Archives de catégorie : droit des étrangers

Regroupement familial : la nouvelle donne

images fig Marie-Amélie Lombard, 10/11/1994

Les immigrés devront se plier à des régies plus strictes

Fondé sur le principe constitutionnel du droit à une « vie familiale normale » pour les Immigrés, le regroupement familial existe depuis vingt ans en France. Il permet au conjoint et aux enfants mineurs d’un étranger séjournant régulièrement an France de le rejoindre. Quelque 32 000 personnes bénéficiant chaque année de cette procédure qui a été modifiée par la loi du 24 août 1993. Le décret d’application et Isa deux arrêtés ministériels introduisant ces changements sont parus ce matin au Journal officiel. Voici ces nouvelles dispositions et leurs conséquences pour la première source (en nombre) d’immigration légale en France.

Ce jour-là, une dizaine de dossiers de regroupement familial devaient passer « à la signature « , une « fournée » relativement normale pour la préfecture des Hauts-de-Seine. Au sommet de la pile, on découvrait le cas d’une Haïtienne,  « ouvrière nettoyeuse », arrivée en France en 1987, voulant faire venir son fils de sept ans. La dernière chemise cartonnée concernait un Marocain de 48 ans, ouvrier du bâtiment, qui souhaitait que sa femme le rejoigne: Autant d’histoires différentes que de dossiers.

Délai minimal

« Les gens ayant vraiment la volonté de s’installer en France y mettent le temps, mais finissent par y arriver ». Ce constat, fait car Jean-Pierre Troussard, directeur de la réglementation est. à ce titre, chargé du regroupement, familial à la préfecture des Hauts- de-Seine, ne fait pas l’unanimité. Ainsi, Me Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit de l’immigration estime-t-il que « la politique actuelle tend à multiplier les obstacles au regroupement familial, poussant les candidats A opter pour la clandestinité. » Jusqu’à présent, trois conditions étalent nécessaires – et, en principe, suffisantes – pour prétendre au regroupement : être en situation régulière en France sur les plans du séjour et du travail depuis au moins un an, disposer de ressources suffisantes et stables (le Smic) pour subvenir aux besoins de sa famille, disposer d’un logement (la superficie exigée dépend de la taille de la famille). La demande de regroupement devait être faite alors que la famille ne se trouvait pas encore en France.

Désormais, le délai minimal de résidence en France est porté à deux ans. Un allongement qui, de l’avis général, ne change rien sur le fond, les immigrés ne demandant le regroupement qu’après plusieurs années passées ici. Trois conditions supplémentaires sont également exigées. Le regroupement doit, sauf exception, être sollicité pour l’ensemble de la famille. « Nous cherchons ainsi à éviter qu’un père fasse venir ses aînés, dans l’Idée de leur trouver un emploi, et laisse sa femme et ses plus Jeunes enfants au pays », explique Gérard Moreau. directeur de la population au ministère des Affaires sociales.

Autre condition nouvelle, la non-polygamie. Une règle claire en théorie: « le bénéfice du regroupement familial ne peut être accordé à un autre conjoint » que celui résidant sur le territoire – mais pouvant être difficile à appliquer. Peu fréquente chez les Maghrébins, la polygamie concernerait « quelques milliers de personnes de l’Afrique sub-saharienne », principalement les Maliens et les Sénégalais.

La dernière condition concerne l’avis du maire (celui du lieu de résidence de l’intéressé), qui doit désormais être pris par les autorités préfectorales mais ne les Iie pas. Cette nouveauté, vieille revendication des élus municipaux, risque de provoquer de multiples conflits entre préfecture et mairies concernées par le regroupement familial et, donc, par une immigration nouvelle.

En principe, précise la circulaire d’application, « le maire doit formuler son avis sur les conditions de ressources et de logement du demandeur». Mais, comme ailleurs, la préfecture des Hauts-de-Seine s’attend à recevoir des avis plus « politiques que techniques » et a devoir arbitrer des situations délicates. Jusqu’à présent, le regroupement familial était un droit pour les personnes remplissant les conditions requises. Entre-t-on aujourd’hui dans le domaine de l’opportunité, les autorités bénéficiant alors d’un pouvoir d’appréciation?  La question est aujourd’hui débattue.

« Les maires feront des choix électoraux », anticipe Me Stéphane Maugendre, tout en estimant qu’aujourd’hui déjà des obstacles déguisés existent dans certaines municipalités. Ainsi, en serait-il des communes qui évitent la construction de logements sociaux de plus de trois pièces, s’« épargnant » ainsi les familles immigrées, a priori nombreuses.

« Devant le fait accompli »

Un de mes clients, Malien, en France depuis quinze ans, voudrait faire venir ses enfants. Il vit actuellement dans un deux pièces. Quand II fait une demande d’appartement plus grand, l’office HLM lui répond : « On verra lorsque vos enfants seront là. » Du coup, Il ne dispose pas d’un logement suffisent pour faire sa demande de regroupement  ».

La fermeté adoptée par les autorités se manifeste également par «des refus systématique», selon Me Maugendre, d’admettre au regroupement des familles déjà présentes sur le territoire. Position défendue à la préfecture des Hauts-de- Seine par Jean-Pierre Troussard : « Nous voulons éviter d’être mis devant le fait accompli, les femmes et enfants présents illégalement sur le territoire n’étant que très rarement expulsés. »

Aujourd’hui, les Marocains arrivent en tête des demandes de regroupement familial, suivis par les Turcs. Souvent, les étrangers attendent plusieurs dizaines d’années avant de se lancer dans la procédure. Tel cet Algérien de 59 ans, chauffeur-livreur, qui demande à ce que sa femme le rejoigne dans son logement de 36 mètres carrés. « Sans doute a-t-il un projet de retraite ici.  A priori, le dossier ne pose pas de problèmes » Commente Jean-Pierre Troussard

La maîtrise de l’immigration

En revanche, le dossier de ce Tunisien de 51 ans, travaillant dans l’automobile et souhaitant la venue de son fils est accompagné d’un avis défavorable : « Logement de 37 mètres carrés non conforme et de grande vétusté, ne convenant pas à un adolescent (pièces sombres, sales, peinture à refaire, humidité, w.-c. extérieur pas de douche ».

Sans compter les « refus au guichet » pour dossiers manifestement Infondés ou incomplets, environ un tiers des de mandes sont rejetées. Pour le premier semestre 1994, la direction de la population a constaté une baisse des demandes de 25 %.

Une diminution qui pourrai bien s’expliquer par « l’effet rigueur » de la loi de 1993 celle-ci ayant parfois été comprise, dans las banlieues comme un arrêt définitif mis à la procédure. Instauré pour faciliter l’intégration des immigrés et éviter les ghettos de « célibataires » forcés envoyant tout leur pécule au pays, le regroupement familial hésite aujourd’hui entre sa fonction première et celle d’instrument servant à la maitrise de l’immigration.

École piégée pour les enfants d’étrangers

logo-liberation-311x113 Nathalie Gathie, 29/09/1994

Quand les parents sont demandeurs d’asile ou en situation irrégulière, l’inscription scolaire des enfants devient un exercice des plus dangereux.

LILIA 8 ANS. Et déjà l’intuition de ne pas être une fillette ordinaire. Son cartable est vide et ses cahiers vierges. Lili n’est jamais en retard, elle n’a pas d’emploi du temps. Pas plus que de devoirs ou de leçons à réciter à sa mère, Zaïroise en situation irrégulière. Lili a peur de «ne rien savoir quand elle sera «grande». Jour après jour, elle ânonne sa crainte de «devenir plus bête que les autres». Les autres, tous ceux qui vont à l’école quand Lili se morfond. «A la rentrée, la mairie d’un arrondissement parisien me demandait trop de documents, j’ai préféré fuir. Je ne peux pas être repérée, sinon on m’expulsera. Aujourd’hui, on veut tellement se débarrasser des étrangers qu’on utilise les enfants. Tout est bon pour nous dégoûter», explique Miyama, la mère de Lili.

Comme d’autres, inquantifiables, Lili est exclue du système scolaire parce que des mairies, parisiennes ou franciliennes, refusent d’inscrire dans leurs écoles des enfants -français ou étrangers- sous prétexte de lutter contre l’immigration clandestine. En exigeant de leurs parents étrangers qu’ils présentent un titre de séjour en cours de validité lors de l’inscription de leur progéniture, les mairies contreviennent aux règles du droit français et international. La Constitution et la Convention des droits de l’enfant garantissent noir sur blanc le droit à l’éducation pour tous. Une circulaire de l’Éducation nationale, datée de 1984, rappelle que «les titres de séjour des parents ou des responsables du mineur n’ont pas à être demandés».

Autant de textes sur lesquels plusieurs mairies s’asseyent allègrement. Si la plupart d’entre elles finis¬sent par inscrire, ce n’est qu’à l’issue de multiples tentatives de découragement. « Elles savent que l’opinion est globalement de leur côté. Et, si on les traîne en justice pour voie de faits ou discrimination raciale, elles n’auront pas plus de 10.000F d’amende. Dérisoire», explique Me Stéphane Maugendre (avocat). Habitué de ces dossiers, il a obtenu la condamnation de Pierre Bernard, maire divers droite de Montfermeil, qui, dès 1986, refusait l’inscription de 44 enfants.

La sanction a été peu dissuasive. En atteste l’obstination de Gérard Probert, maire divers droite de Clichy-sous-Bois en Seine-Saint-Denis: depuis bientôt deux ans, il contrarie l’inscription de deux fillettes dont la mère, domiciliée dans sa commune, est dé¬boutée du droit d’asile. Aujourd’hui, les enfants étudient dans une institution privée trop onéreuse au regard des ressources familiales. Quant à Gérard Probert, il campe sur ses positions. «Le droit à l’éducation existe, mais celui de respecter l’école de la République aussi: il faut vivre à Clichy pour comprendre que les étrangers ne le respectent pas. On a déjà 42% d’immigrés ici, et les clandestins ne font qu’appauvrir la ville. On ne peut pas toujours dire que la France est une terre d’asile.» Quid du droit des enfants «Mais les clandestins sont contre le droit», rétorque le premier magistrat de Clichy.

Récemment, le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) dénonçait  l’«apartheid scolaire». Et ajoutait, documents à l’appui, que les mairies des IXe, XIIe, XIVe, XVe, XVIe, XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe réclament toutes des titres de séjour. Roger Chinaud, maire UDF du XVIIIe, procède ainsi «par souci de recoupement. Je ne fais pas le travail de la police: chacun son métier». Les mairies récusent donc toute arrière-pensée. Elles vérifient. Pour rien?

Il y a quelques mois, Pablo et Maria, couple de Colombiens déboutés de droit d’asile, s’installent dans le XVIlle. Hébergés par des amis, ils ont un domicile fixe et décident, en décembre 1993, de scolariser leurs deux enfants, dont une fillette de nationalité française. La mairie réclame illico un titre de séjour dont les parents ne disposent pas. En février 1994, la Cimade intervient. Mais le dossier «est à l’étude ». Il le demeure, puisque ni l’un ni l’autre des enfants ne sont aujourd’hui en classe. En revanche, le couple, qui, avant ces demandes d’inscription, n’avait jamais été inquiété par les services de police incapables de les localiser, a été convoqué par le commissariat du XVIIIe. Et s’est vu confisquer ses passeports.

Le père de Lili a vécu sensiblement la même «coïncidence ». A cette différence près qu’il est aujourd’hui incarcéré. Car les ennuis de la fillette et de sa mère ne datent pas de cette rentrée scolaire. Ils remontent à l’époque où la famille décide de s’installer à Levallois-Perret. «En septembre 93, j’ai voulu inscrire la petite. Il ont refusé deux fois, mais l’inspection académique est intervenue», explique Miyama, la mère de Lili. Très vite, elle et son époux déchantent. « On était filés et des inspecteurs de police sont venus chez nous >, se souvient-elle. Au même moment, des employés municipaux contactent le Mrap pour l’informer qu’un courrier dénonçant la présence des parents de Lili sur la commune vient d’être adressé à la préfecture à la demande de Patrick Balkany, maire RPR de Levallois. Le 16 juin dernier, le père de Lili est interpellé. Et écope, en comparution immédiate au tribunal de Nanterre, d’une peine de cinq mois de prison ferme assortie d’une interdiction temporaire du territoire de cinq ans.

Isabelle Balkany, conseillère municipale, chargée de la communication, le reconnaît volontiers  » On a écrit au préfet pour savoir quoi faire. Ce type est fêlé d’avoir voulu inscrire son enfant, c’est comme les femmes qui viennent accoucher ici pour que les gosses aient la nationalité française ou les mariages blancs on marche sur la tète ». Les lois concernant l’éducation? «Une ville ne dépend pas d’une circulaire de l’Education nationale, tranche Isabelle Balkany La législation s’est durcie pour les étrangers parceque c’est la volonté du peuple. Et puis un enfant suit ses parents, les mômes de clandestins doivent repartir aussi.»

Lili vit aujourd’hui à Paris Elle attend la libération de son père. Et rêve d’aller en classe .

procédure «en urgence absolue»

images fig Marie-amélie Lombard, 01/09/1994

La procédure «en urgence absolue» utilisée par le ministère de l’Intérieur avait fait l’objet de recours judiciaires de la part des avocats des intégristes présumés

Des profondeurs de l’Aisne à l’exotisme de Ouagadougou : ce fut hier un aller simple pour vingt des vingt-six assignés à résidence de la caserne de Folembray. Sous le coup d’un arrêté d’expulsion, les sympathisants ou militants présumés du Front Islamique du salut ont été embarqués à bord d’un Boeing 737 affrété par le gouvernement, qui a décollé à 9 h 40 de la base militaire de Reims. Destination, un temps gardée secrète par les autorités mais vite éventée : le Burkina Faso, ancienne colonie française d’Afrique, où l’islam est la confession dominante, et qui entretient de très bonnes relations avec l’Algérie.

Les six autres hommes sont restés en France, sous surveillance. Ainsi, Saïd Magri, en grève de la faim, a-t-il été assigné à résidence à Lille. Quant à Larbi Kechat, imam de la mosquée parisienne de la rue de Tanger, qui avait reçu le soutien de diverses personnalités, il est revenu hier à Paris. Un troisième, Abdeslam Ouili, a été assigné à résidence au Blanc, dans l’Indre. Un quatrième, Sara Ramani, un étudiant en électronique de 29 ans, a été assigné à résidence dans un petit bourg de Seissan, à une vingtaine de kilomètres d’Auch, dans le Gers.

Pour tous prenait donc fin un séjour forcé et parfois mouvementé à Folembray. Il avait commencé au lendemain de l’assassinat de trois gendarmes et deux agents consulaires français, le 3 août dernier, à Alger. L’opération avait été comprise comme la réplique de Charles Pasqua aux islamistes. Très vite, les avocats des assignés avaient engagé une polémique avec le ministère de l’Intérieur. Leurs critiques portaient à la fois sur les conditions de l’assignation à résidence (surveillance policière, liberté de mouvement toute relative) et sur le silence observé par les autorités pour expliquer les motivations de cette mesure.

Le mois d’août était sur le point de s’achever ainsi. Entre grève de la faim, protestation des habitants appréciant modérément ce nouveau voisinage, et mise en garde contre la France lancée par le porte- parole improvisé des assignés, Djaffar el-Houari, président de la Fraternité algérienne en France. Deux « rendez-vous » avaient cependant été fixés dans la bataille juridique engagée entre avocats et ministère de l’Intérieur.

« Fait du prince »

Le premier était pris pour aujourd’hui devant le tribunal des référés, à Laon, où Charles Pasqua avait été assigné pour voie de fait, l’objectif des avocats étant de démontrer que l’assignation à résidence s’apparentait à une « détention illégale ». Hier, après l’expulsion, les avocats étaient, semble-t-il, décidés à se rendre malgré tout à Laon. Il paraissait cependant peu probable que le tribunal statue aujourd’hui sur une situation déjà dépassée.

La seconde procédure était engagée devant le tribunal administratif d’Amiens, en principe amené à se prononcer dans la première quinzaine de septembre. L’expulsion sur¬prise d’hier a donc permis à Charles Pasqua de court-circuiter ces voies judiciaires. Le régime de l’expulsion lui en laissait la possibilité. « C’est en effet une des rares mesures relevant encore du « fait du prince » », note Me Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des étrangers, qui critique toutefois « l’usage qui en est fait aujourd’hui, où la simple suspicion devient un élément à charge ».

C’est une ordonnance de 1945 qui régit « l’expulsion en urgence absolue ». Une telle mesure, administrative, doit remplir deux conditions (non cumulatives depuis la loi Pasqua de 1993) : une urgence absolue et une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique. Par; ailleurs, si l’étranger frappé d’une mesure d’expulsion établit « qu’il ne peut ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans aucun autre pays », il « peut être astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés ».

C’est en théorie le cas de figure de Folembray. Dès le début, le ministère de l’Intérieur avait déclaré que les occupants de la caserne, sous le coup d’un arrêté d’expulsion, devaient eux-mêmes chercher un pays d’accueil, et que, dans l’Intervalle, ils étaient assignés à résidence. Version aussitôt réfutée par les avocats, qui indiquaient que les assignés ne pouvaient guère communiquer avec l’extérieur, et encore moins se dénicher une « Invitation » à l’étranger. Dialogue de sourds, donc, que les tribunaux n’auront sans doute pas le loisir de trancher. Au-delà des questions de procédure et de forme, les critiques s’élevaient hier sur l’opacité observée par les autorités depuis le début de l’affaire. Avec une question récurrente : que reprochait-on exactement à ces vingt-six personnes ? En la matière, le ministère de l’Intérieur n’avait pas, juridiquement, l’obligation d’apporter des précisions sur ses soupçons ou griefs à l’égard des assignés. Au cours du mois, les arrivées successives de ces 26 personnes – 25 Algériens, 1 Marocain – à Folembray avaient été justifiées par « leurs activités en relation avec un mouvement qui prône et pratique la violence et le terrorisme ».

Hier, après l’expulsion, le communiqué du ministère indiquait qu’ils avaient été « signa-lés par les services de police comme se livrant à des activités susceptibles de présenter des dangers pour la sécurité de nos compatriotes ». Ce genre de formule fait inévitablement bondir les avocats. « On a tapé au pif ! » lance Me Philippe Petillault. « Cela a des relents de ratonnade », estime pour sa part Me Dupond-Moretti.

La plupart des occupants de la caserne avaient une « façade » relativement anodine. Des étudiants, des commerçants, un imam, etc. Sept d’entre eux avaient déjà fait l’objet d’une précédente assignation à résidence, à l’automne 1993, lors de l’opération « Chrysanthème ». Cette « rafle » dans les milieux supposés islamistes avait été organisée après l’enlèvement d’un couple de Français, les époux Thévenot, en Algérie.

« Façade » anodine

De leurs clients, les avocats ne possèdent souvent qu’un curriculum vitae relativement succinct. Et seraient fondés, selon eux, à connaître les éléments retenus contre eux par les pouvoirs publics. De son côté, le ministère de l’Intérieur observe un mutisme complet sur le sujet. Conclusion des avocats : si des charges sérieuses avaient existé, des poursuites auraient été engagées. Ce qui n’a jamais été le cas – aucun des assignés de Folembray n’avait fait l’objet de poursuites judiciaires, et ce qui tendrait à prouver, disent, les conseils, que les dossiers sont vides.

En un mois, peu d’informations sont finalement parvenues sur ces vingt-six hommes. Voici le portrait rapide fait par Me Petillault d’un de ses clients : « Ali Amar, la trentaine, marié, trois enfants. Cet étudiant, en cours de thèse dans un domaine scientifique, habitait à Orléans avec sa famille. Depuis l’automne dernier, il avait été assigné à résidence dans le Cantal. Il se déclare lui-même sympathisant de la Fraternité algérienne en France et du FIS, mais il n’est membre d’aucune de ces organisations. Il était arrivé en France il y a quatre ans pour poursuivre ses études. » Biographie incomplète, mais qui le restera sans doute.

Par ailleurs, les conseils soulignent les « problèmes humains » soulevés par l’expulsion : des familles restées en France, des professions ou des études brusquement inter¬rompues. Les expulsés seront « libres de leur mouvement et pourront aller là où ils veulent quand ils le souhaitent », indiquait hier le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso. Tout au long de la journée, un léger malentendu semblait planer sur le nombre exact de passagers à bord du Boeing 737 parti de Reims : 20 pour la France, 19 pour le Burkina. Hier matin, dans un ministère de l’Intérieur visiblement satisfait du tour pris par les opérations, ne répondait-on pas que l’avion avait pris la direction du «triangle des Bermudes» ?

Le syndicat des avocats de France dénonce les «lettres de cachet» de Charles Pasqua

logo-liberation-311x113 Dominique Simonnot, 14/04/1994

Sur le thème «Demain, j’enlève le droit», le 21è congrès du SAF (Syndicat dos avocats de France) s’est achevé hier à Bobigny par le vote unanime de six motions, toutes peu ou prou consacrées au thème de l’accès au droit.

Comme l’avait annoncé Patrick Tillie, le président du SAF (gauche, un tiers des votes aux : élections professionnelles) les lois de Charles Pasqua et le rôle du ministre de l’Intérieur se sont retrouvés, trois jours durant, au centre des débats du syndicat.

Dans une motion intitulée « On a enlevé le droit », les avocats fustigent des « atteintes inadmissibles à des principes et à des valeurs essentielles à tous ».

Ainsi, en mai 1994, à Lyon où deux jeunes manifestants ont été expulsés en urgence absolue. Ou en août 1994 à Folembray avec  » lettres de cachet et expulsion collective d’étrangers suspectés de liens avec les milieux intégristes sur de simples et sommaires allégations administratives ». Et encore la « séquestration à fond de cale » à Brest et à Dunkerque, en avril et juin de demandeurs d’asile. Pour le SAF « ces quelques exemples montrent que les autorités et l’administration de la République piétinent l’État de droit ».

Passant à la loi sur la maîtrise de l’immigration, le SAF rappelle s’être inquiété lors de son précédent congrès de la vie familiale et privée des étrangers en France. Un an plus tard, la situation s’est encore dégradée, affirme-t-il et, le SAF exige le rétablissement immédiat d’une loi interne conforme aux engagements internationaux de la France.» Autre préoccupation du syndicat, l’amélioration du système de l’aide juridique afin que l’accès au droit, à la justice et a la défense soit accessible et égal pour tous».

Mais le grand moment du congrès a été, selon tous les participants, l’arrivée de quatre avocates algériennes venues décrire à leurs confrères ce qu’était leur vie en Algérie. «Je n’ai jamais vu un congrès aussi émouvant, raconte Stéphane Maugendre, président de la section du SAF à Bobigny, toute la salle était au bord des larmes et certains pleuraient franchement. »

Solidarité avec les avocats algériens

Parmi les avocates algériennes, Me Dalila Meziane qui a fait une demande d’asile à la France et a expliqué: « Je suis la fille d’un homme qui a versé son sang pour l’indépendance et aujourd’hui viens me réfugier au de vous. ». Deux motions ont été consacrées a l’Algérie. La première, générale, affirme une solidarité avec le peuple algérien tandis que la France a fermé encore davantage l’accès du territoire « refuse le plus souvent de reconnaître la qualité de réfugié aux Algériens et fait  chaque jour interpeller et reconduire à la frontière des algériens anonymes ». La deuxième résolution concerne spécialement les avocats algériens pour qui le SAF appelle « les ordres et tous les avocats à apporter aide et assistance aux avocats algériens contraints de s’expatrier ».

Salarié étranger: qui c’est celui-là ?

Avocat et entreprises, Cécile Cochard, avril 1994

_DSC0053Si l’embauche de salaries étrangers s’impose pour toutes les sociétés dont les activités néces­sitent des relations quo­tidiennes avec l’international, elle concerne également la plupart des entreprises françaises. Des recrutements qui, loin d’être une simple formalité, relève plutôt du parcours d’obs­tacles. Une législation en constante évolution, une multitude de régimes particuliers, des sanctions lourdes en cas d’irrégularité… Mieux vaut s’informer avant d’engager !

Une société d’import- export de Seine-Saint- Denis assure le transit de marchandises entre Alger, Paris et Londres. Après avoir longtemps cherché un commercial parfaitement tri­lingue, elle trouve enfin la perle rare : un algérien disposant d’une solide expérience commerciale, pratiquant l’arabe, le français, l’anglais et possédant un visa long séjour. L’entreprise remplit le contrat de l’Office des Migra­tions Internationales (OMI) et l’adresse, par l’intermédiaire de la préfecture, à la Direction Départementale du Travail, de ‘Emploi et de la Formation Professionnelle (DDTEFP).

Refus formel de celte dernière qui lui oppose la situation de l’emploi : pour cette catégorie de postes, l’ANPE enregistre dans le département une de­mande trop importante par rap­port à l’offre. Si l’entreprise avait travaillé avec Madrid et voulu recruter un espagnol trilingue, elle n’aurait pas rencontré ce type de problème puisque les membres de la CEE bénéficient d’un régime particulier (comme d’ailleurs les cambodgiens, vietnamiens, gabonais…). De même, si elle avait souhaité embauché un cadre étranger ré­munéré plus de 17 000 F par mois, la DDTEFP se serait sans montrée moins draconienne, les consignes ministérielles préconisant  alors davantage de « bienveillance ».

Des textes à profusion

Le droit des étrangers est très complexe, explique Bruno Marcus, Bâtonnier du Barreau de Seine-Saint-Denis, car il contient une multitude d’ex­ceptions et de régimes particu­liers selon le titre de séjour, le pays d’origine ou la fonction du travailleur étranger. Par ailleurs, il évolue à un rythme tel qu’il est difficile pour les employeurs de s’y retrouver sans l’aide d’un spécialiste”. Ainsi, le texte de référence en la matière – l’or­donnance du 2 novembre 1945 relative à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire français – a été modifié au moins une trentaine de fois depuis 1974 ! Sans compter les di­verses circulaires qui se succè­dent si rapidement qu’elles sont appliquées avant même d’être publiées. A cette profusion de textes s’ajoutent les contraintes administratives également susceptibles d’effrayer les entreprises. Où s’adresser ? A quel moment ? OMI, Préfecture, DDTEFP, Inspection du Travail… Les organismes compétents sont nombreux et les démarches souvent longues. Certaines grandes entreprises, comme par exemple la Comatec (société de nettoyage de la RATP), disposent d’un système de boîte aux lettres destiné à accélérer le traitement des dossiers, mais la plupart des PME ne bénéficient pas de tels avantages. Faute d’informations précises, elles sont parfois amenées à refuser des candidats qui ont le droit travailler et leur conviendraient parfaitement. Les autorisations provisoires de séjour, par exemple, suscitent quelque méfiance alors que cer-taines permettent à leurs déten¬teurs d’exercer une activité pro-fessionnelle en toute légalité.

Des sanctions de plus en plus sévères

Malgré la complexité des textes et des procédures, les entreprises ont d’autant plus intérêt à ne négliger aucune vérification que les sanctions appliquées pour lutter contre le travail clandestin tendent à se renforcer. Outre celles visées dans le Code du Travail, l’ordonnance du 2 novembre 1945 condamne l’aide directe ou indirecte à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers sur le territoire français. Amende de 2 000 F à 200 000 F, emprisonnement de deux mois à cinq ans, interdiction de séjour, impossibilité d’exercer pendant cinq ans au maximum l’activité dans laquelle l’infraction a été commise, fermeture de l’établissement… La liste s’est encore allongée avec l’entrée en vigueur, le 1er mars 1994, du nouveau code pénal. Des sanctions qui peuvent dissuader même les entreprises soucieuses de respecter les règles ! En effet, comment se sentir à l’abri de la moindre erreur quand il faut affronter un tel parcours d’obstacles ?

Quelques précautions s’imposent

“Le droit des étrangers, souligne Stéphane Maugendre, avocat au Barreau de Seine-Saint-Denis, est devenu une affaire de spécialistes”. Or, les PME/PMI ne disposent pas toujours d’une direction du personnel ou de services juridiques qui en maîtrisent toutes les subtilités. Certaines préfèrent donc s’en remettre aux conseils d’un avocat sans attendre que surgissent d’éventuelles difficultés. “Pourtant, les avocats spécialistes de ce domaine sont encore insuffisamment nombreux, souligne Bruno Marcus, et dans un contexte économique difficile les entreprises privilégient souvent la rentabilité immédiate au détriment d’une stratégie à plus long terme”. Soumises à une forte concurrence, elles sont par¬fois obligées d’embaucher vite et à moindre frais, quitte à s’apercevoir ensuite qu’elles ont négligé quelques précautions élémentaires. La première consiste à vérifier le titre de séjour du candidat. Présente-t-il une mention résident, étudiant, visiteur ou salarié ? A chacune d’entre elles correspond, en effet, un régime particulier. Pour le résident, il suffit de conserver une photocopie de sa carte et de vérifier son renouvellement tous les 10 ans. L’étudiant, en revanche, ne peut exercer d’activité professionnelle que s’il obtient une autorisation provisoire de travail (valable jusqu’à 20 heures par semaine) et les visiteurs s’engagent à ne pas travailler sur le territoire sauf si leur activité n’est pas soumise à autorisation. C’est le cas des professions libérales (architectes, médecins, enseignants…), chercheurs, guides, interprètes, cadres détachés en France par une entreprise étrangère, intermittents du spectacle… Concernant la carte de séjour mention “salarié”, il faut savoir qu’elle est valable un an et limite par¬fois les possibilités d’embauche à un secteur d’activité et/ou à une région déterminés. Si l’étranger est entré sur le territoire avec un visa long séjour en vue d’obtenir une carte de séjour mention “salarié” (pour certains pays, un visa court séjour de trois mois suffit), l’employeur doit remplir un contrat OMI et le transmettre à la DDTEFP qui opposera ou non la situation de l’emploi. Pour éviter un refus, notamment quand il s’agit de candidats atypiques, mieux vaut spécifier, de façon très détaillée, la nature du poste et les compétences requises, en joignant au contrat une lettre d’accompagnement. Plutôt que de se référer aux catégories assez rigides de l’ANPE, l’administration effectuera ainsi une recherche plus approfondie et reconnaîtra sans doute que les commerciaux parlant couramment arabe, français et anglais ne sont pas légion en Seine-Saint-Denis.

Mission presque impossible pour les avocats

logo-liberation-311x113 propos recueillis par Dominique Simonnot, 28/10/1993

La tâche des avocats chargés de défendre les candidats au droit d’asile devient «de plus en plus compliquée». Même pour les cas qui semblent irréfutables.

Spécialistes du droit d’asile, les avocats que nous avons interrogés parlent ici des difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur métier.

FRANÇOIS DANTEC. Je considère que l’asile politique n’est pas un droit C’était une philosophie. C’était accepter un petit désordre chez nous pour éviter une injustice chez les autres. La conception française du demandeur d’asile a évolué pour des raisons purement économiques. Mon but c’est de faire comprendre qu’un fonctionnaire zaïrois, un paysan angolais – qui, pour l’un, perd son emploi s’il critique son gouvernement ou, pour l’autre, ne peut pas travailler sous les bombes – ne sont pas simplement des réfugiés économiques.

ALAIN MIKOWSKI. J’ai le sentiment d’une nasse qui se resserre. Au départ, on avait un texte généreux et, au fil des ans, avec de plus en plus de précision, les règlements, la jurisprudence, les textes se referment. L’objectif est atteint. Il y a quelques années, j’avais beaucoup de clients turcs et il n’y en a plus. Les gens ne demandent même plus le statut et restent en France comme clandestins. Quand je suis en forme, c’est la colère, et quand je suis fatigué, c’est la déprime.

STEPHANE MAUGENDRE. Le climat était déjà difficile sous les gouvernements précédents, mais il s’est considérablement durci avec les lois Pasqua. Le discours est passé chez les policiers mais aussi chez certains magistrats, je le constate quotidiennement. On sait qu’on a un bon dossier, que ça se tient et, face à nous, on a un mur. Mais le pire, c’est lorsqu’un client arrive avec un dossier mal préparé au départ. Rejeté par l’Ofpra, le requérant le sera aussi par la Commission des recours, et la demande de réouverture est quasi impossible car les conditions en sont extrêmement strictes: il faut des faits nouveaux et non des preuves nouvelles, sans relation avec ceux dont on a argué au début.

JEAN-JACQUES DE FELICE (avocat, vice-président de la LDH, membre du conseil d’administration de France- terre d’asile et de la Cimade). Le droit d’asile est un droit très particulier qui doit vivre et s’étendre, il porte en lui des valeurs de solidarité, d’accueil et de compréhension fraternelle devant d’extraordinaires détresses. Il est né et a été réglementé après la victoire sur le fascisme, son histoire n’est donc pas neutre. Il est désolant qu’une modification de la Constitution française soit engagée pour le restreindre, ce qui veut dire qu’on le restreint avec solennité. Les attaques qu’il subit ne me surprennent pas, un praticien de la défense des étrangers voit tous les jours et dans beaucoup de domaines – le logement, la prison, les expulsions- les conséquences d’un état d’esprit qui a peu à peu modifié nos textes.

SIMON FOREMAN. On est très loin de l’image «noble» du réfugié, les demandeurs d’asile sont absolument dé-considérés et leur défense se complique de plus en plus. Les juges de la Commission des recours ont intégré la notion de fraude et ont totalement inversé la charge de la preuve qu’ils laissent aux requérants. En ce qui concerne les déboutés, l’hypocrisie est énorme: ni statut ni reconduite à la frontière. Tous les trois mois, il y a une nouvelle nationalité dont on décide de ne plus reconduire les ressortissants à la frontière (Zaïrois, Tamouls, Guinéens, ex-Yougoslaves…), mais on refuse de rouvrir leur dossier, c’est-à-dire qu’on les I maintient dans l’illégalité.

SYLVIA LAUSSINOTTE. Je suis d’un pessimisme intégral déjà depuis  un certain temps. A la limite, il n’y a plus de défense possible, excepté pour une élite qui, de toute façon, serait assurée d’obtenir le statut Les derniers dossiers que j’ai traités concernaient des Cubains. Pour l’une, signalée par les ONG, il s’agissait de la faire sortir de son pays. Le ministère des Affaires étrangères avait assuré qu’il examine¬rait le dossier pour éventuellement l’aider ou lui donner un visa de la-bas. Mais rien. On se heurte à la raison d’État, aux relations politiques inter¬étatiques.

GILLES PIQUOIS. Il y a un fossé entre le discours politique, les textes et les applications pratiques qui en sont faites. On aboutit au traitement toujours plus rigoureux des dossiers. Comme avocat, on a une espèce de sentiment d’impuissance dans la me¬sure où la quasi-totalité des demandeurs d’asile proviennent de pays dont il est impossible de dire qu’ils respectent les standards minimaux des droits de l’homme. Les perspectives d’avenir dans le cadre de la prochaine application des accords de Schengen font qu’on s’oriente vers des dossiers échappant à tout contrôle judiciaire pour dépendre davantage d’autorités administratives sans réelle défense possible.

L’alibi

index  Alain Vogelweith  secrétaire général du Syndicat de la magistrature et Stéphane Maugendre, membre du bureau national du Syndicat des avocats de France., 07/07/1993

L’institution judiciaire n’a jamais véritablement assumé son rôle constitutionnel de gardienne des libertés. Mais, aujourd’hui, les projets du premier ministre, ou plus exactement de M. Pasqua, lui dénient totalement ce rôle pour la cantonner à celui de l’alibi, nous rappelant en cela une des périodes les plus sinistres de notre histoire. La magistrature et le barreau auront-ils le sursaut d’honneur qui leur fit alors défaut ? Les méprisables et dangereuses surenchères d’un certain Alain Marsaud, nouveau député et ancien magistrat, et le silence des avocats ne peuvent que nous en faire douter.

Justice alibi, d’abord parce qu’elle se trouve privée de la plupart de ses outils de contrôle de l’action policière, ensuite parce que ses moyens coercitifs ne sont renforcés que dans le but de servir une administration dont les désirs et besoins répressifs sont crois sants. La réforme des contrôles d’identité que l’on croyait impossible dans un sens plus répressif depuis que le législateur de 1986 avait repris mot pour mot les dispositions de la scélérate loi «sécurité et liberté» d’Alain Peyrefitte, que la gauche socialiste sans le moindre état d’âme avait maintenue, constitue une réponse à une des rares jurisprudences protectrices des libertés de la Cour de cassation. Loin de nous l’idée d’opposer le juge au législateur, mais il est légitime de penser qu’une liberté aussi fondamentale que celle d’aller et venir est pour toutes les institutions de l’État une référence intangible.

Les contrôles d’identité échapperont au droit, car ce n’est pas du droit que le législateur produit mais un outil incontrôlable, y compris pour tous ceux qui seront amenés à l’utiliser. Un outil dangereux pour la paix civile, par l’exacerbation qu’il va provoquer du sentiment d’exclusion dont souffre déjà la population de bon nombre de banlieues et quartiers.

Et ce ne sont pas les timides et tardives protestations de Pierre Méhaignerie et Simone Veil qui y changeront quelque chose… Surtout, lorsque celles-ci ne portent que sur un amendement qui, certes, incite Clairement à la discrimination raciale mais a au moins le «mérite» de faire apparaître au grand jour la vraie nature de toute cette réforme.

Enfin, précaution ultime, presque surabondante, du législateur : les contrôles d’identité, que quelques juges facétieux seraient encore tentés de déclarer illégaux, à la demande d’avocats perturbateurs, ne seront plus des causes de nullité des procédures subséquentes. L’illégalité sans sanction en quelque sorte. En matière de mariage, les officiers d’état civil neseront plus sous le contrôle du parquet et ce dernier plus sous celui d’un tribunal.

Exit le contrôle du tribunal, et les parquets se heurteront au nouveau pouvoir de certains maires qui s’arrogeront la faculté de surseoir à la célébration des mariages et disposeront des moyens de pression pour contraindre le procureur à effectuer des enquêtes.

Traquer l’étranger

La finalité de tout cela n’étant évidemment pas de faire obstacle au mariage de complaisance mais de traquer l’étranger et, par le biais de procédures administratives parallèles,d’obtenir à terme son expulsion, rendant ainsi impossible la célébration du mariage, et ce, malgré la sincérité des consentements.

Les commissions départementales de séjour des étrangers, composées de magistrats judiciaires et administratifs et devant lesquels les droits de la défense s’exercent contradictoirement, ne constitueront plus un filtre à des décisions arbitraires des préfectures, puisque leurs avis, devenus purement consultatifs, ne seront même plus sollicités pour les cas les plus délicats de délivrance ou de renouvellement des titres de séjour.

Bafouées les libertés d’aller et venir ou de se marier, bafoué le droit au respect de sa vie privée et familiale,impuissants tous ceux, magistrats et avocats, dont la mission – quoi qu’en pensent nos parlementaires – est dans un État de droit de garantir et faire respecter les libertés fondamentales. Non seulement la justice contrôlera moins que jamais l’action policière mais elle se voit assigner une nouvelle mission : relayer cette dernière.

Au sortir des dictatures de Franco et de Salazar, l’Espagne et le Portugal avaient permis et exigé la présence de l’avocat durant la garde à vue. Au sein de la CEE, la France, la dernière (à l’exception de la Belgique), sous la pression des condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’état du droit européen, a fini, le 4 janvier 1993, par permettre la venue de la défense dans les commissariats. Demain, cette garantie, ce droit pour une partie accusée ne s’exercera qu’avec l’autorisation de la partie adverse, l’accusation. Après-demain, les avocats ne seront-ils plus que des commissaires du gouvernement?

La création d’une mesure de rétention de trois mois que le tribunal correctionnel sera obligé de prononcer à l’encontre d’un étranger est aussi l’illustration la plus parfaite et la plus cynique de cette justice-relais. Il s’agit, ni plus ni moins, de valider la création de véritables camps d’internement où seront parqués, dans des conditions précaires, des étrangers, dans l’attente de leur trouver un avion ou un charter… ou plutôt, économie oblige, un train. Magistrats devenus des distributeurs automatiques de peines et avocats devenus les pantins de l’accusation.

Tous ces aspects de l’instrumentalisation du judiciaire comportent un point non seulement commun mais central, une volonté forcenée de répression. Le gouvernement Pasqua-Balladur la justifie par l’urgence, l’urgence de l’«immigration zéro», l’urgence de la lutte contre les clandestins et les toxicomanes.

Or, au-delà de l’immense responsabilité que prend le gouvernement d’une montée inéluctable du racisme, deux choses sont d’ores et déjà certaines : elles seront inefficaces et créeront des clandestins, ceux justement que l’on entend chasser.

Pour Charles Pasqua, la justice n’est qu’une empêcheuse de tourner en rond et les obligations nées de l’État de droit de sombres complots d’intellectuels ou de gauchistes. Il se trouve simplement que les  conceptions de ce ministre ne sont pas les nôtres, ni celles de tout démocrate.

Si de telles conceptions devaient l’emporter, nous ne pourrions qu’appeler à la désobéissance civique. Avocats et magistrats seraient évidemment les premiers concernés, mais notre appel s’adresserait à chaque citoyen pour qui la démocratie ne repose pas forcément sur les errements d’une majorité.

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Expulsions : les failles du système

images fig Marie-Amélie Lombard, 15/04/1993

_DSC00334/5 des mesures de reconduction aux frontières des étrangers en situation irrégulière ne sont pas exécutés. Explications.

Un filon pour les immigrés, un créneau pour le nouveau gouvernement. Ce sont les reconduites à la frontière des étrangers en situation irrégulière. Près de 43 000 mesures ont été prononcées l’an dernier, moins de 9 000 exécutées (1). Au vu et su des autorités, ces clandestins restent en France et alimentent la polémique sur une immigration mal maîtrisée. Hier, au cours d’une communication sur la sécurité en Conseil des ministres, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, a jugé que l’immigration clandestine avait « sa part dans la délinquance, dans la dégradation constatée aujourd’hui », en soulignant que les « 4/5 des mesures de reconduction n’étalent pas exécutés ». Voici pourquoi.

L’épicier arabe du coin peut un jour embarquer dans un avion encadré par deux policiers, destination Alger. Il aura fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière parce que son fonds de commerce ne lui rapportait même pas le Smic, qu’il l’avait acheté comme prétexte pour obtenir un titre de séjour en France et que la Préfecture s’en est aperçue. Un vrai faux commerçant.

Environ deux tiers des reconduites à la frontière ont ainsi pour origine un arrêté préfectoral. Ce sont les déboutés du droit d’asile, les touristes, dont le visa a expiré, l’imam autoproclamé par sa petite communauté mais dont les ressources sont insuffisantes, l’étudiant togolais qui additionne les redoublements à l’université.

L’autre tiers est frappé d’une interdiction du territoire pour séjour irrégulier, mesure judiciaire. Autant de cas particuliers qui choisissent de passer dans la clandestinité pour rester.

L’arrêté de reconduite pris, l’administration dispose d’un délai de sept jours pour agir. L’étranger, quand il est interpellé, est alors placé dans un centre de rétention administrative (douze aujourd’hui en France). En région parisienne, le plus vaste est celui du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) où 6 000 personnes ont séjourné l’an dernier. Le plus décrié – du moins par les étrangers – est le dépôt de la Préfecture de police de Paris, 3, quai de l’Horloge.

Objectifs contradictoires

C’est là que l’étranger va souvent tout tenter pour échapper à la reconduite. C’est là que convergent toutes les, rumeurs, les incompréhensions, les démêlés avec l’administration ou la justice. C’est là qu’intervient la Cimade (Comité intermouvements auprès des évacués), association chargée de veiller « au respect de la dignité » pour les reconduites. Or, entre Cimade et autorités, les objectifs sont évidemment contradictoires et les relations tendues. Ainsi, l’association va conseiller l’étranger, lui indiquer les voies de recours dont il dispose, et finalement tout faire pour lui éviter le retour au pays. De leurs côtés, les autorités ont un but : mettre l’étranger dans un avion avant l’expiration du délai.

Seuls 8 % des arrêtés de reconduite sont contestés par les étrangers devant le tribunal administratif. Motifs le plus souvent invoqués : soit les risques encourus dans le pays d’origine pour les déboutés du droit d’asile, soit des attaches familiales et sociales solides en France. Par exemple, l’immigré qui vit avec une femme française dont il a un enfant. « La majorité des décisions nous est favorable », indique Martine Viallet à la direction des libertés publiques du ministère de l’Intérieur. » Les étrangers ne sont pas en mesure de connaître leurs droits, les autorités se débrouillent pour qu’ils les ignorent », reproche la Cimade qui soulève des problèmes pratiques. Au dépôt du quai de l’Horloge, une seule cabine téléphonique à pièces, des difficultés pour communiquer avec les – retenus », enfermés dans une cellule.

Entre retenus, on se transmet des tuyaux, le plus souvent percés, on se recommande le refus d’embarquer dans l’avion, le prétendu nec plus ultra pour rester sur le sol français. «Je ne vends pas du vent, je refuse de prendre certains dossiers indéfendables. Il y a des cas où je ne peux rien faire. La seule « ficelle » a utiliser, c’est le droit, qu’il faut connaître sur le bout des doigts », raconte Me Stéphane Maugendre (avocat), qui travaille avec plusieurs associations de défense des immigrés.

Moins de trente ans

Profil type du  « pensionnaire » du centre de rétention selon la Cimade : presque toujours un homme, les trois quarts ont moins de trente ans, 12 % sortent de prison après avoir purgé une peine pour séjour irrégulier, 6 % pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Les nationalité concernées, en ordre décroissant : l’Algérie, la Turquie. le Maroc, le Mali, le Zaïre, la Tunisie, le Sénégal, la Roumanie.

Seulement 20 % des reconduites sont exécutes Pourquoi ? Tout d’abord, dans 42,7 % des cas,  parce que le autorités sont dans  l’incapacité de détecter et/ou d’interpeller l’étranger en situation irrégulière », selon la formule du ministère de l’Intérieur. C’est l’épicier arabe qui met la clef sous la porte et s’évapore dans la Goutte-d’Or, l’étudiant togolais qui, se sachant recherché (toute personne frappée d’une mesure de reconduite entre dans le fichier des personnes recherchées), ne se présente plus aux guichets de l’administration.

Deuxième raison : le bataillon des « sans-papiers » (28.5 %), qui ont le plus sou*vent détruit volontairement leur passeport. En principe, le fait d’étre sans papiers est passible de poursuites pénales (6 mois à 3 ans de prison) mais, dans la pratique, selon le ministère de l’Intérieur, seul le tribunal de Montpellier prononce des condamnations. Aux policiers, et surtout aux interprètes, de découvrir la nationalité à partir des accents, des idiomes employés. Le pays d’origine doit alors reconnaître son ressortissant et lui délivrer un laissez-passer et, là, c’est le bon vouloir des consulats qui prime. La Turquie les dé¬livre allègrement tandis que la Chine, le Maroc et l’Algérie s’y refusent obstinément. Pour le Zaïre, tout dépend de l’humeur du moment.

Refus d’embarquer

Troisième explication, le manque ou l’absence de places dans les avions (8,3 %) et enfin, tout le reste (20,5 %), comme par exemple, les refus d’embarquer, passibles de la même peine que les sans papier. C’est la scène du reconduit qui s’accroche à la passerelle pour ne pas monter dans l’avion. Devant tant d’agitation, le commandant de bord refuse souvent – c’est son droit – d’embarquer le récalcitrant. Pour toutes ces raisons, passé le délai de sept jours, l’étranger, retenu dans un centre, est relâché, bien que toujours en situation irrégulière. Le coût moyen d’une reconduite effectuée, billet d’avion compris, a été estimé à 30 000 francs.

Actuellement, le ministère de l’Intérieur, affichant une volonté de fermeté, mais conscient que la marge de manœuvre est étroite, réfléchit aux aménagements possibles. A des contrôles d’identité permettant de mettre la main sur les irréguliers et à des négociations avec les pays d’origine, notamment le Maghreb, faisant aujourd’hui obstacle aux reconduites. En l’occurrence, un moyen de les faire «plier» consisterait à leur diminuer l’aide financière, mal¬gré les obstacles diplomatiques. Selon un partisan de l’efficacité, « ce sont d’abord ces deux verrous qui doivent sauter ».

(I) Les reconduites à la frontière sont différentes des expulsions (mesures ministérielles, environ 500 par an) et des interdictions du territoire prononcées comme peine « complémentaire » quand l’étranger a été condamné pour infraction à la législation sur les stupéfiants ou proxénétisme.

La  » zone de transit  » devant le tribunal de grande instance de Paris L’Etat est condamné pour voie de fait sur des étrangers

index , Philippe Bernard, 27/03/1992

La tribunal de grande instance la Paris a Jugé, mercredi 25 mars, que le ministère de l’intérieur avait porté gravement atteinte à la liberté» de six demandeurs d’asile en les retenant, plusieurs jours durant, dans l’aéroport de Roissy, puis à l’hôtel Arcade, en dehors de toute légalité, L’État a été condamné à payer au total 33 000 francs de dommages et intérêts aux intéressés, ainsi que 1 franc symbolique au Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI). Cette décision affirme l’illégalité de l’actuelle zone internationale où sont placés les étrangers non admis sur le territoire. C’est pour légaliser cette pratique sous le nom de «zone de transit» que le ministère de l’intérieur avait fait adopter l’« amendement Marchand », que le Conseil constitutionnel a censuré le 25 février dermier.

La «zone internationale» est une «zone de non-droit» et la police ne peut y retenir un étranger, sauf à être condamnée pour «atteinte à la liberté individuelle». Telle semble être la conséquence, lourde dans la pratique, de la décision du tribunal de grande instance de Paris. Les juges ont estimé, en effet, que le maintien d’un étranger à l’hôtel Arcade de Roissy, « en raison du degré de contrainte qu’il revêt et de sa durée – laquelle n’est prévu par aucun texte et dépend de la seule décision de l’administration, sans le moindre contrôle Judiciaire, – a pour conséquence d’affecter la liberté individuelle de la personne qui en fait l’objet».

L’affaire concernait une Zaïroise et cinq Haïtiens qui, à l’automne dernier, n’avaient pas été admis en France. La police de l’air et des frontières (PAF) avait préparé leur refoulement vers Kinshasa et Port-au Prince. Mais, demandant a bénéficier du droit d’asile, ils avaient été retenus dans une salle de aéroport Charles-de-Gaulle, puis au premier étage de l’hôtel Arcade, loué à cet effet par le ministère de l’intérieur, en attendant l’examen de leur demande. Si l’«atteinte au droit d’asile», que certains invoquaient, n’a pas été retenue par le tribunal au motif que le refoulement n’avait pas été exécuté, les juges ont, en revanche, analysé en détail les conditions de rétention, avant de reconnaître que «l’atteinte à la liberté Individuelle» constituait une « voie de fait ».

Les magistrat ont constaté que les étrangers retenus à l’hôtel Arcade sont placés sous la surveillance de la PAF et sont logés «dans des chambres dont les fenêtres sont condamnées» avec interdiction de quitter le premier étage, dont le couloir est fermé par une porte verrouillée et «gardée par la police, qui empêche toute entrée ou sortie non autorisée par l’administration».

Le tribunal ajoute que les intéressés «ne bénéficient pas des droits reconnus par la loi mais seulement de ceux qui leur sont octroyés, à sa discrétion, par l’autorité administrative (…)». Il rejette l’argument du ministre de l’intérieur qui soutenait que cette privation de liberté consistait seulement en une interdiction d’entrer en France. La décision relève qu’aucun texte, national ou international, ne confère «une quelconque extra-territorialité à tout ou partie des locaux de l’hôtel Arcade, situé (…) hors de l’enceinte de l’aéroport», ce qui relève d’une «fiction juridique».

La décision d’un magistrat d’autoriser à porter une telle affaire devant un tribunal civil (le Monde du 28 février) devait conduire logiquement à la condamnation de l’État, puisque aucun texte n’a jamais autorisé la création de la « zone internationale ». La teneur prévisible de ce jugement avait d’ailleurs été pour ainsi dire annoncée par le Ministre de l’intérieur, M. Marchand, lorsqu’il avait déposé in extremis un amendement légalisant cette pratique, pour tenter de prévenir les conséquence d’un condamnation de son administration. On connaît le sort qu’a réservé le Conseil constitutionnel à ce texte, non pour des raisons tenant au principe même d’une «zone de transit», mais parce que le texte gouvernemental laissait les mains libres à la police pendant vingt jours, délai que le Conseil n’a pas jugé « raisonnable ».

Le jugement présent, s’il empêche le ministère de l’intérieur de maintenir les étrangers non admis à Arcade et le prive donc d’un moyen efficace de filtrer les entrées, ne laisse cependant pas l’administration démunie. L’ordonnance de 1945 sur les étrangers lui permet, en effet, de maintenir ces personnes dans les centres de rétention existant sur tout le territoire « s’il y a nécessité absolue » Le texte prévoit le contrôle du juge judiciaire au bout de vingt-quatre heures et la limitation à sept jours, total, de la durée de cette rétention tout à fait légale celle-là.

⇒ Voir l’article

Zones de transit: l’État condamné à payer des dommages et intérêts.

logo-liberation-311x113 Marie-Laure Colson, 26/03/1992

Le tribunal de grande instance de Paris a estimé qu ’en retenant six étrangers, cinq Haïtiens et une Zaïroise, à l’hôtel Arcade de Roissy, le ministère de l’Intérieur avait affecté leur liberté individuelle.

Devant le Parlement ou le tribunal, Philippe Marchand a décidément bien du mal à faire valoir sa conception de la zone de transit. Alors que le ministre de l’Intérieur s’apprête à présenter un nouveau projet de loi —le précédent ayant été rejeté par le Conseil constitutionnel — définissant les conditions sous lesquelles certains étrangers arrivant par avion pourraient être retenus à proximité des aéroports, le tribunal de grande instance de Paris (TGI) vient de condamner l’État français à verser un total de 33000 francs de dommages et intérêts à six étrangers qui avaient fait l’expérience, en novembre 1991, de ce qui n’est pour l’instant qu’une pratique administrative.

La décision rendue par la présidente du TGI, Jacqueline Cochard est exemplaire en ce qu’elle juge pour la première fois sur le fond, au travers de ce procès, d’une question difficile: le traitement des quelque 10 000 voyageurs bloqués chaque année aux frontières aériennes, soit qu’ils ne disposent pas de papiers en règle, soit que la police de l’air et des frontières juge qu’ils cherchent à détourner la procédure de la demande d’asile. En attendant que chaque dossier soit étudié et que le ministère de l’Intérieur décide d’autoriser ou non l’entrée sur le territoire, les étrangers sont actuellement retenus dans un hôtel à proximité de l’aéroport d’arrivée. Les six étrangers dont l’affaire était jugée hier, cinq Haïtiens et une Zaïroise, ont ainsi passé plusieurs jours, voire plusieurs semaines, à l’hôtel Arcade de Roissy, considéré pour l’occasion comme zone de transit. Considérant qu’il s’agissait d’une séquestration arbitraire, ils ont, sur les conseils de leurs avocats et du Gisti, une association de défense des droits des étrangers, assigné le ministre de l’Intérieur pour voie de fait. A noter en passant que sur ces six demandeurs d’asile, à qui l’on a commencé par refuser l’entrée en France, trois ont été depuis officiellement reconnus comme réfugiés politiques.

Le ministre n’est certes pas directement condamné, la plainte à son encontre ayant été jugée irrecevable. C’est l’agent judiciaire du Trésor, l’agent payeur de l’État, qui assurera la réparation financière de l’injustice faite aux plaignants. Car injustice il y a, et, le tribunal est clair sur ce point, elle est de la responsabilité du ministre de l’Intérieur : s’il est de son pouvoir I de refuser l’entrée sur le territoire, écrit Jacqueline Cochard pour motiver son jugement, ces étrangers ont été retenus hors des conditions définies par la loi. pour une durée indéterminée, avec pour seuls droits « ceux qui leur sont octroyés, à sa discrétion, par l’autorité administrative ».

La présidente rappelle, non sans une certaine malice, que le ministre lui-même avait jugé, dans une note relative à la nécessité d’instituer une zone de transit, que les conditions y sont essentiellement «précaires et incertaines». Le tribunal pose un premier principe : « En l’état, cette zone qui constitue une fiction juridique ne saurait être soustraite aux principes fondamentaux de la liberté individuelle. »

Reprenant le descriptif des avocats de l’accusation, le tribunal a jugé que retenir des étrangers dans des chambres « dont les fenêtres sont condamnées », avec l’interdiction de quitter le premier étage de l’hôtel Arcade dont le couloir est fermé par une porte verrouillée et «gardée par la police qui empêche toute entrée ou sortie non autorisée par l’administration», constituait bien une voie de fait. Cette rétention s’exerce « sans le moindre contrôle judiciaire » et «a pour conséquence d’affecter la liberté individuelle de la personne qui en fait l’objet».

Cette liberté, inscrite dans la Constitution, ne peut être entravée qu’à titre exceptionnel, rappelle le juge, qui renvoie le ministre à l’ordonnance de 1945 sur l’entrée et le séjour des étrangers: l’intervention du président du TGI est obligatoire pour autoriser la prolongation d’une rétention au-delà de vingt-quatre heures. Ce qui n’est pas le cas actuellement, le ministre de l’Intérieur arguant qu’il n’y a pas rétention puisque les étrangers en zone de transit sont libres de reprendre l’avion… Se réservant le droit de faire appel, Philippe Marchand a estimé hier que ce jugement venait justifier «a posteriori» son «projet de légiférer sur la zone de transit pour mettre fin à cette situation de non-droit ».