Archives de catégorie : droit des victimes

20 ans requis contre les «videurs»

logo-liberation-311x113Patricia Tourancheau

Pour l’avocat général, le trio jugé aux assises de Paris pour l’assassinat il y a neuf ans d’une policière en «planque» sur le périphérique, est bien le «trio infernal de 1991». Pour cet acte sans mobile, sans pièce à conviction ni témoin direct, Philippe Bilger installe Aziz Oulamara, 39 ans, ex-videur d’un immeuble de passes rue Saint-Denis, comme «passager avant droit de la 205 Peugeot»: «C’est le tireur, une certitude absolue.»

Puis, il place Marc Pétaux, 41 ans, non pas dans la peau de l’innocent, mais au volant de la voiture qui «ralentit et s’arrête» à 1 h 20 du matin le 20 février 1991 sur la bretelle d’accès au périphérique de la porte de Clignancourt, pour permettre «à son coauteur d’ouvrir sa vitre, de s’installer sur le rebord de la portière et de tirer deux décharges de chevrotine» sur la gardienne Catherine Choukroun et sur le brigadier Emile Hubbel. Pétaux en «conducteur du véhicule», «c’est au pire une plausibilité, au mieux une quasi-certitude».

Absence du père. L’avocat général réclame la même peine de vingt ans de prison ferme contre «le tireur» et le «chauffeur», coauteurs d’un assassinat et d’une tentative: «Vous devez tenir compte, mesdames et messieurs les jurés, du fait qu’Aziz Oulamara a commis le pire mais n’a pas été le pire.» Car Aziz a élevé ses cinq frères et sœurs pour pallier l’absence du père emprisonné pour le meurtre de sa mère.

Philippe Bilger taxe l’ex-prostituée Nathalie Delhomme de «Madone de l’audience», et ses aveux tardifs de «pantalonnade» et «manipulation» pour dédouaner Marc Pétaux. «Des histoires profondes se trament en coulisse de la cour d’assises qui nouent ensemble Delhomme et Pétaux, des intérêts liés qu’Oulamara, brave bête judiciaire, n’est pas à même d’appréhender».

Pour juger cette «affaire particulière née sur le terreau singulier et délétère» des maquereaux et des prostituées, les «accusateurs sont parfois guère différents des accusés» mais l’avocat général tient pour «quelque chose de puissant et de vrai, la rumeur qui coure la rue Saint-Denis et nous répercute les vantardises d’Oulamara: « on a fumé une flic », et ce « on » évidemment, c’est Pétaux. Le statut de ces deux inséparables videurs a changé après. Ils tombent pour proxénétisme en 1993. Parce que dans ce milieu, c’est chic de tuer un flic, ces deux deviennent des caïds».

«Non absolu». Philippe Bilger s’appuie surtout sur les aveux d’Oulamara qui «détaillent» les faits: «C’est la vérité, sauf sa position dans la voiture. Oulamara se met à la place de conducteur, pour se dégager de celle de tireur. Il n’a pas compris qu’il était cuit dès lors qu’il se mettait dans le véhicule. Plus intelligent, Pétaux, lui, le conducteur de la voiture, l’a compris. Par conséquent, il s’enferme dans un « non absolu », jusqu’à nier connaître Serge Schoeller.»

Son vieux copain des années 80, ex-receleur, a témoigné à charge sur la vente d’un fusil de chasse à Pétaux et sur la soirée du 19 février. Schoeller, qui fête sa sortie de prison avec Oulamara et Pétaux dans un bistrot de la rue Saint-Denis, les voit «prendre une 205 Peugeot» et «partir ensemble vers minuit pour une affaire» puis «revenir ensemble à 2 ou 4 heures du matin». Entre-temps, «Nathalie et Pétaux, qui sont allés sur un plan de came, reviennent tendus à la voiture. Et Oulamara, dans un état pas possible après de multiples cannettes et un peu de cocaïne, fou du roi éperdu de Pétaux, va commettre cet acte antisocial, terriblement gratuit, un pari grotesque et criminel, pour faire le beau, sous le regard du conducteur, le seul être qui compte».

Nathalie Delhomme bénéficie d’une réquisition plus douce. «Abrutie, camée, endormie à l’arrière. Delhomme a proféré la phrase: « Vas-y, allume les flics! » C’est, sinon un ordre, au moins un encouragement.» Pour «cet acte de complicité, indiscutable mais dérisoire», l’avocat général demande cinq ans d’emprisonnement maximum. Cette rousse de 35 ans a quitté le milieu en 1993, après dix années passées sur le trottoir, elle a changé de vie, décroché de la poudre et pouponné à la campagne, quand son passé l’a rattrapée: «Vous devrez tenir compte de quelque chose de fort dans sa vie, son fils.»

Pour sa défense, Me Jean-Yves Leborgne a parlé de sa «déchéance» à l’époque, de «l’héroïne qu’on prend pour ces hommes et ces hommes encore qui vous passent sur le corps», et a plaidé l’acquittement de Nathalie, «simple témoin»: «Pour qu’une fois dans sa vie, on ne la traite pas comme une moins que rien, comme celle dont la parole ne vaut rien.»

⇒ Voir l’article

Vingt ans requis contre les coupables présumés

images fig Philippe du Tanney, 15/09/2000

Ce sont des peines relative- I ment modérées eu égard à l’assassinat de Catherine Choukroun, la première femme policier tuée en service, que l’avocat général Philippe Bilger a réclamées hier contre les trois accusés. Les faits remontent à la nuit du 19 au 20 février 1991 et Ile magistrat a rappelé qu’il n’existait pas avant 1994 de peines échelonnées entre vingt ans et la réclusion perpétuelle. Mais, écartant le maximum, l’avocat général a donc requis vingt ans de réclusion criminel contre Aziz Oulamara, qu’il considère comme le tireur.

Cet ancien « videur » de la rue Saint-Denis, « bonne pâte » mais alcoolique et vantard, ne doit cette indulgence qu’à sa « bêtise judiciaire désarmante ». C’est du moins ce qu’a indiqué le magistrat en précisant qu’il s’agissait d’une litote… Du coup, Marc Petaux, beaucoup plus intelligent et cynique, mais qui selon l’accusation serait coauteur en tant que conducteur, se voit réclamer contre lui la même peine. A son propos, le magistrat précise toutefois : « J’ai une quasi-certitude en ce qui le concerne, à vous d’en faire ou non une certitude absolue », a-t-il indiqué aux jurés. Enfin, il a réclamé cinq ans de prison seulement contre Nathalie Delhomme, l’ancienne prostituée qui avait avoué la veille au bout de huit audiences : « J’étais bien assise à l’arrière de la voiture », tout en prétendant : « Petaux n ’y était pas. » Avec son honnêteté intellectuelle légendaire, l’avocat général Philippe Bilger n’a pas occulté les difficultés d’un dossier gravissime dont l’enquête n’avait pas utilement démarré avant six ans de recherches aveugles. Le « tuyau donné à la police » par une célèbre mère maquerelle était pratiquement faux, mais il permit aux enquêteurs d’orienter leurs recherches dans la faune interlope de la rue Saint-Denis. Le dossier fut bâti peu à peu sur une foule d’auditions, certes émaillées de nombreux mensonges, s’agissant pour la plupart de truands, de proxénètes ou de prostituées.

Mais, comme dans un puzzle, les détails s’intégraient peu à peu parfaitement dans le cadre de l’affaire et coïncidaient comme par hasard avec des déclarations des accusés eux-mêmes : leur alibi « en creux », cette nuit-là, juste au moment du crime du boulevard périphérique, un foulard palestinien aperçu sur l’un des voyous qui s’enfuyait à bord d’une petite voiture noire après avoir tué d’une décharge de chevrotines la gardienne de la paix et blessé son collègue.
Mais l’avocat général s’intéresse plutôt à la psychologie des accusés : avant de se rétracter définitivement, Oulamara avait fait une longue déclaration en 1997 racontant la scène en détail mais en se donnant le rôle du conducteur : « Il croyait minimiser ainsi sa responsabilité, ce qui est juridiquement faux, mais il reliait du même coup les trois accusés en mettant en cause à sa place en tant que tireur Marc Petaux qui, lui, savait ce que cela impliquait et a toujours tout nié en bloc. » Pour le magistrat, l’odieux crime se situe bien dans ce contexte : « Oulamara ne pouvait faire ça que devant Petaux, « Marco le légionnaire », son mentor, le seul être dont il voulait susciter l’admiration. » L’avocat général n’est pas dupe du coup de théâtre provoqué l’autre soir par Nathalie Delhomme : celle-ci craint visible-ment beaucoup plus Petaux qu’Oulamara, qu’elle a seul mis en cause .«Il y a dans ce milieu glauque, au-delà des menaces de la famille Oulamara, une autre histoire en coulisse qui dé¬passe totalement Aziz Oulamara », estime le magistrat, faisant sans doute allusion aux liens de l’ex-prostituée et de Petaux avec un caïd de la rue Saint-Denis entendu à la barre et considéré comme extrême-ment dangereux.

Coaccusée, elle dénonce le tueur du périphérique

logo-liberation-311x113 Patricia Tourancheau

Nathalie Delhomme, 35 ans, boulotte frisée aux cheveux roux, a craqué hier au milieu de la sixième audience du procès du meurtre de la policière Catherine Choukroun, le 20 février 1991. Entre larmes et hoquets, l’ancienne «Johanna» de la rue Saint-Denis a innocenté Marc Pétaux, 41 ans, «le Légionnaire» et a accusé Aziz Oulamara, 39 ans, alias «Jacky». La trouille au ventre, les mains tremblantes, la fille accusée de complicité s’est livrée à son avocat Jean-Yves Leborgne, puis à la présidente Martine Varin: «C’est vrai, j’étais dans la voiture, complètement défoncée à l’arrière, endormie. J’ai pas entendu les coups de feu. Mais j’ai senti un courant d’air frais et les deux hommes s’engueuler.» Le passager remonte sa vitre et essuie la colère du conducteur: «T’en as pas marre toi de faire des conneries. Cette fois, tu nous as vraiment mis dans la merde!» Son corsage à pois blancs et noirs secoué de spasmes, l’ex-prostituée parle plus haut: «il n’y avait pas Marc Pétaux, sinon je m’en souviendrais. Je ne connaissais pas le conducteur.» Pressée de questions par une présidente douce mais ferme, «Johanna» finit par avouer: «Le passager avant, c’était Aziz Oulamara»: «J’ai reçu des menaces, de faire attention à mon fils. En garde à vue, on m’a mise dans la cage avec Oulamara, enfermés tous les deux: si je parlais, il dirait que j’ai donné des ordres (de tirer, ndlr). Si je raconte tout ça, c’est pour qu’un innocent [Pétaux] ne parte pas en prison. Mais je risque gros, pour ma famille, mon enfant et même moi. Il y a des gens du milieu dans la salle qui ne me lâcheront pas. Rue Saint-Denis, j’ai vu des filles se faire tuer à côté de moi, ils prennent nos enfants en otages. Je ne suis pas indifférente à ce qui est arrivé à madame Choukroun, elle avait un bébé.»

Héroïne. Le soir du crime gratuit de la policière, qui surveille d’une une voiture de patrouille un radar sur le périphérique porte de Clignancourt, «Johanna» a cherché en vain un taxi à la sortie de ses huit heures de tapin, et a demandé à Oulamara de la ramener chez elle dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Le conducteur inconnu et Oulamara le videur l’ont d’abord emmenée «porte de la Villette ou de la Chapelle» se ravitailler en héroïne, puis reprise à bord. Johanna vient de sniffer une grosse dose de poudre. Quand deux tirs de chevrotine ciblent «une flic». L’avocat général, Philippe Bilger, cherche à savoir si «l’abrutissement par la drogue évoquée n’est pas un moyen d’exonérer Pétaux?»

Volte-face. «Je n’ai plus rien à perdre maintenant, explique «Johanna». Il va falloir que je me batte. Si je savais le nom du conducteur, je le dirais.» Arrêtée le 17 juin 1997, six années après le crime, c’est déjà Nathalie Delhomme qui a aiguillé la brigade criminelle sur Aziz Oulamara. Mis en examen comme «tireur» supposé, «Jacky» a nié six mois. Puis opéré une volte-face: des aveux-fleuves qui mouillent Marc Pétaux comme le tueur de la policière, et ramènent son rôle à celui de chauffeur. Un receleur appelé Serge Schoeller, sorti de prison avec un frère Oulamara (Madjid) le matin des faits, a corroboré en partie ses dires.

Hier matin, avant les aveux de «Johanna», Marc Pétaux, visage taillé au couteau, tombeur de filles et ex-légionnaire, avait démonté avec brio les racontars d’Aziz qui «se venge» de sa mise en cause par Pétaux dans le meurtre du mac de «Johanna»: «Ce Schoeller est une crapule, un lâche. Tous des mécréants qui pètent de trouille et racontent ce qu’on attend d’eux. Ma position, c’est qu’Oularama protège son frère. Je suis infiniment logique: si Aziz est le tireur, Schoeller au volant, et son frère derrière, et qu’il donne le chauffeur, celui-ci va le dénoncer comme le tireur. Tandis que si Aziz accuse un innocent, ce dernier ne va pas le mettre en cause comme tireur. J’ai déjà fait trois ans pour un crime que je n’ai pas commis et on veut m’y envoyer à perpète. Le doute, c’est le corollaire absolu de l’intelligence. Ceux qui ont pris la bretelle porte de Clignancourt ont voulu aller tuer des policiers, c’est o-bli-ga-toi-re», a martelé Marc Pétaux, «moi, si je vois un véhicule de police, je l’évite. C’est dingue de tirer sur un uniforme. Je me suis engagé à 17 ans dans l’armée, mon adjudant est mort à côté de moi, j’ai pleuré, comment voulez-vous que je fasse une chose pareille. Non, c’est pas dans mon corps, c’est pas dans mon cœur, c’est pas dans mon âme, c’est pas mon boulet».

⇒ Voir l’article

L’ex-prostituée innocente un des accusés

logoParisien-292x75 Nelly Terrier, 14/09/2000

A l7 HEURES, hier, Nathalie Delhomme a craqué. Debout devant les jurés de la cour d’assises de Paris, aux côtés de ses coaccusés, Marc Petaux et Aziz Oulamara, deux ex-videurs de la rue Saint-Denis, l’ancienne prostituée est passée aux aveux Une vérité qu’elle a lâchée l’une voix haut perchée, entre deux sanglots. A la veille du réquisitoire et (des plaidoiries, cette rousse, qui avait dû être flamboyante, a soldé les (comptes de son passé. « Et pourtant, lâchera-t-elle à la fin de sa confession, le visage baigné de larmes, je prends des risques en parlant Je sais que dans le public il y a des gars du milieu, ils ne me lâcheront plus, ni moi ni mon fils de 4 ans. J’ai subi des menaces pour me taire. »

Il aura donc fallu entendre cinq jours de mensonges et attendre le sixième jour d’audience pour que le puzzle qui permet de comprendre qui a assassiné la jeune gardienne de la paix, Catherine Choukroun, une nuit de février 1991, s’agence de manière un peu plus précise. « Cette nuit-là, dit Nathalie Delhomme, j’étais bien dans la voiture à l’arrière et complètement défoncée. Lorsque je me suis réveillée, les deux hommes à l’avant s’engueulaient Le chauffeur criait : T’as encore fait une connerie, on est dans la merde. Je n’ai fait le rapprochement que quelques [jours plus tard quand on m’en a parlé rue Saint-Denis. « Qui était avec vous dans la voiture ? » demande la présidente qui sent enfin qu’elle peut tirer un fil de vérité. « Il n’y avait pas Marc Petaux », avoue Nathalie Delhomme.

« Cette histoire n’est pas la mienne »

Assis à ses côtés, son coaccusé ne sourcille pas. Cet aveu qui pourrait le conduire à l’acquittement il a dû en rêver, lui qui ne cesse de crier son innocence. Le matin, cet ancien militaire, déjà condamné pour vols de voitures et proxénétisme, et dont l’ambition était de mettre une fille sur le trottoir pour être entretenu, avait crié quelques accents de vérité face aux jurés : « Cette histoire n’est pas la mienne. Oulamara m’a dénoncé pour protéger quelqu’un d’autre. Cette affaire n’est ni dans mon corps ni dans mon cœur, ni dans mon âme. »

Si Petaux n’était pas dans la voiture, Oulamara y était-il, lui ? « Je ne connais pas le conducteur, poursuit alors, l’ancienne prostituée, décidément prolixe en rebondissements, balayant ainsi l’hypothèse la plus probable, qui voulait que Oulamara ait été au volant cette nuit-là. « Le conducteur, je ne l’avais jamais vu avant, je ne le connais pas » répète Nathalie Delhomme.

« Et le passager alors ? », poursuit la présidente. Nathalie Delhomme hésite. « J’ai peur de parler. J’ai vu des filles mourir sous mes yeux, la rue Saint-Denis c’est terrible ». Mais le désir de tout balancer l’emporte et, quelques instants plus tard, à une question détournée où on lui demande si c’est Oulamara qui était le tireur, elle hoche la tête de haut en bas.

Mais malgré l’évidence, Oulamara, hier soir, continuait à nier les faits et à taire le nom de l’homme qui conduisait la voiture ce soir-là. Qui ment ? Nathalie Delhomme qui accuse et innocente ou Oulamara et Petaux qui nient ?

L’accusée innocente son complice

images fig Philippe du Tanney, 14/09/2000

Photo J.- F. Deroubaix
Photo J.- F. Deroubaix

La sixième journée du procès des assassins présumés du gardien de la paix Catherine Choukroun, dont le collègue Émile Hubbel avait été blessé, a connu hier un rebondissement inattendu. Des témoignages troublants avaient fait monter d’abord la tension dans le prétoire : « Je n’aurais jamais fait une telle saloperie », a lancé avec rage Marc Petaux, sentant l’étau se refermer sur lui. Contrairement aux deux autres accusés, il n’a jamais avoué quoi que ce soit.

Six ans après la nuit sanglante du 20 février 1991, porte de Clignancourt, « Marco le légionnaire » avait été mis en cause comme coauteur de l’assassinat par son ami, Aziz Oulamara, alias « Jacky », qui venait lui- même d’être dénoncé par Nathalie Delhomme, accusée de complicité. Et Aziz Oulamara a fini par reconnaître hier qu’il avait bien tenté de faire pression sur Nathalie pour qu’elle désigne au juge d’instruction le fameux Marco comme le tireur, le cantonnant lui, Aziz, du même coup, dans un simple rôle de chauffeur.

« Ceci peut laisser penser que vous étiez bien, Nathalie Delhomme et vous, dans le véhicule », relève l’avocat général Philippe Bilger. Désarçonné par la remarque, Aziz esquive la réponse : « Je n’ai jamais été dans cette voiture. Je suis innocent, je suis là à cause de mon casier. »
Plusieurs témoins, anciens videurs de la rue Saint-Denis comme lui, indiquent que Aziz portait sou¬vent en hiver, « quand il faisait froid ». un fouloir palestinien. Un keffieh comme celui qu’un chauffeur de taxi, aujourd’hui décédé, avait aperçu au cou du passager de la petite voiture noire s’enfuyait tous feux éteints sur le boulevard périphérique après la fusillade. « Je n’ai jamais porté de foulard palestinien, d’autant que je suis d’origine kabyle ». dit Aziz Oulamara.

À l’autre bout du box, Nathalie Delhomme semble de moins en moins bien supporter la tournure des débats. À tel point qu’après l’avoir consultée, son avocat Me Jean-Yves Le Borgne, lui demande solennelle¬ment : « Avant de vous rétracter chez le juge d’instruction, vous aviez dit que vous étiez dans le véhicule.Qu ’en est-il aujourd’hui ? »
« C’est vrai j’étais assise à l’arrière, mais j’étais complètement « défoncée ». lâche-t-elle en fondant en larmes. À l’époque, elle était constamment droguée à l’héroïne. Après un silence impressionnant, Me Le Borgne reprend : « On a dm que vous aviez donné un ordre comme : « Vas-y, allumez-les ! »
– « C’estf aux, et je n’ai même pas entendu les coups de feu. Je me suis à moitié réveillée quand les deux hommes à l’avant s’engueulaient. Le conducteur disait à l’autre : « T’en n’as pas marre ? ! T’as encore fait une connerie… »
La présidente, Mme Martine Varin, la pousse dans ses derniers retranchements : « Qui était à l’avant ? »
-«Il n’y avait pas Marc Petaux. Je ne connaissais pas le conducteur. »
– « Donc le passager était Aziz Oulamara?»

L’accusée hoche la tête puis ex-plique :« Je n ‘aime pas Petaux mais je ne peux pas laisser accuser un innocent».

L’avocat général ne se laisse pas démonter par cet apparent coup de théâtre. Il évoque les premières déclarations de l’accusée et celles d’Oulamara lui-même, qui avait d’abord été présenté comme le passager avant que ce soit Petaux dans les nouvelles versions.
« Dites-vous toute la vérité et n’essayez-vous pas encore de nous manipuler ? » s’interroge le magistrat Toujours en larmes, Nathalie Delhomme affirme : « Non, je n’ai plus rien à perdre. Mais je risque gros pour ma famille, pour mon fils. Il y a des gens du milieu dans la salle. Moi. j’ai tourné la page sur tout ça. » Et elle ajoute : « Je ne suis pas indifférente aussi à ce qui est arrivé à Mme Choukroun : elle aussi, elle avait un enfant ».
En exonérant Marc Petaux dans ce revirement spectaculaire, l’accusée renforce la responsabilité d’Aziz Oulamara puisque, de conducteur, il passe passager, donc au rôle de tireur, celui qui était sorti de la petite Austin pour tirer froidement deux décharges de chevrotine avec un fusil à canon scié sur les deux policiers assis dans la voiture pie stationnée pour effectuer un contrôle radar.

Justice pour Catherine

logo nouveau detective Michel Mary, 13/09/2000

La jeune femme policier a baissé sa vitre. Elle a souri à l’automobiliste qui venait de s’arrêter à sa hauteur. Et elle a reçu une décharge de chevrotine dans le cou…

dessinParis, 20 février 1991. Il est 1 h 20 du matin. Cette nuit, se sont deux jeunes gardiens de la paix parisiens, Emile Hubbel et Catherine Choukroun, qui sont chargés de surveiller le radar placé à la hauteur de la porte de Clignancourt, sur le boulevard périphérique. Leur 405 frappée du sigle de la police est stationnée en contrebas sur la bretelle d’accès au « périph ». A l’intérieur, Catherine Choukroun, une jolie jeune femme de 25 ans au visage rond et aux grands yeux rieurs, est en train d’expliquer à son collègue qu’elle a hâte que l’aube se lève. Elle rentre en effet tout juste de son congé de maternité, et, pour satisfaire à ses obligations professionnelles, elle a laissé son bébé de cinq mois à la garde de son mari. Elle est évidemment très impatiente de les retrouver tous les deux.

A ce moment, une voiture de couleur sombre se rapproche à petite allure sur la droite du véhicule de police. Instinctivement, Emile Hubbel jette un œil dans son rétroviseur. C’est peut-être un automobiliste tout récemment « flashé » qui vient leur demander l’indulgence ? Effective¬ment la voiture sombre ralentit encore, puis s’arrête à leur hauteur. Tout naturellement Catherine Choukroun baisse sa vitre et penche la tête à l’extérieur en direction du pilote de l’autre véhicule. Curieusement elle sourit étonné, Emile Hubbel lui demande :
—Tu les connais ?
Mais à cette question, hélas, sa jeune collègue ne répondra jamais…

« J’étais tellement affolé que je me suis mis à parler en créole »

— Une détonation a retenti et elle s’est écroulée. Elle était pleine de sang…

Cour d’assises de Paris. Ce lundi 4 septembre 2000, neuf longues années après le drame, l’agent de police Emile Hubbel raconte à la cour, présidée par Mme Varin, la terrible nuit au cours de laquelle sa collègue Catherine Choukroun a été assassinée. Petit, trapu, légèrement dégarni, une petite barbe, Emile Hubbel -lui-même blessé cette nuit-là- est extrêmement ému. Et c’est d’une voix pleine de larmes contenues qu’il termine sa déposition.

—Je me suis alors emparé de la radio pour appeler les secours, dit-il. Au commissariat, ils ont cru à un canular. Et moi, j’étais tellement affolé que je me suis mis à parler la langue de mon île natale : le créole… Depuis, j’ai presque en permanence dans la mémoire ce « flash » horrible : le bruit de la détonation, puis Catherine qui s’effondre sur moi.

Sur la piste des passagers d’une Austin noire

La carotide sectionnée, la jeune femme meurt sur-le-champ. Son décès provoque dans tout le pays une intense émotion. Catherine Choukroun, policier exemplaire qui comptait cinq ans de métier, est en effet la première femme gardien de la paix tuée dans l’exercice de ses fonctions. Ses collègues de la « Crim’ », saisis de l’affaire, se sont juré de démasquer ses assassins. Mais l’enquête s’annonce très difficile.

— Au départ, nous ne disposions d’aucun élément permettant d’arrêter les coupables, explique à la cour le commandant de police Alain Vasquez, chef de groupe à la brigade criminelle.
Debout à la barre des témoins, cet homme d’une cinquantaine d’an¬nées, élégant dans son costume vert, s’interrompt un instant. Puis reprend, détachant bien ses mots :
— Catherine Choukroun a été tuée avec de la chevrotine, un projectile qui rend impossible toute expertise balistique. Quant à Emile Hubbel, il ne savait pas si la voiture de ses agresseurs était une R 5, une Austin ou une Peugeot 205. Il n’avait même pas vu le conducteur…
En fait, à l’heure où les investigations commencent, les policiers de la « Crim’ » disposent d’un seul élément : le témoignage d’un chauffeur de taxi. L’homme, un certain Haïm, est décédé depuis. Mais la présidente Varin lit sa déposition :
— Dans la nuit du 20 février 1991, vers 1 h 45, je roulais sur le périphérique entre les portes de Clignancourt et de Saint-Ouen, quand j’ai été « doublé par une,petite voiture noire, une Austin Métro nerveuse et puissante. Elle roulait tous feux éteints. A, l’arrière, il y avait une fille entre 20 et 25 ans aux cheveux blonds. A l’avant, un passager brun aux sourcils fournis avec, autour du cou, un foulard de type palestinien à carreaux rouges et blancs. J’ai été frappé par le rictus de son visage, qui exprimait la haine, le mépris et la méchanceté. La voiture a emprunté la sortie de la porte de Saint-Ouen ».

Ce véhicule est-il celui des assassins de Catherine Choukroun ? Il semble bien que oui. En effet, quelques jours après le drame, l’un des policiers chargés de cette affaire, le commissaire Eric Guillet, reçoit un coup de téléphone anonyme. Selon ce mystérieux informateur, le crime aurait été commis par un homme roulant à bord d’une Austin noire dont la plaque d’immatriculation se termine par T 92.

« Dans un bar de Montreuil, j’ai retrouvé Simone »

Forts de ce renseignement, les policiers convoquent alors les cinq cents automobilistes « flashés » cette nuit-là par le radar de la porte de Clignancourt, et ils les interrogent. Ils répertorient également les Austin noires immatriculées dans les Hauts-de-Seine. Mais ce travail de fourmi n’aboutit à rien. Et six longues années passent…

31 décembre 1997. Ce soîr-là, Henri Seghair, policier affecté à la brigade des stupéfiants de Seine-Saint-Denis, est de service. Mais en compagnie d’un couple ami, il va tout de même dîner dans un petit restaurant de Montreuil où il a ses habitudes. Ce qui se passe ensuite, il le raconte maintenant à la cour :
—Dans ce restaurant se trouvait Simone, une femme avec qui j’avais déjà bavardé à plusieurs reprises, dit ce jeune policier brun aux cheveux frisés. La fille de Simone était toxicomane et elle me demandait des conseils. Ce soir-là, elle était seule et elle avait l’air triste. Mes amis et moi, nous l’avons invitée à boire une coupe de champagne. Elle m’a alors fait des confidences…
Des confidences, en effet. Et pas n’importe lesquelles. Car Simone, sous ses dehors innocents, est en réalité une « mère maquerelle » qui loue des studios aux filles de la rue Saint-Denis. Et elle en sait beaucoup, apparemment sur l’affaire Choukroun…
— Elle m’a dit : «Je vais te faire un cadeau », poursuit Henri Seghair. Puis elle m’a expliqué que Catherine Choukroun avait été tuée par deux videurs de la rue Saint-Denis qui, ce soir-là, allaient chercher de la drogue sur les boulevards des Maréchaux en compagnie d’une prostituée surnommée « Johanna ». Ils étaient à bord d’une Austin noire dont elle m’a donné le numéro d’immatricula¬tion. Celui-ci se terminait par T 92…

Le jeune policier en a terminé. Le silence se fait

« C’est vrai, j’étais là, ce qui s’est passé est ignoble »
Tous les regards se tournent à pré¬sent vers le box des accusés dans lequel sont assis Nathalie Delhomme, une ancienne prostituée surnommée précisément « Johanna », et ses deux coïnculpés: Aziz Oulamara, 39ans, déjà condamné à plusieurs reprises pour vol et proxénétisme, et Marc Petaux, 41 ans, dit « Marco le Légionnaire», dont le casier judi¬ciaire est également très chargé.
C’est Nathalie Delhomme qui se lève la première pour répondre aux questions de la présidente. Petite, bien en chair, le cheveu roux et frisé, le visage rond, elle est vêtue d’un simple pull blanc. Après avoir précisé qu’elle est née le 20 juillet 1967 dans l’Eure, elle poursuit :
— Mes parents avaient neuf enfants chacun quand ils se sont rencontrés. L’un de mes frères m’a agressée sexuellement alors que j’avais 8 ans. Quant à mon père, il buvait… Dans ces conditions, on comprend pourquoi Nathalie, alors qu’elle vient tout juste de fêter ses 17 ans, n’ait rien de plus pressé que de fuir sa famille et de monter à Paris. La jeune fille a un diplôme d’esthéticienne en poche. Mais elle ne s’en servira pas, préférant devenir serveuse dans un bar du XlVe arrondissement
—Quelques semaines plus tard, dit- elle, j’ai rencontré mon premier amour : Abdel. Pour lui, je me suis mise à faire le trottoir. Ma première passe, je l’ai faite rue Blondel, le jour de mes 18 ans.

Mars 1987. Abdel est découvert assassiné dans la forêt de Sénart. Qui l’a tué? Nathalie Delhomme, un moment soupçonnée, est relâchée faute de preuves. Et tout naturellement pourrait-on dire, elle retrouve le trottoir. Sous le contrôle d’un nouveau proxénète, un certain José Da Silva.

—A cette époque, reconnaît la jeune femme, je me droguais. Il me fallait près de 2 000 francs par jour pour ma came. Ce n’est qu’en 1996, quand j’ai accouché de Tony, mon petit garçon, que j’ai cherché à m’en sortir. Je suis alors partie en Normandie et je me suis inscrite au RMI. Ensuite, j’ai décidé de fonder une entreprise de retouches.

Cette nouvelle vie ne durera guère. Au mois de juin 1997, en effet à la suite des révélations de Simone, les policiers décident d’interpeller Nathalie Delhomme. C’est un jeune lieutenant Marc Guillemois, qui parvient enfin à la localiser. Mais, une fois en sa présence, il constate qu’elle a beaucoup changé.

—Je cherchais une prostituée, explique ce policier râblé, vêtu d’un jean et d’un blazer. J’ai été surpris de tomber sur une hon¬nête mère de famille. Nous sommes remontés à Paris dans ma voiture. Je me souviens parfaitement que lors d’un arrêt à une station-service, je lui ai parlé de Catherine Choukroun. Je lui ai dit: «La pauvre femme, elle avait un bébé de cinq mois… » Nathalie Delhomme a alors fondu en larmes. Et elle m’a dit : « D’accord, c’est vrai. J’étais là au moment elle a été tuée. Ce qui s’est passé est ignoble. »

« Si j’ai avoué, c’est parce qu’ils m’ont menacée »

Lors de sa garde à vue, Nathalie Delhomme réitère ses aveux. Elle dénonce même l’un de ses complices présumés : un certain Aziz, qui exerce la profession de videur rue Saint-Denis. Mais aujourd’hui la position de la jeune femme est bien différente.

—Tout ce que j’ai raconté aux policiers était faux! proteste-t-elle dans un sanglot Si j’ai avoué, c’est parce qu’ils m’ont menacée de m’envoyer en prison pour le reste de ma vie. Je ne voulais pas que mon fils aille à la Ddass.

-Alors, insiste la présidente, vous n’étiez donc pas sur le périphérique en compagnie d’Aziz Oulamara au cours de la nuit du drame ?
— Non !

A côté d’elle, Oulamara acquiesce vivement. Puis, sur un signe de la magistrate, ce petit homme de 39 ans au visage mou, vêtu d’un sweat blanc et gris à rayures, se lève. Et s’exclame :
— Moi, je n’ai jamais tué de policier. Les policiers, je les aime bien. Le week-end, je jouais même avec eux à la pétanque !
Un silence.
—Vous avez tout de même été condamné neuf fois pour proxénétisme et vol avec violence, fait remarquer Mme Varin.
— Peut-être, réplique Oulamara, mais j’ai toujours travaillé. Il fallait bien, d’ailleurs ! En 1983, mon père a tué ma mère et il s’est retrouvé en prison. J’ai dû élever mes quatre frères et sœurs. Je devais acheter les fournitures scolaires, la nourriture, payer pour les vacances de tout le monde. C’est comme ça que je suis devenu videur rue Saint-Denis…
— En quoi consistait votre travail ?
— Je veillais à ce que les filles n’aient pas de problème avec leurs clients. Ça me rapportait 1 500 francs par fille et par nuit.
— M. Oulamara, dit la présidente, revenons en aux faits qui vous sont reprochés…
—Je suis innocent !
—Vous avez pourtant passé des aveux détaillés… |
— Pendant ma garde à vue, les policiers m’ont frappé et j’ai eu des côtes cassées, un traumatisme crânien.
A cet instant à l’appui de ces déclarations,
Me Françoise Luneau, l’avocate d’Oulamara, brandit une photo prise à l’issue de sa garde à vue. Et tous peuvent constater que l’accusé est en effet couvert d’ecchymoses.
— M. Oulamara, reprend Mme Varin, je constate pourtant qu’en novembre 1997, soit six mois plus tard, vous expliquez au juge d’instruction que le soir du drame vous étiez sur le périphérique, au volant d’une Austin noire volée. Vous admettez aussi que vous portiez un foulard palestinien.
— Un foulard palestinien? s’exclame Oulamara, méprisant. Et pourquoi pas des babouches et un tchador !
La présidente attend quelques secondes. Puis enfonce le clou :
—Vous avez aussi accusé votre ami Marc Petaux d’avoir occupé le siège passager et d’être l’auteur des coups de feu tirés sur Mme Choukroun.

Tous les regards se tournent alors vers le troisième accusé, Marc Petaux, 41 ans, alias « Marco te Légionnaire ». Grand, le visage taillé au couteau, les yeux clairs, il se dresse, très maigre dans son polo blanc Puis cet ancien engagé au Tchad, devenu lui aussi videur rue Saint-Denis, déclare, la main sur le cœur :
— Je vous donne ma parole d’homme que je suis innocent. Jamais je n’ai participé à cette abomination.

Il se tourne vers Oulamara, le fusillant du regard :
— Celui-là, dit-il, il m’a tué avec sa langue ! Et il n’a eu besoin d’aucun fusil !
— Je suis désolé de t’avoir dénoncé, bredouille alors Oulamara, gêné. Mais j’avais les nerfs parce que tu voulais mettre ma sœur sur le trottoir.
Et de conclure, regard fixé sur les jurés :
— Mais Marco n’y est pour rien, je vous assure. Pas davantage que moi. Si on est là, c’est à cause des racontars d’une mère maquerelle…
C’est la fin de cette audience. Il reste un témoin à entendre. Un petit homme brun et sec, vêtu d’une veste grise, d’un pantalon de flanelle noir et d’une chemise d’un bleu éclatant. II s’appelle José da Silva. Au moment des faits, il était le souteneur de Nathalie Delhomme.
—J’étais incarcéré à Saint-Martin-de-Ré quand c’est arrivé, dit- il. Heureusement d’ailleurs! Sinon, je crois bien qu’aujourd’hui je serais dans le box !
Un silence. Puis da Silva développe sa vision de l’affaire.
— On raconte que Johanna, Aziz et Marco seraient allés chercher de la came cette nuit- là. Mais c’est idiot ! De la came, ils n’avaient pas besoin d’aller sur les boulevards des Maréchaux pour en trouver.

Un silence.

— Il parait aussi qu’Aziz se serait vanté d’avoir « fumé » une femme policier, reprend-il. Mais si c’était vrai, les policiers de la brigade criminelle l’auraient appris dans l’instant par leurs informateurs ! Ils n’auraient pas attendu six ans pour le coffrer ! Il y a eu une erreur…

Vrai ou faux ?

Espérons que la suite des débats, qui aura lieu la semaine prochaine – avec notamment le témoignage de Simone, la fameuse « mère maquerelle » de la rue Saint-Denis – permettra de répondre à cette question…

«On a fume une flic», la phrase qui rôdait rue Saint-Denis

logo-liberation-311x113, Patricia Tourancheau

Gueules cassées de demi-sel et figures décrépies de «Madames», la cohorte brinquebalante de témoins de la rue Saint-Denis a défilé hier devant la cour d’assises de Paris pour jurer de la «moralité» d’Aziz Oulamara, 39 ans, dit «Jacky», un «brave garçon» videur «sous l’empire de l’alcool et l’influence du violent Marc Pétaux, le légionnaire [son coaccusé, ndlr]» mais qui «n’a pas pu tuer» la gardienne de la paix Catherine Choukroun, 27 ans, la nuit du 20 février 1991, sur le périphérique, Porte de Clignancourt.

«C’est pas des enfants de chœur mais ça n’en fait pas des assassins», explique Michel Marcos, alias «Patrick» qui revient sur les confidences de «Jacky», pourtant rapportées à la police et au juge. «C’est vrai qu’un soir de 95, au bar La Lune, Jacky m’a répété que Marco [Pétaux] l’avait mis dans une grosse merde. C’était notoire, les filles du 194 disaient que « le coup du périph, c’était sûrement Marco et Jacky », mais sans plus.» Sur procès-verbal, ce témoin avait prêté des paroles plus compromettantes à «Jacky» Oulamara: «Marco et moi n’avons peur de rien ni de personne, pas même des condés. On n’a plus rien à perdre, on ne craint plus rien, on a fumé une flic.»

Parano. Aujourd’hui, «Patrick» met cela sur le compte du bluff: «Il y avait beaucoup de videurs qui flambaient [se vantaient, ndlr]. C’est difficile de démêler les rumeurs. Un bruit qui part du 194 rue Saint-Denis arrive comme ça au 283», raconte le gars au nez cabossé et au bombers noir qui écarte ses larges mains pour grossir par dix la rumeur. Menuisier «d’une banlieue», alors attiré par le boulot de videur payé «600 à 700 F la soirée», il ne se considère ni «comme un voyou», ni comme un «proxénète»: «On intervenait dix fois par nuit pour protéger les filles des mabouls qui, au moment de l’acte, font une crise de parano et essayent de les étrangler.» L’avocat général, Philippe Bilger, trouve «étonnant» que ce témoin à charge ait oublié «ces propos qui ne sont pas anodins, « nous, on a fumé une flic » et qui plus est au féminin, la seule fois dans le dossier». «Patrick» Marcos avait même répété la phrase à son demi-frère Patrice Communal, lequel l’a attesté dans deux PV. Appelé à la barre, Patrice Communal, armoire à glace, veste de cuir et mine renfrognée qui, au bout de dix ans, a troqué le métier de videur contre celui de chauffeur routier, jure que non: «C’est pas ce que j’ai dit. J’ai signé les deux PV sans faire attention, ça me gonflait.» Sa déclaration antérieure, «Aziz a précisé qu’ils allaient se faire contrôler en voiture par les flics», est aussi nulle et non avenue.

Came. En revanche, «c’est vrai», les trois dans le box des accusés, Oulamara, Pétaux et «Joanna»­ (Nathalie Delhomme), étaient toujours fourrés «ensemble» et «allaient souvent Porte de Clignancourt ou boulevard des Maréchaux acheter de la came», mais, relativise le gaillard, «comme tout le monde». C’est pareil pour le «foulard palestinien à carreaux noirs et blancs» de «Jacky» (le seul taxi témoin des faits a vu le passager avant de la voiture suspecte avec un keffieh): «Tout le monde en portait à l’époque, c’était la mode.»

La présidente Martine Varin s’interroge sur les pressions et menaces qui pèsent sur les «balances» dans ce milieu: «Aujourd’hui, avez-vous peur de témoigner?» Patrice Communal: «J’ai pris quatre balles dans le buffet par un julot, vous savez, j’suis déjà mort. Comment voulez-vous que j’aie peur?» En tout cas, «moi j’ai déjà tiré sur quelqu’un, mais Aziz en est incapable». Des femmes retirées de la rue ont aussi incendié Simone, «la Reine de Saint-Denis», qui a dénoncé le trio à la police (lire Libération d’hier). Marie-Thérèse Barnabé, 49 ans, ex-prostituée puis taulière de la rue Saint-Denis durant seize ans, qui a employé un temps les deux videurs accusés, secoue sans cesse sa crinière poivre et sel en signe de dénégation pour dédouaner les trois «soi-disant qui auraient fait ce geste aussi moche»: «Déjà, le faire ce serait atroce mais, surtout, faudrait être fou pour aller le raconter.» Exit donc les rumeurs de la rue sur les vantardises ou vérités colportées par Aziz Oulamara. L’avocat général a insisté sur «ce mélange de peur et de quasi-mensonge» qui frappe les témoins. L’air pas commode, Marie-Thérèse Barnabé a lancé: «Ceux qui ont peur des représailles, c’est ceux qui sont venus enfoncer le clou. Mais s’ils se trompent, ben ils verront…».

⇒ Lire l’article

Crime du périphérique : les vérités accablantes de Mme Simone

logo france soir Olivier Pellardeau, 12/09/2000

«J’ai toujours été honnête, dans mon genre. Oh, vous pouvez douter : je ne suis qu’une tenancière de la rue Saint-Denis… Mais je fais ça pour cette dame policier. Qu’elle dorme en paix. Ils l’ont tuée pour rigoler ! »

Accent paysan, geste large, petite et sourde, jean moulant, gilet noir sans manche, Mme Simone, 71 ans, agite sa queue de cheval à mesure qu’elle vide son sac devant la cour d’assises de Paris. Mère, grand-mère : autant de bouches qu’il a fallu nourrir. Alors, en vingt-cinq ans de trottoirs et de studios, elle en a appris. Et elle parle. Par dégoût de « ce crime horrible ». Par revanche pour ce boulevard du stupre qui l’a bannie en 1998, après qu’on l’ait « fait tomber avec tout (son) immeuble » : « On aura ta peau, balance ! »

Les trois accusés sont deux anciens videurs d’immeubles, Aziz Oulamara et Marc Petaux, et une prostituée (Nathalie Delhomme alias Johana. « En 1991, quand la policière en patrouille a été tuée sur le périphérique à Clignancourt, ils étaient toujours ensemble. Jacky (Oulamara), un brave gars, a eu de mauvaises fréquentations, s’est fait avoir. » Un regard vers Petaux, « plus dealer que videur ». Et cette évidence de la rumeur : « Une bonne partie de la rue savait. » Oulamara parlait trop, se vantant d’avoir mis dans le mille, prenant Marco à témoin. Simone, et d’autres habituées parlent de Delhomme, de Petaux, de leur violence, du racket des filles. Une prostituée : «Aziz m’a dit qu’une affaire avec Marco avait mal tourné, qu’ils
avaient défouraillé sur les condés. »

Mme Simone : « Un jour, j’ai dit à Jacky que Clignancourt, c’était lui. Oui, mais faut le prouver, qu’il a répondu. » Alors, elle alerte un « contact » policier, en 1991, s’inquiétant de voir ces enquêteurs qui recherchent dans la rue une voiture noire des agresseurs. Dame : ça tue le commerce.

Ennuis

Elle livre le numéro d’immatriculation de Delhomme, et ses soupçons avec. En vain. Par peur d’ennuis, elle se tait. Elle réitère devant un autre policier d’une autre brigade, fin 1996, un soir de blues, dans un bar. Premier fil d’une pelote. La bonne. L’assassinat aurait pu être élucidé plus tôt…

« J’ai pas de voiture. Je ne quittais pas la rue pour aller sur des plans came porte de la Chapelle », jure Nathalie Delhomme. Mais ces affirmations I pleurées se heurtent aux témoignages. Le seul à donner un motif à cette virée tragique du 20 février 1991 sur le périphérique, c’est Oulamara : un plan came. Malgré ses dénégations -« j’ai menti en accusant Petaux et Delhomme pour les punir de leurs propos dans une autre affaire-, Oulamara accrédite ses aveux chez le juge : il conduisait, Petaux passager lui a ordonné de s’arrêter à hauteur de la voiture siglée police, est sorti, a tiré deux fois. L’expert balistique ne dit pas autre chose.

Serge, un fourgue, indique avoir vendu un fusil de chasse à Petaux, et l’avoir vu rentrer à Saint-Ouen avec Aziz, chez les Oulamara, la nuit du crime. Tout près de la porte de Saint-Ouen où la voiture des agresseurs avait disparu dans la nuit.

Un troublant accusé accusateur

images fig Philippe du Tanney, 12/09/2000

L’assassinat du gardien de la paix Catherine Choukroun devant les assises de Paris

Aziz Oulamara a tellement menti, comme il le reconnaît lui-même, que ce dossier gravissime repose sur un énorme tas de confusions. Et la cour d’assises doit constamment s’efforcer de trier les scories pour retrouver le fil conducteur De plus en plus embourbé dans ses contradictions cet ancien « demi-sel » de la rue Saint-Denis semble vouloir se faire passer pour plus bête qu’il n’est Et du même coup relativiser la portée de ses premières accusations.

Car, si les trois accusés se retrouvent dans le box des assises comme co-auteurs (eux) et complice (elle) de l’assassinat du gardien de la paix Catherine Choukroun de la tentative sur son collègue Emile HubbeL, le 20 février 1991, c’est en grande partie sur les déclarations détaillées d’Oulamara avant qu’il ne se rétracte. En novembre 1997. il avait expliqué au Juge d’instruction qu’ils étaient tous les trois partis ce soir-là en Austin Métro à la porte de La Vilette où Nathalie Delhomme voulait acheter de l’héroïne.

C’est en revenant de la porte de Clignancourt par le périphérique, qu’ils avaient vu le véhicule de police embusqué sur la bretelle d’accès pour un contrôle radar. Nathalie et Marc Petaux lui avaient alors dit : « Ralentis, et arrête-toi près d’eux, on va se les faire ! » Toujours selon Oulamara. Marco Petaux était sorti de la petite voiture son fusil à canon scié à la main et avait fait feu à deux reprises au-dessus du capot sur les deux policiers en uniforme. « J’ai menti tout ça c’est faux, j’en voulais à Nathalie et à Marco parce qu’ils m’avaient mis en cause dans l’affaire d’Evry ». Ils sont tous trois mis en examen dans l’assassinat en 1987 d’un ancien souteneur de la prostituée.

Mais la petite voiture noire avait bien été repérée par un chauffeur de taxi. En outre, les experts en balistique sont formels : au vu des angles de tir, le tireur est nécessairement sorti de la petite voiture pour lâcher les deux décharges de chevrotine. Les prétendus mensonges d’Oulamara sont d’autant plus troublants qu’ils coïncident aussi avec les premières indications de Mme Simone.

Surnommée « le PDG rue Saint-Denis » parcequ’elle y posséderait de très nombreux studios loués grassement aux prostituées, Mme Simone Darridon est une véritable institution : « J’y connais tout le monde », dit avec un sourire poli cette accorte septuagénaire en jean et gilet noir sur un chemisier à fleurs, les cheveux d’un noir de jais soigneusement réunis en natte dans le dos. « Je voyais tous les jours Aziz et Marco, ils s’occupaient de ramasser les loyers des studios. Aziz était videur. Marco et Nathalie vendaient aussi de la drogue ». Madame Simone ne cache pas que ses activités, sur lesquelles elle reste très pudique, lui valaient des relations très suivies avec des policiers.

« Vous comprenez, Mme la Présidente, explique-t-elle à la barre, la police faisait tout à coup des recherches dans mon immeuble et J’ai même été arrêtée.J‘ai alors demandé ce qu’il cherchaient. Je leur al indiqué la seule voiture qui ne faisait pas partie de l’immeuble et c’était l’Austin noire de Nathalie Delhomme». Simone Darridon affirme quelle trouvait sympathiques les accusés à l’époque où Ils « travaillaient » ensemble mais que, lorsqu’ils ont été impliqués d’après des rumeurs selon elle, elle a été écœurée « Si J’ai parlé de cette affaire, c’est parce que tuer pour s’amuser, pour rigoler, c’est une honte Pour un règlement de comptes, je n’aurais rien dit mais là! »…

Madame Simone, délatrice au grand cœur.

logo-liberation-311x113 Patricia Tourancheau

A71 ans, dont 25 passés rue Saint-Denis, «madame Simone», prostituée puis tenancière, ne s’est pas démontée hier à la barre de la cour d’assises de Paris face à Aziz Oulamara dit «Jacky» et Marc Pétaux ou «Marco», deux videurs d’immeubles de passe jugés pour l’assassinat d’une policière sur le périphérique, le 20 février 1991, et à «Joanna», nom de guerre de Nathalie Delhomme, accusée de complicité. La Bretonne a beau posséder un studio de prostitution et en gérer deux autres, elle a sa morale à elle: «J’ai toujours été honnête dans mon genre, je pense que j’ai toujours marché droit.»

Obsession. Cheveux noir jais tirés en queue de cheval, jean bleu, poitrine opulente sous le corsage chamarré, gilet noir façon serveur, Simone Darridon rapporte les rumeurs de la rue et les confidences de «Jacky». Le meurtre de la policière Catherine Choukroun Porte de Clignancourt, «c’est une affaire tellement moche! Cette personne a été tuée pour rigoler, pour s’amuser, et ce n’est pas excusable». Une nuit, dans l’escalier du 194, le videur Aziz Oulamara, «pas dans son état normal», a raconté à Simone «sept ou huit fois» la même chose incroyable, «une obsession chez lui»: «Tu vois, moi, je suis pire qu’un tireur d’élite, je vise la tête. A 100 km/h, je tire dans la tête. Si tu me crois pas, demande à Marco.»

La présidente Martine Varin interroge sur une hypothétique confusion avec un autre que Marc Pétaux: «Mais non, assure Simone avec aplomb, ils travaillaient ensemble, et il n’y a pas d’autre Marco.» Quelque temps après, les policiers traînent sans arrêt au pied de l’immeuble à la recherche d’une «petite voiture noire» suspecte, et ce n’est pas bon pour les affaires.

Alors, Simone téléphone à son «contact à la Mondaine» («j’en avais un, pas 36») pour «vérifier cette histoire de voiture qui aurait fait le problème à Clignancourt, et j’en vois qu’une: celle de Joanna. Un jour, j’ai vu Marc Pétaux rentrer dans cette Austin Metro qui n’est pas son genre, trop petite pour ses grandes jambes, et discuter avec Joanna vers le café La Palette. Le policier m’a dit: « Mais non c’est pas Joanna. Ecoutez, Simone, si un jour, j’apprends que vous avez donné quoi que ce soit à un poulet, c’est fini pour vous rue Saint-Denis. » Moi, j’ai besoin d’exercer, pour mes petits-enfants, alors je me suis tue». N’empêche que Simone a marqué sur un bout de papier le numéro «9 643 PT 92» de «l’Ostine Metro» (sic) de Joanna qu’elle extirpe de son sac à main, et remet à la présidente Martine Varin.

«Faudra le prouver». Seule, Simone mène l’enquête rue Saint-Denis: «Des amis intimes à ces trois m’ont certifié que c’était Joanna et mes videurs», qui, en réalité, «faisaient leurs petites affaires comme moi, s’occupaient de studios et encaissaient des loyers» (6 000 F par mois et par fille, à raison de 20 à 30 prostituées par studio, selon les deux videurs). Pour Simone, qui connaît son monde, «Oulamara buvait mais ne se droguait pas. Pétaux n’a jamais été videur mais dealer. Mme Nathalie [Delhomme, ndlr] consommait et vendait». Tombé pour proxénétisme en 1993 (avec Pétaux), «Jacky» Oulamara demande un jour à Simone, qui «l’assiste» en prison, de l’aider: «T’as qu’à balancer l’affaire de Clignancourt», coupe court Simone. «Un jour de permission, je l’ai amené chez moi: « Ecoute, Jacky, tu me demandes de te sortir mais je ne suis pas dupe, l’affaire de Clignancourt, c’est toi. » Jacky m’a répondu: « Oui, mais ça, faudra le prouver. »»

Sans animosité, Simone parle de «Jacky», «trop faible pour être dans la rue Saint-Denis, pas assez de volonté», «un brave garçon qui a certainement eu de mauvaises fréquentations». Tout à coup, Simone fronce les sourcils, et tance les accusés d’un ton sévère: «Ce n’est pas normal de tuer une femme, policier, ou d’une autre profession. On n’a pas le droit de tirer sur quelqu’un à 100 km à l’heure pour rigoler. C’est abominable. Un accident, ça peut arriver, mais ce n’était pas un accident.» Dans le box, personne ne moufte.

Réveillon. Et puis, la nuit du 31 décembre 1996, Simone qui réveillonne seule «Chez Bouzid», un restaurant à Montreuil, y croise «un policier de mon pays en qui j’ai entière confiance». Le capitaine Henri Seghair, alors en poste à la brigade des stups de Seine-Saint-Denis, à qui elle a déjà confié ses «soucis» sur sa fille toxicomane, l’invite à sa table. Et là, en guise de «cadeau» du nouvel an, selon le policier qui a déposé jeudi, Simone l’aiguille sur les tueurs de la gardienne Choukroun: elle donne «Joanna» et le numéro de l’Austin, conservé depuis six ans sur un post-it bleu délavé dans son portefeuille.

Le lendemain, ce policier a mis la brigade criminelle sur la bonne piste. «Y a-t-il eu un contrat, une promesse, du donnant-donnant?», questionne l’avocat général, Philippe Bilger. Outrée, Simone dément toute protection des «condés» pour continuer ses «affaires» en toute impunité: «Jamais. C’est la plus grande insulte qu’on m’ait faite de ma vie.» Néanmoins, la brigade criminelle s’est insurgée quand la Mondaine a envoyé Simone quatre mois en prison en 1998 pour proxénétisme aggravé: «La Mondaine m’a accusée de manger sur une morte [la gardienne Choukroun, ndlr], ça ne va pas, non! Si j’ai parlé de cette affaire, c’est pour rien. Je trouve qu’on ne tue pas des gens pour rigoler. Dans un règlement de comptes, je n’aurais rien dit. Je n’ai pas peur, de toute façon ces messieurs ne m’ont jamais fait peur. Vous me parlez de courage, est-ce qu’on en donne à une ancienne taulière?» Altière, la petite Simone se tourne vers la famille de Catherine Choukroun: «J’ai fait ça pour que cette dame dorme en paix.».

⇒ Voir l’article

Avocat