Archives de catégorie : droit des étrangers
Le second clandestin du Mimoza a pu débarquer pour demander asile
Le ministre de l’Intérieur a été assigné en référé hier, au tribunal de grands instance de Paris, à la suite de la consignation d’un passager clandestin à bord du « Mimoza ».
Ce cargo frigorifique, arrivé d Brest le 6 juillet pour charger 4.000 t de poulets, avait à son bord deux clandestins d’origine mozambicaine. Il leur était interdit de mettre pied à terre et devaient s’éloigner du territoire français avec le navire. L’un d’eux, Abdella Juma. 26 ans, qui avait échappé à la surveillance policière, allait être repris aussi-tôt et faire l’objet des démarches habituelles précédant toute expulsion.
Séquestration de Saldi : « arbitraire »
Son compagnon, Saldi Ali, 22 ans, originaire de Starera (Mozambique) et de nationalité tanzanienne. soutenu par l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (l’ANAFE), a donc sollicité l’autorisation d’entrer en France. L’assignation en référé, à la demande de ses avocats, Mes Simon Foreman, de Paris, et Stéphane Maugendre, de la Seine-Saint – Denis, est motivée de la façon suivante : «Sa demande d’asile n’a fait l’objet d’aucun examen, et il lui a été impossible de descendre du Mimoza. Cela, en violation de l’ordonnance du 2 novembre 45 relative aux conditions d’entrée des étrangers en France ».
Et de préciser : «Un étranger arrivant en France par la voie maritime doit, selon cette ordonnance, être placé en zone d’attente le temps que soit examinée sa demande d’asile ou, si elle est rejetée, le temps que soit organisé son rapatriement. Un tel placement permet à l’intéressé de faire valoir ses droits en recevant librement la visite d’avocats ou de conseils ». Aussi « l’administration se rend-elle coupable de séquestration arbitraire», selon les arguments avancés.
Une zone d’attente a donc été créée à Brest, au bureau de police du Port, pour accueillir hier après-midi Saldi Aii et son camarade Abdalla Juma au retour du Port. Accompagné de policiers, celui-ci est allé dans la journée expliquer son cas au consulat du Mozambique. L’objectif était d’embarquer les clandestins sur le « Mimoza », l’un d’entre eux du moins, s’il n’avait pas obtenu satisfaction au tribunal. Encore fallait-il que la résultat du référé soit connu avant l’appareillage du bateau programmé pour 21 h et qui est effectivement parti hier soir.
Finalement, tard dans la soirée, considérant que le refoulement de Saldi Ali pourrait avoir des conséquences graves pour l’intéressé, le tribunal de grande instance de Paris a invité le ministère de l’Intérieur «à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité physique et morale du demandeur ». En clair, le clandestin ne devait pas réembarquer.
Dépôt de Paris: l’appel du préfet après les 26 libérations
Le préfet contestait la décision prise jeudi par un juge.
Décidément, il sera dit que, durant cette campagne électorale, seule Danielle Mitterrand se sera engagée pour protester contre les lois Pasqua. Mardi, elle visitait des étrangers sans papiers en grève de la faim et, vendredi, elle a débarqué sans prévenir au palais de justice de Paris. On y jugeait l’appel du préfet de police après la décision d’un juge de remettre en liberté jeudi 26 étrangers retenus au dépôt, dans les sous-sols du palais de justice (Libération du 21 avril). Elle est venue parce que «c’est terrible, les étrangers sont traités dans ces lieux comme des animaux. Ça me fait mal de savoir que la France a été condamnée par le Comité européen de prévention de la torture. C’est l’image de la France qui est en jeu.» Elle a souligné que, pour elle, «les lois Pasqua sont peu recommandables». Etait-ce le fait de sa présence ou de celle des journalistes et des caméras, l’audience n’avait pas lieu dans la minuscule mezzanine réservée habituellement au droit des étrangers. On avait ouvert les portes de la 13e chambre de la cour.
Devant le président Jean-André Collomb-Clerc, Mes Gérard Tcholakian, Stéphane Maugendre, Claire Freyssinet et Simon Foreman ont expliqué tour à tour les raisons de la décision du juge: «Les conditions immondes faites aux étrangers à quelques mètres sous nos pieds et qu’en tant que juge judiciaire, gardien des libertés, il était en droit de vérifier lui-même.» Une décision d’autant plus justifiée qu’il avait vu comparaître à son audience de jeudi un jeune homme, Minou Rama, le bras plâtré, le visage tuméfié, tenant à peine debout et pour qui le préfet demandait une prolongation de rétention de trois jours. Rappelant les plus récentes affaires du dépôt, une tentative de viol par un policier, un passage à tabac et un suicide, François Sottet, le juge, avait alors décidé d’aller constater sur place ce qui se passait au dépôt, mais le préfet s’était opposé à sa démarche en refusant l’accès des lieux aux avocats de Rama. «J’en tire toutes les conséquences de droit», avait alors décidé le magistrat en remettant en liberté Rama et les 25 autres étrangers qui lui ont été présentés dans la journée, «car le refus du préfet me laisse présumer qu’il se passe au dépôt des faits contraires à la Convention européenne des droits de l’homme».
C’est de ces ordonnances de mise en liberté qu’a fait appel le préfet. Selon ses arguments, le juge qui statue sur la rétention «intervient non pas en qualité de juge judiciaire dans la plénitude de ses fonctions mais dans un rôle limité, en qualité d’auxiliaire d’une procédure relevant du droit administratif». Cette assertion a fait bondir les avocats et les magistrats du Syndicat de la magistrature présents dans la salle, car elle reviendrait à dénier au juge «les pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution». C’est une thèse inverse qu’a développée l’avocat général, Bernard Delafaye. Dans un réquisitoire légèrement gêné, il a reconnu qu’une visite du parquet au dépôt le 29 mars dernier «a été insatisfaisante pour ne pas dire plus», mais il s’est pourtant lancé dans une étonnante défense en règle de la préfecture et du ministre de l’Intérieur, car, «si une amélioration est en cours au dépôt, c’est grâce à eux». Selon lui, le juge «n’était pas compétent pour apprécier les conditions matérielles dans lesquelles la rétention a lieu» et aurait, en agissant ainsi, commis un «détournement de pouvoirs». «Je vous rappelle qu’une décision de justice n’a pu être exécutée hier en raison de l’opposition d’un fonctionnaire de police, lui a rétorqué Me Gérard Tcholakian, et je dépose plainte cet après-midi pour connaître la position du parquet à ce sujet.»
La décision doit être rendue samedi.
En attendant, seul, parmi les syndicats de police, Différence (syndicat de la police nationale et personnels affiliés, minoritaire) dénonçait vendredi «le dépôt à la limite de l’explosion», tant pour «les conditions précaires d’hébergement des étrangers en rétention» que pour «les conditions de travail inacceptables de nos collègues». De source autorisée, on apprenait vendredi que le dépôt des étrangers de Paris serait fermé pour travaux début mai , date à laquelle les retenus seraient transférés dans les locaux de l’école de police de Vincennes
Le chef du 8ème bureau de la préfecture de police de Paris passera en correctionnelle
Dominique Simonnot, 30/03/1995
Le chef du 8ème bureau de la préfecture de police de Paris, chargé de l’éloigne-ment du territoire des étrangers, passera prochainement en correctionnelle pour « abus d’autorité »,après une citation directe du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature. Dans une note datée du 15 décembre 1994 et adressée au commandant du centre de rétention du Mesnil-Amelot, Daniel Monedière expliquait en effet une ruse qu’ il avait imaginée : « Il est devenu d’usage de faire transiter par le centre de rétention de Paris les étrangers en provenance du Mesnil-Amelot. » Ce qui permet, poursuit la note, de conduire les étrangers à F audience « comme s’ils étaient retenus au dépôt» de Paris. Il s’agit donc de les soustraire à la compétence du juge de Meaux, au profit de celui de Paris. Mais demeurait le risque que les avocats et les magistrats parisiens ne trouvent étrange la présence de gendarmes du Mesnil-Amelot et ne se demandent d’où viennent en réalité les étrangers qu’on leur présente. Pour parer au danger, la note précise ; « Afin d’éviter toute ambiguïté, il importe que les gendarmes du Mesnil-Amelot ne soient pas présents à l’audience… Aussi A… je vous serais obligé de donner toutes instructions pour que Y… escorte en provenance du Mesnil-Amelot attende dans les locaux dut centre de rétention. » Pour les deux organisations syndicales, ces faits tombent sous le coup du nouveau code pénal, qui réprime « le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi ».
Des avocats dénoncent les subterfuges juridiques des responsables du dépôt des étrangers à Paris
Nathaniel Herzberg, 30/03/1995
Une note de service qui donne des instructions «pour tromper les juges» est mise en cause
Le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France devaient citer à comparaître, mercredi 29 mars, le chef du bureau chargé de l’éloignement des étrangers à la préfecture de police de Paris pour « abus d’autorité ». Les deux organisations lui reprochent d’avoir, dans une note de service, donné des instructions pour « tromper les juges » sur le lieu de rétention des étrangers frappés d’un arrêté de reconduite à la frontière.
LA BONNE MARCHE de l’administration autorise-t-elle que l’on bafoue les règles de droit ? Le Syndicat de la magistrature (SM) et le Syndicat des avocats de France (SAF) poursuivent le chef du bureau chargé de l’éloignement des étrangers à la préfecture de police de Paris, pour «abus d’autorité». Les deux organisations reprochent à Daniel Monedière de violer sciemment la loi en faisant passer, auprès des magistrats parisiens, les étrangers retenus au centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) pour des «pensionnaires» du tristement célèbre dépôt des étrangers de Paris. Une manœuvre destinée à «gérer» le flux considérable d’étrangers passant par le centre et sans laquelle nombre d’entre eux devraient être remis en liberté.
Au départ, une simple question de compétence territoriale: lors-qu’un étranger interpellé sans papiers fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, la police le place en rétention. Vingt-quatre heures d’abord, puis, après passage devant le juge délégué, six jours supplémentaires. Il est alors conduit dans un centre de rétention. En région parisienne, cela peut être le dépôt de Paris, son annexe du bois de Vincennes, ou encore le centre du Mesnil-Amelot, près de l’aéroport de Roissy. Avant 1993, la police devait avoir organisé son rapatriement dans ces délais. Mais, depuis le vote de la loi Pasqua d’août 1993, l’administration dis-pose d’une nouvelle prolongation de trois jours encore contrôlée par le juge. C’est là que tout se corse.
Le décret du 13 juillet 1994 prévoit que «le» juge en question soit celui du département dans lequel se trouve le centre de rétention. Pour le Mesnil-Amelot, tout devrait donc se dérouler au tribunal de Meaux. L’usage voulait toutefois que les étrangers soient présentés à Paris, où le nombre de magistrats est beaucoup plus important et où la préfecture dispose d’un permanencier à même de défendre le point de vue de la police. Du coup, les gendarmes du centre amenaient eux-mêmes les étrangers retenus à l’audience. Jusqu’à ce qu’en septembre 1994 un avocat soulève l’incompétence du juge délégué. Surpris, ce dernier ne pouvait que lui donner raison. Sa décision était confirmée par la cour d’appel deux mois plus tard.
La préfecture de police décide de tourner la difficulté. Le 15 décembre, Daniel Monedière envoie une note au commandant du Mesnil-Amelot. «Afin d’éviter que les avocats des étrangers concernés ne demandent au juge de se déclarer incompétent (…), il est devenu d’usage de faire transiter par le centre de rétention de Paris les étrangers en provenance du Mesnil-Amelot De cette manière, un ordre d’extraction du dépôt est émis et les étrangers sont conduits à l’audience comme s’ils étaient retenus au dépôt ».
Comme si… L’opération consiste généralement à faire passer la porte du dépôt aux étrangers, à les fouiller, et à les faire ressortir en direction de la salle d’audience.
« MISE EN SCÈNE »
Opération si factice que M. Monedière invite son collègue à prendre ses précautions : « Afin d’éviter toute ambiguïté, il importe toutefois que les gendarmes du Mesnil-Amelot ne soient pas présents à l’audience, les étrangers étant placés pendant la durée de celle-ci sous la responsabilité des gendarmes du Palais de justice. Aussi je vous serais obligé de donner toutes instructions pour que l’escorte en provenance du Mesnil-Amelot attende dans les locaux du centre de rétention que les étrangers leur soient ramenés après leur passage devant le juge. »
Pour le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France, cette note « est ouvertement destinée à bafouer les droits de la défense (…) en évitant que les avocats ne fassent valoir un moyen de droit ». Pis, elle organise un détournement de la loi « en mentant aux magistrats délégués en créant l’illusion de la compétence territoriale de Madame le président du tribunal de grande instance de Paris ». Dénonçant cette « mise en scène », les organisations accusent M. Monedière d’«abus d’autorité contre la chose publique ».
Pour la préfecture de police, cette note est « nulle et non avenue ». «La personne qui l’a rédigée n’avait pas autorité pour le faire et nous l’avons annulée», affirme le directeur de la police générale, Jacques- André Lesnard. Pour donner corps à cette volte-face, les policiers ne disposent d’aucune nouvelle note. En revanche, une correspondance interne à la gendarmerie confirme qu’« il y a lieu de considérer que cette note n’a aucune existence ».
Toutefois, la pratique qui y est décrite est bien réelle. « Le tribunal de Meaux n’a pas la capacité d’ac¬cueillir les étrangers du Mesnil-Amelot, explique M. Lesnard. Par ail¬leurs, nous n’allons pas déplacer systématiquement à Meaux un représentant de la préfecture. Enfin, le préfet est maître du choix du lieu de rétention. » Quant à savoir si la po¬lice trompe les juge, il soupire : « Ce qui est important, c’est que l’étranger passe devant un juge délégué. Peu importe le lieu. »
Au tribunal de grande instance de Paris, on juge les termes de la note « assez effarants ». Quant à la pratique, que les juges ignoraient, semble-t-il, totalement, «elle n’est peut-être pas illégale, mais c’est un détournement ».
Un Zaïrois, père d’un enfant français, passager du premier charter d’expulsion européen
ÊTRE MARIÉ à une Française et père d’un enfant français d’un an n’a pas empêché un Zaïrois de trente-quatre ans d’être conduit sous escorte policière, mercredi 22 mars à l’aube, dans un avion pour Kinshasa. Wumba-Claude Nzaki est l’un des treize Zaïrois en situation irrégulière en France embarqués à bord du premier charter d’expulsions organisé à l’échelon européen (Le Monde du 24 mars). Affrété par les autorités néerlandaises, l’Airbus de la compagnie Martinair a convoyé au total quarante-quatre Zaïrois interpellés aux Pays-Bas, en Allemagne et en France. Au-delà de cette «première » contestée par des avocats qui y voient une forme d’expulsion collective, formellement prohibée par la Convention européenne des droits de l’homme, le cas individuel de M. Nzaki illustre la multiplication, en France, de pratiques juridiquement contestables et humainement scandaleuses destinées à nourrir les statistiques de reconduites à la frontière.
En 1991, Wumba-Claude Nzaki s’était vu refuser le statut de réfugié politique et avait fait l’objet, en septembre 1992, d’un arrêté de reconduite à la frontière par le préfet de police de Paris. Six mois plus tard, il épousait Dominique Beaurain, une Française aujourd’hui âgée de trente-six ans qui lui donnait un fils, Joris, français par sa mère. Toutes les démarches entreprises par le couple auprès de la préfecture se sont révélées vaines. En octobre 1993, le préfet leur opposait une fin de non-recevoir écrite basée sur la validité de son arrêté de reconduite de 1992.
VIOLATION DE LA VIE FAMILIALE
Par deux fois, des juges ont contesté cette position. En décembre 1993, M. Nzaki refuse de monter dans l’avion et se trouve déféré devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Le jugement le relaxe en arguant de la violation de sa vie familiale. Un an plus tard, c’est le tribunal administratif de Paris qui a annulé – fait rare – la décision du préfet qui refusait d’abroger l’arrêté de reconduite. Le jugement confirme la « réalité de la vie familiale » et se réfère à la Convention européenne des droits de l’homme pour estimer que l’arrêté préfectoral « a porté au respect de la vie familiale de M. Nzaki une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ce refus lui a été opposé».
Lorsque le couple, fort de ces deux jugements, reçoit une convocation à la préfecture de police, il pense logiquement qu’il va obtenir une régularisation. On lui demande de repasser le lendemain, mardi 21 mars, qui se trouve être la veille du jour où le « charter européen » pour le Zaïre est programmé. M. Zaki se présente avec son bébé. L’après-midi, on appelle son épouse sur son lieu de travail pour qu’elle vienne récupérer l’enfant. Elle se rend à la préfecture où on lui indique que son époux a été placé en rétention.
Dès le lendemain matin, le père de famille redevenu simple Zaïrois sans papier est conduit à Roissy, n a été maintenu en rétention moins de vingt-quatre heures, délai qui aurait obligé la police a saisir le juge, qui aurait probablement ordonné la remise en liberté. « Convoquer les irréguliers la veille d’un vol, c’est une petite malice courante, certes pas très glorieuse mais qui nous permet d’obtenir l’exécution de nos décisions », commente-t-on à la préfecture de police, où l’on estime que « faire un enfant français n’annule pas un arrêté de reconduite à la frontière », même si la loi protège les parents d’enfants français contre une telle décision puisque « l’arrêté avait été pris lorsque M. Nzaki était célibataire et reste parfaitement valable ».
Les avocats du Zaïrois, Daniel Voguet et Stéphane Maugendre ne l’entendent pas ainsi. Ils ont saisi, jeudi 23 mars, le président de la Commission européenne des droits de l’homme pour tenter de faire reconnaître plusieurs violations de la Convention européenne. Outre l’atteinte au principe du « respect de la vie familiale », les avocats plaident que M. Nzaki a été embarqué sans avoir pu exposer sa défense ni exercer le moindre recours.
Les conditions contestées d’une des expulsions vers le Zaïre
Mercredi matin, un «charter européen» au départ d’Allemagne, des Pays-Bas et de France renvoyait sous escorte à Kinshasa 44 Zaïrois déboutés du droit d’asile ou en situation irrégulière. Parmi eux, se trouvait Wumba Nzaki, marié à une Française et père d’un enfant français de 2 ans.
C’était une première, tout s’est déroulé en parfaite coordination entre les trois pays européens, et, à chaque escale, le gros Airbus hollandais de la Martinair chargeait son lot d’indésirables zaïrois. Si on ignorait encore hier l’exacte situation de 43 des 44 passagers de l’avion, celle de Wumba Nzaki, 34 ans, met encore une fois en relief de bien étranges pratiques. Malgré un arrêté de reconduite à la frontière prononcé en août 1992, Nzaki faisait normalement partie des étrangers protégés de l’éloignement du territoire. A double titre. Joris, son fils, est né le 30 juin 1993 et, trois mois auparavant, Nzaki s’était marié avec Dominique, de nationalité française. Elle raconte: «J’ai accompagné mon mari à la préfecture de police lundi, nous espérions faire régulariser sa situation. On nous a dit de revenir le lendemain. Il y est allé avec Joris…» Dans l’après-midi de mardi, un coup de fil de la préfecture prévient le chef du personnel de la banque où travaille Dominique. «Ils ont dit que ce n’était pas grave, il fallait que je vienne récupérer mon mari. Mais quand je suis arrivée là-bas, on m’a mis mon fils dans les bras en me disant que mon mari était en rétention administrative et qu’il passerait le lendemain devant un magistrat.» Pieux mensonge en réalité, puisque les policiers savent déjà que Nzaki embarquera dans le charter pour Kinshasa à 5 heures du matin. Ce dont la préfecture, d’ailleurs, ne se cache pas: «Nous l’avions convoqué mardi en raison de l’opération Batave.»
Il faut en effet faire vite. Éviter que ne s’écoule le délai de 24 heures au-delà duquel Nzaki aurait obligatoirement dû être présenté au magistrat chargé de statuer sur sa rétention. Les policiers savent qu’au vu du dossier, même le plus sévère des juges l’aurait remis en liberté. D’autant qu’un jugement du tribunal administratif avait fustigé en décembre dernier l’attitude de la préfecture à l’égard de la famille Nzaki.
«Comme une andouille», raconte Dominique, elle s’est présentée mercredi matin au dépôt des étrangers pour voir son mari mais «il n’était pas sur la liste». En effet, il vole déjà pour le Zaïre. A la préfecture, on explique que «des événements d’ordre privé tels qu’un mariage et une paternité ne peuvent battre en brèche les principes du droit public. L’arrêté de reconduite à la frontière de 1992 était toujours en vigueur. A monsieur Nzaki de suivre la procédure en demandant un visa pour revenir et on lui déroulera le tapis rouge de la carte de séjour en vertu de sa situation familiale.» Sans autre précision sur le coût financier de l’opération.
Cependant ni sa femme ni ses avocats n’ont l’intention d’en rester là. Ils parlent «d’une sinistre manière d’inaugurer la prochaine entrée en vigueur des accords de Schengen». Hier, Mes Sylvain Dreyfus et Daniel Voguet pour Nzaki et Stéphane Maugendre pour la Cimade ont saisi en urgence la Commission européenne des droits de l’homme, entre autres, pour de «graves violations» de l’article 8 de la Convention européenne qui stipule le droit à vivre en famille. Les avocats prient donc le président de la commission «de demander au gouvernement français qu’il autorise au plus vite le retour de monsieur Nzaki sur le territoire français auprès de son épouse et de son enfant».
Le tribunal administratif de Paris contredit le ministère de l’intérieur à propos du droit d’asile
ZITO POURRA RESTER en France. Le tribunal administratif de Paris a annulé, vendredi 3 mars, le refus d’admission sur le territoire français de ce Mozambicain de quatorze ans. Cette décision avait été prise par le ministre de l’intérieur, le 27 juin 1994, au motif que la demande d’asile de l’adolescent était « manifestement infondée ».
Arrivé à Brest, le 23 juin, à bord d’un cargo panaméen en provenance d’Afrique du Sud, l’adolescent, dont les parents ont été assassinés pendant la guerre civile au Mozambique, s’était vu immédiatement consigné à bord par la police de l’air et des frontières. Il n’avait été libéré que par un jugement du tribunal de grande instance de Paris dénonçant la « voie de fait » de l’autorité administrative. Un premier revers pour le ministère de l’intérieur.
Mais celui enregistré vendredi est d’une tout autre ampleur. Dans ses attendus, le juge administratif rappelle que « l’étranger arrivant en France par la voie maritime ou aérienne qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié » doit être « autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande ». Le tribunal précise que, « le cas échéant », il peut être « maintenu en zone d’attente le temps strictement nécessaire à un examen tendant à déterminer si sa demande n’est pas manifestement infondée ».
Or, il n’en a rien été dans le cas de Zito, pour la bonne et simple raison qu’il n’y avait pas de zone d’attente dans le port de Brest. En passant outre, et en motivant sa décision de façon erronée, le ministère de l’intérieur a donc commis une « erreur de droit », conclut le tribunal.
Pour Zito, actuellement dans une famille à Quimper, cette décision devrait permettre de faire une nouvelle demande d’asile. Pour le ministère de l’intérieur, en revanche, elle pose le problème de tous les « demandeurs » qui ne sont pas placés immédiatement dans les zones d’attente situées dans les aéroports internationaux et certains grands ports.
Le tribunal de Paris « libère » deux passagers nigériens clandestins
JACQUELINE COCHARD, président du tribunal de grande instance de Paris, a ordonné, mercredi 15 février, la libération de deux passagers clandestins nigériens que le ministère de l’intérieur empêchait de débarquer du cargo français Véronique-Delmas, depuis son arrivée, le 12 février, à Saint-Nazaire, puis le surlendemain à Rouen. Les deux hommes, John Osas et Eldis Ojo, embarqués à Dakar, avaient en vain demandé l’asile en France et avaient été consignés à bord. Le tribunal de Paris a jugé que cette décision constituait une voie de fait, ainsi que l’avaient plaidé Mes Simon Foreman et Stéphane Maugendre. « La mesure de consignation d’étrangers à bord d’un navire n’est prévue par aucun texte », a estimé le tribunal, censurant l’attitude de l’administration comme il l’avait fait, récemment, dans le cas comparable d’un mineur mozambicain (Le Monde daté 5 et 6 février 1995). L’ordonnance rappelle que la loi impose le placement des demandeurs d’asile non admis sur le territoire dans les «zones d’attente» spécifiques, où ils peuvent faire valoir leurs droits. Quelques heures après la lecture de l’ordonnance, les deux demandeurs d’asile ont été autorisés à débarquer mais transférés dans la zone d’attente de l’aéroport Charles-de-Gaulle à Roissy.
« Faute de droit » contre un jeune réfugié mozambicain
Nathaniel Herzberg, 05/02/1995
Extrait : « UN GARÇON comme un autre », résume sa famille d’accueil. Si ce n’est qu’après avoir vu ses parents massacrés sous ses yeux, traversé la planète dans un cargo comme passager clandestin, passé quelques jours dans les prisons allemandes et atterri à Quimper à l’issue d’un western maritimo-judiciaire, Zito, jeune Mozambicain âgé de quatorze ans, pose des problèmes aux services de Charles Pasqua. Examiné, vendredi 3 février, par le tribunal administratif de Paris, son cas menace aujourd’hui l’ensemble de l’édifice érigé par le ministre de l’intérieur en matière de droit d’asile.
Lorsque le Mimoza, cargo battant pavillon des Bahamas en provenance de Durban (Afrique du Sud), arrive à Brest le 23 juin 1994, la police de l’air et des frontières (PAF) a été avertie de la présence d’un clandestin à bord. Zito est immédiatement consigné sur le navire (Le Monde du 1 juillet 1994). Quatre jours plus tard, le ministère de l’intérieur juge sa demande d’asile « manifestement infondée » et ordonne au transporteur de le réembarquer. Mais, le 29 juin, le tribunal de grande instance de Paris dénonce une « voie de fait » de l’autorité administrative. Alors que le Mimoza vient d’appareiller, une vedette va rechercher le jeune Mozambicain en haute mer. Confié à la tutelle de l’Union départementale des associations familiales (UDAF) du Finistère, il est placé dans une famille bretonne.
L’affaire aurait pu en rester là. Mineur, Zito ne risquait pas d’être frappé d’un quelconque arrêté de reconduite à la frontière. Pourquoi l’UDAF s’obstina-t-elle alors à vouloir faire annuler le rejet de sa première demande d’asile ? Le ministère de l’intérieur n’avait-il pas indiqué, par écrit, qu’il considérait son entrée comme régulière puisque « autorisée (…) par l’autorité de police » et que, à l’âge de dix-huit ans, l’administration ne pourrait donc pas invoquer ce motif pour rejeter une demande de régularisation ?
Pour l’UDAF, M Simon Foreman a d’abord rappelé que « le…