Les premières larmes de Lyane Malbert

Elodie Soulié, 18/01/2002

AU FIL des heures, le doute s’installe puis disparaît, ressurgit pour s’effacer encore. Assassins ou meurtriers « par accident»? Tueurs sur commande ou petits cambrioleurs pris dans un engrenage tragique ? Depuis trois jours, les quatre meurtriers présumés d’un octogénaire de Pavillons-sous-Bois, en septembre 1996, sont apparus devant les jurés des assises de la Seine-Saint-Denis comme les pires des assassins avant d’être présentés par les experts comme victimes, inconscients de leur crime mais non de leur faute.

Lyane Malbert, ses deux frères David et Franck, comme Hervé Komondy, tous accusés d’un meurtre crapuleux commandité par la première, ont en commun des déchirures indélébiles. Hier surtout, alors que défilaient expert-psychiatre, enquêteurs de personnalité et quelques proches, l’effrayant passé de la « fratrie Malbert » a presque réussi à faire non oublier mais négliger le crime. Du moins l’espace de quelques heures. Cette audience a même révélé la première véritable faille d’une femme solide et dominatrice, décrite depuis le début comme l’instigatrice du meurtre : hier après-midi, un flot de larmes a succédé au verbe si agressif de Lyane Malbert. Figée depuis trois jours dans une raideur défensive, Lyane la dominatrice s’est épanchée sur son passé. Le seul sujet assez terrible pour arracher ses pleurs, alors que l’évocation de Marcel Gevrey, la victime qu’elle dit avoir aimée, n’a jamais provoqué en elle plus qu’un « Marcel ne devait pas mourir ». Maltraitée, violée par son oncle, passée du vol à la prostitution, mariée heureuse puis battue, réconciliée puis mère comblée… Quarante ans d’un triste roman ont apporté la toile de fond de l’audience d’hier. Et montré l’ambivalence de Lyane Malbert et de ses frères complices. A la fois machiavélique par intérêt, Lyane semble aussi rescapée du passé, à la force de sa seule envie « d’en sortir ». A ses côtés, ses frères offrent le même apitoiement sur eux-mêmes. Chacun se dit « souffre-douleur » de tous, chacun se pose en « victime » de la vie, de parents méchants voire pervers, de patrons méprisants, d’influences néfastes… A l’heure de leur verdict, prévu ce soir, les jurés devront chasser le doute de leurs esprits et choisir entre des faits horribles, -l’assassinat sur commande d’un vieillard endormi, doublé du vol et précédé de longs mois d’escroquerie-, et l’hypothèse, peu à peu suggérée au fil des longs débats, que le meurtre de Marcel Gevrey pourrait n’avoir été qu’un pathétique concours de circonstances. Un dérapage sur fond d’appât du gain, de vengeance et de solidarité familiale qui au lieu de coûter la prison à vie aux accusés les condamnerait à vingt ans derrière les barreaux. Hier, les avocats se prenaient à rêver d’un crime amoindri en « coups mortels »…

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