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Procès des attentats du 13 novembre 2015, jour 129 : « Merci Loulou »

CHARLIE HEBDO le 31 mai 2022

Lorraine Redaud, et Emmanuel Prost

Après une heure et demie de retard, dû au refus de comparaître de Muhammad Usman pour « raisons médicales », le président annonce enfin l’ouverture de l’audience. L’impatience commençait à se faire sentir dans une salle étonnamment bien remplie. Mais vient-on pour écouter les plaidoiries, promesse d’un exercice oratoire de qualité, ou pour la partie précédente, celle qui dure moins d’une heure et où les avocats viennent un par un nous parler de ceux qui se sont fait violemment arracher la vie ?

La première phase de ces audiences consacrées aux avocats de parties civiles bouleverse toujours, même après huit mois de procès. En quelques mots, les robes noires défilent au pupitre nous conter la vie d’Hugo, celle de Fanny, de Baptiste, de Thomas, de Justine, d’Emmanuel et de tant d’autres encore. Parfois, un poème est lu, un poème que l’on trouvait assez juste pour parler de l’être fauché qui a été tant aimé.

La deuxième phase en revanche, celle que l’on pourrait nommer « plaidoiries à thème » laisse plus pantois. Il n’est évidemment pas aisé de développer des sujets tels que « la musique » ou « l’amour » en quelques minutes, mais certains propos laissent plus songer à une copie de philosophie où l’on multiplie les citations qu’autre chose.

Pour autant, la plupart des plaidoiries oscillent entre hommages et matière à penser. Maître Bénédicte Lévy qui plaide sur « La mémoire » citera notamment les différents projets mémoriels qui ont vu le jour après le 13 novembre 2015 : associations, concerts, lieux rebaptisés… Plus que la mémoire usuelle, Me Lévy parlera aussi de « corps mémoires », comme ceux d’Hervé et Walid, touchés par des projectiles au Stade de France, qui se réveillent chaque matin en voulant aller de l’avant, mais qui sont aussitôt freinés par ce que leur rappellent leurs corps.

Viendra ensuite Maître Stéphane Maugendre qui, par sa voix grave, réveillera une salle d’audience qui sombre légèrement. Il craint à juste titre que par leur nombre, les victimes et parties civiles du procès aient perdu leur individualité. Lui aussi s’attellera à glisser des histoires personnelles dans une plaidoirie universelle sur « la liberté de créer ». Goguenard, il arrachera un sourire à tout le monde en appelant le président « Loulou », en référence à Babou, l’une des parties civiles du procès qui a échappé aux gardiens de la révolution en Iran et à Daesh, ici en France, qui réalise des comptes rendus d’audience en dessin. Un sourire bienvenu qui remplace les soupirs entendus sur presque tous les bancs.

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