Tous les articles par Stéphane Maugendre

Avocats : lassés mais déterminés

logoParisien-292x75 30/11/1990

« En poussant l’aberration jusqu’au bout, parfois, on ferait mieux de donner de l’argent à nos clients pour aller se faire défendre par quelqu’un d’autre, cela nous coûterait moins cher ! » Pourtant, Stéphane Maugendre (avocat), vingt-neuf ans, membre du SAF, et de l’intersyndicale, a choisi de s’inscrire au barreau de Bobigny -le deuxième de France en matière d’aide judiciaire- en connaissance de cause. «Je considère que mon métier est avant tout de défendre les gens. Mais il faut aussi que je puisse en vivre». Les dossiers d’aide judiciaire représentent 30 % des affaires de son cabinet, dont les charges fixes s’élèvent à 300 francs de l’heure. « Les indemnités que nous recevons sont tellement ridicules qu’on ne va même plus les toucher… Lundi, j’ai plaidé un tout petit dossier d’assises. J’ai travaillé au moins 20 heures dessus. Je ne toucherai même pas 1000 F».

Henri Nallet a promis un projet de loi sur l’aide judiciaire à la session de printemps. Mais au-delà de ses propres revendications, la profession est excédée par la dégradation générale de la machine judiciaire.

Le Mariage ne connait pas de frontière

Hebdo 93, Christophe Morgan, 16/11/1990

La mairie du Pré-Saint-Gervais est revenue sur sa décision et a finalement célébré les noces d’Hélène Mendy, une jeune Sénégalaise en situation irrégulière. Une affaire qui met à jour une pratique illégale qui consiste à demander au parquet des autorisations préalables de mariage._DSC0008

Marcel Debarge, maire PS du Pré-Saint-Gervais était assigné à comparaître, vendredi 9 novembre, devant le tribunal de Bobigny pour « refus de mariage ». Au centre de cette polémique, une jeune Sénégalaise de vingt-sept ans, Hélène Mendy, enceinte de sept mois, qui souhaitait épouser Horacio Mendes, un réfugié politique guinéen. Une union qui leur avait été refusée dans un premier temps, la jeune femme se trouvant en situation irrégulière.

Pour Maître Maugendre, avocat d’Hélène Mendy, et pour Maître Babaci, qui représente le GISTI (groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), il s’agit là de « pratiques scandaleuses. Sous prétexte de lutte contre l’immigration clandestine, le droit au mariage est bafoué ».

En effet, selon les avocats « aucun texte ne permet à un maire de vérifier la régularité d’un candidat étranger au mariage ».

C’est dans ce contexte explosif qu’aurait du s’ouvrir un procès placé sous le signe d’une bataille juridique. En fait, la confrontation a été repoussée au 3 décembre. Entre temps, le couple apprenait de la mairie du Pré-Saint- Gervais que le mariage serait finalement célébré le lendemain, soit samedi 10 novembre. Les avocats ont donc remballé leurs dossiers, non sans une certaine amertume. « Nous sommes très déçus, confiait Maître Maugendre. Au fond, tout est fait pour écarter le débat. Chacun se renvoit les responsabilités ».

De fait à la mairie du Pré-Sain-Gervais, on assure qu’il n’y a pas eu refus de mariage. « Nous avons suivi une consigne du procureur qui nous demandait de signaler toute anomalie dans les papiers des étrangers », explique t-on. D’après le code civil pourtant, l’officier d’état- civil n’a pas à apprécier les conditions de domicile des candidats au mariage, encore moins à entreprendre des investigations. « Il n’a pas à savoir si les personnes sont en situation irrégulière », explique par exemple un responsable d’état-civil d’une ville du département. De leurs côtés, les avocats soulignent que « l’autorisation préalable au mariage des étrangers est abrogée depuis 1981 ». Ainsi dans cette affaire, il pourrait bien y avoir eu excès de zèle, pour ne pas dire plus, de la part de la mairie du Pré-Saint-Gervais. La pratique qui consiste à demander des autorisations de mariage préalables au parquet est pourtant courante. Coffi Bayard, un jeune Antillais, en a été l’une des nombreuses victimes. Son cas remonte à 1987 : « Je voulais épouser une Ivoirienne. raconte t-il. J’ai donc déposé un dossier à la mairie du XVIIIe à Paris. On m’a remis une lettre cachetée, que je n ’avais pas le droit de lire, à charge pour moi de l’amener au parquet. Là, une dame a pris un stylo, et a écrit « refus ». Cela n’a pas pris plus de deux minutes, et depuis, je ne me suis toujours pas marié ». D’après un responsable d’état-civil, il est vrai toutefois que le nombre de tentatives de mariages blancs tendent à se multiplier ces dernières années en Seine-Saint-Denis. En cas de doute légitime ou de conviction personnelle de l’agent, la mairie est alors tenue d’en informer le parquet. Il n’est pas si rare par exemple de voir un très jeune homme souhaitant épouser une très vieille dame. Si la tentative avorte dans une mairie, le couple cherche alors fortune dans une autre ville. Rien à voir néanmoins avec les cas de situation irrégulière. D’autant moins que l’union devant la loi ne règle pas automatiquement la situation des étrangers. Pour ce faire, il faut répondre à un certain nombre d’obligations qui passent par la justification d’un logement et d’un emploi.

Les avocats espéraient sans doute faire de ce procès un cas exemplaire. Aujourd’hui, la bombe semble bien être désamorcée. Mais la publicité dont a bénéficié cette affaire a au moins eu un aspect positif: cela a en effet permis de rappeler la loi de 1981, trop souvent bafouée. Hélène Mendy, quant à elle, a été autorisée à rester en France jusqu’en avril. A cette date, elle sera mère d’une petite fille. A la question, « Comment l’appellerez-vous ? », elle répond avec un grand sourire « Espérance. »

Mariage sans visa : le procureur dit oui

logoParisien-292x75 09/11/1990

La Sénégalaise se mariera finalement demain à la mairie. Elle est autorisée à rester en France jusqu ’en avril.

La jeune femme de vingt-six ans est depuis quelques jours au centre d’une polémique. Son avocat, Maître Maugendre, vient d’assigner le maire (P.S.) du Pré-Saint-Gervais en justice pour « refus de mariage ». L’affaire se complique lorsqu’on apprend que la Sénégalaise en question est en situation illégale sur le territoire français. Un maire doit-il accepter de marier une personne qui n’est pas en règle ?

L’avocat de la jeune Africaine s’insurge contre cette «confusion des genres». « Sous prétexte de lutte contre l’immigration clandestine, on bafoue un droit fondamental: le droit au mariage», affirme- t-il.« Le Parquet exige illégalement des autorisations afin de diligenter des procédures d’expulsion des étrangers, poursuit Maître Stéphane Maugendre. On a dépassé les bornes démocratiques. » Selon lui, aucun texte ne permet à un maire de vérifier la régularité du séjour d’un candidat étranger au mariage.

« Il n’y a pas eu refus de mariage, assure- t-on à la mairie du Pré. D’ailleurs, celui-ci se tiendra le 10 novembre. » La Sénégalaise épousera un réfugié politique guinéen. La mairie explique qu’elle attendait seulement le feu vert du procureur de la République. « Le 22 juin dernier, explique une collaboratrice de Marcel Debarge, les responsables de l’état-civil en Seine-Saint- Denis ont reçu une consigne du procureur. Ils devaient lui signaler toute anomalie relevée dans les papiers des étrangers. » « La jeune Sénégalaise n’avait pas de visa sur son passeport, explique-t-on à la mairie du Pré. Le Parquet a été saisi par téléphone. Il a finalement donné son feu vert au mariage le 30 octobre. » Entre temps, le jeune femme, enceinte de sept mois, avait été convoquée au commissariat des Lilas, menacée de reconduite à la frontière et finalement autorisée par le tribunal correctionnel à demeurer en France jusqu’en avril.

Pour son avocat, la régularité du séjour ne doit influer sur la célébration d’un mariage. Il souligne, en outre, que l’autorisation préalable au mariage des étrangers est abrogée depuis 1981. Le mariage de la Sénégalaise se fera donc et les juristes seront à la fête.

Au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) Le maire refuse de marier une jeune Sénégalaise

index 09/11/1990

Le maire du Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), M. Marcel Debarge (PS), est assigné en justice devant le tribunal de grande instance de Bobigny, vendredi 9 novembre, pour avoir refusé de marier une jeune Sénégalaise de vingt-six ans en situation irrégulière en France. La jeune femme, enceinte de sept mois, qui souhaite épouser le père de l’enfant, réfugié politique originaire de Guinée-Bissau, avait déposé le 7 septembre à la mairie l’ensemble des papiers exigés pour cette cérémonie.

Dix jours plus tard, elle a eu la surprise de recevoir une convocation au commissariat. Invoquant un texte ancien abrogé en 1981, la mairie avait demandé au procureur de la République une autorisation préalable. Après avoir constaté la situation illégale de la jeune femme, le commissariat a, en vain, demandé au préfet un arrêté de reconduite immédiate à la frontière. Fin septembre, elle passait cette fois devant le tribunal correctionnel, pour séjour irrégulier.

Pour son avocat, Me Stéphane Maugendre, il y a là voie de fait de la part de la mairie, qui ne respecte pas le droit au mariage, d’où sa décision d’assigner le maire en référé : «Il est inadmissible, dit-il, de voir encore aujourd’hui des maires demander des autorisations préalables au parquet avant de prononcer des mariages. Or la pratique est courante». A la mairie du Pré-Saint-Gervais, on laissait toutefois entendre, jeudi matin, que ce mariage pourrait finalement être bientôt célébré.

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Marcel Debarge au Tribunal

evenement_jeudi  08/11/1990

N’en déplaise aux partisans de la lutte contre l’immigration clandestine, il existe des droits fondamentaux que l’on ne bafoue pas: celui de se marier, par exemple (Convention européenne des droits de l’homme). Vendredi 6 novembre, Marcel Debarge, sénateur-maire du Pré-saint-gervais, numéro deux du PS, sera assigné par Me Stéphane Maugendre (avocat) pour avoir refusé d’unir une jeune Sénégalaise en situation irrégulière à l’élu de son cœur.

Les services de sa municipalité avaient transmis au parquet de Bobigny le dossier de la jeune fille, qui a été convoqué par la police et condamnée devant une chambre correctionnelle pour séjour irrégulier. Le 24 octobre, sommée par voie d’huissier de fixer la date du mariage dans les quarante-huit heures, la mairie a répondu qu’elle attendait l’autorisation du procureur de la République pour célébrer la cérémonie.

Mauvaise volonté et mauvaise foi patentes : une circulaire du ministère de l’intérieur (1982) précise que l’officier d’état civil peut célébrer le mariage sans avoir à vérifier la régularité la régularité du séjour.

Les bourrasques de la réforme

logo-sud-ouest-journal-annonce-legale Jean-François Barré, 03/11/1990

_DSC0003Au congrès du SAF. le Ministre n’a pas éteint le feu qui couvait. La brise de l’aide légale a même bien soufflé sur des braises qui pourraient bien enflammer le monde de la justice. Avocats en tête. L’histoire qui se répète. Et la grève qui repointe son nez.

Bien avant l’ouverture du con-grès du SAF, la chancellerie qui en avait comme c’est l’usage, pris connaissance, avait qualifié le rapport de Marc Guillaneuf de « tonique ». Comme la brise iodée qui secoue fort autour du palais des congrès des Minimes. Qui souffle aussi dans les travées du grand amphithéâtre jusqu’à décoiffer l’ombre d’un Garde des Sceaux qui plane encore sur toutes les commissions au travail. La visite de courtoisie d’Henri Nallet jeudi, ses demi-mesures et ses réserves n’ont convaincu personne.

La TVA sur les honoraires a même bien contribué à rallumer les braises d’un foyer que les professions de justice se sont évertuées à ne pas laisser mourir. Les promesses-éteignoir n’ont pas eu d’effet et l’engage-ment strictement calendaire du Ministre de la justice n’a pas joué les coupe-feu. Au contraire. L’étincelle « aide légale » a embrasé le congrès.

Pourtant le président avait insisté dès l’ouverture des travaux. Même avec l’impression de voir l’histoire des rencontres 89 se répéter, 90 ne serait pas le congrès de l’aide légale. L’actualité s’est chargée de remettre b sujet au goût du jour. Avec tout b piquant que lui confère le flou artistique harmonieusement dessiné autour du financement d’un projet au contenu pas encore vraiment défini.

Les avocats du SAF avaient prévu de s’interroger sur bien des questions. Hier, en commissions. en assemblée générale, ils n’ont pas pour autant fait l’impasse sur le droit de la famille, leurs problèmes professionnels, leurs honoraires, la réforme de leur profession. Mais c’est bien l’aide judiciaire qui s’en est subrepticement venu hanter les couloirs. Au gré des interventions, on a entendu causer « scandaleux que le Garde des Sceaux vienne nous dire qu’il n’y a pas d’argent pour l’aide légale », entendu causer droit des personnes, cher au SAF. On a surtout entendu causer « ras le bol » et « perspectives de l’arrêt de la suspension du mouvement de grève ». Avec la furieuse envie de donner toute son ampleur à la journée nationale du 15 novembre. En appelant à une grève qui devrait se trouver en bonne place dans les motions qui seront votées ce soir.

Le SAF, comme d’autres membres de l’intersyndicale, avait préféré calmer le jeu en attendant la position du nouveau Garde des Sceaux. Il n’a pas apporté grand chose et bien des hommes de robe lui ont trouvé des oursins au fond des poches. Suffisant pour que la grogne se fasse sentir de plus belle, quand les avocats font de l’accès pour tous à la justice une priorité, de la réforme de l’aide légale un préalable à toute discussion constructive.

Tout simplement parce que ce problème conditionne tous les autres. Parce que pendant des années les avocats ont pris sur eux; ont tenté de compenser les dérisoires indemnisations pour que tous aient accès à une même justice, parce que c’est un principe fondamental du droit, et parce que nous sommes tout particulièrement attachés au droit des personnes, estime Stéphane Maugendre, avocat du barreau de Bobigny. Mais au bout d’un moment on s’épuise»…

L’aide légale en guise de priorité? Pour ce jeune avocat, installé à Bobigny depuis 4 ans, c’est essentiel, à Bobigny, c’est 10% des commissions d’office sur 1% des avocats de France. Alors tout le monde en fait». Et tout le monde pâtit du système. Les «19 francs de l’heure», c’était les chiffres de Stéphane Maugendre (avocat), le passionné du droit pénal qui compte ses pertes sur des cinquante heures de dossiers d’assises que l’on indemnise 1000F. Qui s’interroge sur le principe de base de la profession, qui veut que l’on ne défende pas deux intérêts contradictoires, quand, financièrement parlant, ceux de ses clients sont contraires, aux siens.

Alors comme beaucoup de ses confrères, il tente de résoudre le problème «moral» qui se pose à sa conscience, s’interroge sur les choix à faire entre dossiers de commission d’office et dossiers «payants». Pas facile, quand au cabinet, l’un traite le civil, l’autre le pénal, quand plus d’un tiers des dossiers relève de l’aide judiciaire…

«On ne roule pas sur l’or. 10.000F par mois, c’est le maximum, sans rembourser les frais d’essence, avant d’avoir payé toutes les cotisations»… Au bout du compte, un revenu net mensuel plus près de 6.000 que de 8.000F. Et pourtant, il a pris une part active au mouvement de grève, pour bloquer la machine, quitte à ce que les justiciables ne s’y retrouvent pas forcément sur le moment. Mais c’était peut-être le seul moyen de mener à bien une stratégie de rupture sur quelques mois pour aboutir à une refonte du système». Mais il est clair que les avocats, s’ils refusent l’émergence d’une spécialité «défense du pauvre», ne peuvent faire abstraction des libertés individuelles, « celles qui préoccupent de moins en moins d’avocats, plus tentés par le droit des affaires, d’un bien meilleur rapport ». Alors que dans le même temps, l’avocat s’attend, dans le cadre de le refonte de l’instruction, à être de plus en plus présent dans le contentieux pénal.

Commission d’office ou pas, l’aide judiciaire, les avocats du SAF n’en démordent pas, reste «le» problème à régler. Pas simplement sur le plan de la «juste» rémunération de l’avocat. Chantal Fine le sait bien. Associée à Pontoise à Sylviane Mercier, elle voit passer, sur le total des affaires traitées par le cabinet, 60% de dossiers droit de la famille. «Et 70% des dossiers divorces sont du ressort de-l’aide judiciaire. Concrètement, c’est 22S0F par dossier, alors que les honoraires moyens perçus pour un client payant» pourraient être de 8 à 9.000F». Quand les frais professionnels restent les mêmes, ou presque…. Quand les délais de règlement dépassent l’entendement, quand les avocats sont payés pour leur travail parfois plus d’un an après l’ouverture du dossier…

«Un choix»

Et pourtant, au cabinet, Chantal Fine accepte toujours les dossiers d’aide judiciaire, « parce qu’il y a souvent urgence, parce que c’est un choix de notre part Même avec le risque de voir le client changer d’avocat en cours de procédure et ainsi ne rien toucher »…

Alors, la réforme de l’aide légale, elle l’attend aussi avec impatience. Pour le relèvement! du plafond pour les justiciables, comme une meilleure rémunération et de meilleurs délais de règlement parce que l’on arrive à un stade où financièrement ce n’est plus possible, parce que l’on ne peut pas « forcer » sur les autres clients « pour équilibrer ». Chantal Fine a accepté de gagner moins – aux alentours de 13.000F par mois – pour des raisons d’éthique. Mais à terme, dans son bureau aussi, les choses risquent de coincer…

Un Avocat témoigne

Hebdo 93, 02/11/1990

_DSC0001«Tout le barreau soutient le mouvement»

Maître Stéphane Maugendre a participé le 23 octobre au dépôt symbolique d’une gerbe à la mémoire de la justice défunte. «Je fais partie d’une profession libérale qui ne dépend pas du budget de la justice mais ses conditions de fonctionnement me concernent aussi fort. Je pâtis au même titre que mes collègues de la lenteur des affaires. C’est le droit du justiciable qui est remis en cause. Pour nous se pose en plus la faiblesse des rémunérations que nous verse l’état en matière d’aide légale. Ce recours indispensable qui permet aux gens modestes d’être défendus nous est très mal indemnisée alors que les affaires traînent interminablement. S’il y avait plus de magistrats et de greffiers, le juge d’instruction pourrait mieux suivre son dossier et retrouver une pratique de terrain. Aucune mesure n’étant prise, les gens s’interrogent et perdent confiance. Les magistrats également qui quittent de plus en plus nombreux la fonction publique. Il ne faut pas oublier que si tout le monde demandait un jour de récupérer ses heures supplémentaires, le tribunal devrait fermer ses portes pour au moins deux mois… ».

Avocats : Premiers états généraux

6604839-9962832 16/02/1990

Sur la sellette : l’aide légale. Mais aussi l’avenir

_DSC0010La colère monte chez les avocats. Après doux journées nationales de protestation, les différents barreaux de France, pour la plupart en grève tiendront samedi pour la première fois de leur histoire des états généraux au palais de Justice de Bobigny.

Les raisons de la grogne? Officiellement, l’épineux de l’aide légale. Mais derrière se profile la crainte de plusieurs milliers d’avocats,18 000 au total, inquiets de la prolétarisation croissante du secteur judiciaire.

Instituée par la loi du 3 janvier 1972, l’aide légale (l’aide judiciaire en matière civile et commissions d’office en pénal). Il permet aux plus défavorisés d’accéder à la justice. Le principe est noble. Mais les finances ne suivent pas. «400 millions de francs pour l’aide judiciaire, 40 millions pour les commissions d’office, c’est à peine le budget de fonctionnement de Beaubourg», remarque Me Brigitte Marsigny, bâtonnier à Bobigny.

Au fil des ans, face à la croissance exponentielle des demandes, le système est devenu invivable. Ce n’est pas par hasard que le palais de justice de Bobigny a été choisi comme lieu de rassemblement. Zone urbaine extrêmement défavorisée, à fort taux de population immigrée, la Seine-Saint-Denis est sans doute l’un des départements les plus concernés par l’aide légale. Dans ses cités délabrées vouées à la délinquance, où le chômage sévit durement, chaque journée apporte son lot de drames: agressions, viols, enfants et femmes battus, meurtres… L’aide légale, ici, représente près du tiers de l’activité du barreau. Sur les 166 avocats de l’ordre de Bobigny (à Paris, ils sont 6000), environ 150 ont eu à traiter l’année dernière 9 600 commissions d*office (10% du nombre total de commissions nationales) et plus de 3 000 dossiers d’aide judiciaire. Or, à titre d’exemple, que l’on y consacre dix heures ou cinquante, un divorce est indemnisé 2 250 francs et un dossier passant en cour d’assises 580 francs. «Chaque fois que j’accepte de défendre une femme battue sans ressources, ce qui arrive fréquemment, souligne Me Stéphane Campana, installé depuis dix ans à Aubervilliers, je sais que je perds 12 000 francs. » Et comment faire lorsqu’il faut payer deux secrétaires, dont une à mi-temps, et faire tourner ce cabinet qui fonctionne avec deux avocats?

CALCUL

Généralement, les frais de gestion représentent, selon les cas, de 35 à 80 % du chiffre d’affaires d’un cabinet Pour le seul barreau de Bobigny, Me Stéphane Maugendre, membre du bureau du SAF (Syndicat des avocats de France), s’est livré à un petit calcul où il apparaît que sur 2 400 commissions avec instruction correctionnelle, la perte cumulée serait de plus de 14,7 millions de francs.

Manque de temps, manque d’argent le problème de l’aide légale pose avec acuité la question de la dégradation d’une profession menacée de scission. La fusion prochaine, prévue pour le printemps, des avocats et des conseils juridiques risque d’entrainer de sérieux bouleversements. Dans le secteur juridique, le seul solvable, la concurrence s’annonce féroce. Et les avocats français y sont fort mal préparés. Leur formation (maîtrise de droit plus un an d’enseignement pour obtenir le Capa, certificat d’aptitude à la profession d’avocat) accuse de sérieuses lacunes.

Stéphane, 29 ans

L'Obs - Actualité Thierry Gandillot, 08/02/1990

« si c’est pas l’enfer, c’est parce que j’adore ça »
Cheveux longs, jamais de cravate, Stéphane Maugendre, 29 ans, maitrise de droit à Tolbiac, est inscrit au barreau depuis deux ans. Il est membre du bureau du Syndicat des Avocats de France et militant au GISTI (Groupe d’Information et de Soutien aux Travailleurs immigrés), «une sorte de SOS-Racisme sérieux». Après avoir été collaborateur à mi-temps dans un cabinet déjà lancé, il s’installe à son compte, en septembre 1989, avec un confrère de son âge, dans un petit appartement de Rosny-sous-Bois (75 mètres carrés, loué 3 600 francs par mois).

« On m’a dit : « Ne va pas t’installer en Seine-Saint-Denis, tu n’auras jamais de grosses affaires ». Grossière erreur : ça démarre et j’ai déjà rentré quelques clients importants. II y a un gros besoin dans ce département qui compte 160 avocats pour 1,3 million de personnes. A Paris, il y a 6 000 avocats pour 2,3 millions. » En 1989, Stéphane a gagne 80 000 francs environ, grâce à son travail de collaborateur à mi-temps et a ses clients personnels. Cette année, finie la collaboration !

Stéphane compte vivre de son propre cabinet. « Mais nous n’avons pas de secrétaire et je dors cinq ou six heures par nuit. Si ce n’est pas l’enfer, c’est parce que j’adore ça »

Stéphane, fils de médecins soixante-huitards, reconnait avoir « Ies dents longues mais pas au point de les planter dans le dos d’un confrère »

Pour la première fois depuis deux ans va prendre des vacances – une semaine de ski à la montagne. « ça m’angoisse complètement, j’ai déjà mal au dos, je travaille trop, je paierai certainement un jour… ».

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Les avocats jouent les plaideurs

KdI9khBXPMWc33xfCxduK-fCc2MLzAp7jQ_15LyD1S4gOeointmcTAHR52beutqD4l_qMww=s170, 23/01/1990

La grève de l’aide légale se poursuit malgré la création d’une commission chargée d’étudier la question. Les avocats ne veulent pas se faire oublier… C’EST bien connu, en France, si on veut enterrer un problème, il suffit de créer une commission ! Les avocats le savent, qui, tout en approuvant l’initiative du ministère de la Justice d’instaurer la commission Bouchet pour régler la grève de l’aide légale, ont décidé de poursuivre leur mouvement tant qu’aucun résultat concret ne sera obtenu. « Si le gouvernement veut gagner du temps, il nous trouvera en face de lui, prévient Me Stéphane Maugendre, membre du conseil du Syndicat des avocats de France (SAF,gauche). Ce que l’on souhaite, c’est qu’une fois le rapport du groupe d’études établi, un projet de loi soit déposé dans les six mois qui suivront. Tant que nous n’avons pas cette assurance »…

Tant qu’ils n’auront pas cette assurance, différents barreaux se mettront en grève, à l’instar de ceux de Nantes, Bobigny ou Nanterre, les premiers à avoir refusé d’assurer les commissions d’office. Cette semaine, les avocats de Montpellier et Béthune ont suivi leur confrère.

Au total, ce sont désormais 51 barreaux qui ont tenu à manifester clairement leur mécontentement.

Le conflit, qui a éclaté ces dernières semaines, couvait depuis plusieurs années. Les avocats se plaignaient en effet de la forme actuelle de l’aide légale, rémunérée si faiblement qu’elle coûtait de l’argent aux robes noires au lieu de leur en rapporter… Le risque était alors de voir apparaître une justice à deux vitesses avec les affaires sérieuses et les autres que l’on aurait tendance à expédier.

9500 dossiers

Bobigny est certainement le tribunal le plus touché par ce phénomène. Avec une population composée de familles économiquement faibles, notamment en Seine-Saint-Denis, il devenait difficile aux 166 avocats d’assurer les 9 500 dossiers qu’ils ont en charge chaque année. (9 % des commissions d’office de France, pour 1 % des avocats de notre pays).

A Paris, la proportion est inverse. Ils ont certes 10 % des commissions d’office, mais pour un tiers des avocats. C’est pourquoi le plus gros barreau de France ne s’est pas mis en grève, mais soutient totale¬ment ses confrères de province. « L’aide judiciaire est l’un des aspects de la paupérisation de la] justice. Il est nécessaire d’adapter le système aux besoins propres de chaque barreau » constate Me Stéphane Bloch, un jeune avocat parisien. Lui n’est pas directement touché par ce phénomène puisqu’il n’a que trois à quatre commissions d’office par an. Il reconnaît même se porter volontaire aux comparutions immédiates le samedi et le dimanche pour dit-il « découvrir le pénal, moi qui dans mon cabinet m’occupe surtout du droit des affaires. »

Paris, situation privilégiée? Certainement. Mais comme tous leurs confrères, les avocats parisiens s’inquiètent de la réforme globale de la profession. « On ne voudrait pas que lors de la fusion entre avocats et conseils juridiques, les premiers soient en charge de toute l’aide légale, alors que les seconds se¬raient tentés d’y échapper » commente Me Stéphane Bloch.

1993 n’est plus si loin.

Si tous les avocats reconnaissent indispensable une fusion entre ces deux métiers la France est le seul pays européen à connaître une telle dichotomie, ils refusent que cette union se fasse à n’importe quelle condition. S’ils peuvent influencer les positions politiques, c’est avant que toute décision ne soit prise. C’est donc maintenant que les avocats doivent s’exprimer, ou se taire à jamais…