Archives de catégorie : Avocat

La France rappelée à ses rafles antikurdes

Mustapha Yildirim, Kurde de 36 ans né à Kulp en Turquie, restaurateur à Lyon et mari d’une avocate, a demandé mercredi à l’Etat une indemnisation de 15 244 euros (100 000 francs) pour les deux mois de détention provisoire qui lui ont été infligés à tort voilà huit ans, à cause de son appartenance supposée au PKK, parti des travailleurs du Kurdistan.

Non-lieu. A l’automne 1993, le ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, et les juges antiterroristes mettent en place une politique de «rafles» dans les milieux islamistes puis kurdes pour éviter de «transposer sur notre sol la guérilla, le racket» et de devenir «la base arrière d’organisations terroristes», justifie le ministre. A l’appui de cette répression, un rapport de la DST recense les violences récentes imputées au PKK contre des intérêts turcs à Marseille, Lyon, Paris et Strasbourg et mentionne également quatre enlèvements de Français en Turquie.

Selon ce rapport, le PKK se camouflerait derrière des associations pour «commettre des actions criminelles ou délictuelles», notamment du racket. Du coup, le 18 novembre 1993, 111 Kurdes sont interpellés dans 25 départements. 24 d’entre eux sont mis en examen pour «association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste», dont 21 sont placés sous mandat de dépôt. Parmi eux, Mustapha Yildirim, alors président de l’association des travailleurs du Kurdistan, chez qui des documents sur le peu ple kurde et la comptabilité de collectes de fonds, ont été trouvés. Mais le 11 mai 2001, le juge Roger Le Loire conclut l’affaire par un non-lieu général en constatant que les «perquisitions ne révélaient pas la présence d’armes» mais juste des listes de noms «au regard de sommes d’argent». En définitive, pour le juge, «les investigations ne permettaient pas de caractériser l’infraction d’extorsion de fonds, en l’absence de plainte», et ne révélaient pas «la préparation de cri mes et délits».

Entretemps, des Kurdes ont été expulsés «en urgence absolue» vers la Turquie, et d’autres ont été emprisonnés entre huit jours et six mois. Au nom de Mustapha Yildirim, Me Maugendre a invoqué devant la commission d’indemnisation du tribunal de Paris le préjudice matériel ­ perte de deux mois de salaire (12 493 francs, soit 1905 euros), frais de cantine à la Santé et billet de train ­ mais surtout le préjudice moral : «La publicité dans la presse a eu des répercussions désastreuses sur la vie privée de M. Yildirim, les noms de tous les Kurdes interpellés ont été communiqués aux autorités turques et sa compagne avocate, Florence Nepple, alors enceinte a été placée en garde à vue pendant 20 heures, avant de recevoir les excuses du tribunal et de la cour d’appel de Lyon.»

Mal à l’aise. L’avocate du Trésor a rappelé que «seuls les préjudices personnels dûs à la privation de liberté peuvent être indemnisés, pas la garde à vue de sa femme, et les articles des médias» et a proposé la modique somme de 1524,49 euros (10 000 francs). Mal à l’aise, l’avocate générale a précisé qu’elle n’a «pas à apprécier le bien-fondé des poursuites» et a requis la «réparation» pour Yildirim à cause du non-lieu. Décision le 10 avril.

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Les Polonais avaient violé leur compatriote

logoParisien-292x75 Elodie Soulier, 05/04/2002

KATARZYNA venait pour des vacances et préparait son mariage. Ces deux semaines en France devaient être une fête, une parenthèse touristique dont la jeune Polonaise profiterait pour visiter des amis et découvrir Paris. Mais c’est l’enfer qu’elle y découvrira, une nuit de juillet 1999, dans un « appartement-prison » de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).

Séquestrée par quatre hommes, violée par certains, humiliée et meurtrie par tous, la jeune femme devra pourtant faire face, ce matin, à ceux qui l’ont démolie à jamais : Jacek Obreski, Syhvester Zborowski, Andrzej Konat et Sylwester Lucznik, quatre Polonais de 22 à 28 ans, comparaissent jusqu’à mardi prochain aux assises de Bobigny pour viols en réunion et complicité, enlèvement et séquestration. Un procès de l’horreur pour lequel la cour devra toutefois se contenter des deux principaux acteurs, Obreski et Zborowski , détenus depuis les faits à la maison d’arrêt de Villepinte. Leurs deux complices sont quant à eux toujours en fuite et font l’objet de mandats d’arrêt

Humiliations physiques et menaces de tortures

Comme le séjour de Katarzyna en France, cette soirée du 3 juillet 1999 aurait dû elle aussi être une fête. Ce soir-là, la jeune femme est invitée à une fête polonaise, avec l’ami qui l’héberge à Aulnay-sous-Bois. Elle y fait la connaissance de deux compatriotes qui s’apprêtent à finir la soirée dans une boîte de nuit parisienne mais qui finalement rebroussent chemin après une bagarre obscure devant l’entrée de la discothèque. Qu’importe, ils finiront la soirée à Vitry, emmenant au passage quatre convives tout juste rencontrés. Pour Katarzyna, c’est le piège. Elle veut rentrer à Aulnay mais ses chauffeurs n’ont pas l’intention de la reconduire.

A Vitry, tout s’enchaîne. Une spirale presque inimaginable, où les humiliations physiques succèdent aux viols, où les menaces de tortures, de brûlures au fer à repasser, précèdent les abus répétés. Durant plus de deux heures, jusqu’au petit matin, la jeune femme doit se plier aux fantasmes de ses tortionnaires, exacerbés par tout l’alcool ingurgité depuis la veille. Katarzyna devra attendre l’après-midi pour être ramenée à Aulnay, chez son ami Bogdan.

Au cours de l’instruction et des multiples expertises, le calvaire de la jeune fille n’a jamais fait de doute au fil de l’instruction. Pourtant ses tortionnaires s’en défient sans frémir. Depuis près de trois ans, deux des violeurs de Katarzyna crient à l’injustice, accusent leur victime de provocation, de total consentement : la perverse, ce serait elle. Pour les experts psychiatres en revanche, le comportement des quatre hommes approche du sadisme, galvanisé par l’alcool et le « phénomène de groupe ».

Le rap soutient Bouda, danseur et «double-peine».

   Charlotte Rotman

 A Paris, le maire vert du IIe accueille sa conférence de presse.

Un «double-peine» à l’Hôtel de Ville, le symbole était fort. Un peu trop fort. La Mairie de Paris a annulé une conférence de presse sur le cas d’un Tunisien menacé d’expulsion qui devait se tenir, ce mercredi, à l’auditorium de l’Hôtel de Ville. A l’initiative des Verts de Paris, Bouda, une figure du milieu hip hop, devait y présenter son histoire au public. Bertrand Delanoë a préféré que le débat se tienne ailleurs. Bouda et ses soutiens du mouvement hip hop seront finalement accueillis aujourd’hui par le maire (Vert) du IIe arrondissement.

L’émission de Sidney. Bouda est un enfant du hip hop. Né il y a trente ans en Tunisie, sous le nom d’Ahmed M’Hemdi, il arrive bébé en France, avec ses cinq frères et soeurs pour rejoindre son père, installé en France depuis 1956. Il grandit à Dugny, en Seine-Saint-Denis. Comme il «n’aime pas l’école, mais kiffe la danse», il s’entraîne jusqu’à dix heures par jour. Adolescent, il passe régulièrement à l’émission de Sidney H.I.P. H.O.P., qui fait découvrir le break au grand public dans les années 80.

Mais l’émission s’interrompt et l’argent qui va avec ne rentre plus. Bouda fume des joints, vend du cannabis. En 1990, il est condamné à vingt mois de prison ferme pour trafic de stupéfiant. Incarcéré à Fleury-Mérogis, il continue à danser. Il sort au bout de quinze mois. Il tient «sans came» quelques mois. Pas longtemps. En 1993, il fume du crack : «Je devenais fou à cause des cailloux. Je vendais pour acheter.» Et, en 1995, il est à nouveau condamné : quatre ans d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction du territoire français.

A sa sortie de prison, le 13 janvier 1997, il est expulsé vers la Tunisie. Il craque au bout de neuf mois et regagne clandestinement la France. Il se cache, «hiberne». Et retrouve la danse. Participe à des concerts, notamment avec le groupe phare français NTM ou le Secteur Ä (Bataclan, Zénith).

Lors d’un show à la mairie de Saint-Denis, le cinéaste Jean-Pierre Thorn repère ce type «agile et rapide». Il espère l’embaucher pour une comédie musicale. Mais voilà : Bouda est sous le coup d’un arrêté ministériel d’expulsion. Impossible de le faire travailler.

Le danseur demande alors une assignation à résidence. Et le milieu du rap fait preuve à son égard d’une solidarité plutôt inhabituelle. «Il y a souvent des rivalités. Mais là, les gens se sont mobilisés», confirme Scalp, de la compagnie Paris City Breakers. Des Rencontres urbaines de La Villette au concours de break-dance au Zénith, le bouche à oreille fonctionne. Pour Kool Shen, cofondateur de NTM avec Joey Starr, aider Bouda est «une affaire personnelle.» Tous les deux ont débuté le break ensemble. Son label IV My People a collecté les signatures de soutien à Bouda et mis son site web au service de sa cause.

L’ancien présentateur Sidney considère Bouda «comme un petit frère». Grâce à sa notoriété, «il véhicule une image positive : il montre qu’on peut faire des bêtises et se rattraper, il a racheté sa conduite», estime-t-il. Sa possible expulsion ressemble d’autant plus à un couperet. «On essaye de se réinsérer, mais on nous met tout le temps des bâtons dans les roues», regrette ainsi Kool Shen.

Travail de grand frère. Sensible à cette mobilisation, le ministre de l’Education, Jack Lang, a lui-même écrit à son homologue de l’Intérieur: «Cher Daniel, mon attention a été appelée sur le cas d’Ahmed M’Hemdi […]. Il est parvenu peu à peu à percer dans le monde artistique et à acquérir une grande notoriété […]. Compte tenu du parcours assez atypique de M. M’Hemdi […], sa situation ne pourrait-elle être réexaminée?», demande-t-il.

Toute la famille de Bouda, excepté une grand-mère, est en France. Ses amis et son avenir aussi, estime-t-il. «De plus, il n’est pas retombé dans la toxicomanie qui constituait un des facteurs de sa délinquance», ajoute son avocat, Stéphane Maugendre. «Il est reconnu et fait un travail social de grand frère dans les quartiers. Tout cela mis bout à bout constitue-t-il vraiment une menace à l’ordre public ?» Pour la Place Beauvau, oui.

«Son expulsion constitue toujours une nécessité impérieuse pour la sécurité publique», explique ainsi le ministère de l’Intérieur, dans un courrier du 26 mars 2001, maintenant l’arrêté d’expulsion vieux de juin 1996.

Aujourd’hui, pour condamner la double peine, Kool Shen, Sidney et d’autres seront au côté de Bouda. Dans le deuxième arrondissement. Pas à la mairie de Paris.

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Bouda, triple peine, veut rester

logo_jdd_fr1 Soazig Quéméner , 20/01/2002

Le danseur hip-hop est menacé d’expulsion

J-M Simoes/JDD
J-M Simoes/JDD

« JE NE SUIS qu’un danseur qui n’a pas ses papiers. » Assis dans un gymnase de Seine-Saint-Denis, Bouda, le hip-hoper, ignore ce qu’il dira d’autre à la conférence de presse organisée par son comité de soutien à l’Hôtel de Ville de Paris mercredi prochain. Peut-être ajoutera¬t-il que « le mec, il a pas grandi eu Tunisie, on le jette là-bas. C’est de l’injustice ». C’est avec ces mots que ce trentenaire désigne la double peine qui l’accable. Bouda, de son vrai nom Ahmed M’Hemdi est un enfant d’immigrés, né à l’étranger, élevé sur le sol hexagonal et condamné deux fois par la justice française.

Une première pour trafic de drogue ; une peine de quatre ans de prison purgée à Fleury-Mérogis. Une seconde parce qu’il est étranger : une interdiction du territoire français de cinq ans. « Son cas est très particulier puisqu’un arrêté ministériel d’expulsion également été pris à son encontre. C’est une triple peine ». précise son avocat Stéphane Maugendre.

Bouda exerce donc son art clandestinement en France depuis 1997. Après un passage en Tunisie où il a été expédié à sa sortie de prison. Le pays de ses parents, mais pas le sien. Il n’y a tenu que neuf mois. « C’était la misère. Je connaissais rien au bled ». Il revient donc à la cité Maurice-Thorez de Dugny (93). Là-bas, il rejoint ses copains de la « old school » du hip-hop dans la compagnie Paris City Breakers. Tous ceux qui, comme lui, ont participé à l’émer­gence de ce mouvement au début dés années 80. « A l’époque, Bouda était une pile électrique. Tout le monde voulait être comme lui. Quand il dansait, il don­nait l’impression d’être en lévitation », décrit D’Okta, le rappeur de la compagnie. Qui poursuit : « Dans la cité, c’est un véritable symbole. » « Un chargeur », ajoute Nordine, lui aussi danseur.

Ses amis organisent sa clandestinité. Encaissant sur leurs comptes bancaires les cachets de Bouda, danseur revenu au plus haut niveau. Lui tendent quelques gros billets pour qu’il puisse sur­vivre. « Le problème, c’est que l’on ne peut pas l’emme­ner à l’étranger. Ça nous casse des dizaines de busi­ness », soupire Nordine.

Bouda ne se cache pas vraiment.

Il squatte chez des copains dans sa ville. Connaît « les commissaires de La Courneuve qui savent que je suis là et qu’il n’y a plus de trouble à l’ordre public ». Mais avoue « une peur au ventre » : « J’en ai marre de gagner des sous clandestine­ment. Il faut que l’on me rende mon numéro de matri­cule.

Caméra au poing, Jean-Pierre Thorn avale tous les propos du breaker. Ce réali­sateur a rencontré Bouda lors d’un casting. « Pour une comédie musicale, j’ai auditionné 250 danseurs hip-hop. J’ai été émer­veillé par la rapidité de ses « pass pass » (figure du hip-hop). Quand on a appris la menace qui pesait sur lui, on a lancé une pétition et recueilli plusieurs milliers de signatures. »

En vain. Le ministère de l’Intérieur refuse d’abroger l’arrêté ministériel d’expul­sion. « Parce que Bouda a été condamné pour trafic de stupéfiants », soupire son avocat. « Si on ne lui offre pas d’autre hypothèse, il va retomber, proteste Jean-Pierre Thorn. Il ne prend plus de came. Il a fait ses conneries à 19 ans. A 30, il a droit de se réinsérer dans la société. » « Il a fait un travail social dans sa cité. Il a montré aux mômes qu’il y avait autre chose à faire. Et on nous dit que c’est une menace pour l’ordre public ? », insiste Stéphane Maugendre. Mercredi, Bouda devrait danser dans les salons de l’Hôtel de Ville. D’Okta a lui prévu un rap. « C’est l’égoïsme des frontières qui veille au séisme de la vie », clamera- t-il.

De vingt à vingt-cinq ans de réclusion pour les assassins de l’octogénaire

 Elodie Soulié, 19/01/2002

LES ASSASSINS de Marcel Gevrey, cet octogénaire escroqué, roué de coups puis étouffé en 1996 dans sa maison des Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), ont tous été reconnus coupables de ce crime, tard hier soir, par la cour d’assises de Seine-Saint-Denis.

Lyane Malbert, l’ancienne femme de ménage de la victime, a été condamnée à vingt-cinq ans de réclusion criminelle, y compris pour escroquerie. Ses frères, Franck et David, écopent respectivement de vingt-trois et vingt ans de réclusion pour assassinat. Vingt ans également pour leur complice, Hervé Komondy. Dans la matinée, l’avocat général avait requis trente ans de réclusion à l’encontre des quatre accusés. Les trois hommes étaient jugés pour l’assassinat de Marcel Gevrey, tout comme Lyane, qui répondait également d’abus de confiance. Marcel Gevrey aurait d’abord été volé pendant des mois par l’accusée avant d’être, ce soir de septembre 1996, tué dans son sommeil, la tête enfouie dans son propre oreiller.

« Un choquant tarif de groupe »

Hier, au cours de cette ultime journée d’audience, l’avocat général avait méthodiquement tenté de dissoudre les doutes, diffus mais tenaces, dans un réquisitoire de deux heures suffisamment méticuleux et ferme. Naïma Rudloff s’était appliquée à balayer les arguments de la défense, notamment la thèse d’un « cambriolage raté » avancée par Hervé Komondy et celle d’un « saucissonnage » désastreux soutenue par Franck Malbert, ou encore celle d’une tragique expédition « d’intimidation ». Selon elle, le meurtre de l’octogénaire était bien « un projet mûri, réfléchi et commandité » : le vieil homme avait rendez-vous le lendemain avec son conseiller financier, puis au commissariat pour y déposer plainte contre Lyane Malbert pour escroquerie. « Il fallait l’en empêcher », répétera-t-elle. Quant à l’enfance terrible et douloureuse de la « fratrie Malbert », longuement évoquée la veille, l’avocat général l’avait également balayée : « Une enfance malheureuse ne donne pas un permis de tuer. » Selon elle, les quatre accusés avaient tous intérêt à « éliminer » Marcel Gevrey pour l’argent. Et tous devaient assumer à parts égales, en dépit de leurs rôles différents dans l’accomplissement « matériel » de ce crime : Lyane le « cerveau », David le chauffeur, Franck et Hervé les apprentis cambrioleurs, devenus des assassins. « Un choquant tarif de groupe », avait affirmé Me Arthur Vercken, l’avocat d’Hervé Komondy en insistant sur les « rôles différents » des accusés.

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Les premières larmes de Lyane Malbert

Elodie Soulié, 18/01/2002

AU FIL des heures, le doute s’installe puis disparaît, ressurgit pour s’effacer encore. Assassins ou meurtriers « par accident»? Tueurs sur commande ou petits cambrioleurs pris dans un engrenage tragique ? Depuis trois jours, les quatre meurtriers présumés d’un octogénaire de Pavillons-sous-Bois, en septembre 1996, sont apparus devant les jurés des assises de la Seine-Saint-Denis comme les pires des assassins avant d’être présentés par les experts comme victimes, inconscients de leur crime mais non de leur faute.

Lyane Malbert, ses deux frères David et Franck, comme Hervé Komondy, tous accusés d’un meurtre crapuleux commandité par la première, ont en commun des déchirures indélébiles. Hier surtout, alors que défilaient expert-psychiatre, enquêteurs de personnalité et quelques proches, l’effrayant passé de la « fratrie Malbert » a presque réussi à faire non oublier mais négliger le crime. Du moins l’espace de quelques heures. Cette audience a même révélé la première véritable faille d’une femme solide et dominatrice, décrite depuis le début comme l’instigatrice du meurtre : hier après-midi, un flot de larmes a succédé au verbe si agressif de Lyane Malbert. Figée depuis trois jours dans une raideur défensive, Lyane la dominatrice s’est épanchée sur son passé. Le seul sujet assez terrible pour arracher ses pleurs, alors que l’évocation de Marcel Gevrey, la victime qu’elle dit avoir aimée, n’a jamais provoqué en elle plus qu’un « Marcel ne devait pas mourir ». Maltraitée, violée par son oncle, passée du vol à la prostitution, mariée heureuse puis battue, réconciliée puis mère comblée… Quarante ans d’un triste roman ont apporté la toile de fond de l’audience d’hier. Et montré l’ambivalence de Lyane Malbert et de ses frères complices. A la fois machiavélique par intérêt, Lyane semble aussi rescapée du passé, à la force de sa seule envie « d’en sortir ». A ses côtés, ses frères offrent le même apitoiement sur eux-mêmes. Chacun se dit « souffre-douleur » de tous, chacun se pose en « victime » de la vie, de parents méchants voire pervers, de patrons méprisants, d’influences néfastes… A l’heure de leur verdict, prévu ce soir, les jurés devront chasser le doute de leurs esprits et choisir entre des faits horribles, -l’assassinat sur commande d’un vieillard endormi, doublé du vol et précédé de longs mois d’escroquerie-, et l’hypothèse, peu à peu suggérée au fil des longs débats, que le meurtre de Marcel Gevrey pourrait n’avoir été qu’un pathétique concours de circonstances. Un dérapage sur fond d’appât du gain, de vengeance et de solidarité familiale qui au lieu de coûter la prison à vie aux accusés les condamnerait à vingt ans derrière les barreaux. Hier, les avocats se prenaient à rêver d’un crime amoindri en « coups mortels »…

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L’octogénaire était mort «par contrat»

 Elodie Soulié, 17/01/2002

IL N’EST JAMAIS facile de dénoncer sa mère, de « balancer » ses oncles. Guère plus, sans doute, de les frôler à moins de deux mètres, tout juste séparés par la cloison boisée d’un box de cour d’assises. Depuis deux jours, les quatre meurtriers d’un octogénaire veuf des Pavillons-sous-Bois (93), une nuit de septembre 1996, répondent pourtant d’un crime resté longtemps à demi élucidé, et dont l’enquête doit son rebondissement à la conscience rongée d’une jeune fille de 17 ans.

Lyane Malbert, 40 ans, ses frères cadets David et Franck, 31 et 38 ans, et Hervé Komondy, 32 ans, risquent la prison à vie pour un assassinat commandité par l’une, accompli par les autres.

« Éliminer le problème »

Le vieil homme avait des sous, mais cet « argent à prendre » n’était pas le seul motif : Marcel Gevrey, veuf encore vert de 83 ans, avait également des soupçons. Lyane Malbert, femme de ménage si dévouée, devenue sa confidente, sa gestionnaire de comptes, voire sa maîtresse, l’escroquait insidieusement depuis des mois… profitant allègrement de sa procuration bancaire, de ses prêts gracieux et de la suave perspective d’hériter du vieil homme. Marcel l’avait d’ailleurs couchée sur son testament. Ce 2 septembre, brutalement réveillé de sa naïveté, Marcel a modifié ce testament, sommé Lyane de rembourser ses dettes, ses vols, et l’a surtout menacée de porter plainte contre elle. L’octogénaire irait « le lendemain à la police, dénoncer la malhonnête ». Il n’en n’a pas eu le temps, car lorsque Lyane est « dans le pétrin », elle appelle ses frères. Elle est la femme de tête, eux doivent « éliminer le problème », empêcher « le vieux » d’aller déposer plainte et, au passage, jouer les cambrioleurs. Les trois hommes aujourd’hui alignés dans le box ne sont rien de plus que des petits malfrats, des apprentis truands, Lyane en fait ses « bras armés ». Elle leur promet aussi un confortable pécule et, mieux encore, leur facilite la tâche en fournissant les clés du pavillon et les indications pour trouver le coffret de « la cagnotte ». Lorsqu’ils quitteront la petite maison de l’allée Virginine, Marcel Gevrey est mort. Piégé en pleine nuit, roué de coups et asphyxié sous son oreiller. Il s’était réveillé. Il avait crié. Le vol a dérapé mais, en plus, les rats d’hôtel sont déçus : trouver la « cagnotte » leur a demandé deux visites, et celle-ci ne contient qu’à peine 10 000 F, quand Lyane parlait de « 50 à 80 000 »… Hier, à l’audience, l’inimaginable commentaire d’Hervé Komondy a semblé résumer ces deux premières journées de débats : « Dans cette histoire, je me suis bien fait arnaquer. » Les quatre meurtriers de Marcel Gevrey sont aux assises et risquent la perpétuité, ils sont là comme jugés pour un petit vol, devant un tribunal correctionnel.

Un appel anonyme

Deux ans plus tard, en décembre 1998, les enquêteurs de la crim n’ont pas tous ces éléments. Ils n’ont que l’instigatrice du crime, doublée d’un escroc en jupon, soupçonnée d’avoir « plumé » l’octogénaire assassiné de plus de 600 000 F. Ils n’ont pas d’assassins. Un appel anonyme vient tout changer : la voix est faible, mais le récit précis, quand « une jeune femme » livre son trop lourd secret aux enquêteurs. La voix a 17 ans et c’est la propre fille de Lyane Malbert, l’âme torturée par le crime collectif qu’elle soupçonnait depuis l’automne 1996. Elle cite sa mère comme commanditaire, ses deux oncles et « un autre homme » comme les exécutants. Son témoignage sera comme une vanne ouverte sur la vérité. « L’affaire a rebondi », confirme un commissaire de la brigade criminelle. L’enquête sera rouverte, les frères et leur complice interpellés. Pour les enquêteurs de la criminelle, entendus hier, « le but de leur expédition transparaissait clairement » : l’assassinat, sur commande, de Marcel Gevrey.

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Les avocats dénoncent la «démagogie sécuritaire»

logo-liberation-311x113  Dominique Simonnot

«Dysfonctionnement». «L’exploitation à des fins politiques de la Justice constitue un grave dysfonctionnement de nature à nuire à la sérénité et à l’indépendance des juridictions», estiment les avocats qui «déplorent des commentaires des plus hauts représentants de la République empiétant ainsi sur le pouvoir des juges en violation de la séparation des pouvoirs». Ils défendent par ailleurs les avancées de la loi sur la présomption d’innocence. Et, en réponse aux policiers qui cognent à tour de bras sur «la loi Guigou, loi des voyous», et ont mis en place un réseau de surveillance des décisions de justice, les signataires demandent «au ministre de l’Intérieur de prendre les mesures qui s’imposent pour faire cesser l’ingérence de certains policiers» dans la justice.

En colère, les avocats rappellent que «les violences policières continuent de détruire le lien social dans les banlieues et que les parquets ne contrôlent pas assez les forces de l’ordre dont les violences demeurent en général impunies». Et soulignent que «le nombre d’affaires impliquant les forces de l’ordre comme auteurs de violences ou d’injures ne paraît pas avoir diminué».

Dans un second texte, les avocats prennent la défense de Jean-Paul Laurans, le président de la chambre de l’instruction parisienne. C’est lui qui avait remis en liberté, il y a un an, Jean-Claude Bonnal dit «le Chinois», depuis suspecté de six meurtres (lire ci-contre). De là s’en était suivie la polémique qui continue d’enfler. Des hommes politiques et non des moindres ­ Jospin, Forni… ­ avaient alors parlé d’une «dramatique erreur» et la ministre de la Justice s’était même vantée d’avoir «saqué» le juge qui postulait à un changement de poste. Les soussignés affirment donc leur «volonté de voir cesser ces attaques injustifiées à l’égard du président Laurans, demandent aux représentants de l’Etat de cesser de créer et d’alimenter une campagne de mise à mort de l’instruction judiciaire».

Motivés. Partie d’une trentaine d’avocats très motivés, l’initiative mêle toutes les cha pel les. Des ténors pénalistes ­ Françoise Cotta, Pierre Haïk, Jean-Yves Leborgne, Lef Forster, Hervé Témime ­ de plus jeunes talents ­ Claire Doubliez, Auda Catala, Christian Saint-Palais ­ ou des spécialistes du droit des étrangers ­ Stéphane Maugendre, Eric Plouvier. Les textes continuent de circuler par e-mail et fax. «On s’est dit qu’on ne pouvait plus continuer à se regarder dans le miroir sans rien faire. Il faut que les avocats qui sont proches de la réalité des tribunaux contrecarrent cette démagogie sécuritaire!», explique Eric Plouvier. «La gauche et la droite rivalisent d’indignité dans le débat sur la justice. Cela donne vraiment envie de monter au feu», reprend Hervé Témime. Un avocat s’amuse: «Regardez les signataires, c’est la preuve qu’on est loin de la bande de gauchistes.».

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Les avocats dénoncent la «démagogie sécuritaire»

logo-liberation-311x113   Dominique Simonnot
«Dysfonctionnement». «L’exploitation à des fins politiques de la Justice constitue un grave dysfonctionnement de nature à nuire à la sérénité et à l’indépendance des juridictions», estiment les avocats qui «déplorent des commentaires des plus hauts représentants de la République empiétant ainsi sur le pouvoir des juges en violation de la séparation des pouvoirs». Ils défendent par ailleurs les avancées de la loi sur la présomption d’innocence. Et, en réponse aux policiers qui cognent à tour de bras sur «la loi Guigou, loi des voyous», et ont mis en place un réseau de surveillance des décisions de justice, les signataires demandent «au ministre de l’Intérieur de prendre les mesures qui s’imposent pour faire cesser l’ingérence de certains policiers» dans la justice.
En colère, les avocats rappellent que «les violences policières continuent de détruire le lien social dans les banlieues et que les parquets ne contrôlent pas assez les forces de l’ordre dont les violences demeurent en général impunies». Et soulignent que «le nombre d’affaires impliquant les forces de l’ordre comme auteurs de violences ou d’injures ne paraît pas avoir diminué».
Dans un second texte, les avocats prennent la défense de Jean-Paul Laurans, le président de la chambre de l’instruction parisienne. C’est lui qui avait remis en liberté, il y a un an, Jean-Claude Bonnal dit «le Chinois», depuis suspecté de six meurtres. De là s’en était suivie la polémique qui continue d’enfler. Des hommes politiques et non des moindres ­ Jospin, Forni… ­ avaient alors parlé d’une «dramatique erreur» et la ministre de la Justice s’était même vantée d’avoir «saqué» le juge qui postulait à un changement de poste. Les soussignés affirment donc leur «volonté de voir cesser ces attaques injustifiées à l’égard du président Laurans, demandent aux représentants de l’Etat de cesser de créer et d’alimenter une campagne de mise à mort de l’instruction judiciaire».
Motivés. Partie d’une trentaine d’avocats très motivés, l’initiative mêle toutes les cha pel les. Des ténors pénalistes ­ Françoise Cotta, Pierre Haïk, Jean-Yves Leborgne, Lef Forster, Hervé Témime ­ de plus jeunes talents ­ Claire Doubliez, Auda Catala, Christian Saint-Palais ­ ou des spécialistes du droit des étrangers ­ Stéphane Maugendre, Eric Plouvier. Les textes continuent de circuler par e-mail et fax. «On s’est dit qu’on ne pouvait plus continuer à se regarder dans le miroir sans rien faire. Il faut que les avocats qui sont proches de la réalité des tribunaux contrecarrent cette démagogie sécuritaire!», explique Eric Plouvier. «La gauche et la droite rivalisent d’indignité dans le débat sur la justice. Cela donne vraiment envie de monter au feu», reprend Hervé Témime. Un avocat s’amuse: «Regardez les signataires, c’est la preuve qu’on est loin de la bande de gauchistes.».

Les rôdeurs de Bobigny

images Elsa Vigoureux, Décembre 2001

Dans les salles d’audience où sont jugés les sans-papiers qui arrivent à Roissy, les proxénètes repèrent leurs jeunes proies

Elles ne sont pas venues pour se plaindre, plutôt pour se battre. Rose, Victoria et Grâce ont poussé la porte d’un commissariat parisien et ont confié ce qui leur semblait l’essentiel. Pas leurs vies. Mais des histoires d’argent qui ont abouti à la mise en examen d’un couple de Ghanéens, pour « proxénétisme aggravé, falsification de documents administratifs, association de malfaiteurs, et séjour irrégulier ». Un homme de 40 ans et une femme de 30 ans tranquillement installés dans le Val-d’Oise, et pour qui les trois jeunes filles âgées de 20 à 22 ans vendaient leurs corps sur les Maréchaux. La vérité, c’est qu’elles en avaient assez de se sentir flouées, de reverser une partie trop élevée de leurs gains. Et le loyer qu’elles payaient tous les mois. C’est surtout pour ça qu’elles sont allées voir la police. Devant les enquêteurs, elles se sont prétendues sierra-léonaises pour deux d’entre elles, la troisième assurant être de nationalité nigériane. Et elles ont même présenté des papiers. Mais sans photos.

Une histoire banale et vite conclue, si l’on occulte les rumeurs qui bourdonnent dans les couloirs du tribunal de grande instance de Bobigny depuis deux ans. Le Gisti (Groupe [d’information et de Soutien aux Immigrés) a même déposé une plainte, en mars 2001, pour que la lumière soit faite sur ces « rabatteurs qui récupéreraient des jeunes femmes ou filles mineures étrangères pour alimenter un ou des réseaux de prostitution », et ce à l’intérieur même du tribunal. Comme Rose, Victoria et Grâce, des Sierra-Léonaises pour la plupart, toutes arrivées et placées en zone d’attente à Roissy. Là où, depuis quatre ans justement, le nombre de mineurs africains en situation irrégulière a triplé. Lesquels défilent ensuite à la chaîne devant des juges, à l’audience dite des « 35 quater », du nom de l’article visant les étrangers arrivés en France en situation irrégulière. En 1996, les magistrats rendaient 50O décisions en trois mois. Pour le troisième trimestre 2001, 2 500 cas ont été traités.

Quarante-cinq dossiers par jour, s’exclame juge. Si vous prenez dix minutes par personne, vous finissez votre boulot à 21 heures. Et dix minutes pour écouter l’histoire d’une vie difficile, c’est impossible. Alors on se limite à l’examen des questions de procédure. » Et les gamins sont libérés ou placés dans les foyers de ’Aide sociale à l’Enfance (ASE). Les premiers disparaissent dans la nature dès leur sortie du tribunal, tandis que 40% des seconds fuguent au bout de quelques jours. Toujours après avoir passé quelques coups de fil, parfois jusqu’aux Pays-Bas ou en Allemagne Et tout le monde connaît le « manège », au tribunal. Des greffières, des interprètes, des magistrats, des avocats, des responsables d’associations ont dénoncé ces hommes qui rôdent, et quittent souvent les lieux entourés de plusieurs jeunes filles. Ainsi, en juin 1999 déjà, le parquet des mineurs de Bobigny lançait une enquête préliminaire afin d’éclaircir la disparition de deux mineures africaines qui ont composé le même numéro de téléphone avant de fuir leur foyer d’accueil. Même scénario, moins d’un an plus tard : trois mineures se sont évaporées, nouvelle enquête. Les recherches restent vaines. Il aurait fallu le feu vert du parquet pour déployer les grands moyens, mettre en place des filatures, des écoutes téléphoniques, voire ouvrir une information judiciaire. Oser, quoi.

« Depuis la fin de l’année 1999, des proxénètes se baladent dans le tribunal pour recruter la misère du monde, au vu et au su de tous, et on attend mai 2001 pour faire quelque chose regrette Me Stéphane Maugendre, l’avocat du Gisti. Comment comprendre que la plainte soit restée six semaines sur le bureau de Jean-Paul Simonnot, procureur de la République de Bobigny, avant que ne soit ouverte une information ? Le procureur s’insurge : « il est inadmissible de penser que le parquet n’a pas rempli sa tâche. » Et répète : « Cette affaire ne pourrait aboutir que dans la mesure où des jeunes filles viendraient se confier. » Attendre donc, plutôt qu’oser.

Attendre que le hasard conduise Rose, Victoria et Grâce devant la juge Marie-Paule Moracchini, à Paris. Qu’aussitôt un employé du palais de justice fasse le rapprochement et qu’il parle de l’affaire de Bobigny. Parce que les trois jeunes filles, recrutées dès leur pays d’origine par leurs proxénètes, ont atterri à Roissy. Que deux d’entre elles ont été jugées au « 35 quater », en Seine-Saint-Denis. Elles n’ont eu qu’à traverser la passerelle bleue à la sortie du tribunal. C’était prévu comme ça, on les attendait de l’autre côté pour leur nouvelle vie. Quant à la troisième, elle a rejoint ses amies en contactant un couple de Ghanéens, après un séjour à l’hôpital. La magistrate parisienne s’est dessaisie rapidement au profit du juge Olivier Géron, qui instruit l’enquête à la suite de la plainte du Gisti, à Bobigny. La réalité de ces trois filles vient enfin heurter les rumeurs qui peinent à éclore à Bobigny. « Le fin mot est politique », confie un proche du dossier. On ne veut pas s’occuper de ces filles-là. Tout simplementI parce que ce sont des étrangères dont personne n’a rien à faire. Qu’importe qu’elles se prostituent la nuit. Le jour, elles n’ont pas de statut.

Avocat