Archives de catégorie : reconduite à la frontière et OQTF

Le 4ème charter ou la banalisation des expulsions

InfoMatin, Christophe Dubois, 08/09/1995

Chose promise, chose due. Jean-Louis Debré, ministre de l’Intérieur, avait annoncé en août son intention de poursuivie « les opérations groupées de reconduite par avions affrétés». Objectif : doubler le nombre de reconduites à la frontière (soit 20000 expulsions) au moyen d’un charter par semaine.

Mercredi matin, ces mesures ont été mises une nouvelle fois à exécution : trente Africains (vingt Sénégalais, sept Ivoiriens, deux Cap- Verdiens et un Guinéen) ont été renvoyés chacun dans son pays. C’est le quatrième charter organisé sous le gouvernement Juppé (22 Roumains le 17 juin, 51 Tsiganes le 10 juillet et 43 Zaïrois le 18 juillet).

La Cimade, association de défense des étrangers, présente dans les centres de rétention, avait mercredi, un peu tard, détecté quelques regroupements d’étrangers. Embarqués à 8 h 26, les trente illégaux ont quitté l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle dans un Airbus A320 affrété par le ministère de l’Intérieur. « On ne va pas rester les bras croisés», assure Stéphane Maugendre (avocat), membre du Groupement d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti). De son côté, la Fasti (Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés) a protesté en appelant « à la plus grande vigilance et à la dénonciation de cette opération qui encore une fois n’honore pas le pays des droits de l’homme».

Le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) stigmatise une méthode « démagogique et dangereuse. Le gouvernement valide les thèses d’une extrême droite raciste et xénophobe qui fait de l’immigration son cheval de bataille». Malgré la convention européenne des droits de l’homme qui interdit les expulsions collectives, les charters sont juridiquement assimilés à des «reconduites individuelles d’étrangers prenant le même avion». Les associations posent la question de l’intérêt de ces actions. Le Mrap mentionne que, pour atteindre le nombre de 20000 éloignements par an, il faudrait organiser un charter par semaine… pendant sept ans. Pour ces organisations, une telle politique ne peut que décourager les étrangers qui voudraient régulariser leur situation. Ce n’est pas autrement que l’on fabrique des clandestins.

La préfecture de police de Paris contourne les lois sur l’immigration

index Nathaniel Herzberg, 26/11/1995

Pour reconduire à la frontière plus d’étrangers en situation irrégulière, des responsables policiers « oublient » les protections prévues par les textes ou utilisent des subterfuges, au grand dam de certains magistrats et avocats.

RETENTION : Des Magistrats et des Avocats mettent en cause certains procédés utilisés par la préfecture de paris pour reconduire à la frontière des étrangers en situation Irrégulière pourtant protégés par la loi ou par une décision de Justice. Ces accusations concernent les conditions d’interpellation et le contrôle de la rétention administrative.

PLUSIEURS PLAINTES ont été déposées contre des fonctionnaires accusés de violer ou de contourner la loi Pasqua sur l’Immigration. Répressif, ce texte contient cependant des garde-fous juridiques et procéduraux dont les défenseurs des droits de l’homme réclament aujourd’hui l’application.

UN ARRÊT de la cour d’appel de Paris ordonnant la remise en liberté d’un étranger en rétention a ainsi été bafoué. Sitôt cette décision prononcée, l’Intéressé a fait l’objet d’un nouveau placement en rétention.

La préfecture de police de Paris  transgresse-t-elle sciemment les lois sur rentrée et le séjour des étrangers afin de multiplier les reconduites à la frontière d’étrangers en situation irrégulière ? Cette question, que les avocats spécialistes du droit des étrangers posent avec insistance, se trouve au centre de plusieurs affaires examinées par le tribunal de grande instance de Paris. En l’es¬pace de quelques mois, deux plaintes ont en effet été déposées par des particuliers ou par des or-ganisations de défense des droits de l’homme à l’encontre de la pré-fecture de police de Paris. Une troisième le sera dans les tout pro-chains jours. Au palais de justice de Paris, magistrats et avocats se racontent « les dernières ruses du 8ème bureau [chargé de l’éloignement des irréguliers à la préfecture] pour contourner la loi ». « Il y a deux ans, on luttait contre les lois Risqua. Aujourd’hui, on se bat pour leur application », soupire l’avocat Alain Mikowski.

Conditions d’interpellation, contrôle de la rétention administrative, exercice du droit d’asile, protection des personnes non expulsables : les exemples pullulent. Comme si la priorité affichée par les gouvernements à la lutte contre l’immigration clandestine avait libéré l’administration de certaines réserves qu’elle s’imposait jusque-là. « Le ministre de l’intérieur veut des résultats, alors la préfecture de police fait du chiffre, sans se soucier du droit », accuse Jean-Claude Bouvier, secrétaire général du syndicat de la magistrature.

Les faits tendent malheureusement à lui donner raison. Le 30 novembre, le tribunal de grande instance de Paris examinera une plainte pour « abus d’autorité » déposée par le Syndicat de la magistrature (SM) et le Syndicat des avocats de France (SAF) contre le chef du 8ème bureau de la direction de la police générale. Les deux syndicats accusent Daniel Monedière d’avoir détourné sciemment la loi. Depuis août 1993, celle-ci prévoit en effet que, I l’issue des sept premiers jours de rétention la préfecture peut demander une prolongation de trois jours afin d’organiser le rapatriement.

Mais pas à n’importe quel juge délégué : le décret du 13 Juillet 1994 d’abord, puis la cour d’appel de Paris ont clairement donné compétence au juge du départe-ment où se trouve le centre. Les étrangers du centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), près de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, doivent donc être présentés au tribunal de Meaux. Mais cette jurisprudence n’arrange pas la préfecture car, à l’inverse de Paris, elle ne dispose pas à Meaux d’un permanencier capable de défendre chaque dossier. Le 15 décembre 1994, Daniel Monedière envoie donc une note au commandement du Mesnil-Amelot, dans laquelle il explicite la technique de contournement mise au point : « Afin d’éviter que les avocats des étrangers concernés ne demandent au juge de se déclarer incompétent, il est devenu d’usage de faire transiter par le centre de rétention de Paris les étrangers en provenance du Mesnil-Amelot. De cette manière, un ordre d’extraction du dépôt est émis et les étrangers sont conduits à l’audience comme s’ils étaient retenus au dépôt. » Comme si… Pour les syndicats plaignants, cette opération, qui consiste à faire passer la porte du dépôt aux étrangers, à les fouiller, puis à les faire ressortir en direction de la salle d’audience « est ou¬vertement destinée à bafouer les droits de la défense » (Le Monde du 30 mars). Pis, elle organise un détournement de la loi « en mentant aux magistrats délégués en créant l’illusion de la compétence territoriale de Madame le président du tribunal de grande instance de Paris ». A la préfecture, on plaide la nullité de la note en assurant que Daniel Monedière n’avait pas autorité pour la rédiger. Si la préfecture peut encore prétendre que «ce qui est important, c’est que l’étranger passe devant un juge, peu importe le lieu», la plainte déposée en mai dernier par Marie-Paule Dagbo risque de la placer dans une situation autrement embarrassante.

Le 16 juin 1994, cette Ivoirienne de vingt-deux ans en situation irrégulière a été convoquée à la préfecture. Depuis la naissance de Sandy, dix mois auparavant, elle a demandé une carte de résident et doit renouveler son récépissé tous les trois mois. Dès leur arrivée à la préfecture, elle et sa fille sont interpellées, puis conduites à l’aéroport Charles-de-Gaulle pour y être embarquées dans un avion à destination d’Abidjan.

N’est-elle pas parent d’enfant français et, à ce titre, protégée contre une expulsion ? Aucunement : un arrêté de reconduite à la frontière a été pris à son encontre le 17 janvier 1992, soit avant la naissance de son enfant. Mais pourquoi sa fille ? L’enfant n’est-elle pas « de nationalité française», comme en témoigne une note rédigée par le 8* bureau ? Le père, en situation régulière, ne peut-il pas en prendre la garde? Autant de questions qui restent sans réponse. A l’aéroport, Marie-Paule Dagbo se débat. Poursuivie pour « refus d’embarquer », elle est relaxée, le 16 novembre, par le tribunal correctionnel de Bobigny. Aujourd’hui, c’est elle qui poursuit deux fonctionnaires du 8ème bureau pour « atteinte à la liberté individuelle ».

De l’île Maurice, où il se trouve aujourd’hui, Abdool Qualek Fugurally s’apprête lui aussi à déposer plainte. Interpellé en situation irrégulière le 22 juin dernier, il a été conduit à la préfecture de police de Paris où il s’est vu remettre un arrêté de reconduite à la frontière. Le lendemain, il est placé en rétention au centre du Mesnil-Amelot. Le 29 juin, la préfecture de police, qui n’est pas parvenue à organiser son rapatriement, de-mande une prolongation de la rétention pour trois jours. Au juge délégué, le représentant de la préfecture plaide l’absence de passe-port. Le juge s’étonne : M. Fugurally n’a-t-il pas remis son passeport lors de son interpellation ? Il a été restitué au consulat de l’ile Maurice qui ne l’a pas encore renvoyé, assure la préfecture. Considérant que la faute n’en revenait pas à M. Fugurally, le juge délégué refuse de prolonger sa rétention et l’assigne à résidence à son domicile.

L’affaire semble réglée. En réalité, elle commence. Dans un courrier envoyé à l’avocat de M. Fugrally, Me Elisabeth Hamot, les autorités mauriciennes sont formelles: «L’ambassade, à aucun moment, n’a demandé la remise ni reçu, un passeport au nom de M. Fugurally. » Cet  » abus d’autorité » s’accompagne selon l’avocate, d’une « séquestration arbitraire ». A la sortie de l’audience, M. Fugurally est en effet raccompagné au centre de rétention de Vincennes, où ses affaires se trouvent alors. Selon l’ordonnance du juge, il doit être libéré à 13 heures. Mais sa libération n’interviendra jamais. En fin d’après- midi, Mme Fugurally apprend que son mari a été reconvoqué à 15 heures à la préfecture pour « réexamen de situation ». Son éloignement est « en phase d’exécution ». Le soir même, il décollera pour l’Ile Maurice.

Reste un problème: comment M. Fugurally, théoriquement libre à 13 heures, s’est-il rendu du dépôt de Vincennes à la préfecture de police, située dans l’ile de fa Cité, à Paris ? «Les circonstances ont voulu qu’un employé du 9ème bureau avec un véhicule de mon service se trouvait au centre de rétention, explique dans une lettre Jacques-André Lesnard, le directeur de la police générale, de sorte qu’il a proposé à M. Fugurally une place dans son automobile puisqu’il retournait dans les minutes qui suivaient à la Cité. » De l’ile Maurice, M. Fugurally raconte une tout autre histoire: c’est entre deux policiers en civil qu’il aurait quitté Vincennes pour « un commissariat» où il aurait attendu ensuite plusieurs heures, menotté dans une voiture. «j’ai montré les papiers signés par le juge pour ma libération mais, à mon grand regret. ils m’ont insulté en prétendant que c’étaient des foutaises. »

Trois affaires qui en annoncent d’autres. Ici, des décisions de justice non appliquées (lire ci-contre).  Là, des réfugiés politiques ou demandeurs d’asile que l’on ne s’abstient de reconduire dans leur pays d’origine qu’après interventions des organisations de défense des droits de l’homme (le Monde daté 19-20 novembre). Ces associations s’avouent écœurées de l’indifférence qui accueille leurs mises en garde. Me Alain Mikowski se voit une fois encore contraint de brandir ces lois Pasqua qu’il a tant combattues «Aussi répressives soient-elles, elle laissent encore une place au droit, soupire-t-il. Elles permettent même, dans de très rares cas, au étrangers d’obtenir gain de cause. Quand aujourd’hui on se permet de le rappeler, on nous rit au nez. »

Une décision de la cour d’appel de Paris bafouée

AU PALAIS de justice de Paris, l’affaire fait le délice des magistrats ; à la préfecture de police, elle provoque soupirs et haussements d’épaule. Sans le hasard des tableaux de permanence, personne n’en aurait pourtant jamais entendu parler tant elle semble au départ banale. Benadi Belgacem, un Algérien condamné pour vol, est frappé, le jour de sa sortie de prison, le 19 octobre, d’un arrêté de reconduite à la frontière. Immédiatement placé en rétention, Il voit cette mesure prolongée, le lendemain, par le juge délégué, selon une procédure des plus classiques. Comme la loi le lui permet, il fait cependant appel. La décision rendue par le conseiller Philippe Texier est tout autre. Constatant que la préfecture ne lui apporte pas de pièces permettant de prouver la réalité de la condamnation, « ni sur la fin de la peine ni, en conséquence, sur la régularité de la mise à disposition de Belgacem aux service de police », le magistrat prononce sa « mise en liberté immédiate ».

Au lieu d’exécuter cette décision, la préfecture de police ramène M. Belgacem au centre de rétention de Vincennes. Quatre heures plus tard, le chef du bureau chargé de l’éloignement signe une nouvelle ordonnance de placement en rétention. Le manège peut donc reprendre. Le lendemain, un nouveau juge délégué prolonge la rétention et Belgacem interjette encore appel. C’est là que la préfecture est frappée de malchance : le 26 octobre, le conseiller de permanence est à nouveau Philippe Texier.

Cette fois, l’audience est rapide. La délibération est identique à la première. Mais sa motivation est nettement plus fleurie. Sa précédente décision, n’a, souligne-t-il «été suivie d’aucun effet», puisque « Belgacem est resté en rétention en toute illégalité». Quant à toutes les ordonnances prises depuis lors par la préfecture, elles sont purement et simplement « illégales». Constatant que la préfecture a omis de signaler au second juge sa précédente décision, Philippe Texier écrit en conclusion : « Non content de violer une décision judiciaire, le préfet de police a tenté de tromper la justice en présentant un dossier incomplet ». La préfecture de police a décidé de se pourvoir en cassation.

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La riposte s’organise contre les charters

Info-Matin, Ch. D. et N. P., 21/07/1995

Pour les associations humanitaires, les charters, c’est inefficace, ça coûte cher et ça fabrique de l’erreur judiciaire. Un comité de vigilance est mis en place.

Une dizaine de représentants d’associations humanitaires et de défense des droits de l’homme (Cimade, Amnesty International, France terre d’asile, Mrap, etc.) se sont réunis hier matin pour élaborer une riposte à la politique d’expulsion collective des « étrangers en situation irrégulière. Quarante-trois Zaïrois ont ainsi été refoulés manu militari ce mardi dans un Airbus d’Air Charter.

Il s’agit de la quatrième expédition gouvernementale de ce genre depuis décembre 1993. Une procédure amenée à se développer, puisque le ministre de l’Intérieur a promis «un charter par semaine». Les associations ont installé hier un comité de vigilance pour contrer cette initiative.

Militants et avocats se sont mis d’accord pour «réunir le maximum d’informations sur ces opérations et établir un rapport». Autre riposte prévue : demander à une organisation non gouvernementale, comme Human Rights Watch ou la Fédération internationale des droits de l’homme, de mener une mission en France. Une autre possibilité serait une demande d’enquête parlementaire. Objectif : démontrer que l’expulsion massive et en urgence d’étrangers en situation irrégulière multiplie les risques de bavure. Pour preuve : le cas d’une mère zaïroise et de ses deux enfants qui ont failli être expulsés en toute illégalité : «On utilise des procédures en les détournant de leur but initial», s’insurge Stéphane Maugendre, avocat et membre du Groupement d’information et de soutien des travailleurs immigrés.

Un autre exemple : des réfugiés auraient été refoulés, alors qu’ils attendaient une réponse à leur demande d’asile. C’est sur des cas individuels que les associations entendent engager des procédures : «Nous voulons vérifier que la législation a été respectée», assure Jean-Jacques Massard, directeur de France terre d’asile. En attendant, les rumeurs de départ d’un nouveau charter continuent de circuler.

Dernier argument des opposants : les charters ne permettent guère de faire monter de façon significative les reconduites à la frontière. Et, de plus, ça coûte cher : Paris-Kinshasa en A320 revient à 36 000F l’heure (durée du trajet : 9 heures). Le prix de la dissuasion « musclée »…

« Ces méthodes sont dangereuses et opaques »

la-croix-logo propos recueillis par Antoins Fouchet, 20/07/1995

Stéphane Maugendre, Avocat, membre du Gisti (Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés)

Que pensez-vous des charters de clandestins?

Stéphane Maugendre : Il s’agit d’expulsions massives scandaleuses au niveau des principes et de l’organisation pratique.

— Scandaleuses au niveau des principes ?

— La Convention européenne des droits de l’homme interdit les expulsions collectives. Certes, à propos de l’affaire de l’expulsion des 101 Maliens en 1986, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé que les mesures d’éloignement du territoire français prises individuellement, mais exécutées collectivement, n’étaient pas contraires à ces dispositions de la Convention européenne. Mais, justement, au plan individuel, ces opérations sont porteuses d’atteintes à des droits élémentaires, comme celui de vivre en famille, qui est inscrit dans les conventions internationales signées par la France. Je ne vous citerai que le cas de Wumba N’Zaki, ce Zaïrois, marié depuis trois ans à une Française et papa d’un enfant français : expulsé par charter à Kinshasa, en mars dernier, Paris a dû, en fait, le rapatrier ensuite.
Expulser des immigrés vers leur terre d’origine peut, par ailleurs, être très risqué pour eux. Le Zaïre fait partie de ces pays sensibles où la violence est extrême. Ce genre d’opérations est inacceptable, moralement et humainement.

— En quoi l’organisation pratique de charters ne serait- elle pas digne?

— Les « bavures » existent. Nous avons été saisis, par le passé, de cas de violences et de molestations policières. De plus, ces opérations se déroulent dans le secret le plus absolu, de préférence tard le soir ou à l’aube. Les droits de la défense sont bafoués. Le processus judiciaire est cour-circuité. Et tout cela, sous l’apparence de la légalité.

Le système débouche sur des dérives inadmissibles. Ainsi, pour le charter du 18 juillet, deux enfants zaïrois, nés en France, et âgés respectivement de 11 et 27mois, ont été placés au dépôt de Paris durant vingt- quatre heures.

Ces méthodes sont trop opaques. Je souhaite qu’elles soient soumises à l’investigation de commissions d’enquête, créées à l’initiative d’organisations humanitaires nationales ou internationales, voire à l’initiative de parlementaires français.

Enfin, la solution des charters de clandestins me parait inefficace. Ce n’est pas elle qui permettra de régler le problème de l’immigration irrégulière.

Dépôt de Paris: l’appel du préfet après les 26 libérations

logo-liberation-311x113  Dominique Simonnot

Le préfet contestait la décision prise jeudi par un juge.

Décidément, il sera dit que, durant cette campagne électorale, seule Danielle Mitterrand se sera engagée pour protester contre les lois Pasqua. Mardi, elle visitait des étrangers sans papiers en grève de la faim et, vendredi, elle a débarqué sans prévenir au palais de justice de Paris. On y jugeait l’appel du préfet de police après la décision d’un juge de remettre en liberté jeudi 26 étrangers retenus au dépôt, dans les sous-sols du palais de justice (Libération du 21 avril). Elle est venue parce que «c’est terrible, les étrangers sont traités dans ces lieux comme des animaux. Ça me fait mal de savoir que la France a été condamnée par le Comité européen de prévention de la torture. C’est l’image de la France qui est en jeu.» Elle a souligné que, pour elle, «les lois Pasqua sont peu recommandables». Etait-ce le fait de sa présence ou de celle des journalistes et des caméras, l’audience n’avait pas lieu dans la minuscule mezzanine réservée habituellement au droit des étrangers. On avait ouvert les portes de la 13e chambre de la cour.

Devant le président Jean-André Collomb-Clerc, Mes Gérard Tcholakian, Stéphane Maugendre, Claire Freyssinet et Simon Foreman ont expliqué tour à tour les raisons de la décision du juge: «Les conditions immondes faites aux étrangers à quelques mètres sous nos pieds et qu’en tant que juge judiciaire, gardien des libertés, il était en droit de vérifier lui-même.» Une décision d’autant plus justifiée qu’il avait vu comparaître à son audience de jeudi un jeune homme, Minou Rama, le bras plâtré, le visage tuméfié, tenant à peine debout et pour qui le préfet demandait une prolongation de rétention de trois jours. Rappelant les plus récentes affaires du dépôt, une tentative de viol par un policier, un passage à tabac et un suicide, François Sottet, le juge, avait alors décidé d’aller constater sur place ce qui se passait au dépôt, mais le préfet s’était opposé à sa démarche en refusant l’accès des lieux aux avocats de Rama. «J’en tire toutes les conséquences de droit», avait alors décidé le magistrat en remettant en liberté Rama et les 25 autres étrangers qui lui ont été présentés dans la journée, «car le refus du préfet me laisse présumer qu’il se passe au dépôt des faits contraires à la Convention européenne des droits de l’homme».

C’est de ces ordonnances de mise en liberté qu’a fait appel le préfet. Selon ses arguments, le juge qui statue sur la rétention «intervient non pas en qualité de juge judiciaire dans la plénitude de ses fonctions mais dans un rôle limité, en qualité d’auxiliaire d’une procédure relevant du droit administratif». Cette assertion a fait bondir les avocats et les magistrats du Syndicat de la magistrature présents dans la salle, car elle reviendrait à dénier au juge «les pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution». C’est une thèse inverse qu’a développée l’avocat général, Bernard Delafaye. Dans un réquisitoire légèrement gêné, il a reconnu qu’une visite du parquet au dépôt le 29 mars dernier «a été insatisfaisante pour ne pas dire plus», mais il s’est pourtant lancé dans une étonnante défense en règle de la préfecture et du ministre de l’Intérieur, car, «si une amélioration est en cours au dépôt, c’est grâce à eux». Selon lui, le juge «n’était pas compétent pour apprécier les conditions matérielles dans lesquelles la rétention a lieu» et aurait, en agissant ainsi, commis un «détournement de pouvoirs». «Je vous rappelle qu’une décision de justice n’a pu être exécutée hier en raison de l’opposition d’un fonctionnaire de police, lui a rétorqué Me Gérard Tcholakian, et je dépose plainte cet après-midi pour connaître la position du parquet à ce sujet.»

La décision doit être rendue samedi.

En attendant, seul, parmi les syndicats de police, Différence (syndicat de la police nationale et personnels affiliés, minoritaire) dénonçait vendredi «le dépôt à la limite de l’explosion», tant pour «les conditions précaires d’hébergement des étrangers en rétention» que pour «les conditions de travail inacceptables de nos collègues». De source autorisée, on apprenait vendredi que le dépôt des étrangers de Paris serait fermé pour travaux début mai , date à laquelle les retenus seraient transférés dans les locaux de l’école de police de Vincennes

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Le chef du 8ème bureau de la préfecture de police de Paris passera en correctionnelle

logo-liberation-311x113 Dominique Simonnot, 30/03/1995

Le chef du 8ème bureau de la préfecture de police de Paris, chargé de l’éloigne-ment du territoire des étrangers, passera prochainement en correctionnelle pour « abus d’autorité »,après une citation directe du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature. Dans une note datée du 15 décembre 1994 et adressée au commandant du centre de rétention du Mesnil-Amelot, Daniel Monedière expliquait en effet une ruse qu’ il avait imaginée : « Il est devenu d’usage de faire transiter par le centre de rétention de Paris les étrangers en provenance du Mesnil-Amelot. » Ce qui permet, poursuit la note, de conduire les étrangers à F audience « comme s’ils étaient retenus au dépôt» de Paris. Il s’agit donc de les soustraire à la compétence du juge de Meaux, au profit de celui de Paris. Mais demeurait le risque que les avocats et les magistrats parisiens ne trouvent étrange la présence de gendarmes du Mesnil-Amelot et ne se demandent d’où viennent en réalité les étrangers qu’on leur présente. Pour parer au danger, la note précise ; « Afin d’éviter toute ambiguïté, il importe que les gendarmes du Mesnil-Amelot ne soient pas présents à l’audience… Aussi A… je vous serais obligé de  donner toutes instructions pour que Y… escorte en provenance du Mesnil-Amelot attende dans les locaux dut centre de rétention. » Pour les deux organisations syndicales, ces faits tombent sous le coup du nouveau code pénal, qui réprime « le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi ».

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Des avocats dénoncent les subterfuges juridiques des responsables du dépôt des étrangers à Paris

index Nathaniel Herzberg, 30/03/1995

Une note de service qui donne des instructions «pour tromper les juges» est mise en cause

Le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France devaient citer à comparaître, mercredi 29 mars, le chef du bureau chargé de l’éloignement des étrangers à la préfecture de police de Paris pour « abus d’autorité ». Les deux organisations lui reprochent d’avoir, dans une note de service, donné des instructions pour « tromper les juges » sur le lieu de rétention des étrangers frappés d’un arrêté de reconduite à la frontière.

LA BONNE MARCHE de l’administration autorise-t-elle que l’on bafoue les règles de droit ? Le Syndicat de la magistrature (SM) et le Syndicat des avocats de France (SAF) poursuivent le chef du bureau chargé de l’éloignement des étrangers à la préfecture de police de Paris, pour «abus d’autorité». Les deux organisations reprochent à Daniel Monedière de violer sciemment la loi en faisant passer, auprès des magistrats parisiens, les étrangers retenus au centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) pour des «pensionnaires» du tristement célèbre dépôt des étrangers de Paris. Une manœuvre destinée à «gérer» le flux considérable d’étrangers passant par le centre et sans laquelle nombre d’entre eux devraient être remis en liberté.

Au départ, une simple question de compétence territoriale: lors-qu’un étranger interpellé sans papiers fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, la police le place en rétention. Vingt-quatre heures d’abord, puis, après passage devant le juge délégué, six jours supplémentaires. Il est alors conduit dans un centre de rétention. En région parisienne, cela peut être le dépôt de Paris, son annexe du bois de Vincennes, ou encore le centre du Mesnil-Amelot, près de l’aéroport de Roissy. Avant 1993, la police devait avoir organisé son rapatriement dans ces délais. Mais, depuis le vote de la loi Pasqua d’août 1993, l’administration dis-pose d’une nouvelle prolongation de trois jours encore contrôlée par le juge. C’est là que tout se corse.

Le décret du 13 juillet 1994 prévoit que «le» juge en question soit celui du département dans lequel se trouve le centre de rétention. Pour le Mesnil-Amelot, tout devrait donc se dérouler au tribunal de Meaux. L’usage voulait toutefois que les étrangers soient présentés à Paris, où le nombre de magistrats est beaucoup plus important et où la préfecture dispose d’un permanencier à même de défendre le point de vue de la police. Du coup, les gendarmes du centre amenaient eux-mêmes les étrangers retenus à l’audience. Jusqu’à ce qu’en septembre 1994 un avocat soulève l’incompétence du juge délégué. Surpris, ce dernier ne pouvait que lui donner raison. Sa décision était confirmée par la cour d’appel deux mois plus tard.

La préfecture de police décide de tourner la difficulté. Le 15 décembre, Daniel Monedière envoie une note au commandant du Mesnil-Amelot. «Afin d’éviter que les avocats des étrangers concernés ne demandent au juge de se déclarer incompétent (…), il est devenu d’usage de faire transiter par le centre de rétention de Paris les étrangers en provenance du Mesnil-Amelot De cette manière, un ordre d’extraction du dépôt est émis et les étrangers sont conduits à l’audience comme s’ils étaient retenus au dépôt ».

Comme si… L’opération consiste généralement à faire passer la porte du dépôt aux étrangers, à les fouiller, et à les faire ressortir en direction de la salle d’audience.

« MISE EN SCÈNE »

Opération si factice que M. Monedière invite son collègue à prendre ses précautions : « Afin d’éviter toute ambiguïté, il importe toutefois que les gendarmes du Mesnil-Amelot ne soient pas présents à l’audience, les étrangers étant placés pendant la durée de celle-ci sous la responsabilité des gendarmes du Palais de justice. Aussi je vous serais obligé de donner toutes instructions pour que l’escorte en provenance du Mesnil-Amelot attende dans les locaux du centre de rétention que les étrangers leur soient ramenés après leur passage devant le juge. »

Pour le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France, cette note « est ouvertement destinée à bafouer les droits de la défense (…) en évitant que les avocats ne fassent valoir un moyen de droit ». Pis, elle organise un détournement de la loi « en mentant aux magistrats délégués en créant l’illusion de la compétence territoriale de Madame le président du tribunal de grande instance de Paris ». Dénonçant cette « mise en scène », les organisations accusent M. Monedière d’«abus d’autorité contre la chose publique ».

Pour la préfecture de police, cette note est « nulle et non avenue ». «La personne qui l’a rédigée n’avait pas autorité pour le faire et nous l’avons annulée», affirme le directeur de la police générale, Jacques- André Lesnard. Pour donner corps à cette volte-face, les policiers ne disposent d’aucune nouvelle note. En revanche, une correspondance interne à la gendarmerie confirme qu’« il y a lieu de considérer que cette note n’a aucune existence ».

Toutefois, la pratique qui y est décrite est bien réelle. « Le tribunal de Meaux n’a pas la capacité d’ac¬cueillir les étrangers du Mesnil-Amelot, explique M. Lesnard. Par ail¬leurs, nous n’allons pas déplacer systématiquement à Meaux un représentant de la préfecture. Enfin, le préfet est maître du choix du lieu de rétention. » Quant à savoir si la po¬lice trompe les juge, il soupire : « Ce qui est important, c’est que l’étranger passe devant un juge délégué. Peu importe le lieu. »

Au tribunal de grande instance de Paris, on juge les termes de la note « assez effarants ». Quant à la pratique, que les juges ignoraient, semble-t-il, totalement, «elle n’est peut-être pas illégale, mais c’est un détournement ».

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Un Zaïrois, père d’un enfant français, passager du premier charter d’expulsion européen

index Philippe Bernard, 25/03/1995

ÊTRE MARIÉ à une Française et père d’un enfant français d’un an n’a pas empêché un Zaïrois de trente-quatre ans d’être conduit sous escorte policière, mercredi 22 mars à l’aube, dans un avion pour Kinshasa. Wumba-Claude Nzaki est l’un des treize Zaïrois en situation irrégulière en France embarqués à bord du premier charter d’expulsions organisé à l’échelon européen (Le Monde du 24 mars). Affrété par les autorités néerlandaises, l’Airbus de la compagnie Martinair a convoyé au total quarante-quatre Zaïrois interpellés aux Pays-Bas, en Allemagne et en  France. Au-delà de cette «première » contestée par des avocats qui y voient une forme d’expulsion collective, formellement prohibée par la Convention européenne des droits de l’homme, le cas individuel de M. Nzaki illustre la multiplication, en France, de pratiques juridiquement contestables et humainement scandaleuses destinées à nourrir les statistiques de reconduites à la frontière.

En 1991, Wumba-Claude Nzaki s’était vu refuser le statut de réfugié politique et avait fait l’objet, en septembre 1992, d’un arrêté de reconduite à la frontière par le préfet de police de Paris. Six mois plus tard, il épousait Dominique Beaurain, une Française aujourd’hui âgée de trente-six ans qui lui donnait un fils, Joris, français par sa mère. Toutes les démarches entreprises par le couple auprès de la préfecture se sont révélées vaines. En octobre 1993, le préfet leur opposait une fin de non-recevoir écrite basée sur la validité de son arrêté de reconduite de 1992.

VIOLATION DE LA VIE FAMILIALE

Par deux fois, des juges ont contesté cette position. En décembre 1993, M. Nzaki refuse de monter dans l’avion et se trouve déféré devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Le jugement le relaxe en arguant de la violation de sa vie familiale. Un an plus tard, c’est le tribunal administratif de Paris qui a annulé – fait rare – la décision du préfet qui refusait d’abroger l’arrêté de reconduite. Le jugement confirme la « réalité de la vie familiale » et se réfère à la Convention européenne des droits de l’homme pour estimer que l’arrêté préfectoral « a porté au respect de la vie familiale de M. Nzaki une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ce refus lui a été opposé».

Lorsque le couple, fort de ces deux jugements, reçoit une convocation à la préfecture de police, il pense logiquement qu’il va obtenir une régularisation. On lui demande de repasser le lendemain, mardi 21 mars, qui se trouve être la veille du jour où le « charter européen » pour le Zaïre est programmé. M. Zaki se présente avec son bébé. L’après-midi, on appelle son épouse sur son lieu de travail pour qu’elle vienne récupérer l’enfant. Elle se rend à la préfecture où on lui indique que son époux a été placé en rétention.

Dès le lendemain matin, le père de famille redevenu simple Zaïrois sans papier est conduit à Roissy, n a été maintenu en rétention moins de vingt-quatre heures, délai qui aurait obligé la police a saisir le juge, qui aurait probablement ordonné la remise en liberté. « Convoquer les irréguliers la veille d’un vol, c’est une petite malice courante, certes pas  très glorieuse mais qui nous permet d’obtenir l’exécution de nos décisions », commente-t-on à la préfecture de police, où l’on estime que « faire un enfant français n’annule pas un arrêté de reconduite à la frontière », même si la loi protège les parents d’enfants français contre une telle décision puisque « l’arrêté avait été pris lorsque M. Nzaki était célibataire et reste parfaitement valable ».

Les avocats du Zaïrois, Daniel Voguet et Stéphane Maugendre ne l’entendent pas ainsi. Ils ont saisi, jeudi 23 mars, le président de la Commission européenne des droits de l’homme pour tenter de faire reconnaître plusieurs violations de la Convention européenne. Outre l’atteinte au principe du « respect de la vie familiale », les avocats plaident que M. Nzaki a été embarqué sans avoir pu exposer sa défense ni exercer le moindre recours.

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Les conditions contestées d’une des expulsions vers le Zaïre

logo-liberation-311x113 Dominique Simonnot

 

Mercredi matin, un «charter européen» au départ d’Allemagne, des Pays-Bas et de France renvoyait sous escorte à Kinshasa 44 Zaïrois déboutés du droit d’asile ou en situation irrégulière. Parmi eux, se trouvait Wumba Nzaki, marié à une Française et père d’un enfant français de 2 ans.

C’était une première, tout s’est déroulé en parfaite coordination entre les trois pays européens, et, à chaque escale, le gros Airbus hollandais de la Martinair chargeait son lot d’indésirables zaïrois. Si on ignorait encore hier l’exacte situation de 43 des 44 passagers de l’avion, celle de Wumba Nzaki, 34 ans, met encore une fois en relief de bien étranges pratiques. Malgré un arrêté de reconduite à la frontière prononcé en août 1992, Nzaki faisait normalement partie des étrangers protégés de l’éloignement du territoire. A double titre. Joris, son fils, est né le 30 juin 1993 et, trois mois auparavant, Nzaki s’était marié avec Dominique, de nationalité française. Elle raconte: «J’ai accompagné mon mari à la préfecture de police lundi, nous espérions faire régulariser sa situation. On nous a dit de revenir le lendemain. Il y est allé avec Joris…» Dans l’après-midi de mardi, un coup de fil de la préfecture prévient le chef du personnel de la banque où travaille Dominique. «Ils ont dit que ce n’était pas grave, il fallait que je vienne récupérer mon mari. Mais quand je suis arrivée là-bas, on m’a mis mon fils dans les bras en me disant que mon mari était en rétention administrative et qu’il passerait le lendemain devant un magistrat.» Pieux mensonge en réalité, puisque les policiers savent déjà que Nzaki embarquera dans le charter pour Kinshasa à 5 heures du matin. Ce dont la préfecture, d’ailleurs, ne se cache pas: «Nous l’avions convoqué mardi en raison de l’opération Batave.»

Il faut en effet faire vite. Éviter que ne s’écoule le délai de 24 heures au-delà duquel Nzaki aurait obligatoirement dû être présenté au magistrat chargé de statuer sur sa rétention. Les policiers savent qu’au vu du dossier, même le plus sévère des juges l’aurait remis en liberté. D’autant qu’un jugement du tribunal administratif avait fustigé en décembre dernier l’attitude de la préfecture à l’égard de la famille Nzaki.

«Comme une andouille», raconte Dominique, elle s’est présentée mercredi matin au dépôt des étrangers pour voir son mari mais «il n’était pas sur la liste». En effet, il vole déjà pour le Zaïre. A la préfecture, on explique que «des événements d’ordre privé tels qu’un mariage et une paternité ne peuvent battre en brèche les principes du droit public. L’arrêté de reconduite à la frontière de 1992 était toujours en vigueur. A monsieur Nzaki de suivre la procédure en demandant un visa pour revenir et on lui déroulera le tapis rouge de la carte de séjour en vertu de sa situation familiale.» Sans autre précision sur le coût financier de l’opération.

Cependant ni sa femme ni ses avocats n’ont l’intention d’en rester là. Ils parlent «d’une sinistre manière d’inaugurer la prochaine entrée en vigueur des accords de Schengen». Hier, Mes Sylvain Dreyfus et Daniel Voguet pour Nzaki et Stéphane Maugendre pour la Cimade ont saisi en urgence la Commission européenne des droits de l’homme, entre autres, pour de «graves violations» de l’article 8 de la Convention européenne qui stipule le droit à vivre en famille. Les avocats prient donc le président de la commission «de demander au gouvernement français qu’il autorise au plus vite le retour de monsieur Nzaki sur le territoire français auprès de son épouse et de son enfant».

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Expulsions : les failles du système

images fig Marie-Amélie Lombard, 15/04/1993

_DSC00334/5 des mesures de reconduction aux frontières des étrangers en situation irrégulière ne sont pas exécutés. Explications.

Un filon pour les immigrés, un créneau pour le nouveau gouvernement. Ce sont les reconduites à la frontière des étrangers en situation irrégulière. Près de 43 000 mesures ont été prononcées l’an dernier, moins de 9 000 exécutées (1). Au vu et su des autorités, ces clandestins restent en France et alimentent la polémique sur une immigration mal maîtrisée. Hier, au cours d’une communication sur la sécurité en Conseil des ministres, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, a jugé que l’immigration clandestine avait « sa part dans la délinquance, dans la dégradation constatée aujourd’hui », en soulignant que les « 4/5 des mesures de reconduction n’étalent pas exécutés ». Voici pourquoi.

L’épicier arabe du coin peut un jour embarquer dans un avion encadré par deux policiers, destination Alger. Il aura fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière parce que son fonds de commerce ne lui rapportait même pas le Smic, qu’il l’avait acheté comme prétexte pour obtenir un titre de séjour en France et que la Préfecture s’en est aperçue. Un vrai faux commerçant.

Environ deux tiers des reconduites à la frontière ont ainsi pour origine un arrêté préfectoral. Ce sont les déboutés du droit d’asile, les touristes, dont le visa a expiré, l’imam autoproclamé par sa petite communauté mais dont les ressources sont insuffisantes, l’étudiant togolais qui additionne les redoublements à l’université.

L’autre tiers est frappé d’une interdiction du territoire pour séjour irrégulier, mesure judiciaire. Autant de cas particuliers qui choisissent de passer dans la clandestinité pour rester.

L’arrêté de reconduite pris, l’administration dispose d’un délai de sept jours pour agir. L’étranger, quand il est interpellé, est alors placé dans un centre de rétention administrative (douze aujourd’hui en France). En région parisienne, le plus vaste est celui du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) où 6 000 personnes ont séjourné l’an dernier. Le plus décrié – du moins par les étrangers – est le dépôt de la Préfecture de police de Paris, 3, quai de l’Horloge.

Objectifs contradictoires

C’est là que l’étranger va souvent tout tenter pour échapper à la reconduite. C’est là que convergent toutes les, rumeurs, les incompréhensions, les démêlés avec l’administration ou la justice. C’est là qu’intervient la Cimade (Comité intermouvements auprès des évacués), association chargée de veiller « au respect de la dignité » pour les reconduites. Or, entre Cimade et autorités, les objectifs sont évidemment contradictoires et les relations tendues. Ainsi, l’association va conseiller l’étranger, lui indiquer les voies de recours dont il dispose, et finalement tout faire pour lui éviter le retour au pays. De leurs côtés, les autorités ont un but : mettre l’étranger dans un avion avant l’expiration du délai.

Seuls 8 % des arrêtés de reconduite sont contestés par les étrangers devant le tribunal administratif. Motifs le plus souvent invoqués : soit les risques encourus dans le pays d’origine pour les déboutés du droit d’asile, soit des attaches familiales et sociales solides en France. Par exemple, l’immigré qui vit avec une femme française dont il a un enfant. « La majorité des décisions nous est favorable », indique Martine Viallet à la direction des libertés publiques du ministère de l’Intérieur. » Les étrangers ne sont pas en mesure de connaître leurs droits, les autorités se débrouillent pour qu’ils les ignorent », reproche la Cimade qui soulève des problèmes pratiques. Au dépôt du quai de l’Horloge, une seule cabine téléphonique à pièces, des difficultés pour communiquer avec les – retenus », enfermés dans une cellule.

Entre retenus, on se transmet des tuyaux, le plus souvent percés, on se recommande le refus d’embarquer dans l’avion, le prétendu nec plus ultra pour rester sur le sol français. «Je ne vends pas du vent, je refuse de prendre certains dossiers indéfendables. Il y a des cas où je ne peux rien faire. La seule « ficelle » a utiliser, c’est le droit, qu’il faut connaître sur le bout des doigts », raconte Me Stéphane Maugendre (avocat), qui travaille avec plusieurs associations de défense des immigrés.

Moins de trente ans

Profil type du  « pensionnaire » du centre de rétention selon la Cimade : presque toujours un homme, les trois quarts ont moins de trente ans, 12 % sortent de prison après avoir purgé une peine pour séjour irrégulier, 6 % pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Les nationalité concernées, en ordre décroissant : l’Algérie, la Turquie. le Maroc, le Mali, le Zaïre, la Tunisie, le Sénégal, la Roumanie.

Seulement 20 % des reconduites sont exécutes Pourquoi ? Tout d’abord, dans 42,7 % des cas,  parce que le autorités sont dans  l’incapacité de détecter et/ou d’interpeller l’étranger en situation irrégulière », selon la formule du ministère de l’Intérieur. C’est l’épicier arabe qui met la clef sous la porte et s’évapore dans la Goutte-d’Or, l’étudiant togolais qui, se sachant recherché (toute personne frappée d’une mesure de reconduite entre dans le fichier des personnes recherchées), ne se présente plus aux guichets de l’administration.

Deuxième raison : le bataillon des « sans-papiers » (28.5 %), qui ont le plus sou*vent détruit volontairement leur passeport. En principe, le fait d’étre sans papiers est passible de poursuites pénales (6 mois à 3 ans de prison) mais, dans la pratique, selon le ministère de l’Intérieur, seul le tribunal de Montpellier prononce des condamnations. Aux policiers, et surtout aux interprètes, de découvrir la nationalité à partir des accents, des idiomes employés. Le pays d’origine doit alors reconnaître son ressortissant et lui délivrer un laissez-passer et, là, c’est le bon vouloir des consulats qui prime. La Turquie les dé¬livre allègrement tandis que la Chine, le Maroc et l’Algérie s’y refusent obstinément. Pour le Zaïre, tout dépend de l’humeur du moment.

Refus d’embarquer

Troisième explication, le manque ou l’absence de places dans les avions (8,3 %) et enfin, tout le reste (20,5 %), comme par exemple, les refus d’embarquer, passibles de la même peine que les sans papier. C’est la scène du reconduit qui s’accroche à la passerelle pour ne pas monter dans l’avion. Devant tant d’agitation, le commandant de bord refuse souvent – c’est son droit – d’embarquer le récalcitrant. Pour toutes ces raisons, passé le délai de sept jours, l’étranger, retenu dans un centre, est relâché, bien que toujours en situation irrégulière. Le coût moyen d’une reconduite effectuée, billet d’avion compris, a été estimé à 30 000 francs.

Actuellement, le ministère de l’Intérieur, affichant une volonté de fermeté, mais conscient que la marge de manœuvre est étroite, réfléchit aux aménagements possibles. A des contrôles d’identité permettant de mettre la main sur les irréguliers et à des négociations avec les pays d’origine, notamment le Maghreb, faisant aujourd’hui obstacle aux reconduites. En l’occurrence, un moyen de les faire «plier» consisterait à leur diminuer l’aide financière, mal¬gré les obstacles diplomatiques. Selon un partisan de l’efficacité, « ce sont d’abord ces deux verrous qui doivent sauter ».

(I) Les reconduites à la frontière sont différentes des expulsions (mesures ministérielles, environ 500 par an) et des interdictions du territoire prononcées comme peine « complémentaire » quand l’étranger a été condamné pour infraction à la législation sur les stupéfiants ou proxénétisme.