Mariages sous surveillance

Photo Stéphane Maugendre

La lettre du SAF, avril 1991

La liberté de se marier est-elle encore un droit fondamental, s’agissant des étrangers ? Un petit tour des mairies de France ne laisse pas d’inquiéter.

Hier, des maires refusaient l’inscription d’enfants d’étrangers dans les maternelles. Aujourd’hui c’est à la liberté pour les étrangers de se marier et de vivre en famille qu’il est atteint.

ROUBAIX, 17 février 1990. Mademoiselle N.G. attend en vain son mari, de nationalité marocaine, sur les marches de la mairie.

SAINT-ETIENNE, février 1991. La mairie refuse de publier les bans, empêchant ainsi le mariage de Monsieur A.B., algérien.

ANGLIERS (Vienne), 16 février 1990. Le maire, “sensibilisé sur les problèmes actuels et pensant qu’il peut s’agir d’une “affaire bizarre”, d’autant plus qu’une rumeur court dans le bourg d’Angliers, parlant d’un “mariage blanc” pour lequel la jeune fille aurait perçu une somme d’argent”, se fait remplacer, pour la célébration du mariage, par deux gendarmes qui arrêtent Monsieur S., égyptien.

Même si le Juge des Référés du Tribunal de Grande Instance de Poitiers, par Ordonnance en date du 8 mars 1991 frappée d’appel, “ordonne à l’Officier d’État civil de la Commune d’Angliers de procéder à la mairie au mariage de Mademoiselle L. et Monsieur S. dès qu’il en sera requis par ceux-ci”, Monsieur S. n’est toujours pas marié et a été condamné par le Tribunal Correctionnel à 3 mois fermes et 3 années d’interdiction du territoire français.

LE PRE SAINT-GERVAIS (Seine-Saint-Denis), 29 septembre 1990. Mademoiselle M., après avoir déposé toutes les pièces nécessaires pour se marier auprès du Service de l’État Civil de la mairie, se retrouve devant la 12ème Chambre Correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Bobigny.

Sur les conseils du tribunal, qui a ajourné le prononcé de la peine, Mademoiselle M. se présente à la préfecture de la Seine-Saint-Denis pour régler sa situation.

Monsieur le Préfet la place alors en rétention administrative, puis la relâche 24 heures plus tard.

En effet, Mademoiselle M., enceinte de 7 mois et prise d’un malaise, est conduite à l’hôpital.

Le 24 octobre, Monsieur le Maire, sommé par voie d’huissier de procéder à la célébration du mariage, répond “qu’il n’y a pas d’opposition de la part de la mairie, mais que le dossier a été transmis à Monsieur le Procureur de la République de Bobigny qui doit donner l’autorisation de célébrer le mariage”.

Le 9 novembre, le Tribunal de Grande Instance de Bobigny, saisi d’un référé voie de fait, ordonne la communication de l’affaire au Ministère Public.

Le 10 novembre, Monsieur le Maire, ayant reçu l’autorisation de Monsieur le Procureur de la République, marie Mademoiselle M. et Monsieur M.

VAL DE MARNE, 16 novembre 1991. Mademoiselle D. et Monsieur G., roumain, déposent un dossier complet à la mairie.

Le même jour, le service de l’État Civil de la mairie transmet pour avis le dossier à Monsieur le Procureur du Tribunal de Grande Instance de Créteil dans les termes suivants : “Le futur époux a demandé le bénéfice du droit d’asile le 4 mai dernier et ne peut fournir ni certificat de coutume ni certificat de célibat. Le mariage peut-il avoir lieu au vu de l’acte de naissance roumain, document unique dont nous avons pris photocopie et rendu l’original à l’intéressé, sans attendre le verdict de l’O.F.P.R.A., en lui faisant souscrire une déclaration sur l’honneur de célibat et le certificat prévu au n° 542 de l’I.G.E.C. (Instruction Générale de l’Etat Civil)?”.

Le 20 décembre 1990, les demandeurs n’ayant aucune réponse de la mairie, leur Conseil remet en mains propres à Monsieur le Substitut :
– un original d’une attestation sur l’honneur de Monsieur G., certifiant qu’il n’est pas marié,
– un original d’un certificat de naissance ainsi que sa traduction originale par un expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris,
– la copie d’un bulletin d’identité roumain portant la mention “célibataire”, dont l’original a été présenté à Monsieur le Substitut, ainsi que sa traduction originale par un expert près la Cour d’Appel de Paris.

Le 10 janvier de la nouvelle année, Monsieur le Substitut avise Monsieur le Maire d’attendre le 18 janvier 1991, date de l’entretien de Monsieur G. avec l’OFPRA, ainsi que la réponse de celle-ci quant à son statut de réfugié politique, et “il conviendra alors :
– soit de lui demander un acte de naissance, un certificat de célibat et un certificat de coutume délivrés par l’O.F.P.R.A. si le statut de réfugié politique lui est accordé,
– soit de produire un acte de naissance de moins de 6 mois, légalisé par le Consulat et accompagné des certificats visés ci-dessus”.
Le nez du Procureur

Le 18 janvier 1991, Monsieur le Maire est sommé par voie d’huissier de procéder au mariage des requérants.

Interpellé, Monsieur le Maire a répondu : “Nous vous remettons la lettre du Maire expliquant la situation au Procureur de la République et vous soumettons la réponse de Monsieur le Procureur de la République confirmant qu’il manque le certificat de coutume et le certificat de célibat. Dès que nous serons en possession des documents rien ne s’oppose à la célébration de ce mariage”.

Or, Monsieur le Procureur n’avait pas à donner l’instruction à Monsieur le maire de demander à Monsieur G. un extrait d’acte de naissance délivré depuis moins de six mois (n° 352 de l’I.G.E.C.), ni un extrait d’acte de naissance légalisé par le Consul (articles 9 à 11 de la convention Franco-Roumaine du 5 novembre 1975 relative à l’entraide judiciaire) ni la production de certificats de coutume et de célibat (n° 538 et 541 de l’I.G.E.C.).

Ainsi, la décision de Monsieur le Maire de soumettre la célébration d’un mariage à la décision de l’O.F.P.R.A., notamment pour connaître de la production par les demandeurs de documents qui ne sont nullement exigés par les textes et donc de refuser de les marier, constituait une voie de fait.

Par conséquent, une assignation en référé a été délivrée au maire, qui, quelques heures après, contactait le couple pour fixer le jour et l’heure du mariage Ces affaires scandaleuses permettent de rappeler que la compétence du Procureur de la République en matière de mariage est strictement limitée par les dispositions du Code Civil tant avant (articles 145 et 169), que pendant (article 75) et après le mariage (articles 184, 185, 190).

Et l’I.G.E.C. précise que “les autorisations de mariage exigées pour certains étrangers par l’article 13 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France, ont été supprimées par l’article 9 de la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981. En conséquence, l’inobservation par un futur époux de nationalité étrangère des dispositions concernant le séjour en France des étrangers ne saurait, à elle seule, empêcher la célébration du mariage. L’Officier de l’État Civil qui procède à un tel mariage ne saurait de ce seul fait encourir de responsabilité”.

D’ailleurs, la Commission Européenne des Droits de l’Homme affirme, dans des avis concernant les mariages des détenus, que les articles 12 et 14 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme garantissent un droit fondamental à contracter mariage et que le rôle des législations nationales est de régir l’exercice de ce droit sans porter atteinte à sa substance ou de manière substantielle à l’exercice de ce droit (Voir “la Convention Européenne des Droits de l’Homme” : Gérard Cohen-Jonathan, édition Economica).

Or, de plus en plus souvent, soit des maires transmettent le dossier de mariage au Parquet pour autorisation, soit le Parquet demande la transmission de ce dossier pour autorisation préalable à mariage, notamment à des fins de lutte contre l’immigration clandestine.

La violation d’un droit fondamental est entrée dans nos mairies avec la complicité instigatrice de certains Parquets.

Stéphane MAUGENDRE, Barreau de Bobigny.