Le rap soutient Bouda, danseur et «double-peine».

   Charlotte Rotman

 A Paris, le maire vert du IIe accueille sa conférence de presse.

Un «double-peine» à l’Hôtel de Ville, le symbole était fort. Un peu trop fort. La Mairie de Paris a annulé une conférence de presse sur le cas d’un Tunisien menacé d’expulsion qui devait se tenir, ce mercredi, à l’auditorium de l’Hôtel de Ville. A l’initiative des Verts de Paris, Bouda, une figure du milieu hip hop, devait y présenter son histoire au public. Bertrand Delanoë a préféré que le débat se tienne ailleurs. Bouda et ses soutiens du mouvement hip hop seront finalement accueillis aujourd’hui par le maire (Vert) du IIe arrondissement.

L’émission de Sidney. Bouda est un enfant du hip hop. Né il y a trente ans en Tunisie, sous le nom d’Ahmed M’Hemdi, il arrive bébé en France, avec ses cinq frères et soeurs pour rejoindre son père, installé en France depuis 1956. Il grandit à Dugny, en Seine-Saint-Denis. Comme il «n’aime pas l’école, mais kiffe la danse», il s’entraîne jusqu’à dix heures par jour. Adolescent, il passe régulièrement à l’émission de Sidney H.I.P. H.O.P., qui fait découvrir le break au grand public dans les années 80.

Mais l’émission s’interrompt et l’argent qui va avec ne rentre plus. Bouda fume des joints, vend du cannabis. En 1990, il est condamné à vingt mois de prison ferme pour trafic de stupéfiant. Incarcéré à Fleury-Mérogis, il continue à danser. Il sort au bout de quinze mois. Il tient «sans came» quelques mois. Pas longtemps. En 1993, il fume du crack : «Je devenais fou à cause des cailloux. Je vendais pour acheter.» Et, en 1995, il est à nouveau condamné : quatre ans d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction du territoire français.

A sa sortie de prison, le 13 janvier 1997, il est expulsé vers la Tunisie. Il craque au bout de neuf mois et regagne clandestinement la France. Il se cache, «hiberne». Et retrouve la danse. Participe à des concerts, notamment avec le groupe phare français NTM ou le Secteur Ä (Bataclan, Zénith).

Lors d’un show à la mairie de Saint-Denis, le cinéaste Jean-Pierre Thorn repère ce type «agile et rapide». Il espère l’embaucher pour une comédie musicale. Mais voilà : Bouda est sous le coup d’un arrêté ministériel d’expulsion. Impossible de le faire travailler.

Le danseur demande alors une assignation à résidence. Et le milieu du rap fait preuve à son égard d’une solidarité plutôt inhabituelle. «Il y a souvent des rivalités. Mais là, les gens se sont mobilisés», confirme Scalp, de la compagnie Paris City Breakers. Des Rencontres urbaines de La Villette au concours de break-dance au Zénith, le bouche à oreille fonctionne. Pour Kool Shen, cofondateur de NTM avec Joey Starr, aider Bouda est «une affaire personnelle.» Tous les deux ont débuté le break ensemble. Son label IV My People a collecté les signatures de soutien à Bouda et mis son site web au service de sa cause.

L’ancien présentateur Sidney considère Bouda «comme un petit frère». Grâce à sa notoriété, «il véhicule une image positive : il montre qu’on peut faire des bêtises et se rattraper, il a racheté sa conduite», estime-t-il. Sa possible expulsion ressemble d’autant plus à un couperet. «On essaye de se réinsérer, mais on nous met tout le temps des bâtons dans les roues», regrette ainsi Kool Shen.

Travail de grand frère. Sensible à cette mobilisation, le ministre de l’Education, Jack Lang, a lui-même écrit à son homologue de l’Intérieur: «Cher Daniel, mon attention a été appelée sur le cas d’Ahmed M’Hemdi […]. Il est parvenu peu à peu à percer dans le monde artistique et à acquérir une grande notoriété […]. Compte tenu du parcours assez atypique de M. M’Hemdi […], sa situation ne pourrait-elle être réexaminée?», demande-t-il.

Toute la famille de Bouda, excepté une grand-mère, est en France. Ses amis et son avenir aussi, estime-t-il. «De plus, il n’est pas retombé dans la toxicomanie qui constituait un des facteurs de sa délinquance», ajoute son avocat, Stéphane Maugendre. «Il est reconnu et fait un travail social de grand frère dans les quartiers. Tout cela mis bout à bout constitue-t-il vraiment une menace à l’ordre public ?» Pour la Place Beauvau, oui.

«Son expulsion constitue toujours une nécessité impérieuse pour la sécurité publique», explique ainsi le ministère de l’Intérieur, dans un courrier du 26 mars 2001, maintenant l’arrêté d’expulsion vieux de juin 1996.

Aujourd’hui, pour condamner la double peine, Kool Shen, Sidney et d’autres seront au côté de Bouda. Dans le deuxième arrondissement. Pas à la mairie de Paris.

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