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Pour la première fois, un viol reconnu comme «lesbophobe» aux assises

par LIBERATION et AFP, publié le 28 mai 2021 à 21h45

Un homme de 25 ans a été condamné ce vendredi en appel par la cour d’assises de Paris à 14 ans de réclusion criminelle pour «viol en raison de l’orientation sexuelle» sur une personne lesbienne, à l’issue d’un procès qui fera date.

C’est une «première historique» selon l’avocat de la victime et les militantes lesbiennes : ce vendredi, la cour d’assises de Paris a condamné un homme à 14 ans de réclusion criminelle pour «viol en raison de l’orientation sexuelle» sur une femme homosexuelle.

En mars 2020, l’agresseur de Jeanne (1) avait été condamné à 15 ans par la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis. Sauf que la circonstance aggravante de l’homophobie n’avait pas été retenue. Cette fois, les jurés et les juges ont estimé qu’il s’agissait d’un viol lesbophobe, notamment car l’accusé, âgé de 25 ans, «connaissait dès le début de leur rencontre l’orientation sexuelle» de sa victime. La peine prononcée en appel est légèrement plus faible du fait des aveux de l’accusé sur le viol et les violences : Jeanne, dont l’ensemble du corps présentait de «très nombreuses plaies et ecchymoses», avait notamment eu un tympan perforé.

Au petit matin du 8 octobre 2017, il l’avait violée, violentée et humiliée pendant plus d’une heure dans le huis-clos de son appartement de Saint-Ouen (Saine-Saint-Denis), où la femme de 34 ans avait refusé d’avoir une relation sexuelle après une rencontre et un flirt dans les rues de Paris.

«Il voulait me nier en tant que lesbienne»

La cour s’est également appuyée sur le témoignage de la jeune femme, qui avait relaté à de multiples reprises la phrase lancée en guise d’avertissement par son agresseur : «Tu kiffes les meufs ? Eh bien je vais te faire kiffer.»

La reconnaissance du caractère lesbophobe de cette agression «était le plus important pour moi, a réagi Jeanne à l’issue du procès. Le viol était nourri par ça, il voulait me nier en tant que lesbienne, me punir. Au premier procès, j’avais été niée une deuxième fois par la justice, la société, dans mon identité, c’était ça le plus dur.»

Ce dernier a toutefois persisté à affirmer «ne pas avoir de problème» avec son homosexualité. «T’as compris ? Tu feras moins ta conne maintenant ?» aurait-il pourtant lancé à Jeanne après l’avoir violée. «Il était hors du temps, gavé de cocaïne et d’alcool, il ne savait pas ce qu’il faisait», a dit son avocat, Paul de Bomy, à l’issue du verdict.

«Viol punitif»

«Emu et fier», l’avocat de Jeanne, Stéphane Maugendre, a de son côté estimé que cette condamnation, «une première historique», était aussi «l’aboutissement du procès d’Aix-en-Provence» de 1978. Lors de ce procès, les trois agresseurs d’Anne Tonglet et Araceli Castellano, un couple de lesbiennes, avaient été condamnés au terme d’un combat mené par leur avocate, Gisèle Halimi, qui avait abouti à une redéfinition légale du viol.

«Les femmes lesbiennes et bisexuelles sont extrêmement exposées aux violences et agressions sexuelles» en raison de «la haine et du mépris liés à l’orientation sexuelle, mais aussi de la perception misogyne selon laquelle les femmes sont des objets, et surtout des objets sexuels», a réagi Silvia Casalino, codirectrice de l’EuroCentralAsian Lesbian* Community. «Il s’ajoute aussi la conviction que les femmes qui n’ont pas de relations sexuelles avec des hommes sont malades, anormales et doivent être corrigées», ajoute la militante.

A ses yeux, la décision de la cour d’appel, qui pourrait constituer une première en Europe, selon les informations de son réseau militant, «est très importante et envoie un signal clair aux Etats européens qui sont aujourd’hui en train de discuter l’introduction de mesures pour prévenir les crimes de haine contre les personnes LGBTI».

«4 % des femmes hétérosexuelles disent avoir été victimes de viol, contre 10 % des femmes lesbiennes. On ne peut pas faire semblant de ne pas comprendre», avait insisté l’avocate générale lors du premier procès, en 2020 à Bobigny. «Le viol punitif est quelque chose de courant, mais il y a très peu de dépôts de plaintes, affirme Lucile Jomat, présidente de SOS Homophobie. J’espère que la justice continuera comme ça, pour celles qui ont le courage de porter plainte.»

(1) Le prénom a été modifié à la demande de la victime.

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