Madame Simone, délatrice au grand cœur.

logo-liberation-311x113 Patricia Tourancheau

A71 ans, dont 25 passés rue Saint-Denis, «madame Simone», prostituée puis tenancière, ne s’est pas démontée hier à la barre de la cour d’assises de Paris face à Aziz Oulamara dit «Jacky» et Marc Pétaux ou «Marco», deux videurs d’immeubles de passe jugés pour l’assassinat d’une policière sur le périphérique, le 20 février 1991, et à «Joanna», nom de guerre de Nathalie Delhomme, accusée de complicité. La Bretonne a beau posséder un studio de prostitution et en gérer deux autres, elle a sa morale à elle: «J’ai toujours été honnête dans mon genre, je pense que j’ai toujours marché droit.»

Obsession. Cheveux noir jais tirés en queue de cheval, jean bleu, poitrine opulente sous le corsage chamarré, gilet noir façon serveur, Simone Darridon rapporte les rumeurs de la rue et les confidences de «Jacky». Le meurtre de la policière Catherine Choukroun Porte de Clignancourt, «c’est une affaire tellement moche! Cette personne a été tuée pour rigoler, pour s’amuser, et ce n’est pas excusable». Une nuit, dans l’escalier du 194, le videur Aziz Oulamara, «pas dans son état normal», a raconté à Simone «sept ou huit fois» la même chose incroyable, «une obsession chez lui»: «Tu vois, moi, je suis pire qu’un tireur d’élite, je vise la tête. A 100 km/h, je tire dans la tête. Si tu me crois pas, demande à Marco.»

La présidente Martine Varin interroge sur une hypothétique confusion avec un autre que Marc Pétaux: «Mais non, assure Simone avec aplomb, ils travaillaient ensemble, et il n’y a pas d’autre Marco.» Quelque temps après, les policiers traînent sans arrêt au pied de l’immeuble à la recherche d’une «petite voiture noire» suspecte, et ce n’est pas bon pour les affaires.

Alors, Simone téléphone à son «contact à la Mondaine» («j’en avais un, pas 36») pour «vérifier cette histoire de voiture qui aurait fait le problème à Clignancourt, et j’en vois qu’une: celle de Joanna. Un jour, j’ai vu Marc Pétaux rentrer dans cette Austin Metro qui n’est pas son genre, trop petite pour ses grandes jambes, et discuter avec Joanna vers le café La Palette. Le policier m’a dit: « Mais non c’est pas Joanna. Ecoutez, Simone, si un jour, j’apprends que vous avez donné quoi que ce soit à un poulet, c’est fini pour vous rue Saint-Denis. » Moi, j’ai besoin d’exercer, pour mes petits-enfants, alors je me suis tue». N’empêche que Simone a marqué sur un bout de papier le numéro «9 643 PT 92» de «l’Ostine Metro» (sic) de Joanna qu’elle extirpe de son sac à main, et remet à la présidente Martine Varin.

«Faudra le prouver». Seule, Simone mène l’enquête rue Saint-Denis: «Des amis intimes à ces trois m’ont certifié que c’était Joanna et mes videurs», qui, en réalité, «faisaient leurs petites affaires comme moi, s’occupaient de studios et encaissaient des loyers» (6 000 F par mois et par fille, à raison de 20 à 30 prostituées par studio, selon les deux videurs). Pour Simone, qui connaît son monde, «Oulamara buvait mais ne se droguait pas. Pétaux n’a jamais été videur mais dealer. Mme Nathalie [Delhomme, ndlr] consommait et vendait». Tombé pour proxénétisme en 1993 (avec Pétaux), «Jacky» Oulamara demande un jour à Simone, qui «l’assiste» en prison, de l’aider: «T’as qu’à balancer l’affaire de Clignancourt», coupe court Simone. «Un jour de permission, je l’ai amené chez moi: « Ecoute, Jacky, tu me demandes de te sortir mais je ne suis pas dupe, l’affaire de Clignancourt, c’est toi. » Jacky m’a répondu: « Oui, mais ça, faudra le prouver. »»

Sans animosité, Simone parle de «Jacky», «trop faible pour être dans la rue Saint-Denis, pas assez de volonté», «un brave garçon qui a certainement eu de mauvaises fréquentations». Tout à coup, Simone fronce les sourcils, et tance les accusés d’un ton sévère: «Ce n’est pas normal de tuer une femme, policier, ou d’une autre profession. On n’a pas le droit de tirer sur quelqu’un à 100 km à l’heure pour rigoler. C’est abominable. Un accident, ça peut arriver, mais ce n’était pas un accident.» Dans le box, personne ne moufte.

Réveillon. Et puis, la nuit du 31 décembre 1996, Simone qui réveillonne seule «Chez Bouzid», un restaurant à Montreuil, y croise «un policier de mon pays en qui j’ai entière confiance». Le capitaine Henri Seghair, alors en poste à la brigade des stups de Seine-Saint-Denis, à qui elle a déjà confié ses «soucis» sur sa fille toxicomane, l’invite à sa table. Et là, en guise de «cadeau» du nouvel an, selon le policier qui a déposé jeudi, Simone l’aiguille sur les tueurs de la gardienne Choukroun: elle donne «Joanna» et le numéro de l’Austin, conservé depuis six ans sur un post-it bleu délavé dans son portefeuille.

Le lendemain, ce policier a mis la brigade criminelle sur la bonne piste. «Y a-t-il eu un contrat, une promesse, du donnant-donnant?», questionne l’avocat général, Philippe Bilger. Outrée, Simone dément toute protection des «condés» pour continuer ses «affaires» en toute impunité: «Jamais. C’est la plus grande insulte qu’on m’ait faite de ma vie.» Néanmoins, la brigade criminelle s’est insurgée quand la Mondaine a envoyé Simone quatre mois en prison en 1998 pour proxénétisme aggravé: «La Mondaine m’a accusée de manger sur une morte [la gardienne Choukroun, ndlr], ça ne va pas, non! Si j’ai parlé de cette affaire, c’est pour rien. Je trouve qu’on ne tue pas des gens pour rigoler. Dans un règlement de comptes, je n’aurais rien dit. Je n’ai pas peur, de toute façon ces messieurs ne m’ont jamais fait peur. Vous me parlez de courage, est-ce qu’on en donne à une ancienne taulière?» Altière, la petite Simone se tourne vers la famille de Catherine Choukroun: «J’ai fait ça pour que cette dame dorme en paix.».

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