautaires pour de très rares scrutins (élections prud’homales par exemple)] et que cette sous catégorie est elle-même une composante des droits civiques, civils et de famille dont l’exercice peut être interdit à tout condamné quelle que soit sa nationalité. En réalité, il ne s’agit pas d’une peine mais d’une conséquence par ricochet d’une peine.

Car on sait que l’exercice d’une fonction publique en tant qu’elle porte sur des fonctions de souveraineté n’est qu’une composante de l’exercice d’une fonction publique ou d’une activité sociale et professionnelle. Son interdiction, n’est pas prescrite dans le Code Pénal, mais est une conséquence par ricochet de ce que l’exercice d’une fonction publique est interdite.

Le rapport surenchérie puisqu’il affirme que :

 » la peine d’ITF n’est pas contraire au principe d’égalité : même lorsqu’ils ont des attaches importantes avec le territoire français, les étrangers ne sont pas juridiquement dans la même situation que les Français. La nationalité les en sépare irrésistiblement et cette distinction est de nature à fonder en droit l’existence d’une peine spécifique qui ne s’applique qu’aux étrangers. D’ailleurs, à l’aune de cet argument non fondé, presque toutes les peines complémentaires pourraient encourir le reproche d’être discriminatoires. Tel serait le cas par exemple de la peine de suspension du permis de conduire ou de l’interdiction d’exercer une fonction publique. Pour faire l’objet de ces peines, encore faut-il être titulaire du permis de conduire ou susceptible d’exercer une telle fonction. Personne ne soutient que de telles peines sont discriminatoires car elles ne touchent pas ceux qui n’entrent pas dans ces catégories ». (Pages 36 et 37)

Inutile de s’appesantir sur le raisonnement « étranger juridiquement différent du français donc peine différente » puisque c’est la même que ce trouve la discrimination.

Les exemples donnés sont tout aussi consternants.

On sait qu’il n’est pas utile d’avoir un permis de conduire pour qu’un Tribunal suspende celui-ci, interdisant ainsi le condamné de le passer. Par ailleurs, ne commet pas, en droit, une discrimination un employeur qui exigerait un permis de conduire pour remplir telle ou telle fonction dans le cadre d’un emploi.

Concernant le deuxième exemple, il faut remarquer que toute personne est susceptible d’exercer une fonction publique. Par ailleurs, une administration publique qui proposerait un concours interne à ses seuls fonctionnaires ne commettrait pas non plus de discrimination.

La possession d’un permis de conduire ou la susceptibilité d’exercer une fonction publique ne sont pas des critères de discrimination, la nationalité si.

  • Le rapport affirme que :

« La peine d’interdiction du territoire français ne constitue pas une seconde peine après une première peine de prison ou d’amende. Elle constitue une peine complémentaire comme il en existe beaucoup d’autres dans le code pénal (confiscation d’objet, interdiction d’utiliser des chèques, interdiction d’exercer telle ou telle activité professionnelle, interdiction de séjour, exclusion des marchés publics, suspension du permis de conduire….). A l’instar de la peine complémentaire d’interdiction du territoire français, certaines de ces peines ont parfois, pour les personnes qui en font l’objet, des conséquences aussi graves que la peine d’interdiction du territoire. » (Page 1)

A part prendre les représentant de la campagne pour de parfaits idiots, le raisonnement est particulièrement crapuleux puisqu’il annonce une vérité juridique (selon laquelle l’ITF est une pleine complémentaire) pour lancer une contrevérité puisque la somme de l’ensemble des peines complémentaires prévues au Code Pénal ne dépasse pas ni dans la durée ni dans les domaines visés les conséquences de l’ITF. La seule lecture des articles 131-10 et 131-19 à 131-36 du code pénal suffit à s’en convaincre.

Le summum est atteint lorsque le rapport relève que :

« Pour des raisons d’humanité et de proportionnalité des sanctions pénales, elle (la France) a renoncé à cette peine (le bannissement) sans pour autant porter atteinte à sa souveraineté » (page 5)

Comme si le bannissement, que constitue l’ITF, serait plus humain et plus proportionnel pour l’étranger que pour le français et que l’abrogation de l’ITF porterait plus atteinte à la souveraineté de la France que celle du bannissement et ce d’autant plus que l’Etat reste détenteur du pouvoir d’éloigner, par le biais de l’expulsion ou de la reconduite à la frontière, l’étranger qu’il considère être une menace pour la France.

La course à l’échalote

Le 9 avril 2003, le Ministère de l’Intérieur convoque, comme à son habitude en urgence pour le lendemain à 8 h 15, la Campagne à afin de recueillir ses observations sur le rapport Mignon. L’idée, prendre de vitesse les plus radicaux de la campagne et instrumentaliser les autres pour accompagner le projet de loi, tout en organisant l’annonce de l’abolition de la double peine.

Cette annonce, déjà relayée par les médias sans recul politique et ne se donnant pas la peine de vérifier, devient déjà réalité pour tous avant même que la Loi ne soit adoptée.

Dans la foulée Nicolas SARKOZY annonce une réforme de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers.

Dés lors certaines organisations de la campagne, notamment la LDH et le Gisti, dénoncent la fausseté de l’annonce sarkozienne, constatent que ce projet laisse entier le problème de la double peine en ne s’y attaquant que très superficiellement, (afin de se débarrasser de certains dossiers qui encombraient les bureaux de la rue des saussaies et pour lesquels l’éloignement était pratiquement et réellement impossible) et refusent de soutenir une réforme cosmétique de la double peine dans le cadre générale de la reforme de l’immigration, l’une des plus répressive en matière de droit des étrangers depuis 1945.

D’autres, sous prétexte que cette réforme vient du coté de la droite, affirment qu’il fallait en accepter l’augure, clamer haut et fort qu’une brèche est percée et participer au travail législatif par la rédaction d’amendements pour certains députés sur la base du projet de loi du Ministère de l’intérieur. Dernier argument de ces derniers, non négligeable, et si cette réforme pouvait sauver quelques centaines d’étrangers touchés par la double peine? [49]

Malgré ces divergences s’organisent une conférence de presse, le vendredi 4 avril 2003  [50] et un grand raout d’honneur place de la République pour le samedi 10 mai 2003.

Les interventions de la LDH et du Gisti [51], relayées par Sylvia ZAPPI dans les colonnes du Monde du 13 mai 2003, vont déclencher lyre de la Cimade et du coordinateur de la campagne – ces derniers reprochant la trahison des premiers. Dès lors le Gisti décide de ne plus participer à la Campagne contre la double peine

Cet abandon se devait discret par respect, au fantastique travail accompli lors de la campagne mais cette discrétion consacrait aussi la victoire du Ministère de l’Intérieur.

Par ailleurs, l’instrumentalisation de ceux qui restaient ne s’arrêta pas là puisque cités à de nombreuses fois durant les débats parlementaires, ils faisaient fonction de caution humanitaire à la réforme générale de la politique d’immigration particulièrement répressive du gouvernement.

La réussite politique du ministre de l’intérieur va jusqu’à obtenir à l’assemblée nationale un vote à l’unanimité sur les dispositions concernant la double peine.

En désespoir de cause et parce qu’il est impossible de laisser croire au mensonge de l’abolition de la double peine, s’organise, à l’initiative de Jean Pierre THORN, un débat, autour de la diffusion de son film « On n’est pas des marques de vélo » [52] entre ceux qui ont quitté la campagne et les Sénateurs de gauche afin que ces derniers déposent des amendements reprenant les revendications de la plate-forme dont l’abrogation de l’ITF.

Ces amendements rejetés, l’abolition de la double peine était consacrée et le débat sur celle-ci enterré.

Que l’on ait la satisfaction d’avoir ouvert une brèche et sauvé quelques dizaines voire centaines de « double peine » ou celle de ne pas avoir voulu cautionner une telle loi, il n’en reste pas moins que le monde associatif, partie prenante dans la campagne contre la double peine devait prendre conscience de la responsabilité qu’il avait en sollicitant une réforme de cette ampleur. Il avait donc la charge morale de dizaines de milliers de doubles peines laissés sur le carreau de l’oubli et de la clandestinité, et ceux qui y sont enfoncés par les effets pervers ou couperets de la Loi. Un devoir et un droit de suite s’imposait indéfectiblement à eux. C’est pour cette raison qu’en 2005 une tentative de relance a été organisée[53]. Echec total, le relais média est quasi nul.

Comme attendu, la loi du 26 novembre 2003 ne touche pas à l’ITF et met en place un système complexe en distinguant des catégories partiellement protégées et des catégories protégées. Or, l’examen du dispositif révèle que les premières sont très partiellement protégées et que les secondes sont loin de l’être totalement et renferment les conditions de son inapplicabilité[54].

 Concernant les catégories protégées l’article 131-30-2 énonce que « la peine d’interdiction du territoire français ne peut être prononcée lorsqu’est en cause :

1° Un étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;

S’il est souvent facile de prouver une résidence habituelle jusqu’à l’âge de 16 ans par des certificats de scolarité, pour les années suivante un jeune tombé dans la délinquance ou dans la toxicomanie ne préservera, en pratique de telle preuves, notamment lorsque’il faudra, pour respecter certaines jurisprudence réunir, pour des années de dérives (sociale, scolaire, familiales…) 2 à 3 preuves officielles par années. On n’évoquera pas la rupture dans ce séjour habituelle (puisque le texte exige « depuis ») pour un «double peine » qui aura fait l’objet d’un éloignement (suite à un APRF ou AME ou ITF), ou un retour dans le pays de nationalité pour obtenir une reforme du service militaire avec difficulté pour revenir en France.

 « 2° Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans » ;

 La seule preuve sera le titre de séjour. Or, combien de double peine se sont retrouvés sans titre de séjour, soit par négligence, soit par toxicomanie, soit par application d’une double peine, soit enfin par refus par la préfecture au motif d’un trouble à l’ordre public.

« 3° Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis trois ans avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, à condition que ce mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné sa condamnation, que la communauté de vie n’ait pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française, ou, sous les mêmes conditions, avec un ressortissant étranger relevant du 1° ci-dessus ;

Le cumul de six conditions, preuves à l’appui, pour un même homme (ou femme) rend pratiquement inapplicable cette disposition.

« 4° Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est père ou mère d’un enfant français résidant en France, à condition que la naissance de cet enfant soit antérieure aux faits ayant entraîné sa condamnation, qu’il exerce, même partiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfant et qu’il subvienne effectivement à ses besoins.

Le cumul de six conditions, preuves à l’appui, pour un même homme (ou femme) rend pratiquement inapplicable cette disposition.

 « 5ºUn étranger qui réside en France sous couvert du titre de séjour prévu par le 11º de l’article L 313-11 du CESEDA. »

Il s’agit des étrangers malades et la preuve se rapportera par la production du titre de séjour, dont l’obtention est de plus en plus difficile à obtenir[55].

Je laisse de coté les exceptions à ces protections[56].

Concernant les catégories partiellement protégées

L’article 131-30-1 énonce :

« En matière correctionnelle, le tribunal ne peut prononcer l’interdiction du territoire français que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l’infraction et de la situation personnelle et familiale de l’étranger lorsqu’est en cause :

Suivent 6 catégories qui renferment toutes les mêmes conditions d’inapplicabilité que les précédentes.

Mais en réalité, ces catégories ne sont protégées de rien. En effet, Ces limites ne s’appliquent qu’aux délits et donc pas aux affaires criminelles jugées par les Cours d’Assises et La motivation des Tribunaux est généralement quasi inexistante et se résume généralement en une phrase très sommaire voire stéréotypée[57].

« Bilan des courses » l’ITF continue d’être [58] :

Archaïque puisqu’elle réunit les effets de la mort civile (peine abolie en 1854 qui consistait à réputer les condamnés morts au regard du droit, bien qu’ils fussent physiquement en vie. Il en résultait pour eux la perte de la personnalité juridique) et celle du bannissement (peine criminelle, infamante, politique, consistant dans la simple expulsion du condamné, quelle que soit sa nationalité – française ou étrangère – du territoire de la République et ayant disparu depuis plus d’un demi-siècle de notre droit positif, mais définitivement par la loi du 16 décembre 1992 [59]).

Discriminatoire et « injustifiable » [60], en ce qu’elle constitue l’unique cas dans l’appareil répressif français de peine ayant pour fondement l’extranéité du délinquant et qu’elle « ne trouve ancrage dans aucune des théories de la peine … sur lesquelles se fonde le système pénal français » [61] écartant toute référence à l’acte répréhensible ou au principe de la personnalisation des peines.

Toute peine n’existe qu’à raison de l’infraction à sanctionner et de la personnalité du délinquant. A aucun moment ne doit être pris en considération, le sexe, la religion l’appartenance politique ou syndicale, l’origine régionale, ethnique au risque de discrimination, de rupture d’égalité devant la Loi.

Il convient de s’arrêter quelques instants sur cette affirmation, car les tenants du maintien de cette peine la contredisent (nous en avons vu quelques exemples concernant le rapport Mignon).

D’abord, ils soutiennent qu’il est inexact d’affirmer qu’il y a égalité devant la Loi pénale, puisque le mineur délinquant pourra voir sa peine divisée par deux en application de l’excuse de minorité ou le fou pourra être partiellement ou complètement considéré comme pénalement irresponsable.

L’argument ne tient pas car, d’une part, dans ces exemples, la minoration de la peine ou de la responsabilité existe au regard d’un élément de la personnalité du délinquant – l’âge ou l’état psychiatrique – et, d’autre part, c’est dans le sens de l’atténuation de la peine et non vers son accroissement que le législateur guide le Juge.

Je passe, parce que déjà vu, sur l’affirmation de la normalité de la discrimination au motif que les étrangers échappent à l’application de certaines peines, tel que l’interdiction de voter.

Enfin, ils clament l’indispensable nécessité de faire application du principe de réalité, celui de la lutte contre la délinquance des étrangers.

Là encore, l’argument ne tient pas car on ne peut :

  • Ni ériger le principe de réalité en un principe de droit pénal. D’abord, parce que cette réalité est toujours celle du discours politicien fluctuant au gré des élections ou des faits divers. Ensuite, parce que cela se fait toujours au détriment de la sécurité juridique.
  • Ni affirmer qu’il y a une réalité d’une délinquance des étrangers, les chiffres le démontrent,
  • Poser le principe selon lequel la délinquance des français serait différente de celle des étrangers. On poserait alors, pour les besoins de la cause les principes selon lesquels la délinquance des bretons serait différente de celle des alsaciens, celle des wallons différentes de celle des flamands, à raison d’un lieu de naissance.
  • Ni ériger en un type la délinquance commise par les étrangers comme il existe une délinquance  » routière  » ou « économique », et donc que l’extranéité fait partie intégrante de l’acte délinquant.

Rupture d’égalité, encore, face au prononcé de la peine.

Toujours parce que l’homme n’est pas, par essence, récidivant, le législateur s’efforce d’inventer des peines qui empêcheront le délinquant de se retrouver en prison afin d’éviter une désocialisation totale, comme par exemple :

  • le travail d’intérêt général (TIG), qui consiste à travailler pour la communauté,
  • l’ajournement de peine, qui permet, notamment, au condamné d’indemniser une victime dans un délai maximum d’une année et d’obtenir une dispense de peine,
  • le jour-amende, qui oblige le condamné à payer une amende et à défaut de paiement, à exécuter une peine ferme.
  • le sursis mis à l’épreuve avec obligation de travailler, de se soigner ou d’indemniser la victime,
  • la semi-liberté qui permet au condamné de travailler ou de suivre une formation tout en exécutant sa peine d’emprisonnement en allant coucher le soir en prison,
  • le fractionnement de la peine, qui permet au condamné d’exécuter sa peine de prison aux périodes ne l’empêchant pas de travailler,

Pour l’étranger condamné à une ITF ces peines dites « alternatives à l’emprisonnement » sont exclues. En effet, ces peines sont juridiquement ou pratiquement incompatibles avec le principe même de l’exclusion du territoire et par voie de conséquence, le juge pénal, qui envisage de prononcer une ITF, est dans l’impossibilité ou s’empêche de prononcer une telle peine alternative.

On arrive parfois, à des aberrations. Par exemple, une victime n’aura aucune chance d’obtenir une indemnisation de la part de son agresseur si celui-ci est condamné à une ITF. Ainsi, par effet pervers, le système se retourne contre lui-même puisque d’une part l’étranger échappera à l’obligation d’indemniser une victime mais celle-ci se trouvera face à une rupture d’égalité au regard de son droit à la réparation de son préjudice. Il s’agit là d’un double sacrifice fait sur l’autel du principe de réalité.

C’est très certainement ce dernier argument qui a convaincu la commission Mignon de proposer une des innovations les plus importantes de la Loi du 23 novembre 2003 (Articles 132-40 et 132-48 du Code Pénal). En effet, depuis cette loi, lorsque une juridiction pénale prononce une peine d’emprisonnement avec sursis mis à l’épreuve (ou une peine dite mixte c’est-à-dire partie ferme partie sursis mis à l’épreuve) ainsi qu’une ITF, il est sursis à l’exécution de cette dernière durant le temps de la mise à l’épreuve, c’est-à-dire que l’étranger ne pourra pas être éloigné du territoire français en vertu de cette ITF pendant la durée de la mise à l’épreuve. Il convient de relever que cette mesure n’est pas applicable pour l’interdiction définitive du territoire français ni aux condamnations à l’emprisonnement prononcées pour une durée de cinq ans au plus (10 ans en cas de récidive légale).

Rupture d’égalité enfin quant à l’exécution ou à l’application des peines.

Véritables outils de lutte contre la récidive et d’aide à la réinsertion sociale et professionnelle, les stages de formation et le travail carcéral ne peuvent être effectués par les « double peine » puisque réputés en situation irrégulière.

Jusqu’à la Loi de novembre 2003, la peine d’ITF empêchait, tous les aménagements de l’exécution d’une peine de prison qui étaient ouvertes aux autres condamnés comme :

– les permissions de sortie, qui permettent aux condamnés en fin de peine de préparer leurs retours à la vie sociale ou professionnelle,

– les semi-libertés,

Toutefois, le dernier alinéa de l’article 131-30 du code pénal prévoit dorénavant que :

« L’interdiction du territoire français prononcée en même temps qu’une peine d’emprisonnement ne fait pas obstacle à ce que cette peine fasse l’objet, aux fins de préparation d’une demande en relèvement, de mesures de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique ou de permissions de sortir. »

On remarquera que la condition posée est celle du relèvement de l’ITF. Or ce dernier est généralement conditionné à l’indemnisation des victimes. Il semble que l’argument de l’égalité du droit à réparation de la victime ait guidé la Commission.

Il en est de même, concernant les libérations conditionnelles, autre véritable innovation de la loi du 23 novembre 2003, qui permet au Juge de l’application des peines ou à la juridiction régionale de la libération conditionnelle d’accorder, à un étranger condamné à une ITF, une mesure de libération conditionnelle et ordonner simultanément la suspension de l’exécution de la peine d’ITF pendant la durée des mesures d’assistance et de contrôle prévues à l’article 732 du Code Procédure Pénale[62].

Criminogène car elle empêche largement les possibilités d’amendement.et la réinsertion sociale du condamné à une ITF.

En effet, un des principes fondamentaux de la peine d’emprisonnement est l’amendement voire la réinsertion sociale du condamné. En clair, pendant que le condamné purge sa peine et donc paye sa dette à la société, il s’amende afin qu’à l’issue de celle-ci, il regagne les rangs de la société. Or la peine d’ITF annule ce but puisque au bout de l’exécution de la peine ferme[63], il y a une exclusion de la famille, du travail, de la société, en bref de tout.

On peut donc se poser la question de savoir si tout cela ne repose pas sur le présupposé selon lequel l’étranger, susceptible d’être frappé par une ITF est réputé ne pas être amendable, tout comme est le présupposé relatif aux infractions pour lesquelles un étranger peut être condamné à une ITF.

On retrouve d’ailleurs ce présupposé quant à la non-application du droit à l’oubli puisque traditionnellement les étrangers condamnés à une ITF ne voient jamais leur peine amnistiée (l’interdiction du territoire français a été exclue de toutes les lois d’amnistie depuis 1945).

Inhumaine, car elle est la seule peine véritablement absolue et perpétuelle dans l’arsenal de notre droit pénal. Alors que toute peine complémentaire empêche, pour un temps donné, mais jamais définitivement, un condamné d’avoir une activité civile sociale ou familiale, elle ne l’empêche jamais de vivre. L’ITF élimine totalement le condamné étranger de toute activité, parfois à vie.

L’ITF est une peine complémentaire, c’est-à-dire qu’elle peut être prononcée en complément d’une peine d’emprisonnement ou à titre de peine principale, c’est-à-dire qu’elle peut être prononcée à la place d’une peine d’emprisonnement [64].

La philosophie des peines complémentaires c’est l’affinement de la personnalisation des peines, ainsi, d’une part, elles sanctionnent le délinquant au regard de ce qui l’a amené à commettre l’infraction et, d’autre part, elles accompagnent le condamné au sortir du Tribunal ou de la prison.[65]

Ainsi, un délinquant routier alcoolique pourra voir son permis de conduire suspendu, ou un acte d’incivilité réprimé par une interdiction des droits civiques, civils et de famille.

Ces peines empêchent le délinquant, dans un domaine très précis, très ciblé d’avoir une activité civile, civique, sociale ou familiale. Tel n’est pas le cas de l’ITF puisque celle-ci, généralité oblige, empêche toute activité privée, sociale et familiale.

Cette généralité s’aggrave par la possibilité de pouvoir prononcer cette peine à titre définitif.

Le droit pénal prévoit, toujours dans l’optique de cette philosophie, que l’aménagement ou le relèvement des peines complémentaires peut être sollicité auprès du Juge ou du Tribunal qui la prononcé. Toutefois, pour l’ITF, cela s’avère le plus souvent impossible par l’application combinée de plusieurs textes[66].

Ainsi, l’ITF devient la seule peine véritablement absolue et perpétuelle dans l’arsenal pénal de notre droit. Intrinsèquement, elle entre en total conflit avec les fondements des peines complémentaires, elle n’en a ni la philosophie ni le régime.

Cette peine n’est pas nécessaire

L’analyse du Droit et de son application fait apparaître que l’ITF constitue un monstre juridique qui engendre des sortes de mort-vivant.

Mais elle permet aussi de se poser la question de savoir comment les proches, c’est-à-dire les amis de lycée, les copains du boulot, les voisins ou collègues du quartier, les parents ou collatéraux, les conjoints, les enfants ou petits-enfants, appréhendent la Loi de leur pays, les décisions judiciaires rendues au nom du peuple français, les prisons de la République.

Un petit-fils de double peine peut-il se considérer comme un citoyen d’un pays qui a fait exploser sa famille et expulser son grand-père?

C’est donc la question de la citoyenneté qui se pose pour des centaines de milliers de personnes aujourd’hui mais aussi pour les générations futures.

[1] Militante au Comité Contre la Double Peine et au MIB, décédée le 23/11/2009

[2] la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que la peine d’ITF n’est pas une double peine au regard du principe « nul ne peut être puni deux fois pour une même infraction »(30 mai 2001 pourvoi N°99-84867 et 18 décembre 2002 pourvoi N°: 02-80944)

[3] voir pour plus de détails « L’interdiction du territoire français La double peine judiciaire » Les cahiers juridiques décembre 2008, gisti

[4] Loi du 28 avril 1832 contenant des modifications au code pénal et au code d’instruction criminelle, Lois des 1er mai 1834, 3 décembre, 30 mai 1854, et 27 mai 1885

[5] Loi du 8 août 1893 relative au séjour des étrangers en France et à la protection du travail national

[6] Ordonnance n°60-529 du 4 juin 1960 modifiant certaines dispositions du code pénal, du code de procédure pénale et des codes de justice militaire pour l’armée de terre et pour l’armée de mer en vue de faciliter le maintien de l’ordre, de la sauvegarde de l’état et la pacification de l’Algérie

[7] De la clandestinité à la reconnaissance Plein Droit n° 11, juillet 1990 et Décès de Saïd BOUZIRI, militant des droits de l’homme, président de l’association Génériques

[8] « Les sans-papiers, d’hier à aujourd’hui, pour une mémoire collective de l’immigration » Mogniss Abdallah 1er décembre 2003

[9] Loi n°70-1320 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et l’usage illicite des substances vénéneuses

[10] Voir page 8 du rapport dit CHANET « Les Peines d’interdiction du territoire » La Documentation Française janvier 1998 et Rapport dit Mignon(infra)

[11] DOUBLE PEINE RESISTANCES – 16/03/1991 – 11min35s

[12] Loi n° 81-973 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France

[13] Loi n°86-1025 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France

[14] Loi n° 87-1157 relative à la lutte contre le trafic de stupéfiants et modifiant certaines dispositions du code pénal

[15] voir toutefois Plein Droit n°5, novembre 1988 « Immigrés : police, justice, prisons » La « libération-expulsion », « Les oubliés de l’amnistie » Jean Quatremer et « La peine de vie » Stéphane Maugendre

[16] Loi n° 89-548 relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France

[17] « Corps à corps » avec le monde associatif Bernadette Hétier, secrétaire nationale du Mrap et Les bannis des banlieues Violaine Carrère, ethnologue Plein Droit n° 45, mai 2000

[18] « L’histoire de Fatiha » page 21 Plein Droit n°45, mai 2000

[19] L’art de convaincre ? Plein Droit n° 15-16, novembre 1991

[20] Loi no 91-1383 renforçant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l’organisation de l’entrée et du séjour irréguliers d’étrangers en France

[21] « Pleins feux sur la double peine» Plein Droit n° 15-16, novembre 1991 « Immigrés : le grand chantier de la “dés-intégration” »

[22] « Pour en finir avec la double peine (1989-1992) » Mogniss H. Abdallah Agence IM’média Plein Droit n° 56, mars 2003 Les spoliés de la décolonisation l

[23] Il est à noter que le premier projet de nouveau Code Pénal tel que présenté par Robert BADINTER, le 19 décembre 1985 ne prévoyait d’ITF que pour les infractions de proxénétisme et infractions assimilées (a 225-25 du projet) et seulement de trafic de stupéfiants (a 222-38 du projet). Projet de nouveau Code Pénal, présentation par Robert BADINTER, DALLOZ 1988)

[24] Loi n° 93-1027 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France)

[25] Article 131-30 Modifié par Loi n°93-1027 du 24 août 1993

[26] Loi no 97-396 portant diverses dispositions relatives à l’immigration

[27] Selon le rapport parlementaire SAUVAIGO PHILIBERT du 9 avril 1996 sur l’immigration clandestine et le séjour irrégulier, 5 500 ITF ont été prononcées en 1987, 6700 en 1988, 7 200 en 1989, 8 600 en 1990, 8 700 en 1991, 10 800 en 1992, 10200 en 1993, 10800 en 1994 et 7900 en 1995 et selon le rapport CHANET, 14290 peines d »itf ont été prononcées en 1996 et 1997

[28] Loi no 98-349 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile

[29] voir Extrait du dossier de presse du film et Entretien avec Bertrand Tavernier et Olivier Cyran, journaliste indépendant

[30] à l’époque, Conseillère à la Cour de Cassation et Présidente du comité directeur des droits de l’homme du Conseil de l’Europe

[31] Rapport de Christine CHANET 18 novembre 1998

[32] « Un rendez-vous manqué » Nathalie Ferré, maître de conférence en droit privé à l’Université Paris XIII et présidente du Gisti Plein Droit n° 45, mai 2000

[33] « L’ultime attente de Lila, entre grâce ou bannissement. Cette semaine, Jacques Chirac doit se prononcer sur le recours en grâce qu’elle a sollicité pour son compagnon. » Béatrice BANTMAN, libération, 8 juin 1999.

[34] Sur les grèves de la faim de 97/98 et 99 lire Mathieu LILIAN « les grève de la faim lyonnaises contre la double peine : opportunités militantes e opportunités politiques« , L’Homme et la société 2/2006- (n°160-161), p.177-197

[35] CRIM.99.13/E1-17.11.1999

[36] Article 131-30 applicable après la Loi RESEDA

[37] Voir note 27

[38] dossier de Plein Droit N° 45 mai 2000 sur la double peine et Colloque du SAF à « Interdiction du territoire français : l’impasse ? » mars 2001

[39] « Double peine : la France qui bannit » Patrice CHEREAU, Philippe CORCUFF, Jean COSTIL, André GERIN et Bertrand TAVERNIER Le Monde 6 juillet 2000

[40] Michael FAURE, « les bannis de la double peine, le Monde Diplomatique novembre 1999 ; Lilian MATHIEU et Florence MIETTAUX, « Pour en finir avec la double peine » Mouvements N°13, 2001 et aussi « Une punition injuste et inhumaine » Rencontre avec Jean-Pierre Lachaize, animateur de la Cimade et du collectif contre la double-peine à Lyon. Propos recueillis par Florence Miettaux Mouvements 1/2001 (no13), p. 88-92

[41] Les Bannis, Citoyen K, réalisé par C. POVEDA, A.KLARSFELD, C.ARDID,M.CHARRAT, Capa télévision, 2000. Un autre documentaire est au même moment produite sur le même thème : Valérie CASALTA, Double Peine, les exclus de la loi.

[42] Michael FAURE, Voyage au pays de la double peine, L’esprit frappeur, Paris, 2000

[43] « La double peine : Histoire d’une lutte inachevée » Lilian MATHIEU, La dispute, aout 2006

[44] http://www.gisti.org/doc/actions/2001/une-peine/plate-forme.html

[45] http://www.gisti.org/doc/actions/2001/une-peine/index.html

[46] « Pour en finir avec la double peine » (éditions l’esprit frappeur)

[47] Lire L’hémisphère droit. Comment la droite est devenue intelligente. Par Jade Lindgaard et Joseph Confavreux Mouvements, le 28 décembre 2007

[48] http://www.gisti.org/doc/actions/2002/une-peine/index.html

[49] FARCY Martin , Les débouchés politiques des Nouveaux Mouvements Contestataires : le cas de la Campagne contre la double peine, Maîtrise de science politique, Paris 1, Dir. J. Valluy, 2003, 52 p.

[50] La Campagne nationale contre la double peine réunit la presse

[51] La République contre la double peine Intervention de Stéphane Maugendre lors du concert du samedi 10 mai 2003 (place de la République, Paris)

[52] « On n’est pas des marques de vélos » Portrait d’un danseur de hip hop victime de la double peine Réal : Jean Pierre Thorn, co-production ARTE/MAT FILM Chez SONY

[53].« La double peine est morte, vive la double peine! » N° 35 de la Revue Mouvement, mai 2004 Double peine : une réforme de dupes, Stéphane Maugendre, Plein Droit n° 59-60, mars 2004, « Acharnements législatifs » Le livre noir de la double peine, Mars 2006, ANVP,CIMADE, GISTI, LDH, MRAP

[54] Que reste-t-il de la double peine ? Après le vote de la loi Sarkozy sur l’immigration, des étrangers continuent de subir cette mesure Par Saïd Aït-Hatrit, pour Afrik.com et Eric Chaverou, pour Radio France, 15/10/2007; « La réforme de la double peine n’a rien changé » Par Laura Béheulière, publié le 28/05/2010 à 11:37 LEXPRESS.fr;  Immolation : La fausse abolition de la « double peine », une réforme sarkozienne de façade Publié le 20 octobre 2008 par CPDH et L’abolition de la double peine judiciaire n’a pas eu lieu NONFICTION.FR

[55] Santé des étrangers : l’autre double peine N° 86, octobre 2010 « PLEIN DROIT », LA REVUE DU GISTI et Entrée, séjour et éloignement : Ce que change la loi du 16 juin 2011 Les cahiers juridiques Gisti

[56] Violences familiales ou conjugales, atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation (trahison, espionnage, attentat et complot), atteinte à la défense nationale, terrorisme, infractions en matière de groupes de combat et de mouvements et infractions en matière de fausse monnaie.

[57] Toutefois la Cour de Cassation se montre de plus en plus exigeante (Chambre criminelle 27 février 2001 pourvoi N° 00-80789 et Chambre criminelle 11 septembre 2002 pourvoi N° 01-86830 .

[58] voir pour plus de détails « L’interdiction du territoire français La double peine judiciaire » Les cahiers juridiques décembre 2008, gisti

[59] Loi n° 92-1336 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur

[60] HOESTLAND M. et SAAS C., L’ITF : une peine injustifiable, Plein Droit n°45, mai 2000

[61] Chloé FIASCHI mémoire Master Droits de l’Homme, Université de Nanterre, 2011

[62] Articles 131-30 du Code Pénal et 729-2 du Code de Procédure

[63] alinéas 2 et 3 de l’article 131-30 du code pénal

[64] Art.131-10 du Code Pénal et Art.131-11 du Code Pénal

[65] Interdiction d’émettre des chèques qui ne peut excéder une durée de cinq ans. Art. 131-19 du Code pénal, interdiction d’utiliser des cartes de paiement qui ne peut excéder une durée de cinq ans Art. 131-20 du Code pénal, confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit Art. 131-21 du Code pénal, travail d’intérêt général Art. -131-22 du Code pénal, jours-amende, Art. 131-25 du Code pénal, interdiction des droits civiques, civils et de famille (Le droit de vote, l’éligibilité; le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice, le droit de témoigner en justice et le droit d’être tuteur ou curateur) qui ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit. Art. 131-26 du Code pénal, interdiction d’exercer une fonction publique ou d’exercer une activité professionnelle ou sociale à titre soit définitive, soit temporaire; dans ce dernier cas, elle ne peut excéder une durée de cinq ans. Art. 131-27 du Code pénal, interdiction de séjour qui emporte défense de paraître dans certains lieux déterminés par la juridiction. Art.131-31 du Code pénal, elle ne peut excéder une durée de dix ans, fermeture d’un établissement qui emporte l’interdiction d’exercer dans celui-ci l’activité à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise Art. 131-33 du Code pénal, exclusion des marchés publics Art.131-34 du Code pénal, Affichage ou la diffusion de la condamnation prononcée Art.131- 35 du Code pénal, suspension ou l’annulation du permis de conduire ou de chasse….

[66] articles 132-21 du code pénal, 702-1 et 703 du code de procédure pénale et surtout L541-2 du CESEDA (qui interdit de faire droit à une requête en relèvement d’ITF si le condamné étranger ne réside pas hors de France, sauf s’il est détenu ou assigné à résidence)

Meurtre de la petite Chloé : les raccourcis du FN

 ,Geoffrey Bonnefoy ,16/04/2015

POLEMIQUE – Au lendemain du viol puis du meurtre de la petite Chloé, à Calais, le parti d’extrême droite s’en est pris vertement à la justice dans un argumentaire non dénué d’approximations. Metronews démêle le vrai du faux.

Le FN est monté au créneau, avec beaucoup d’imprécisions, après la mort de Chloé.

À l’émotion suscitée par le viol et le meurtre de la petite Chloé, mercredi, à Calais, les ténors du FN ont rajouté ce jeudi une opération de récupération politique. L’occasion pour Marine Le Pen de fustiger, à tort, l’abrogation de la « double peine » et pour Gilbert Collard d’entonner sa petite musique, récurrente, concernant les remises de peine prévues par la loi. Metronews fait le point sur ce double-argumentaire.

Marine Le Pen et la double peine

Sur Twitter, Marine Le Pen a fait d’une pierre deux coups en s’en prenant à la suppression de la double peine, décidée par son adversaire politique favori : Nicolas Sarkozy.

Pour rappel, la double peine consiste à sanctionner un délinquant étranger à de la prison, tout en l’interdisant de territoire à sa sortie. Sur ce point, et dans le cas du drame de Calais, la présidente du Front national, qui a commencé sa carrière comme avocate, fait de l’intox. « Nicolas Sarkozy n’a pas abrogé la ‘double peine’ mais a modifié certaines dispositions à la marge. On peut regretter que M. Sarkozy l’ait présentée ainsi à l’époque, ce qui est faux. On peut regretter aussi que Mme Le Pen rebondisse sur un mensonge sans le vérifier », grince Me Maugendre, auprès de metronews.

Concrètement, la double peine a seulement été aménagée sous la précédente mandature : la justice conserve la possibilité de prononcer des peines complémentaires d’expulsion pour les « criminels étrangers. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le tribunal de Boulogne-sur-Mer concernant le principal suspect en prononçant une interdiction de territoire français. Sauf que, dans ce cas précis, la peine a été annulée. Et pour cause, les faits pour lesquels le suspect a été condamné ne permettent pas en effet, légalement, son expulsion.

Gilbert Collard et les remises de peine

Ce jeudi, au micro de Sud Radio, le député du Gard, élu avec le soutien du FN, a déploré, lui, que le principal suspect de ce meurtre sordide – un ouvrier polonais de 38 ans au passé judiciaire chargé – ait bénéficié d’une remise de peine, dans le cadre d’une précédente condamnation. Ce qui semble vrai, mais tout à fait conforme à la loi.

Condamné le 30 mars 2010 à six ans de prison pour extorsion avec violences et tentative de vol aggravé en état de récidive, le suspect a purgé sa peine entre le 29 juin 2009 et le 21 mars 2014, soit un peu moins de 5 ans, d’après les éléments communiqués jeudi en milieu de journée par le procureur de Boulogne-sur-Mer, Jean-Pierre Valensi.

Les remises de peine sont strictement encadrées par le Code pénal. Elles sont calculées en fonction de crédit attribués quasiment automatiquement en fonction de la durée de la détention (ils ne sont remis en question que s’il y mauvaise conduite). Le suspect ayant été condamné avant l’entrée en vigueur de la réforme pénale de Christiane Taubira, qui a harmonisé, au 1er janvier dernier, le calcul de ces crédits entre primo-délinquants et récidivistes, Gilbert Collard ne peut donc s’en prendre qu’à la loi. Et non à un quelconque dysfonctionnement dans cette affaire précise.

⇒ Voir l’article

Un détenu en grève de la faim contre la « double peine »

  Ellen Salvi,

Extrait : Un Tunisien a cessé de s’alimenter depuis plus de 70 jours pour dénoncer la « double peine » dont il est victime. Une notion floue, faussement abolie par Nicolas Sarkozy en 2003.

C’est l’une des nombreuses victimes invisibles du flou qui entoure la notion de « double peine ». Abderraouf Belhassen, Tunisien de 55 ans, a entamé le 22 mars une grève de la faim pour s’opposer à sa reconduite à la frontière. Condamné en 2007 à 6 mois d’emprisonnement pour conduite sans permis et séjour irrégulier – sans qu’un mandat de dépôt ne soit prononcé –, il s’est présenté en mars au bureau d’exécution des peines du tribunal de grande instance de Paris pour obtenir des renseignements sur l’aménagement de sa peine. C’est là qu’il a été arrêté et conduit directement à la maison d’arrêt de Fresnes (94).

Déjà …

⇒ Voir l’article

« La réforme de la double peine n’a rien changé »

Actualités Politique, Monde, Economie et Culture - L'Express Laura Béheulière,

La double peine n’est pas abolie. Le cas de cette mère chinoise menacée d’expulsion en est le parfait exemple.

Rattrapée par le principe de la double peine. Le quotidien Libération révélait hier l’histoire d’une mère chinoise de deux enfants, nés en France, et menacée par la Préfecture de Paris pour avoir fait un séjour en prison. Celle-ci rendra sa décision dans la journée. La femme a derrière elle un parcours difficile. Son mari, français, la bat et accumule maîtresses et enfants. Un jour, Li rencontre une de ses rivales. La bagarre éclate et la maîtresse de son mari décède quelques heures plus tard. Li est condamnée en 2007 à 10 ans d’emprisonnement pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

Aujourd’hui en liberté conditionnelle, aux côtés de ses enfants âgés de 8 et 10 ans, elle retrouve un semblant de vie normale. Mais le principe de la double peine vient de la rattraper, alors qu’il était censé avoir été aboli. Bien qu’elle ait honoré sa dette envers la société en purgeant ses années de prison, elle doit en effet payer une seconde fois, puisque, en tant qu’étrangère dotée d’un casier judiciaire, elle est expulsable. Si la préfecture tranche en faveur de l’expulsion, au motif qu’elle constitue une menace pour l’ordre public, les deux jeunes enfants de Li seront privés de leur mère.

Décryptage avec Jérôme Martinez, délégué national de la Cimade, et Stéphane Maugendre, avocat et président du Gisti.

La double peine existe toujours?

rôme Martinez (Cimade): En 2003, à la suite des déclarations de Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur, tout le monde a cru que la double peine avait été supprimée. De nombreuses associations dont la Cimade avaient milité en ce sens, mais la réforme de la loi n’a en réalité globalement rien changé, excepté pour quelques cas extrêmes. Elle a simplement créé des catégories de personnes protégées, c’est-à-dire non expulsables.

Qui sont ces personnes protégées de la double peine?

Jérôme Martinez (Cimade): Il y a une protection quasi absolue qui concerne les mineurs, les habitants du territoire de moins de 13 ans, les personnes résidant en France de façon régulière depuis 20 ans, et ceux ayant une résidence régulière depuis 10 ans avec des enfants. Il y a aussi, comme toujours, des exceptions à ces protections: elles concernent les terroristes et les personnes condamnées pour incitation à la haine par exemple. Il y a une deuxième catégorie de protection, que j’appelle protection relative. L’administration, pour certaines personnes, doit motiver sa décision, expliquer pourquoi elle veut l’expulser.

Stéphane Maugendre (Gisti): En réalité, seuls les mineurs sont complètement protégés. Pour ne pas être expulsé, il faut en effet remplir 7 à 8 conditions cumulatives. Elles sont si strictes qu’il est impossible de toutes les remplir. Le gouvernement fait donc ce qu’il veut. Il lui suffit de dire qu’une personne ne remplie pas une seule des conditions pour l’expulser.

A quoi peut-on donc s’attendre cette mère de deux enfants qui attend aujourd’hui l’avis de la Préfecture de Paris?

Stéphane Maugendre (Gisti): Normalement, une personne placée dans le cadre d’une libération conditionnelle voit son interdiction du territoire suspendue. C’est une disposition de la loi de Nicolas Sarkozy de 2003. Elle fait donc partie des personnes qui ne devraient pas se faire expulser.

De plus, il y a trois éléments importants qui jouent en sa faveur:

– Elle a été jugée en cours d’assises, et donc par un tribunal populaire. Si la Préfecture donne un arrêté d’expulsion, elle se substitut à ce jugement;

– Une commission d’expulsion, composée de trois magistrats (dont deux de l’ordre judiciaire et un de l’ordre administratif), a donné un avis défavorable à l’expulsion;

– Elle est sous libération conditionnelle, ce qui signifie qu’un juge d’application des peines, voire une commission d’application des peines, a décidé qu’elle pouvait bénéficier d’une mesure d’aménagement de peine, ce qui montre qu’elle ne représente pas nécessairement un trouble à l’ordre public.

Jérôme Martinez (Cimade): Une fois la mesure prise par la préfecture de Paris, s’il s’agit d’une expulsion, il sera possible pour elle d’aller jusqu’à la Cour Européenne des droits de l’homme, ou de saisir le tribunal en référé pour suspendre l’expulsion. Mais il faudra aller très vite car cette la femme constitue aux yeux de la préfecture « une menace pour l’ordre public », elle sera expulsée rapidement.

De nouvelles réformes de la loi sont-elles prévues?

Jérôme Martinez (Cimade): Ce qui est prévu est de remettre à zéro cette mini avancée de 2003. Le 27 septembre sera examiné à l’Assemblée le projet de loi sur l’immigration et l’asile. Ce que le ministre de l’Immigration Eric Besson propose, c’est la possibilité d’expulser une personne pendant 5 ans sans possibilité de retour. Cette fois, aucune protection n’est prévue par la loi. Sept ans après sa réforme, la double peine est en train de se généraliser. On revient 20 ans en arrière. Des cas comme celui là, on va en avoir des dizaines, et pas uniquement concernant des personnes ayant été condamnées par la justice.

⇒ Voir l’article

Interview de Me Stéphane Maugendre

bul du bat

Stéphane MAUGENDRE vous venez d’être élu Président du Gisti ! Mais qu’est-ce que le Gisti ?
Je reprendrais le texte que nous imprimons sur toutes nos publications !
– Défendre les droits des étrangers
Le Gisti est né en 1972 de la rencontre entre des travailleurs sociaux, des militants associatifs en contact régulier avec des populations étrangères et des juristes. Cette approche, à la fois concrète et juridique, fait la principale originalité de l’association.
Le Gisti s’efforce de répondre, sur le terrain du droit, aux besoins des immigrés et des associations qui les soutiennent. Ce mode d’intervention est d’autant plus nécessaire que la réglementation relative aux étrangers est trop souvent méconnue, y compris des administrations chargées de l’appliquer.
– Défendre l’État de droit
Défendre les libertés des étrangers, c’est défendre l’État de droit.
Le Gisti publie et analyse un grand nombre de textes, en particulier ceux qui ne sont pas rendus publics par l’administration.
Il met gratuitement en ligne sur son site (http : //www.gisti.org) le maximum d’informations sur les droits des étrangers ainsi que certaines de ses publications.
Il organise des formations à l’intention d’un très large public (associations, avocats, collectifs,militants, travailleurs sociaux…).
Il appuie de nombreux recours individuels devant les tribunaux, y compris devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il prend aussi l’initiative de déférer circulaires et décrets illégaux à la censure du Conseil d’État ou de saisir la HALDE en cas de pratiques discriminatoires.
L’ensemble de ces interventions s’appuie sur l’existence d’un service de consultations juridiques où des personnes compétentes conseillent et assistent les étrangers qui rencontrent des difficultés pour faire valoir leurs droits.
– Participer au débat d’idées et aux luttes de terrain
Mais le droit n’est qu’un moyen d’action parmi d’autres : l’analyse des textes, la formation, la diffusion de l’information, la défense de cas individuels, les actions en justice n’ont de sens que si elles s’inscrivent dans une réflexion et une action globale.
Le Gisti entend participer au débat d’idées, voire le susciter, à travers la presse, des colloques et des séminaires, des réunions publiques. Il s’investit également dans des actions collectives défensives, mais aussi offensives visant à l’abrogation de toutes les discriminations qui -frappent les étrangers. Il agit dans ce domaine en relation avec des associations de migrants et d’autres associations de soutien aux immigrés, avec des associations de défense des droits de l’homme, et avec des organisations syndicales et familiales, tant au niveau national qu’européen.

couvcjitf-c0839-f8655A titre d’exemple nous organisons le samedi 7 février 2009 en partenariat avec l’Ecole de Formation des Barreaux de Paris une journée de formation pour sur l’interdiction du territoire français (formation@gisti.org) et nous venons de publier un cahier juridique sur ce sujet.
En effet, la loi du 26 novembre 2003 (dite loi Sarkozy I) n’a pas supprimé la double peine. Aujourd’hui encore, un étranger peut, en plus d’une peine de prison, faire l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une interdiction du territoire français (ITF), voire même les deux.
L’ITF est discriminatoire et constitue une véritable rupture d’égalité devant la loi pénale. Elle est criminogène car elle ferme les voies de l’amendement et de la réinsertion sociale du condamné sortant de prison. Elle est inhumaine car elle est la seule peine véritablement absolue et perpétuelle dans l’arsenal du droit pénal français. Elle est archaïque car elle réunit les effets de la mort civile et du bannissement tous deux disparus depuis longtemps de notre droit positif.
Ce cahier juridique tente de fournir quelques armes pour lutter contre l’application de cette peine. Il décrypte le dispositif complexe de l’ITF À qui s’applique-t-elle ? Quelles sont les multiples infractions pour lesquelles elle peut être prononcée ? Par qui et comment l’est-elle ? Comment s’en débarrasse-t-on ?
Cette analyse est complétée par des extraits des principaux textes de référence et par des modèles de recours.
Je voudrais terminer le Gisti est agréé par la Fondation de France. Les dons qui sont déductibles des de 66 % dans la limite imposable. Vous avez de lui faire des dons automatiques.
Pour obtenir de plus amples informations, n’hésitez pas soit à écrire au Gisti, 3 villa Marcès, 75011 Paris, soit à envoyer un message, selon le sujet, à l’une des adresses suivantes : gisti@gisti.org, formation@gisti.org., stage-benevolat@gisti.org.

Que reste-t-il de la double peine ?

Par Saïd Aït-Hatrit, pour Afrik.com et Eric Chaverou, pour Radio France. Ce reportage a été réalisé dans le cadre du programme « Mediam’Rad » de l’Institut Panos. Il sera complété, cette semaine, de trois portraits de condamnés ayant subi la double peine.

15/10/2007

Après le vote de la loi Sarkozy sur l’immigration, des étrangers continuent de subir cette mesure. La loi Sarkozy sur l’immigration votée en novembre 2003 n’a pas supprimé mais réduit la possibilité pour un étranger de subir une « double peine ». L’application même du texte est aujourd’hui critiquée par des avocats et des associations. S’il a disparu de l’actualité et de l’ordre du jour du gouvernement, le débat sur le caractère discriminatoire ou non de l’expulsion d’un étranger en conséquence directe d’une condamnation n’a pas été tranchée.
Emai dernier, Mohamed M’Barek a été condamné à 25 ans de prison pour l’assassinat en 2004 d’Anthony Ashley-Cooper, Lord Shaftesbury, époux de sa sœur Jamila, dans une sombre affaire d’héritage. Ressortissant tunisien, il a également écopé d’une interdiction définitive du territoire (ITF). Une « double peine », ont expliqué certains médias qui avaient rapporté l’information. Le même mois, Salif Kamaté, un Malien âgé d’une cinquantaine d’années et vivant en France depuis l’âge de 15 ans, a empêché sa reconduite à la frontière en se débattant dans l’avion qui devait l’acheminer à Bamako. Cette fois, ce sont les policiers de l’air et des frontières chargés de son escorte qui ont indiqué aux passagers du vol Air France, qui protestaient contre la violence utilisée pour contraindre le sans-papiers à rester assis, qu’il s’agissait d’« un double peine ».

Pourtant, à cette même période, électorale, le candidat aux présidentielles Nicolas Sarkozy faisait de l’abrogation de la « double peine » l’une des mesures phare de son bilan à la Place Beauvau. Relayé par ses proches collaborateurs, à l’instar de sa future secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Rama Yade, il présente la loi relative à l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité (dite MISEFEN, ou loi Sarkozy), depuis son adoption, le 26 novembre 2003, comme un texte qui « supprime » [1] cette pratique.

L’étranger « n’a pas à subir une seconde sanction en étant expulsé »

Or, cette loi n’a pas supprimé mais réduit la possibilité d’assortir les condamnations pénales contre des ressortissants étrangers d’interdictions du territoire, une mesure judiciaire prononcée par les tribunaux, ou d’arrêtés d’expulsions, une mesure administrative prononcée par le ministère de l’Intérieur ou les préfectures. En 2003, Nicolas Sarkozy s’était dit convaincu par la campagne menée depuis deux ans par le Collectif « Une peine, point barre », particulièrement par le film de Bertrand Tavernier : « Histoire de vies brisées », du fait que la réponse pénale à un délit « ne peut varier selon que l’on est, sur sa carte d’identité, français ou non. Lorsqu’il a passé toute son enfance en France ou qu’il y a fondé une famille, explique-t-il dans un livre publié en 2004 (« La République, les religions, l’espérance », édition du Cerf), le second n’a pas à subir une seconde sanction en étant expulsé dans son pays de nationalité et coupé de sa famille. »

C’est pourquoi le ministre de l’Intérieur avait proposé à l’Assemblée nationale, pour ces raisons humanitaires, mais aussi en raison des « sérieuses difficultés rencontrées par les pouvoirs publics pour procéder à l’exécution de ces mesures » de « double peine », de créer plusieurs « catégories de protections quasi absolues contre l’expulsion ou la peine d’interdiction du territoire ». En théorie, l’étranger qui vit en France depuis « qu’il a atteint au plus l’âge de 13 ans », celui qui « réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans » ou depuis dix ans et qui est marié avec un(e) Français(e) depuis au moins trois ans ou qui est père d’enfant français n’est plus expulsé, sauf en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat ou d’activités terroristes. En juillet 2004, suite à la sortie médiatique de l’imam de Vénissieux Abdelkader Bouziane sur le droit coranique accordé à un musulman de « battre sa femme », l’expulsion de l’étranger bénéficiant d’une protection quasi absolue a été rendue possible en cas de comportements constituant des « actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».

« Mon cousin est en Algérie mais on a supprimé la double peine, comment ça se fait ? »

Pourtant, assure aujourd’hui Me Séverine Pierrot, avocate au barreau de Paris et bénévole au Mrap : « Les conditions posées pour bénéficier d’une protection dite « quasi absolue » sont des conditions en poupée russe, tellement [nombreuses] à remplir, qu’en gros, pratiquement personne n’en bénéficie. J’ai reçu dernièrement le cousin d’une personne expulsée en Algérie et actuellement en grande détresse, poursuit-elle. C’est un « quasi national », le profil pour lequel on avait prétendument supprimé la double peine. Ce Monsieur me dit : « Je ne comprends pas, mon cousin est en Algérie mais on a supprimé la double peine, comment ça se fait ?  » » Dans ces situations, « on a beaucoup de mal à remonter le courant… à leur dire : « malheureusement, ça n’est pas le cas » », explique Léopold, qui reçoit des ressortissants étrangers en mal de conseils à une permanence parisienne du Mrap depuis 15 ans. « C’est difficile à chiffrer, poursuit-il, mais il me semble qu’actuellement, on peut voir ici au moins un cas de double peine par semaine. Ce sont toujours un peu les mêmes profils, avec énormément de personnes interpellées pour délit de défaut de papier… ça n’est pas du grand banditisme. Pour la grande majorité, ils ne connaissent pas le pays dans lequel on va les envoyer, ne parlent pas la langue et n’ont aucun appui. »

La loi MISEFEN a bien profité à quelques étrangers. Elle prévoyait un dispositif permettant à ceux qui en avaient écopé de demander l’abrogation de leur arrêté d’expulsion ou de leur interdiction du territoire français (ITF) jusqu’au 31 décembre 2004. Près de 1200 en auraient profité, selon Luis Retamal, de la Cimade. Mais là encore, les conditions à remplir étaient telles – notamment celle demandant la preuve d’une résidence « habituelle » sur le territoire français depuis le 30 avril 2003 – que de nombreuses demandes n’ont pas été satisfaites. Les autorités ont par ailleurs parfois rechigné à accorder des assignations à résidences aux étrangers qui en avaient besoin pour effectuer leur demande. Dans le fonctionnement quotidien de la justice, « l’effet de la campagne [de communication autour de la double peine] fait que les tribunaux prononcent moins l’ITF », alors que cela était devenu « un réflexe » depuis les années 1970 (loi Chalandon 31 décembre 1970), explique Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit des étrangers. Mais avec « quelques milliers » d’ITF prononcées chaque année, cette peine reste l’« une des plus courantes en France derrière les peines d’emprisonnement et le retrait du permis de conduire », précise le vice-président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). « Quant aux arrêtés d’expulsion, il y en a toujours quelques centaines par an ».

La double peine « n’existe pas »

Ces effets sont encore très insuffisants pour l’avocat, dont l’association avait quitté le Collectif « Une peine, point barre » avant même l’adoption de la loi MISEFEN en 2003. « C’était une réforme de façade, elle contenait à l’intérieur même des articles de la loi une inapplicabilité aux cas de double peine que nous connaissions », explique-t-il. Aujourd’hui, les associations de défense des droits des étrangers maintiennent les revendications qui n’avaient pas abouti en 2003. « Je suis pour l’abolition totale de l’ITF, la double peine judiciaire, explique Stéphane Maugendre. Concernant la double peine administrative (l’arrêté d’expulsion), je ne suis pas contre le fait que l’Etat puisse bien évidemment se protéger contre des menaces. Ca, c’est le pouvoir régalien de l’Etat. Si on remet ce pouvoir là en cause, on remet en cause l’Etat. Mais ce que je ne veux pas, c’est que cet arrêté d’expulsion soit prononcé à raison d’une condamnation pénale. L’arrêté doit être là pour protéger contre quelqu’un qui met en danger la société française. Il faut donc mettre en place une procédure d’expulsion qui soit contradictoire et qui puisse vérifier si les risques contre la société sont réels ou non », développe l’avocat, dont le raisonnement est le même sur ce point que celui de la Cimade.

A l’inverse, pour certains députés de la majorité, comme Jacques Myard, réélu en juin dernier dans la 5e circonscription des Yvelines, la protection accordée aux étrangers à travers la loi MISEFEN est « excessive ». Lui-même se dit opposé à « une espèce de préformatage de la justice » sur la base de critères à remplir et favorable à accorder au juge « toute latitude » concernant « l’expulsion ou non » d’un étranger. Quant à la double peine, explique-t-il, elle « n’existe pas ». En droit, rappelle le député, l’ITF est « une peine complémentaire à une peine principale » – l’ITF peut aussi être une peine principale – de la même façon qu’une condamnation pour conduite en état d’ivresse peut être assortie d’un retrait de permis. Mais « la supercherie de cette argumentation, rétorque Luis Rétamal, est que la philosophie de la peine complémentaire vise à permettre la réinsertion du condamné, qui a payé sa dette, dans la société. Or, celle-ci est impossible pour l’étranger reconduit, qui paye toute sa vie ».

Par ailleurs, ajoute Stéphane Maugendre, l’ITF est « la seule peine du code pénal prononcée à raison de l’extranéité de la personne » condamnée, alors « qu’elle doit [l’]être à raison de l’acte délinquant ou de la personnalité ». Pour autant, Jacques Myard refuse d’y voir une rupture d’égalité. Car « il y a dans tous les droits nationaux une différence entre ce que sont les nationaux d’un pays et les étrangers (…) qui n’ont pas un droit absolu à rester sur le territoire national ». Quand bien même ces derniers seraient des « quasi-français » qui se croiraient protégés par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui impose aux États la protection des individus contre toute atteinte à leur vie privée et familiale.

[1] Le 24 juillet 2006, le ministre de l’Intérieur évoque dans une interview au quotidien Le Figaro la double peine « que j’ai supprimé [et que] Mme Royal veut rétablir »

⇒ Voir l’article et écouter l’interview

Double Peine : Attrape-gauchiste

charlie 18/04/2007

tignousPour la gauche, Sarkozy est censé avoir une réussite à son actif : la suppression de la double peine. Sauf que, trois ans après l’entrée en vigueur de la loi, la double peine existe toujours.

Car le texte de loi est si restrictif, si flou — le prévenu ne doit présenter aucun « risque impérieux pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique » —, les garanties exigées sont si difficiles à apporter pour des personnes sortant bien souvent d’un cercle infernal — comme la drogue —, qu’il n’a bénéficié qu’à une minorité. Environ sept cents arrêtés d’expulsion ont été stoppés, et plus de trois mille demandes officielles sont examinées, alors que la double peine concerne entre dix mille et vingt mille personnes.

Ce qui fait dire à Stéphane Maugendre, avocat, que « le texte de Nicolas Sarkozy renferme son inapplicabilité pratique » et n’est donc qu’un « effet d’annonce ». En réalité, le ministère de l’Intérieur s’est débarrassé de centaines de cas délicats, car concernant des personnes non expulsables, tout en s’offrant la caution médiatique de nombreuses personnalités, qui ont salué une réforme que la gauche n’avait pas osé engager. Mais il n’a pas réglé le problème.

Nicolas Sarkozy et la fausse suppression de la double peine

topprochoix Caroline Fourest & Fiammetta Venner, 10/04/2007

Nicolas Sarkozy est censé avoir une réussite à son compteur : la supression de la double peine, cette possibilité offerte à un tribunal ou au ministère de l’intérieur d’expulser des étrangers résidents en France ayant purgé une peine de prison, même s’ils n’ont plus aucune attaches dans leur pays d’origine. Problème, trois ans après l’entrée en fonction de la loi, la double peine existe toujours…

L’une des figures emblématique de l’imbroglio humain de la double peine se surnomme Bouda mais il s’appelle Ahmed. En 1997, après avoir purgé une peine de prison pour toxicomanie et vente de stupéfiants, il est expulsé vers la Tunisie, d’où il est arrivé en France à l’âge de 4 mois. Là-bas, il se sent comme un exilé. Il revient neuf mois plus tard, brise l’interdiction de territoire, embrasse le sol français et vit comme un clandestin dans le pays où il a grandi. Il est notamment à l’honneur dans un film consacré à la double peine et à la culture des quartiers populaires par Jean-Pierre Thorn : « On n’est pas des marques de vélo » (Mat films). Interpellé par Christophe Girard, Nicolas Sarkozy a rédigé une lettre où il se dit avoir été touché par le film “très intéressant de Jean-Pierre Thorn » et avoir imaginé cette loi pour régler les cas comme celui de Bouda : «En ce qui concerne la mesure d’éloignement elle-même cette loi (adoptée le 26/11/2003) devrait en principe permettre de résoudre, dans le sens, que vous souhaitez, le cas de Bouda ». Pourtant, deux ans après le vote de la loi, rien ou n’avait changé ou preesque.

Service minimum
Le texte de loi, est si compliqué à appliquer, si restrictif, qu’il n’a bénéficié qu’à une poignée. Environ 700 arrêtés d’expulsion ont été stoppés sur plus de 3000 demandes officielles examinées, alors que la double peine concerne entre 10 000 et 20 000 personnes. Le texte a été préparé par une comission présidée par Emmanuelle Mignon, maître des requêtes au Conseil d’Etat, pour qui la double peine n’est pas « contraire au principe d’égalité”, et qui s’est montré plutôt hostile à sa suppression. Elle a donc accouché d’un service minimum, supprimant la double peine uniquement si le prévenu ne présente aucun « risque impérieux pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique » et à condition de ne pas être condamné à une peine de plus de 5 ans.

L’esprit même de la double peine n’a pas été aboli. Puisque les préfectures et les tribunaux correctionnels ont toujours la possibilité de prononcer une interdiction de territoire assortie d’une expulsion s’ils estiment qu’un condamné ne présente pas toutes les garanties. Quelles garanties ? Justifier que l’on vit de façon régulière sur le territoire français depuis l’âge de treize ans, ou depuis plus de vingt ans si on est arrivé après cet âge. Quant aux conjoints ou parents d’enfant français, ils doivent prouver qu’ils sont un soutien économique indispensable à leur famille… Sans quoi, ils sont bons pour leur envoyer des cartes postales. Problème, ceux que l’on juge ainsi en comparution immédiate sortent souvent d’un cercle infernal, comme celui de la drogue, et n’ont pas de fiches de paye à présenter. Ce qui fait dire à Stéphane Maugendre, avocat connaissant bien ces questions, que le “texte de Nicolas Sarkozy renferme son inapplicabilité pratique” et n’est donc qu’un “effet d’annonce.” En réalité, le ministère de l’intérieur s’est débarrassé de centaines de cas embarrassants, car non expulsables, mais n’a pas réglé le problème de fond posé par la pratique de la double peine.

Dans le cas de Bouda, il lui manquait des bulletins scolaires pour démontrer qu’il avait toujours vécu en France depuis l’âge de 13 ans. Deux ans après le vote de la loi, son cas n’était donc toujours pas réglé. Jean-Pierre Thorn a dû rameuter la presse et dénoncer la promesse non tenu du ministre… pour qu’il régularise enfin Bouda, sans même demandé a voir son dossier dans le détail. Le réalisateur reste inquiet : “Pour un Bouda qui a eu la chance de croiser un cinéaste sur sa route, combien d’autres qui restent toujours dans l’ombre ?”

Pour commander le film de Jean-Pierre Thorn en DVD http://www.evene.fr/cinema/films/on-n-est-pas-des-marques-de-velos-2347.php

Expulsions d’étrangers

Pascale Egré, 16/11/2005

IL Y A UNE SEMAINE, Nicolas Sarkozy annonçait aux députés avoir demandé aux préfets l’expulsion « sans délai » de « 120 étrangers, pas tous en situation irrégulière » impliqués dans les violences urbaines. Samedi soir, lors d’une visite au commissariat du VIII ème, le ministre promettait qu’elles auraient lieu « peut-être dès lundi ».

« Il ne s’agit pas de faire du chiffre, c’est une question de principe », précisait-il. Et hier, il a indiqué à l’Assemblée nationale que dix procédures d’expulsion d’étrangers ayant participé aux émeutes des banlieues avaient été engagées.

Une « cellule de vigilance » pour préparer d’éventuels recours.

Mais du discours à l’application, le pas se révèle toutefois plus difficile que prévu. Vilipendé par l’opposition (PS, Verts), accueilli favorablement par les députés de la majorité – dont l’un, Jean-Paul Garraud (UMP Gironde), a même proposé de déchoir de leur nationalité des fauteurs de troubles naturalisés – cette mesure se heurte avant tout, comme l’ont souligné nombre d’associations de défense des droits de l’homme, aux termes de la loi elle-même. L’affaire de l’imam de Vénissieux, visé par trois arrêtés successifs, avait démontré à quel point le cadre de ce type d’expulsion  administrative est strict. « Il ne peut être justifié que dans des situations très rares de menace grave à l’ordre public », décrypte Marie Dufflo, du Gisti (Groupement de soutien et d’information aux immigrés). En énumérant les comportements en question (portant atteinte aux intérêts de l’Etat, ou liés à des activités terroristes, ou de provocation à la discrimination, la haine, la violence), la juriste interroge : « Une voiture brûlée entre-t-elle dans ces catégories ? »

Au-delà du flou sur leur nombre (une centaine sur les 1 500 gardés à vue selon la DGPN le 10 novembre), le profil même des émeutiers étrangers placés en garde à vue constitue en soi un obstacle, en raison des protections interdisant l’expulsion de certaines catégories d’étrangers. Dès vendredi, le Conseil national des barreaux estimait que « la plupart des jeunes » condamnés pour violences urbaines étaient « inexpulsables ». « On ne voit pas bien où ils vont les trouver, poursuit Marie Dufflo. Au minimum, ces étrangers doivent être majeurs, ne pas avoir résidé habituellement en France avant l’âge de 13 ans et ne pas y avoir de famille. » Pilier d’une « cellule de vigilance
» mise en place hier par le barreau de Seine-Saint-Denis afin de préparer d’éventuels recours contre des arrêtés pris « en urgence absolue », Me Hacene Taleb s’indigne : « M.Sarkozy est pourtant avocat ! A-t-il oublié l’esprit de la loi ? »

Saisi en référé par SOS Racisme samedi, le Conseil d’Etat avait débouté l’association de sa requête, confirmant la légalité du télégramme adressé par le ministre de l’Intérieur aux préfets, tout en estimant ses déclarations à l’assemblée « sujettes à caution au plan de la légalité ». Nombre d’associations estiment ainsi au final que « le but était avant tout d’ordre politique ». « Il a joué le symbole, le clin d’oeil aux électeurs du Front national, l’amalgame », estime Mouloud Aounit, du Mrap. « Faire des étrangers les responsables des émeutes lui permet de préparer un contexte favorable à son futur projet de loi sur l’immigration, attendu comme encore plus restrictif que le précédent », analyse Stéphane Maugendre, du Gisti. « Ni les jugements catégoriques, ni l’état d’urgence, ni les mesures expéditives d’éloignement ne favoriseront le vivre ensemble », a réagi à son tour la Cimade, en déplorant « une stigmatisation intolérable ».

⇒ Lire l’article

Dix émeutiers étrangers menacés d’expulsion

images fig A.-C. D. L. et M.-C. T., 16/11/2005

Le ministre de l’Intérieur a annoncé hier soir que la procédure était « engagée ».

Une semaine très exactement après avoir promis de faire « expulser sans délai » du territoire national tous les étrangers condamnés dans le cadre des violences urbaines, Nicolas Sarkozy est donc entré dans le vif du sujet. Et a mis les textes à exécution.

Hier soir, Place Beauvau, on se refusait à toute communication supplémentaire, notamment sur l’identité, les origines ou encore l’âge des individus concernés. Selon nos sources, l‘un de ces dix cas pourrait toutefois être celui d’une personne en situation irrégulière et déjà visée par un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.

Ces procédures sont rendues possibles par l’article L 521 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en cas de « menace grave pour l’ordre public ». Un article qui protège cependant les mineurs de toute expulsion et offre à d’autres catégories des protections juridiques, en fonction de plusieurs critères, notamment leur ancienneté d’installation sur le territoire (avant l’âge de 13 ans) ou leurs liens familiaux.

Une question de principe

Peu de temps après son annonce du 9 novembre, qui concernait également « ceux qui ont un titre de séjour », le ministre de l’Intérieur avait indiqué qu’il ne s’agissait pas « de faire du chiffre » mais que c’était « une question de principe ». « Tous ceux qui pourront être expulsés dans le cadre de la loi le seront parce qu’ils ont participé à des émeutes », avait poursuivi Nicolas Sarkozy.

En visite samedi dernier au commissariat du VIIIème arrondissement à Paris, le ministre avait même précisé qu’il « devrait y avoir des expulsions dès le tout début de semaine » ; de son côté, le porte-parole du gouvernement soulignait que « très peu de personnes » seraient concernées. Hier soir encore, une demi-heure avant que Nicolas Sarkozy ne prenne la parole dans l’hémicycle, Matignon disait ignorer l’existence de procédures en cours, non sans souligner que la mise en application de cette mesure ne relevait pas de ses compétences.

Ainsi les réactions ne se sont-elles pas fait attendre. Avocat et vice-président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), Me Stéphane Maugendre a estimé que Nicolas Sarkozy avait fait une annonce politique à l’Assemblée nationale qui ne correspond pas à la réalité des évènements puisque la majorité des jeunes impliqués sont français ». « La loi assure des protections. Nous nous engagerons à les faire appliquer à la lettre » a-t-il encore ajouté.

Un argument que le Conseil national des barreaux (CNB), organisation qui représente l’ensemble des avocats de France, avait déjà fait valoir la semaine dernière, en soulignant que « la plupart des jeunes ayant participé aux émeutes sont inexpulsables».