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Des Avocats…..

Accueil, 23/01/1992

Des Avocats parisiens (maîtres Christian Bourguet, Sylvia Laussinotte, Stéphane Maugendre et Simon Foreman) défendront, le 26 février prochain, cinq demandeurs d’asile (quatre Haïtiens et une Zaïroise) qui ont été retenus, pour l’un d’entre eux jusqu’à un mois, en zone de transit au mois de novembre. Ils estiment que l’amendement présenté par le ministre Philippe Marchand, dans la nuit du 19 au 20 novembre, était «destiné à modifier la loi avant que le procès n’ait lieu». Selon ces avocats, l’affaire judiciaire en cours est un prétexte pour justifier la procédure législative expéditive choisie.

L’ « amendement Marchand » à nouveau devant les parlementaires

index  Philippe Bernard, 21/01/1992

Plusieurs affaires judiciaires récentes, opposant en particulier des demandeurs d’asile haïtiens à l’administration française, illustrent l’ambiguïté de la « zone internationale » que le gouvernement souhaite légaliser dans les aéroports parisiens. Cette disposition est prévue dans l’amendement qui doit être examiné, mardi 21 janvier, par la commission mixte paritaire réunissant députés et sénateurs (le Monde du 18 janvier).

M. D., chauffeur de « tap tap», le taxi collectif de Port-au-Prince, ne retournera pas en Haïti. La qualité de réfugié politique lui a été reconnue par la France, le 31 décembre dernier, dans un délai record. Quelques jours après le coup d’État qui a renversé, en septembre dernier, le Père Aristide, le jeune frère de M. D., qui conduit son taxi, est frappé à mort par des «tontons macoutes» qui refusent de le paver.

M. D. ose porter plainte. La même mésaventure lui arrive trois jours plus tard, mais il parvient à s’enfuir. II décide alors de se réfugier en France, d’où des parents lui envoient l’argent du billet. Arrivé à Roissy, le 4 décembre dernier, par un vol de la Swissair, il se voit passer les menottes à sa descente d’avion et est maintenu deux jours durant dans une salle de l’aéroport.

M. D. ne sait toujours pas qui était l’homme – probablement un agent de l’Office de protection des réfugiés, l’OFPRA – qui lui a suggéré de formuler une demande d’asile. Il est finalement reçu par un policier auquel il demande l’asile en France. Il est ensuite conduit à l’hôtel Arcade, dont deux étages, loués à l’année par le ministère de
l’intérieur, sont considérés par la police comme « zone internationale», et où la législation française ne s’applique pas.

«Séquestration arbitraire»

Le prochain avion pour Port-au- Prince quitte Paris quatre jours plus tard, et M. D. n’a toujours pas pu formuler sa demande d’asile sous procès-verbal, seule forme valable, inquiet, il téléphone à sa famille qui prend contact avec un avocat. Ce n’est qu’après une intervention, auprès du cabinet du ministère de l’intérieur, du GISTI, groupe de juristes militants en faveur des immigrés, que le Haïtien finit par être entendu, le 9 décembre, par un agent de la police de l’air et des frontières qui dresse procès-verbal.

Ce document enregistre la demande d’asile cinq jours après l’arrivée de M. D., mais envisage son «réacheminement» par le prochain avion d’Air-France pour Haïti. Le ministère de l’intérieur, après avis favorable du Quai d’Orsay, admet finalement le chauffeur de taxi sur le territoire le 11 décembre. Le lendemain, soit une semaine après son arrivée à Roissy, M. D. sort libre de l’hôtel Arcade.

J. L., un autre Haïtien passé dans la clandestinité après l’arrestation de ses parents, a vécu une aventure comparable à Roissy où il débarque le 6 novembre dernier. La police lui refuse l’entrée sur le territoire et le maintien en «zone internationale» en l’informant qu’il sera mis dans le prochain avion pour Port-au-Prince.

Se croyant en possession de tous les papiers nécessaires pour entrer en France, il n’a pas formulé de demande d’asile. Mais un avocat, M° Christian Bourguet, alerté par sa famille, formalise la demande. L’homme de loi va plus loin : il saisit en référé le tribunal de grande instance de Paris qui, le 22 novembre, rend une ordonnance sans précèdent.

Les juges autorisent J. L. à assigner le ministère de l’intérieur pour «séquestration arbitraire », alors même que le ministère, alarmé par le référé, a fini par l’admettre sur le territoire. L’audience, fixée au 26 février prochain, permettra de statuer sur le cas similaire de quatre autres demandeurs d’asile, trois Haïtiens et une Zaïroise, arrivés à Roissy le 19 novembre, dont les avocats, Mes Maugendre et Foreman, ont également été autorisés à poursuivre le ministère de l’intérieur.

La crainte de jugements défavorables dans de telles affaires est le principal argument avancé par le ministère de l’intérieur pour justifier son empressement à faire adopter l’amendement légalisant la «zone internationale» sous le nom de «zone de transit». En effet, le gouvernement estime qu’une décision de justice condamnant le ministère de l’intérieur sonnerait le glas des contrôles aux frontières. Mais les avocats des demandeurs d’asile affirment que la «zone internationale» n’est qu’une fiction policière. Celle-ci aurait été inventée pour empêcher l’application de la loi française qui permet de placer en rétention un étranger non admis sur le territoire, mais oblige la police à saisir un juge au-delà vingt-quatre heures. La question concerne les 10 000 voyageurs chaque année, sont bloqués à la douane dans les aéroports, faute de papiers en règle.

Moins de I % d’entre eux font l’objet d’une mesure légale de rétention administrative, tandis que d’autres séjournent, plus ou moins longuement, dans la fameuse «zone internationale ». Les demandes d’asile formulées dans les aéroports constituent d’ailleurs une part infime du total de celles qui sont enregistrées sur le territoire (86 pour 50000 demandes en 1991). La majorité des demandeurs à la frontière sont admis sur le territoire, selon les statistiques du ministère de l’intérieur. Celui-ci précise que les soixante demandeurs d’asile haïtiens enregistrés à Roissy depuis le renversement du Père Aristide ont tous été admis sur le territoire. Mais qui sait combien n’ont pu faire authentifier leur demande?

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Les futurs mariés étrangers en butte aux chicanes de la Mairie de Paris

logo-liberation-311x113 Romain Gubert, 01/12/1991

Demande de carte de séjour, d’une autorisation spéciale du préfet, demande d’une enquête auprès du procureur de la République, retardent les noces et ont un effet dissuasif.

C’est une véritable bataille juridique qu’un couple de Nigérians a livrée au maire de Paris en l’assignant en référé hier matin au Palais de justice de Paris. La raison? Le maire du 16e arrondissement n’a pas voulu les marier, le 23 octobre dernier. Après une année de vie commune, Salomon, 33 ans, qui vit légalement en France depuis plusieurs années et sa compagne, Loveline, enceinte de sept mois et en situation irrégulière, décident de se marier. Le couple dépose te 10 octobre dernier un dossier à la mairie d’arrondissement du domicile de Salomon et les bans sont publiés. Date prévue pour le mariage, le 23 octobre. Ce jour-là, témoins sous te bras, le couple se présente pour convoler en justes noces. Refus catégorique de l’officier d’état civil, qui ne nie pas leur droit au mariage mais explique qu’il n’a pas reçu les résultats d’une enquête demandée au procureur de la République. L’officier d’état civil se demande si 1e maire de Paris peut procéder au mariage du couple « sans exiger le visa sur le passeport ».

Cette interrogation est pour le moins surprenante car une circulaire du ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation d’août 1982 abroge l’autorisation de mariage à laquelle étaient astreints les étrangers résidents temporaires et affirme que l’officier d’état civil peut « célébrer leur mariage sans formalité administrative particulière et sans avoir à vérifier la régularité du séjour». En juillet dernier à l’Assemblée nationale, le Garde des Sceaux lui aussi rappelé que «les règles relatives au mariage sont indépendantes de celles concernant le séjour des étrangers en France. L’instauration d’un contrôle de la régularité de ce séjour serait contraire aux dispositions des conventions internationales ratifiées par la France, notamment aux articles 12 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacrent le caractère fondamental de la liberté du mariage et l’interdiction d’y porter atteinte en se fondant sur l’origine nationale des intéressés».

Le « blocage provisoire » du mariage de Salomon et Loveline par la mairie du 16e est surprenant mais s’appuie sur l’article 343 de « l’instruction générale relative à l’état civil du 21 septembre 1955 ». Cette disposition permet en effet à l’officier d’état civil qui « éprouve certains doutes» sur un mariage, d’en aviser te procureur de la République, argument soutenu par maître Socquet, défenseur de la mairie de Paris. Des «doutes», qui, selon Me Stéphane Maugendre (avocat) le défenseur du couple nigérian, sont clairement définis: âge, consentement, législation nationale, etc.

A l’heure où plusieurs filières de mariages blancs ont été démantelées et où plusieurs maires tentent de contenir te nombre d’étrangers dans leurs communes, cet article permet selon maître Maugendre, « d’empêcher de nombreux mariages car beau¬coup d’étrangers ne se sentent pas d’engager des procédures pour obtenir un droit des plus légitimes, se marier ». Mais il y a plus grave, dans un DEA (diplôme de troisième cycle) de politique criminelle et droits de l’homme datant de 1989-90, intitulé «Le mariage des étrangers», deux étudiants de Nanterre, qui ont mené une enquête dans toutes les mairies d’arrondissement de Paris, observent que 85 % d’entre elles « violent non seulement la loi française mais aussi la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des menés fondamentales en exigeant une carte de séjour, de surcroît, près de la moitié de ces mairies exigent la production d’un titre qui n’existe plus depuis 1981» (l’autorisation spéciale délivrée par le préfet).

Selon le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti), ces cas se reproduiront régulièrement et « sans fin, tant que la Court européenne de justice ne jugera pas le fond et ne montrera pas que la France est dans une situation difficile, parce! que les maires continueront à faire de l’obstruction au mariage des étrangers».

Fort de leur bon droit, et après examen de l’enquête, Salomon et Loveline se marieront dans quelques jours à la mairie du 16e.

Refus de mariage : le maire au tribunal

logoParisien-292x75 Audrey Goutard, 28/11/1991

Pas de mariage à la mairie du XVIe pour un étudiant en sociologie, Salomon, trente-trois ans, qui devait épouser Loveline, trente ans, Nigérians tous les deux. Mais elle, est en situation irrégulière. Un refus qui vaut à M. Chirac et au maire du XVIe d’être convoqués vendredi au tribunal des référés.

Domiciliés dans le XVIe arrondissement, ils se présentent tout naturellement à leur mairie d’arrondissement pour remplir les formalités d’usage, c’est-à-dire établir un dossier complet comprenant extraits d’actes de naissance, certificats prénuptiaux, attestations de domiciles, etc. Le jour-même, on leur remet un document adressé par la mairie au procureur de la République, demandant si le maire peut procéder au mariage «sans exiger qu’il y ait le visa sur le passeport de le jaune femme», enceinte de sept mois.

« Une procédure classique », souligne Pierre Christian Taittinger, et ce depuis que nous avons reçu il y a quelques années, une circulaire du ministère de la Justice nous demandant d’avertir le parquet à chaque fois que la situation de l’un des futurs mariés nous paraissait ambiguë…»

Une initiative aberrante selon l’avocat du couple, Me Stéphane Maugendre, « car, explique-t-il, les maires ont le devoir en France de marier les couples, et ce, quelle que soit leur situation. »

Mais le jour du mariage, alors que les bans ont été régulièrement affichés aux portes de la mairie, et que dans un courrier adressé au couple, le secrétaire général de la mairie a confirmé fa date du mariage pour le 23 octobre, les jeunes gens et leurs témoins se voient interdire l’accès de la salle. Un agent à. l’entrée leur explique qu’ils ne sont pas inscrits sur la liste.

Malaise… La raison invoquée par les fonctionnaires de la municipalité : le procureur de la République leur au¬rait renvoyé le dossier de Salomon et Loveline, leur demandant de «surseoir à la décision ». Plus prosaïque¬ment, cela veut dire que la justice demande à la mairie de suspendre pour « le temps de l’enquête », le mariage.

« Les fonctionnaires, souligne le maire, ont suivi scrupuleusement les ordres du procureur, qui demandait que le mariage n’ait pas lieu à la date prévue ! »

Dommage que ceux-ci n’aient pas demandé l’avis de leur maire avant de prendre cette initiative, car, comme le souligne l’avocat du couple «un procureur ne peut s’opposer à un mariage que lorsqu’il y a défaut de consentement, c’est-à-dire que l’un des futurs mariés ne souhait pas aller devant monsieur le maire. Il peut aussi le faire annuler s’il ne s’est pas déroulé selon les termes de la loi… »-. Mais, à qui la faute ? Au procureur qui pour une raison « inconnue H a fait suspendre le mariage ? Aux fonctionnaires de la mairie trop zélés, qui n’ont pas pris la peine d’avertir leur maire de la situation; car lui, ne pouvait ignorer qu’il avait l’obligation de marier les jeunes gens… Rendez-vous au tribunal des référés vendredi.

La nuit amnésique d’un meurtrier

logo-liberation-311x113 Michel Henry, 05/09/1991

La cour d’assises de Bobigny a condamné hier à 18 ans de prison Hachi Abdi, meurtrier de sa femme. Le coupable, même s’il reconnaît les faits, ne se souvient de rien. Jugé sincère par les experts.

Hachi Abdi a tué sa femme. Hachi ne s’en souvient pas. Il l’a frappée, étranglée, transpercée. « Il l’a tuée trois fois en l’espace d’une demi-heure», dira le médecin-légiste, mais sa conscience n’en a pas gardé trace. Hachi s’est couché aux côtés du cadavre, a dormi, s’est réveillé pour nourrir le bébé, s’est rendormi : il n’a, dit-il, rien remarqué. «Ça fait deux ans que je cherche à savoir ce qui s’est passé, explique-t-il à la cour d’assises de Bobigny. Par la suite, les policiers m’ont dit que j’étais très violent, le juge d’instruction m’a même montré des photos après lesquelles j’ai fait des cauchemars. Mais je ne vois plus rien, c’est tout noir.»

Amnésie réelle ou auto-suggérée?

L’expert psychiatre Daniel Zagury la trouve «sincère» et ne s’étonne pas: « La criminologie clinique nous montre souvent ce type de comportement – surtout dans les crimes passionnels. Le sujet se souvient du premier geste. Ensuite, son champ de conscience est occulté par l’action. » Premier geste, pour Hachi: un coup de téléphone. Le combiné s’est brisé sous La violence du coup contre le crâne d’Awa. Ensuite,pour Hachi, le brouillard, «un état semi-crépusculaire »,  dit Le psy.

Ça lui est déjà arrivé une fois, en 87. Après un accrochage en voiture, Hachi s’est aperçu qu’il n’était pas assuré comme il le croyait. Il en voulait au courtier. Ensuite, Hachi a eu une absence. « Quand je me suis réveillé, j’étais dans ma voiture, dans la vitrine de l’assurance. » Il sera condamné à trois mois de prison avec sursis, ira voir un psychiatre, sans suite.

La vie a ainsi de ces violences, avec Hachi, et il rend coup pour coup, même s’il semble tout doux, dans le box avec son profil à la Gérard Jugnot, dégarni et rondouillard. « Gentil, serviable », selon les témoins, calme, posé, poli. Sous contrôle. Ses défenseurs sont divisés. Me Stéphane Maugendre plaide l’élément psychiatrique; Me Marxon-Milhaud évoque la dérive d’un mari et d’un père bafoués. Sa cousine Awa, il l’a vue naître, grandir, il l’a mise enceinte, a dû l’épouser. « Voilà, c’est la tradition ». Hachi avait 21 ans, Awa 15. C’était en 1971 à Djibouti, quartier 7, le début d’un couple à éclipses. Hachi est aide-mécanicien, aide-vendeur, puis il quitte le pays sa femme et sa fille Sirad, voyage trois mois en Afrique, débarque en France, devient cariste, chauffeur-livreur. En 75, il s’engage dans l’armée française. Quatre ans passent avant que Hachi, muté à Djibouti, rejoigne Awa et Sirad. « Pour retrouver la confiance de père, j’ai dû y consacrer six mois. Je lui donnais trop d’amour.»

En 81, Hachi change d’uniforme. La République de Djibouti est jeune, indépendante depuis 1977, elle a besoin d’hommes d’expérience. Mais Hachi est déçu par ces militaires «qui n’en sont pas». Il quitte à nouveau le pays et sa famille pour l’Arabie Saoudite. Travaille trois ans chez un sultan, gagne bien sa vie et installe sa petite famille en France.

Mais la Sirad qu’il retrouve après cette nouvelle absence n’est plus la même : « Quand j’étais en Arabie Saoudite, on a fait croire à ma fille que je les avais abandonnées.» Hachi n’arrive pas à redresser la barre ; Awa et ses filles -Sirad, Ayen née en 78, (puis Beggan, née en 88)- font corps contre lui. «Awa et Sirad me faisaient la gueule, jamais elles ne souriaient. Mon épouse adorait l’aînée et lui cédait tout. Je n’avais pas de rôle de pire. » Hachi travaille, chauffeur-livreur dans des boîtes d’intérim, « quatorze heures par jour». De temps en temps, il boit.

Disputes, à cause de Sirad, toujours, «qui joue la patronne». Ruptures, réconciliations. Awa fuit pendant quatre mois, seule, puis revient. Juillet 88, elle part à nouveau avec les fûtes, cela dure un an : la Ddass, les foyers…-Juillet 89, elles reviennent à l’appartement de Bondy. L’accalmie dure un mois, le temps des vacances de Sirad à Djibouti.

Août 89, Sirad, 18 ans, atterrit à Orly sans les cadeaux réclamés par son père. Hachi voulait du qat, cette douce drogue qui provoque l’euphorie puis le repos des nerfs, et que les hommes mâchent à Djibouti. Hachi la harcèle toute une semaine. Lundi 21 août 89, il rentre tard, ivre, réveille Sirad, la menace avec un couteau, lui enjoint de partir. Awa, la mère, le frappe à la nuque avec une planche a découper. Le sang coule, Sirad s’enfuit «J’avais pensé qu’étant le gros problème, si je partais, il ne se passerait rien, expliquera-t-elle. Mais il s’est défoulé sur ma mère. »

Mardi 22, c’est le trou noir. Pas de témoin, pas de souvenir. Mercredi 23, à 7h, Hachi découvre à son réveil le cadavre ensanglanté de sa femme à ses côtés. Il appelle la police. Awa est morte depuis plus de douze heures, d’une hémorragie interne consécutive à l’éclatement du foie. Les coups dans l’abdomen ont été très violents, comme ceux à la tête. Il y a eu, aussi, tentative de strangulation, puis perforation du vagin avec une tringle à rideaux. Hachi reconnaît les faits, poliment mais ne se souvient pas.

Il a été condamné hier à 18 ans de réclusion criminelle, la cour Lui accordant les circonstances atténuantes.

Le jardinier de Montreuil est un extra-territorial

logo-liberation-311x113 Gérald Calzettoni, 01/09/1991

Halim Jebbar, 28 ans, en France depuis l’âge de 13 ans, est menacé d’interdiction de séjour. Pour le tribunal administratif, il est en situation irrégulière depuis 1989, date où ses parents, membres d’une mission diplomatique, ont quitté le pays. Il n’avait qu’un statut d’« extra-territorial ».

« Je suis un modèle d’intégration », plaisante Halim Jebbar… Mais un modèle « hors la loi » depuis le 25 août, jour où, sous le coup d’un arrêté de reconduction à la frontière de la préfecture de Seine-Saint-Denis, il aurait dû embarquer à destination du Maroc. A 28 ans, et après moult tentatives de régulariser sa situation, ce jardinier à la mairie de Montreuil risque, aujourd’hui, la prison et trois ans d’interdiction de séjour sur le territoire français.

Pendant les douze ans où il est resté sous la tutelle de sa famille, pas de problèmes. Halim est arrivé en France en 1976 à l’âge de 13 ans, suivant son père, fonctionnaire au consulat du Maroc. La famille réside à Montreuil, les enfants sont scolarisés. Après le bac en 1986, il reçoit sa première carte de séjour étudiant. Quand les parents retournent au pays en 1988, Halim, lui, reste à Montreuil ; il est en deuxième année de BTS. Mais il manque le diplôme et, l’année suivante, il se réinscrit, par correspondance, à l’examen. Et son parcours du combattant commence. Quand il vient faire renouveler sa carte étudiant, début 1989, les services de la préfecture font valoir qu’il n’y a pas eu «suivi de cours» (1), et lui refusent la carte. Il engage alors un premier recours pour faire valoir son statut de résident. Et apprendra ainsi qu’il est toujours un «extra-territorial», fils d’un membre du personnel d’une mission diplomatique. Selon le tribunal, Halim, pendant la période passée sous le toit de son père, ne peut pas être « considéré comme étant en situation régulière… ». Nuance perverse de la législation sur le séjour des étrangers. Il existe en effet une clause qui exclut, du champ d’application de ses dispositions, les membres de la famille d’un agent consulaire, sans proposer toutefois d’autres aménagements.

Le 19 août dernier, Halim Jebbar revient à l’assaut, en demandant cette fois une carte de résident, qui, —conformément à la loi du 2 novembre 1945— peut être octroyée «de plein droit à tout étranger vivant sur le territoire depuis plus de quinze ans ». Et là, du coup, cette simple formalité vire au cauchemar. Il donne identité et adresse au fonctionnaire qui lui demande d’attendre dans le couloir. Quelques minutes après, sans autre explication, il est emmené sous bonne garde au centre de rétention de Bobigny et ne doit son sursis qu’à l’absence de vol vers le Maroc ce jour-là.

Un nouveau recours, déposé devant le tribunal administratif de Paris, est rejeté. L’arrêté de reconduction est confirmé. Motif: «L’étranger auquel (…) le renouvellement d’un titre de séjour temporaire a été refusé s’est maintenu sur le territoire au-delà d’un mois à compter de la date de notification du refus… » Et pour cause, puis¬que depuis deux ans, Halim est formellement en situation irrégulière. Mercredi, à la Maison des associations de Montreuil, un comité de soutien s’est formé rassemblant ses amis d’enfance, les principaux mouvements de défense des droits de l’homme ainsi que diverses organisations de gauche et la municipalité de Montreuil elle-même. Le maire, Jean- Pierre Brard, communiste, a adressé une lettre de protestation au ministre de l’Intérieur, suivi aussitôt par le MRAP qui, par la voix de son secrétaire national, Norbert Haddad, rappelle que Halim, « connu et apprécié dans sa ville, est régulièrement affilié à la sécurité sociale, paye ses impôts, a un logement à son nom et participe activement à la vie associative de sa commune». «Ce jeune homme, précise le communiqué, ne connaît que la France et n’a plus aucun lien avec le Maroc. A l’évidence, exiger un départ immédiat pour ce pays équivaudrait (…) à un bannissement. » Le défenseur de Halim, Me Stéphane Maugendre (avocat), ne se prive pas, quant à lui, de dénoncer la préfecture de Seine-Saint-Denis comme « l’une des plus répressives » en matière d’immigration, « Le tribunal, explique-t-il, n ’a pas jugé sur le fond et s’en est tenu au séjour délictueux de Halim depuis le non-renouvellement de sa carte en 1989 et son rejet de statut de résident.» Rappelant que le recours possible devant le Conseil d’État n’est pas suspensif de la mesure de reconduction, il en appelle, lui aussi, au ministre de l’Intérieur pour qu’il « prenne la mesure humanitaire et dérogatoire qui s’impose en l’espèce ».

Le conseiller technique du ministère, Michel Debacq, en charge du dossier, n’avait toujours pas fait connaître, hier, la décision. La préfecture, quant à elle, répète inlassablement que Halim Jebbar « n ’existe que depuis 1986 et est en situation irrégulière depuis 1989».

(1) Cette décision s’appuie sur une circulaire d’août 1985, selon laquelle « l’étudiant peut se voir réclamer une attestation de  participation aux examens ».

Le Tribunal des Toubab

newlogohumanitefr-20140407-434Christian Ferrand, 20/06/1991.

Aux côtés de Mme Keita, l’exciseuse déjà condamnée à 5 ans fermes à Paris, huit couples maliens ou sénégalais se retrouvent dans le box de la Cour d’Assises de Bobigny.

Il y a comme un malaise: comme d’habitude lors d’un procès d’excision, on ne peut se départir d’un sentiment de gêne lorsque l’on arrive dans une Cour d’Assises ou les noirs occupent le banc d’infamie et les blancs, celui des juges. Mardi, c’était encore plus vrai à Bobigny, où la Cour d’Assises présidée par M. Yves Corneloup s’apprêtait à juger «en bloc» les parents de 16 enfants que Mme Aramata Keita est accusée d’avoir excisé entraînant la mort d’une petite fille des suites d’une hémorragie. Cette malienne de 48 ans, membre de la caste des «esclaves» et donc exciseuse, a déjà été condamnée à 5 ans de réclusion criminelle par la Cour d’Assises de Paris le 8 mars dernier, (voir les « Huma» des 7,8 et 9 mars dernier) dans une précédente affaire d’excision.

Le malaise s’accroit encore à l’aube de l’audience quand les pères inculpés évoquent leurs professions: «OS chez Citroën, manoeuvre, plongeur, nettoyeur à la RATP, éboueur…» Les femmes sont sans profession; l’une d’entre elles est installée dans un fauteuil: elle accouchera sans doute avant la fin du procès prévu sur dix jours.

Bref, la Justice française s’apprête à juger des travailleurs immigrés pour ce que les uns nomment «acte de barbarie» et les autres «pratique coutumière». Et comme tout cela génère quand même un malaise (on le saura), la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris a trouvé le joint en décidant le régime de la «publicité restreinte» sur les débats de la Cour d’Assises, au motif qu’une des mères inculpées était mineure au moment des faits.

Mardi donc, aucun public n’était admis dans la salle d’audience de Bobigny où l’on ne manquera pas pourtant d’évoquer «l’effet dissuasif d’une sanction pénale» sur la communauté africaine pour demander des peines de prison fermes contre certains des parents.

Car de procès d’école en hésitations jurisprudentielles, la justice française a finit par trancher dans le débat qui fait s’affronter régulièrement une poignée d’avocats autour du problème de l’excision qui, rappelons le, concerne au moins cent millions de femmes de part le monde.

D’un côté donc, des femmes: Mes Weil-Curiel et Zviloff respectivement pour les associations «SOS-Femmes-Alternatives» et «Enfance et Partage au secours de l’enfance meurtrie» qui ont déjà gagné plusieurs de leurs batailles judiciaires: lorsqu’elle ont réussi par exemple à convaincre les tribunaux de criminaliser l’excision considérée désormais comme «une mutilation d’un organe»; ou encore en janvier dernier lorsque la Cour d’Assises de Paris a condamné à 5 ans de réclusion criminelle Mme Keita, la première exciseuse exerçant en France qui ait abouti dans un box. «L’excision est une coutume barbare» dont les victimes sont des fillettes innocentes expliquent-elles. Les parents connaissent l’interdit qui frappe cette pratique «moyenâgeuse». Pour sauver des dizaines de milliers de petites filles noires, les tribunaux doivent condamner pour l’exemple.

De l’autre côté de la barre, des hommes: Mes Gerphagnon, Inschauspé, Sawadogo, Maugendre, Mikowski, Elbaze, Paraiso dont la ligne de défense varie peu vis à vis de leur clients, parents africains d’enfants excisés sur le sol français: ceux-ci, disent-ils n’ont jamais eu l’intention de nuire à leurs enfants; et quand bien même ils sont censés ne pas ignorer l’interdiction que leur fait la loi, ils sont «contraints» de faire exciser leurs filles, faute de tomber sous la condamnation de la «coutume».

Le débat n’est pas prêt de se tarir: car si tous ou presque sont en France d’accord pour condamner l’acte en lui-même, les divergences sont profondes quant à la façon la plus efficace d’éradiquer l’excision.

Confrontés à ce délicat problème, plusieurs pays d’Europe ont décidé d’élaborer des législations spécifiques. Mais à l’image de la Grande-Bretagne, les textes adoptés ne sont pas appliqués. La France, au contraire n’a procédé à aucun débat législatif. Par contre elle se distingue en étant le seul pays à avoir opté pour une répression judiciaire.

Ce parti pris de la politique du bâton, s’accompagne paradoxalement du refus d’accorder un statut de réfugiée politique à des femmes africaines menacées d’être excisées sous la contrainte dans leur pays d’origine. Enfin et surtout, ce choix semble être le reflet de cet embarras bien français qui consiste à cristalliser de délicates questions de sociétés dans des affrontements stériles; la justice étant chargée d’évacuer le problème par la répression.

Le risque est évident: outre le racisme latent que l’on développe en «déniant tout caractère culturel» à ce qui ne serait que «simples tortures» (1) perpétrées par des «sauvages», le risque est grand de rendre l’excision plus clandestine encore qu’elle ne l’est aujourd’hui en France. Ce qui ne dit rien, en outre, du temps qu’il faudra pour que les femmes africaines cessent de se voir nier le droit au plaisir dans les sociétés Sarakolè et Bambara, pour ne citer que les deux ethnies concernés par le procès de Bobigny.

1. Selon «Mutilations Sexuelles» de Michel Erlich, psychiatre de l’hopital Laënnec; Collection «Que sais-je», ed. Puf. On consultera également la revue «Droits et Cultures» dont le n° 20 traite de l’excision. En vente à la librairie de l’Harmattan.

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Mariages sous surveillance

Photo Stéphane Maugendre

La lettre du SAF, avril 1991

La liberté de se marier est-elle encore un droit fondamental, s’agissant des étrangers ? Un petit tour des mairies de France ne laisse pas d’inquiéter.

Hier, des maires refusaient l’inscription d’enfants d’étrangers dans les maternelles. Aujourd’hui c’est à la liberté pour les étrangers de se marier et de vivre en famille qu’il est atteint.

ROUBAIX, 17 février 1990. Mademoiselle N.G. attend en vain son mari, de nationalité marocaine, sur les marches de la mairie.

SAINT-ETIENNE, février 1991. La mairie refuse de publier les bans, empêchant ainsi le mariage de Monsieur A.B., algérien.

ANGLIERS (Vienne), 16 février 1990. Le maire, “sensibilisé sur les problèmes actuels et pensant qu’il peut s’agir d’une “affaire bizarre”, d’autant plus qu’une rumeur court dans le bourg d’Angliers, parlant d’un “mariage blanc” pour lequel la jeune fille aurait perçu une somme d’argent”, se fait remplacer, pour la célébration du mariage, par deux gendarmes qui arrêtent Monsieur S., égyptien.

Même si le Juge des Référés du Tribunal de Grande Instance de Poitiers, par Ordonnance en date du 8 mars 1991 frappée d’appel, “ordonne à l’Officier d’État civil de la Commune d’Angliers de procéder à la mairie au mariage de Mademoiselle L. et Monsieur S. dès qu’il en sera requis par ceux-ci”, Monsieur S. n’est toujours pas marié et a été condamné par le Tribunal Correctionnel à 3 mois fermes et 3 années d’interdiction du territoire français.

LE PRE SAINT-GERVAIS (Seine-Saint-Denis), 29 septembre 1990. Mademoiselle M., après avoir déposé toutes les pièces nécessaires pour se marier auprès du Service de l’État Civil de la mairie, se retrouve devant la 12ème Chambre Correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Bobigny.

Sur les conseils du tribunal, qui a ajourné le prononcé de la peine, Mademoiselle M. se présente à la préfecture de la Seine-Saint-Denis pour régler sa situation.

Monsieur le Préfet la place alors en rétention administrative, puis la relâche 24 heures plus tard.

En effet, Mademoiselle M., enceinte de 7 mois et prise d’un malaise, est conduite à l’hôpital.

Le 24 octobre, Monsieur le Maire, sommé par voie d’huissier de procéder à la célébration du mariage, répond “qu’il n’y a pas d’opposition de la part de la mairie, mais que le dossier a été transmis à Monsieur le Procureur de la République de Bobigny qui doit donner l’autorisation de célébrer le mariage”.

Le 9 novembre, le Tribunal de Grande Instance de Bobigny, saisi d’un référé voie de fait, ordonne la communication de l’affaire au Ministère Public.

Le 10 novembre, Monsieur le Maire, ayant reçu l’autorisation de Monsieur le Procureur de la République, marie Mademoiselle M. et Monsieur M.

VAL DE MARNE, 16 novembre 1991. Mademoiselle D. et Monsieur G., roumain, déposent un dossier complet à la mairie.

Le même jour, le service de l’État Civil de la mairie transmet pour avis le dossier à Monsieur le Procureur du Tribunal de Grande Instance de Créteil dans les termes suivants : “Le futur époux a demandé le bénéfice du droit d’asile le 4 mai dernier et ne peut fournir ni certificat de coutume ni certificat de célibat. Le mariage peut-il avoir lieu au vu de l’acte de naissance roumain, document unique dont nous avons pris photocopie et rendu l’original à l’intéressé, sans attendre le verdict de l’O.F.P.R.A., en lui faisant souscrire une déclaration sur l’honneur de célibat et le certificat prévu au n° 542 de l’I.G.E.C. (Instruction Générale de l’Etat Civil)?”.

Le 20 décembre 1990, les demandeurs n’ayant aucune réponse de la mairie, leur Conseil remet en mains propres à Monsieur le Substitut :
– un original d’une attestation sur l’honneur de Monsieur G., certifiant qu’il n’est pas marié,
– un original d’un certificat de naissance ainsi que sa traduction originale par un expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris,
– la copie d’un bulletin d’identité roumain portant la mention “célibataire”, dont l’original a été présenté à Monsieur le Substitut, ainsi que sa traduction originale par un expert près la Cour d’Appel de Paris.

Le 10 janvier de la nouvelle année, Monsieur le Substitut avise Monsieur le Maire d’attendre le 18 janvier 1991, date de l’entretien de Monsieur G. avec l’OFPRA, ainsi que la réponse de celle-ci quant à son statut de réfugié politique, et “il conviendra alors :
– soit de lui demander un acte de naissance, un certificat de célibat et un certificat de coutume délivrés par l’O.F.P.R.A. si le statut de réfugié politique lui est accordé,
– soit de produire un acte de naissance de moins de 6 mois, légalisé par le Consulat et accompagné des certificats visés ci-dessus”.
Le nez du Procureur

Le 18 janvier 1991, Monsieur le Maire est sommé par voie d’huissier de procéder au mariage des requérants.

Interpellé, Monsieur le Maire a répondu : “Nous vous remettons la lettre du Maire expliquant la situation au Procureur de la République et vous soumettons la réponse de Monsieur le Procureur de la République confirmant qu’il manque le certificat de coutume et le certificat de célibat. Dès que nous serons en possession des documents rien ne s’oppose à la célébration de ce mariage”.

Or, Monsieur le Procureur n’avait pas à donner l’instruction à Monsieur le maire de demander à Monsieur G. un extrait d’acte de naissance délivré depuis moins de six mois (n° 352 de l’I.G.E.C.), ni un extrait d’acte de naissance légalisé par le Consul (articles 9 à 11 de la convention Franco-Roumaine du 5 novembre 1975 relative à l’entraide judiciaire) ni la production de certificats de coutume et de célibat (n° 538 et 541 de l’I.G.E.C.).

Ainsi, la décision de Monsieur le Maire de soumettre la célébration d’un mariage à la décision de l’O.F.P.R.A., notamment pour connaître de la production par les demandeurs de documents qui ne sont nullement exigés par les textes et donc de refuser de les marier, constituait une voie de fait.

Par conséquent, une assignation en référé a été délivrée au maire, qui, quelques heures après, contactait le couple pour fixer le jour et l’heure du mariage Ces affaires scandaleuses permettent de rappeler que la compétence du Procureur de la République en matière de mariage est strictement limitée par les dispositions du Code Civil tant avant (articles 145 et 169), que pendant (article 75) et après le mariage (articles 184, 185, 190).

Et l’I.G.E.C. précise que “les autorisations de mariage exigées pour certains étrangers par l’article 13 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France, ont été supprimées par l’article 9 de la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981. En conséquence, l’inobservation par un futur époux de nationalité étrangère des dispositions concernant le séjour en France des étrangers ne saurait, à elle seule, empêcher la célébration du mariage. L’Officier de l’État Civil qui procède à un tel mariage ne saurait de ce seul fait encourir de responsabilité”.

D’ailleurs, la Commission Européenne des Droits de l’Homme affirme, dans des avis concernant les mariages des détenus, que les articles 12 et 14 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme garantissent un droit fondamental à contracter mariage et que le rôle des législations nationales est de régir l’exercice de ce droit sans porter atteinte à sa substance ou de manière substantielle à l’exercice de ce droit (Voir “la Convention Européenne des Droits de l’Homme” : Gérard Cohen-Jonathan, édition Economica).

Or, de plus en plus souvent, soit des maires transmettent le dossier de mariage au Parquet pour autorisation, soit le Parquet demande la transmission de ce dossier pour autorisation préalable à mariage, notamment à des fins de lutte contre l’immigration clandestine.

La violation d’un droit fondamental est entrée dans nos mairies avec la complicité instigatrice de certains Parquets.

Stéphane MAUGENDRE, Barreau de Bobigny.

Ils ont déclaré au « Quotidien »

KdI9khBXPMWc33xfCxduK-fCc2MLzAp7jQ_15LyD1S4gOeointmcTAHR52beutqD4l_qMww=s170 Propos recueillis par L.Emet et S. Rak, 12/12/1990

Me Stéphane Maugendre*: «Comme partout en Europe»

LE QUOTIDIEN. — Pourquoi êtes-vous favorable au projet gouvernemental ?

Stéphane MAUGENDRE. — La fusion des deux professions, avocats et conseillers juridiques était nécessaire : il n’existe pas d’autre pays en Europe où deux catégories de personnes fassent le même métier. Ceci dit, je suis opposé à ce qu’un certain nombre de dispositions soient adoptées.

Q. Vous pensez aux sociétés de capitaux?

Stéphane MAUGENDRE. — Je pense surtout à la possibilité d’y inclure des capitaux venus de l’extérieur. Cette pénétration d’éléments extérieurs dans le capital des sociétés peut mettre en danger notre indépendance. Nous exerçons une profession libérale et nous entendons bien conserver ce caractère libéral . Sinon, nous ne serons plus des avocats. Pour cela, fl faut que la loi prévoit des verrous, des proportions de capitaux extérieurs à ne pas dépasser, par exemple.

Q. , r- Que pensez-vous du Conseil national du barreau prévu par le texte en discussion à l’Assemblée nationale ?

Stéphane MAUGENDRE. — Ce Conseil supérieur, qui est une idée des sénateurs, nous pose un gros problème. Cette structure n’est pas acceptable, car elle amènerait en fait à instituer un Ordre national. Ce n’est pas cela que veut la profession, il faut tenir compte des spécificités des différents barreaux. Surtout, nous ne voulons pas que le Conseil ait des pouvoirs disciplinaires.

Q. — Ne craignez-vous pas que l’institution d’avocats salariés ne risque d’entamer l’indépendance de la profession ?

Stéphane MAUGENDRE. — Certes, mais ils resteront avant tout avocats, avec tout ce que cela implique, en particulier l’existence d’un Ordre capable de les défendre face à leur employeur. Et à partir du moment où nous acceptons la fusion avec une autre profession, il faut en accepter également. les règles de fonctionnement

Q. — Cette loi est-elle un atout face au défi européen ?

Stéphane MAUGENDRE. — C’est le but même du texte. La concurrence avec les avocats européens qui viendront s’installer chez nous se fera d’ailleurs sentir surtout pour le droit des affaires. Mais pour que la loi soit efficace, fl faut que le gouvernement fasse avancer le dossier de l’aide légale, qui est restée dans les limbes.

Me Laurent Lévy**: «Une atteinte au libéralisme»

LE QUOTIDIEN. — Pourquoi êtes-vous contre ce projet de loi ?

Laurent LÉVY. — Ce projet n’a rien à apporter aux avocats ni au fonctionnement de la justice. Les avocats peuvent déjà exercer leur métier dans les domaines judiciaires et juridiques. Fusionner avec les conseils juridiques ne nous donnera pas plus d’activités que nous n’en avions déjà. Quant au fonctionne¬ment de la justice, il y a une nécessité, pour son indépendance d’avoir des avocats indépendants. L’introduction du salariat semble incompatible avec ce caractère libéral.

Q. — Qu’est-ce que cette réforme va changer concrètement pour vous ?

LL — Pour moi, pas grand-chose. De toute manière, je ne deviendrai pas un avocat salarié. Le simple principe de rapports d’employeur à employé est dommageable pour la justiciables. L’avocat ne doit avoir de compte à rendre qu’au justiciable, pas à un patron.

Q. — N’y a-t-il pas rien de positif dans ce projet?

LL — Si, la profession d’avocat avait besoin d’être dépoussiérée. Le principe de la fusion n’est pas profondément négatif, mais présentée de la sorte, cette réforme est inutile et nuisible, par ce qu’elle a de spectaculaire en allant à l’encontre du caractère libéral de la profession d’avocat.

Q. —- Mais les conseils juridiques n’ont il pas quelque avantage à en tirer ?

LL — Peut-être,effectivement Ils vont pouvoir étudier le judiciaire, pas que le juridique. C’était un domaine d’activité dont ils étaient exclus. Mais n’oublions pas que les conseils juridiques pouvaient parfaitement exercer la profession d’avocat s’ils le souhaitaient.

Q. — Cette réforme n’était-elle pourtant pas utile pour 1992 ?

LL — C’est l’argument donné par les promoteurs de la réforme, mais à part répéter cet argument, on ne nous a jamais démontré pourquoi c’est aussi indispensable. Q subsiste deux professions distinctes en Grande-Bretagne. Si l’on veut appliquer les règles qui existent dans les autres pays, pourquoi alors ne pas fusionner aussi avec les notaires. Il n’y en a pas en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Le seul point positif à vouloir s’aligner sur les autres, c’est la réglementation de l’exercice du droit, en interdisant de donner des conseils en droit sans une qualification suffisante.

(*) Avocat au barreau de Bobigny

(**) Avocat au barreau de Paris