Des avocats dénoncent les subterfuges juridiques des responsables du dépôt des étrangers à Paris

index Nathaniel Herzberg, 30/03/1995

Une note de service qui donne des instructions «pour tromper les juges» est mise en cause

Le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France devaient citer à comparaître, mercredi 29 mars, le chef du bureau chargé de l’éloignement des étrangers à la préfecture de police de Paris pour « abus d’autorité ». Les deux organisations lui reprochent d’avoir, dans une note de service, donné des instructions pour « tromper les juges » sur le lieu de rétention des étrangers frappés d’un arrêté de reconduite à la frontière.

LA BONNE MARCHE de l’administration autorise-t-elle que l’on bafoue les règles de droit ? Le Syndicat de la magistrature (SM) et le Syndicat des avocats de France (SAF) poursuivent le chef du bureau chargé de l’éloignement des étrangers à la préfecture de police de Paris, pour «abus d’autorité». Les deux organisations reprochent à Daniel Monedière de violer sciemment la loi en faisant passer, auprès des magistrats parisiens, les étrangers retenus au centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) pour des «pensionnaires» du tristement célèbre dépôt des étrangers de Paris. Une manœuvre destinée à «gérer» le flux considérable d’étrangers passant par le centre et sans laquelle nombre d’entre eux devraient être remis en liberté.

Au départ, une simple question de compétence territoriale: lors-qu’un étranger interpellé sans papiers fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, la police le place en rétention. Vingt-quatre heures d’abord, puis, après passage devant le juge délégué, six jours supplémentaires. Il est alors conduit dans un centre de rétention. En région parisienne, cela peut être le dépôt de Paris, son annexe du bois de Vincennes, ou encore le centre du Mesnil-Amelot, près de l’aéroport de Roissy. Avant 1993, la police devait avoir organisé son rapatriement dans ces délais. Mais, depuis le vote de la loi Pasqua d’août 1993, l’administration dis-pose d’une nouvelle prolongation de trois jours encore contrôlée par le juge. C’est là que tout se corse.

Le décret du 13 juillet 1994 prévoit que «le» juge en question soit celui du département dans lequel se trouve le centre de rétention. Pour le Mesnil-Amelot, tout devrait donc se dérouler au tribunal de Meaux. L’usage voulait toutefois que les étrangers soient présentés à Paris, où le nombre de magistrats est beaucoup plus important et où la préfecture dispose d’un permanencier à même de défendre le point de vue de la police. Du coup, les gendarmes du centre amenaient eux-mêmes les étrangers retenus à l’audience. Jusqu’à ce qu’en septembre 1994 un avocat soulève l’incompétence du juge délégué. Surpris, ce dernier ne pouvait que lui donner raison. Sa décision était confirmée par la cour d’appel deux mois plus tard.

La préfecture de police décide de tourner la difficulté. Le 15 décembre, Daniel Monedière envoie une note au commandant du Mesnil-Amelot. «Afin d’éviter que les avocats des étrangers concernés ne demandent au juge de se déclarer incompétent (…), il est devenu d’usage de faire transiter par le centre de rétention de Paris les étrangers en provenance du Mesnil-Amelot De cette manière, un ordre d’extraction du dépôt est émis et les étrangers sont conduits à l’audience comme s’ils étaient retenus au dépôt ».

Comme si… L’opération consiste généralement à faire passer la porte du dépôt aux étrangers, à les fouiller, et à les faire ressortir en direction de la salle d’audience.

« MISE EN SCÈNE »

Opération si factice que M. Monedière invite son collègue à prendre ses précautions : « Afin d’éviter toute ambiguïté, il importe toutefois que les gendarmes du Mesnil-Amelot ne soient pas présents à l’audience, les étrangers étant placés pendant la durée de celle-ci sous la responsabilité des gendarmes du Palais de justice. Aussi je vous serais obligé de donner toutes instructions pour que l’escorte en provenance du Mesnil-Amelot attende dans les locaux du centre de rétention que les étrangers leur soient ramenés après leur passage devant le juge. »

Pour le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France, cette note « est ouvertement destinée à bafouer les droits de la défense (…) en évitant que les avocats ne fassent valoir un moyen de droit ». Pis, elle organise un détournement de la loi « en mentant aux magistrats délégués en créant l’illusion de la compétence territoriale de Madame le président du tribunal de grande instance de Paris ». Dénonçant cette « mise en scène », les organisations accusent M. Monedière d’«abus d’autorité contre la chose publique ».

Pour la préfecture de police, cette note est « nulle et non avenue ». «La personne qui l’a rédigée n’avait pas autorité pour le faire et nous l’avons annulée», affirme le directeur de la police générale, Jacques- André Lesnard. Pour donner corps à cette volte-face, les policiers ne disposent d’aucune nouvelle note. En revanche, une correspondance interne à la gendarmerie confirme qu’« il y a lieu de considérer que cette note n’a aucune existence ».

Toutefois, la pratique qui y est décrite est bien réelle. « Le tribunal de Meaux n’a pas la capacité d’ac¬cueillir les étrangers du Mesnil-Amelot, explique M. Lesnard. Par ail¬leurs, nous n’allons pas déplacer systématiquement à Meaux un représentant de la préfecture. Enfin, le préfet est maître du choix du lieu de rétention. » Quant à savoir si la po¬lice trompe les juge, il soupire : « Ce qui est important, c’est que l’étranger passe devant un juge délégué. Peu importe le lieu. »

Au tribunal de grande instance de Paris, on juge les termes de la note « assez effarants ». Quant à la pratique, que les juges ignoraient, semble-t-il, totalement, «elle n’est peut-être pas illégale, mais c’est un détournement ».

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