L’octogénaire était mort «par contrat»

 Elodie Soulié, 17/01/2002

IL N’EST JAMAIS facile de dénoncer sa mère, de « balancer » ses oncles. Guère plus, sans doute, de les frôler à moins de deux mètres, tout juste séparés par la cloison boisée d’un box de cour d’assises. Depuis deux jours, les quatre meurtriers d’un octogénaire veuf des Pavillons-sous-Bois (93), une nuit de septembre 1996, répondent pourtant d’un crime resté longtemps à demi élucidé, et dont l’enquête doit son rebondissement à la conscience rongée d’une jeune fille de 17 ans.

Lyane Malbert, 40 ans, ses frères cadets David et Franck, 31 et 38 ans, et Hervé Komondy, 32 ans, risquent la prison à vie pour un assassinat commandité par l’une, accompli par les autres.

« Éliminer le problème »

Le vieil homme avait des sous, mais cet « argent à prendre » n’était pas le seul motif : Marcel Gevrey, veuf encore vert de 83 ans, avait également des soupçons. Lyane Malbert, femme de ménage si dévouée, devenue sa confidente, sa gestionnaire de comptes, voire sa maîtresse, l’escroquait insidieusement depuis des mois… profitant allègrement de sa procuration bancaire, de ses prêts gracieux et de la suave perspective d’hériter du vieil homme. Marcel l’avait d’ailleurs couchée sur son testament. Ce 2 septembre, brutalement réveillé de sa naïveté, Marcel a modifié ce testament, sommé Lyane de rembourser ses dettes, ses vols, et l’a surtout menacée de porter plainte contre elle. L’octogénaire irait « le lendemain à la police, dénoncer la malhonnête ». Il n’en n’a pas eu le temps, car lorsque Lyane est « dans le pétrin », elle appelle ses frères. Elle est la femme de tête, eux doivent « éliminer le problème », empêcher « le vieux » d’aller déposer plainte et, au passage, jouer les cambrioleurs. Les trois hommes aujourd’hui alignés dans le box ne sont rien de plus que des petits malfrats, des apprentis truands, Lyane en fait ses « bras armés ». Elle leur promet aussi un confortable pécule et, mieux encore, leur facilite la tâche en fournissant les clés du pavillon et les indications pour trouver le coffret de « la cagnotte ». Lorsqu’ils quitteront la petite maison de l’allée Virginine, Marcel Gevrey est mort. Piégé en pleine nuit, roué de coups et asphyxié sous son oreiller. Il s’était réveillé. Il avait crié. Le vol a dérapé mais, en plus, les rats d’hôtel sont déçus : trouver la « cagnotte » leur a demandé deux visites, et celle-ci ne contient qu’à peine 10 000 F, quand Lyane parlait de « 50 à 80 000 »… Hier, à l’audience, l’inimaginable commentaire d’Hervé Komondy a semblé résumer ces deux premières journées de débats : « Dans cette histoire, je me suis bien fait arnaquer. » Les quatre meurtriers de Marcel Gevrey sont aux assises et risquent la perpétuité, ils sont là comme jugés pour un petit vol, devant un tribunal correctionnel.

Un appel anonyme

Deux ans plus tard, en décembre 1998, les enquêteurs de la crim n’ont pas tous ces éléments. Ils n’ont que l’instigatrice du crime, doublée d’un escroc en jupon, soupçonnée d’avoir « plumé » l’octogénaire assassiné de plus de 600 000 F. Ils n’ont pas d’assassins. Un appel anonyme vient tout changer : la voix est faible, mais le récit précis, quand « une jeune femme » livre son trop lourd secret aux enquêteurs. La voix a 17 ans et c’est la propre fille de Lyane Malbert, l’âme torturée par le crime collectif qu’elle soupçonnait depuis l’automne 1996. Elle cite sa mère comme commanditaire, ses deux oncles et « un autre homme » comme les exécutants. Son témoignage sera comme une vanne ouverte sur la vérité. « L’affaire a rebondi », confirme un commissaire de la brigade criminelle. L’enquête sera rouverte, les frères et leur complice interpellés. Pour les enquêteurs de la criminelle, entendus hier, « le but de leur expédition transparaissait clairement » : l’assassinat, sur commande, de Marcel Gevrey.

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