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Expulsions : les failles du système

images fig Marie-Amélie Lombard, 15/04/1993

_DSC00334/5 des mesures de reconduction aux frontières des étrangers en situation irrégulière ne sont pas exécutés. Explications.

Un filon pour les immigrés, un créneau pour le nouveau gouvernement. Ce sont les reconduites à la frontière des étrangers en situation irrégulière. Près de 43 000 mesures ont été prononcées l’an dernier, moins de 9 000 exécutées (1). Au vu et su des autorités, ces clandestins restent en France et alimentent la polémique sur une immigration mal maîtrisée. Hier, au cours d’une communication sur la sécurité en Conseil des ministres, Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, a jugé que l’immigration clandestine avait « sa part dans la délinquance, dans la dégradation constatée aujourd’hui », en soulignant que les « 4/5 des mesures de reconduction n’étalent pas exécutés ». Voici pourquoi.

L’épicier arabe du coin peut un jour embarquer dans un avion encadré par deux policiers, destination Alger. Il aura fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière parce que son fonds de commerce ne lui rapportait même pas le Smic, qu’il l’avait acheté comme prétexte pour obtenir un titre de séjour en France et que la Préfecture s’en est aperçue. Un vrai faux commerçant.

Environ deux tiers des reconduites à la frontière ont ainsi pour origine un arrêté préfectoral. Ce sont les déboutés du droit d’asile, les touristes, dont le visa a expiré, l’imam autoproclamé par sa petite communauté mais dont les ressources sont insuffisantes, l’étudiant togolais qui additionne les redoublements à l’université.

L’autre tiers est frappé d’une interdiction du territoire pour séjour irrégulier, mesure judiciaire. Autant de cas particuliers qui choisissent de passer dans la clandestinité pour rester.

L’arrêté de reconduite pris, l’administration dispose d’un délai de sept jours pour agir. L’étranger, quand il est interpellé, est alors placé dans un centre de rétention administrative (douze aujourd’hui en France). En région parisienne, le plus vaste est celui du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) où 6 000 personnes ont séjourné l’an dernier. Le plus décrié – du moins par les étrangers – est le dépôt de la Préfecture de police de Paris, 3, quai de l’Horloge.

Objectifs contradictoires

C’est là que l’étranger va souvent tout tenter pour échapper à la reconduite. C’est là que convergent toutes les, rumeurs, les incompréhensions, les démêlés avec l’administration ou la justice. C’est là qu’intervient la Cimade (Comité intermouvements auprès des évacués), association chargée de veiller « au respect de la dignité » pour les reconduites. Or, entre Cimade et autorités, les objectifs sont évidemment contradictoires et les relations tendues. Ainsi, l’association va conseiller l’étranger, lui indiquer les voies de recours dont il dispose, et finalement tout faire pour lui éviter le retour au pays. De leurs côtés, les autorités ont un but : mettre l’étranger dans un avion avant l’expiration du délai.

Seuls 8 % des arrêtés de reconduite sont contestés par les étrangers devant le tribunal administratif. Motifs le plus souvent invoqués : soit les risques encourus dans le pays d’origine pour les déboutés du droit d’asile, soit des attaches familiales et sociales solides en France. Par exemple, l’immigré qui vit avec une femme française dont il a un enfant. « La majorité des décisions nous est favorable », indique Martine Viallet à la direction des libertés publiques du ministère de l’Intérieur. » Les étrangers ne sont pas en mesure de connaître leurs droits, les autorités se débrouillent pour qu’ils les ignorent », reproche la Cimade qui soulève des problèmes pratiques. Au dépôt du quai de l’Horloge, une seule cabine téléphonique à pièces, des difficultés pour communiquer avec les – retenus », enfermés dans une cellule.

Entre retenus, on se transmet des tuyaux, le plus souvent percés, on se recommande le refus d’embarquer dans l’avion, le prétendu nec plus ultra pour rester sur le sol français. «Je ne vends pas du vent, je refuse de prendre certains dossiers indéfendables. Il y a des cas où je ne peux rien faire. La seule « ficelle » a utiliser, c’est le droit, qu’il faut connaître sur le bout des doigts », raconte Me Stéphane Maugendre (avocat), qui travaille avec plusieurs associations de défense des immigrés.

Moins de trente ans

Profil type du  « pensionnaire » du centre de rétention selon la Cimade : presque toujours un homme, les trois quarts ont moins de trente ans, 12 % sortent de prison après avoir purgé une peine pour séjour irrégulier, 6 % pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Les nationalité concernées, en ordre décroissant : l’Algérie, la Turquie. le Maroc, le Mali, le Zaïre, la Tunisie, le Sénégal, la Roumanie.

Seulement 20 % des reconduites sont exécutes Pourquoi ? Tout d’abord, dans 42,7 % des cas,  parce que le autorités sont dans  l’incapacité de détecter et/ou d’interpeller l’étranger en situation irrégulière », selon la formule du ministère de l’Intérieur. C’est l’épicier arabe qui met la clef sous la porte et s’évapore dans la Goutte-d’Or, l’étudiant togolais qui, se sachant recherché (toute personne frappée d’une mesure de reconduite entre dans le fichier des personnes recherchées), ne se présente plus aux guichets de l’administration.

Deuxième raison : le bataillon des « sans-papiers » (28.5 %), qui ont le plus sou*vent détruit volontairement leur passeport. En principe, le fait d’étre sans papiers est passible de poursuites pénales (6 mois à 3 ans de prison) mais, dans la pratique, selon le ministère de l’Intérieur, seul le tribunal de Montpellier prononce des condamnations. Aux policiers, et surtout aux interprètes, de découvrir la nationalité à partir des accents, des idiomes employés. Le pays d’origine doit alors reconnaître son ressortissant et lui délivrer un laissez-passer et, là, c’est le bon vouloir des consulats qui prime. La Turquie les dé¬livre allègrement tandis que la Chine, le Maroc et l’Algérie s’y refusent obstinément. Pour le Zaïre, tout dépend de l’humeur du moment.

Refus d’embarquer

Troisième explication, le manque ou l’absence de places dans les avions (8,3 %) et enfin, tout le reste (20,5 %), comme par exemple, les refus d’embarquer, passibles de la même peine que les sans papier. C’est la scène du reconduit qui s’accroche à la passerelle pour ne pas monter dans l’avion. Devant tant d’agitation, le commandant de bord refuse souvent – c’est son droit – d’embarquer le récalcitrant. Pour toutes ces raisons, passé le délai de sept jours, l’étranger, retenu dans un centre, est relâché, bien que toujours en situation irrégulière. Le coût moyen d’une reconduite effectuée, billet d’avion compris, a été estimé à 30 000 francs.

Actuellement, le ministère de l’Intérieur, affichant une volonté de fermeté, mais conscient que la marge de manœuvre est étroite, réfléchit aux aménagements possibles. A des contrôles d’identité permettant de mettre la main sur les irréguliers et à des négociations avec les pays d’origine, notamment le Maghreb, faisant aujourd’hui obstacle aux reconduites. En l’occurrence, un moyen de les faire «plier» consisterait à leur diminuer l’aide financière, mal¬gré les obstacles diplomatiques. Selon un partisan de l’efficacité, « ce sont d’abord ces deux verrous qui doivent sauter ».

(I) Les reconduites à la frontière sont différentes des expulsions (mesures ministérielles, environ 500 par an) et des interdictions du territoire prononcées comme peine « complémentaire » quand l’étranger a été condamné pour infraction à la législation sur les stupéfiants ou proxénétisme.

Des avocats jugent le climat

logo-liberation-311x113 08/04/1993

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale, le 1er mars, les avocats peuvent assister leurs clients à partir de la vingtième heure de garde à vue. A ce titre, ils côtoient désormais de près les commissariats. Certains d’entre eux. inscrits sur la liste des volontaires à cette tâche, réagissent aux derniers événements.

Me Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Bobigny, membre du bureau national du SAF (Syndicat des avocats de France): « Lors de la première cohabitation. il y a eu un deal de la part de Pasqua avec les policiers « je vous couvre ». Avec son retour. je pense franchement que les mauvais policiers se sentent couverts, je ne crois pas au hasard. Il y a des commissariats où on entend jamais parler de rien et d’autres où comme par hasard, il se passe toujours quelque chose, et on les connaît dans le monde judiciaire. Il faut que les commissariats qui se sentent visés sachent que l’avocat peut intervenir à tout moment. Nous allons demander l’ouverture d’informations judiciaires et ne pas nous contenter d’une enquête de l’IGS. L ‘analyse de mes confrères est la même, il est évident que même sans circulaire ou instruction, le fait que Pasqua soit revenu au ministère de l’Intérieur ne peut pas être indifférent ».

Me Christine Courrégé, avocat au barreau de Paris: « On ne peut pas s’empêcher d’avoir de mauvaises pensées, d’être troublé par tant de coïncidences, mais je ne veux pas y croire. Il ne revient qu’au ministre de l’Intérieur de faire taire ces pensées par une réaction énergique ».

Me Hervé Temime, avocat au barreau de Paris: «Depuis le 28 mars, nous avons remarqué le contentement de beaucoup de magistrats qui veulent que la réforme soit mise à plat. Et les déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur après la mort d’un policier m’ont choqué. Ses déclarations ont dû être bien notées, car visiblement certains policiers ont l’air rassuré. J’ai peur qu’il s’agisse là d’un discours sécuritaire d’autant plus dangereux qu ‘il va succéder à une absence de politique judiciaire. Le ministre doit rappeler strictement le respect de la loi aux policiers. »

Me Gérard Tcholakian, avocat au barreau de Paris : « On peut se demander si les propos de Charles Pasqua tenus aux policiers, « on est là pour vous soutenir mais ayez de la maîtrise », n’apparaissent pas comme un langage codé, qui signifient « je vous couvre ». D’autant que son arrivée réconforte une profession qui n ‘a jamais vu d’un bon œil la gauche au ministère de l’Intérieur. et que l’appareil policier se sent réconforté avec l’espoir de l’abrogation d un certain nombre de dispositions de la réforme».

Me Edouard de Lamaze, président de l’ U.J.A (Union des jeunes avocats): «C’est vraiment l’ironie du sort. Au moment où an essaye de remettre en cause la présence de l’avocat lors de la garde à vue et donc d’interdire son accès aux commissariats, on s ’aperçoit qu’il arrive des bavures pareilles! Supprimer notre présence serait un acte politique grave et suicidaire.

Les juges en font toute une affaire

KdI9khBXPMWc33xfCxduK-fCc2MLzAp7jQ_15LyD1S4gOeointmcTAHR52beutqD4l_qMww=s170 Frédéric Georges, 13/01/1993

Alors que la fronde des juges d’instruction contre la nouvelle procédure pénale a gagné la plupart des grandes villes de France, Michel Vauzelle, le garde des Sceaux, a joué la sérénité en assurant que « le mouvement ne prendra pas d’ampleur »…

Avec la fronde des sept juges d’instruction du tribunal de Strasbourg, on pouvait encore parler d’acte isolé. Depuis hier, la grogne prend une ampleur sans précédent dans l’histoire de cette profession puisque l’appel de l’Association professionnelle des juges d’instruction (AFMI) reçoit un écho favorable dans de nombreux tribunaux.

A Caen, Toulouse, Béthune et partout en France, les magistrats instructeurs suivent l’exemple de leurs collègues strasbourgeois en demandant à être déchargés de leurs fonctions. Tandis qu’au tribunal de grande instance de Paris, la grande majorité des soixante-deux juges d’instruction se disent prêts « à demander à être déchargés de leurs fonctions ».

Pendant ce temps, le garde des Sceaux Michel Vauzelle consent enfin à s’exprimer sur le sujet. Résolument serein face à cette levée de boucliers, le ministre de la Justice assurait hier que « ce mouvement ne prendrait aucune ampleur» et que ce texte était « politiquement inattaquable». Michel Vauzelle est même allé jusqu’à faire un pari sur l’avenir, assurant qu’on ne toucherait pas à ce texte et souhaitant que «le peuple défende cette loi, car c’est une loi de libertés qui prend en compte les droits des victimes, les droits des innocents et les droits de la défense ».

Au vu de ces déclarations, on ne peut que constater une aggravation des divergences entre les magistrats et leur administration de tutelle. Les juges parisiens restent certes prudents puisqu’ils ne demandent pas officiellement à être déchargés mais constatent tout de même « le caractère parfaitement inapplicable de ce texte compte tenu de la multiplication des procédures qu’il instaure sans la mise en place de moyens budgétaires correspondants. (…)

Certaines dispositions de cette nouvelle loi entraîneront une inefficacité totale de la justice pénale, notamment dans les affaires de criminalité organisée, aboutissant ainsi à la mise en place d’une justice à deux vitesses et à l’impunité des grands délinquants ».

Reste à savoir si les juges d’instruction vont demeurer isolés dans la contestation. Alain Terrail, président de l’APM (Association professionnelle des magistrats), fait remarquer que « les greffiers suivent le sort des instructeurs puisqu’ils remplissent en quelque sorte la fonction de secrétariat logistique et de témoin privilégié de ces derniers. Ils seront donc mobilisables à tout moment et la multiplication des procédures va sans aucun doute leur demander de plus en plus de travail ».

Le sort des substituts au procureurs ne semble pas plus enviable puisque ces derniers devront immédiatement aviser une personne soupçonnée de l’ouverture d’un dossier sur elle. René Grouman, substitut au tribunal de grande instance de Paris, estime que cette nouvelle procédure «est tout simplement aberrante. Si on veut privilégier la défense, on utilise la meilleure méthode en permettant aux inculpés de détruire toutes les preuves à charges… »

Pour les substituts aussi les journées risquent de ne pas être assez longues pour remplir tous les nouveaux formulaires. « On perdra de plus en plus de temps à des futilités, confie René Grouman. Ainsi lorsque nous déciderons de déférer quelqu’un, il faudra se déplacer pour l’en aviser. Cela ne changera absolument rien pour la défense puisqu’il s’agira juste de rencontrer la personne physiquement. Ça n’a l’air de rien mais a Paris, 20 à 30 personnes sont chaque jour concernées par ce changement. »

Doit-on alors s’attendre à une fronde des substituts ? Peut-être dans les petits tribunaux où l’accumulation de travaux inutiles sans moyens supplémentaires risque de finir par en hériter plus d’un… Reste les avocats. Puisque la nouvelle réforme a pour but de renforcer les droits de la défense, ils ne se contentent plus de l’applaudir, préférant désormais donner des leçons de morale aux magistrats qui veulent l’enterrer. L’ADAP (Association des avocats pénalistes) par exemple, s’indigne de toutes ces manifestations de mécontentement, et se demande comment l’AFMI peut conseiller à ses adhérents de violer la loi alors que son rôle est de l’appliquer. «Cela manifeste curieusement le prix qu’elle attache au respect des libertés individuelles et publiques ».

Ces libertés qui sont prises en otage, estime Stéphane Maugendre, vice-président du Syndicat des Avocats de France : « Un certain nombre de magistrats affirment qu’ils lutteront contre la réforme par la mise en détention systématique. C’est tout simplement scandaleux. » Pour le responsable de ce syndicat, le nouveau texte est au contraire plein d’avancées, bien loin d’introduire une justice à deux vitesses : « Il ne faut pas raconter n’importe quoi. La grande délinquance sait depuis longtemps comment se comporter lors d’une garde à vue. La présence des avocats ne peut donc être favorable qu’aux plus faibles, les justiciables au quotidien qui n’ont bien souvent rien à se reprocher. »

Alors que l’on aurait pu croire le débat clos, il ne fait que commencer. D’autant que certains responsables politiques comme le député RPR Nicole Catala, estiment « qu’il appartiendra à l’opposition d’écarter cette mauvaise législation ».

Quoi de neuf côté pénal ?

Lettre du Syndicat des Avocats de France, Stéphane Maugendre (Bobigny)

Lors de ce 19e Congrès du SAF,deux groupes ont travaillé sur les matières pénales.

Le premier, organisé en atelier, accueillait Mme PONCELA (Professeur de Droit pénal, qui doit être ici chaleureusement remerciée) et s’est naturellement orienté vers l’étude de la réforme du Code Pénal (voir rapport de Françoise MATHE).

Le second, la Commission Pénale (nous avons regretté l’absence d’Alain MOLLA), s’est attaché à la réforme du Code de Procédure Pénale.

Que dire ?

Nous avions déjà les 25 propositions du Congrès de Clermont- Ferrand mais aussi et surtout les motions des deux derniers Congrès qui approuvaient les solutions préconisées par la Commission présidée par Madame Mireille DELMAS-MARTY (Rapport publié à La Documentation Française),

Dès le départ nous constations que depuis 12 années, pas une seule véritable proposition de réforme du code de procédure pénale n’avait été faite par le Gouvernement.

Nous avons donc décidé de travailler le projet de loi tel que modifié en première lecture par l’Assemblée Nationale.

Sur la garde à vue

Nous avons regretté les absences suivantes :
– l’interprète pour assister toute personne ne parlant pas français,
– l’information du gardé à vue sur ses droits,
– possibilité de se faire examiner par un médecin de son choix,

La question la plus importante, à l’époque, était la présence de l’avocat à la 19e heure de la garde à vue lorsqu’il était envisagé que celle-ci soit prolongée.

Pour certains, il fallait d’abord relever que seulement 15 % des gardes à vue avaient été renouvelées l’année passée et qu’ainsi la présence de l’avocat était exclue dans quasiment tous les dossiers du pénal « au quotidien » (comparution immédiate, rendez-vous judiciaire par procès verbal.,.), c’est -à-dire pour les personnes qui semblaient en avoir le plus besoin.

Pour d’autres, c’était enfin d’avoir un pied dans la garde à vue.

Les questions pratiques furent aussi abordées, notamment celle de savoir comment assurer la permanence de la présence de l’avocat durant la garde à vue.

La mise en examen et l’ordonnance
de notification des charges
(l’inculpation à double détente).

Si certains ont considéré que le système allait à l’encontre de la présomption d’innocence et à un renforcement du préjugement de culpabilité, pour une grande majorité il permettait enfin de débattre tant sur les charges que sur la qualification des crimes et délits retenus.

Ce débat, par ricochet, influencerait l’orientation de l’instruction, les demandes d’investigations faites au cours de celle-ci et la durée de la détention provisoire,

Il s’annonçait d’autant plus important que cette « ONC* était susceptible d’appel, résolvant ainsi le long débat sur la juridictionnalisation de l’inculpation ‘nouveau modèle », non préconisée par le rapport DELMAS-MARTY mais regrettée depuis plus d’un an par la Commission Pénale du SAF.

La mise en détention

D’abord, nous avons dénoncé la possibilité pour la Chambre d’Accusation de mettre en détention une personne avant toute notification des charges.

Ensuite, nous avons vivement regretté que ne soit pas modifiée la motivation de la mise en détention telle que prévue à l’article 144 du CPP, ni que soient véritablement abordés les problèmes de la détention provisoire,.

Enfin, la discussion a principalement porté sur l’échevinage de la Chambre de la Détention.

Pour certains, minoritaires, un début de collégialité entrait dans les textes.

D’autre part, la méthode de choix des échevins était centrale, En effet, il pouvait être envisagé que les échevins soient choisis parmi les personnes particulièrement intéressées par les problèmes de l’incarcération ou les alternatives à la détention.

Ces personnes seraient alors un véritable contre-pouvoir face au Président, le technicien,

Pour les autres, le débat sur la détention provisoire était trop technique pour être confié à des non professionnels, et l’on risquait fort de mettre en danger l’indépendance et l’impartialité d’une telle chambre de détention.

Enfin, nous avons condamné le système car il était clair qu’il s’agissait, sous prétexte d’accéder à la collégialité tout en réglant un problème de budget, de faire sous- traiter judiciairement la détention provisoire.

Sur les demandes d’investigations

La Commission était très satisfaite de ces nouvelles dispositions car elles consacraient le début d’un ré¬équilibrage des droits de la Défense durant l’instruction face au pouvoir de l’accusation.

Satisfaction aussi concernant l’obligation pour le juge d’instruction, en cas de refus d’investigations faites à la demande de la Défense, de rendre une ordonnance motivée susceptible d’appel.

Toutefois, nous regrettions que ce refus ne soit pas enserré dans un délai plus bref en cas de détention provisoire (un mois) et nous avons préconisé dix jours au maximum.

Les régimes de nullités

Nous nous devions d’être satisfaits qu’il soit « mis en texte’ une liste de nullités formelles sans recours à l’article 802 du CPP.

Toutefois, nous étions inquiets qu’il ne soit fait mention d’aucune nullité en cas de violation des dispositions relatives aux droits de la Défense durant la garde à vue ou lors de l’instruction.

Une unanimité se dégageait pour condamner le projet.

En effet, une nullité de procédure représente la sanction d’un dysfonctionnement du travail d’enquête, au mépris des dispositions légales et des libertés fondamentales qui s’attachent à toute personne mise en examen ou victime.

Et le débat sur cette nullité, étant un débat de société sur « comment fonctionne la police et la justice » se doit d’être public.

Ainsi en aucun cas ne pouvait être acceptée une purge automatique des nullités de procédure, y compris d’instruction, par l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le juge d’instruction.

Il en est de môme de la purge automatique des nullités de la procédure précédant l’acte dont serait éventuellement saisie la chambre d’accusation, par un arrêt rendu par celle-ci.

Audience de jugement

La discussion resta très ouverte,

Les gens de justice face au mot d’ordre syndical.

KdI9khBXPMWc33xfCxduK-fCc2MLzAp7jQ_15LyD1S4gOeointmcTAHR52beutqD4l_qMww=s170 Stéphane Rak, 16/12/1992

Hier des manifestations, aujourd’hui une grève, de plus en plus les décisions de justice sont la cause de violents mécontentements. Jusqu’où cela peut-il aller ?

Faut-il simplement condamner la grève à la SNCF, qui vient contester une décision de justice, ou faut-il y voir un signe pour organiser une réforme de la justice? Entre les deux, le cœur des juristes balance. A une époque, pour éviter les commentaires qui se multipliaient sur les verdicts, le ministère de la Justice avait créé une loi interdisant d’exprimer son opinion, si elle ve¬nait à nuire à l’autorité de l’institution.

Aujourd’hui, on a franchi un nouveau cap. On ne se contente pas de simples paroles pour montrer son mécontentement, on emploie des moyens plus actuels : manifestations violentes, grèves… De quoi inquiéter magistrats ou avocats qui, s’ils estiment qu’un débat suite à une décision judiciaire est preuve d’une bonne démocratie, sont plus réticents face aux débordements de ces derniers temps.

« Depuis plusieurs années, la justice est mise en cause à tort et à travers, regrette Alain Terrail, responsable de l’association professionnelle des magistrats (APM,droite). Jamais, notre hiérarchie n’est venue défendre l’institution dans ces moments-là pour bien marquer les limites acceptables de la contestation. Alors faut-il s’étonner de ce qui arrive?»

Le résultat de ce laxisme est cette justice décriée, de moins en moins comprise et approuvée, livrée aux réactions des groupes ou corporations concernés par la condamnation, jugée trop sévère dans un cas ou la relaxe jugée insupportable dans un autre. Est-ce à dire que les magistrats ne savent plus juger?

Les lampistes

« Absolument pas, répond Alain Terrail. En soi la décision rendue n’est pas juridiquement critiquable. » Il s’explique : « Le cheminot a toute de même commis une faute, reconnue par le tribunal. Il aurait été aberrant qu’il ne soit pas condamné, sauf à dire que tous les cheminots, même s’ils commettent des fautes, sont exclus de la loi.

C’eût été une autre illustration de responsable mais pas coupable. » Le nouveau secrétaire général du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), Béatrice Patrie, préfère voir dans cette grève, non pas la simple contestation d’une « décision qui ne plaît pas, mais la colère suite au sentiment que le débat qui aurait dû avoir lieu dans les tribunaux ne s’est pas déroulé. Du coup, il se passe ailleurs ». Béatrice Patrie rapproche cette affaire de celle du sang contaminé, où l’injustice ressort de cette impression que seuls des lampistes se retrouvent dans le box des accusés. « La mission de la justice, souligne Béatrice Patrie est de faire apparaître toute la complexité de la chaîne des responsabilités. Tout le monde devrait être jugé, du conducteur à ses responsables hiérarchiques, quitte à ce que cela n’aboutisse pas à une condamnation. Mais au moins cela aura montré que les supérieurs n’étaient pas coupables aux yeux de la justice. » Il reste maintenant la sensation désagréable que seuls les lampistes risquent quelque chose en France.

Au Syndicat des Avocats de France (SAF), Me Stéphane Maugendre pense de même et pose la question « qu’il faut se poser vu les événements » : « Notre justice est- elle encore crédible ? » Car, d’après cet avocat, les magistrats seuls ne peuvent être mis en cause. « Le tribunal a été saisi d’un dossier déjà fait. Il devait juger les personnes qu’on lui présentait, explique Me Maugendre. Si critiques il y a, elles doivent s’adresser au système entier, sans oublier le juge d’instruction qui décide ou non d’inculper et de poursuivre. » Au SAF, on plaide pour une modification du Code de procédure pénal.

Au Syndicat de la magistrature,, on avance une autre solution pour éviter à l’avenir ce sentiment d’être mal jugé. « Il faut pour cela partir d’un principe, estime Béatrice Patrie, et admettre que l’on vit dans une société de communication. Aujourd’hui, les gens veulent sa¬voir, débattre et réagir. Il est donc urgent de mettre en place des procédures pour gérer ce besoin nouveau des citoyens. »

En effet, selon cette jeune magistrate, ignorer ce phénomène, c’est risquer tous les excès. « L’information entre la justice et les médias se passe de manière anarchique, regrette Béatrice Patrie. Il serait temps d’organiser officiellement ce débat pour qu’il respecte l’une des règles fondamentales de la justice, à savoir que le débat soit contradictoire».

Après l’armée, la justice serait- elle devenue si opaque qu’elle soit amenée à jouer une certaine transparence et créer en son sein une cellule de relations avec la presse, à l’instar du SIRPA chez les militaires ? Ou bien le ministre de la Justice devra-t-il prendre des mesures pour éviter les manifestations de mécontentement, sauf à prendre le risqué de voir notre société évoluer en castes.

Lettre ouverte à Monsieur le Bâtonnier de Paris

d99c31a04911dddfeb364fc8d90af056 Stéphane Maugendre, 06/1992

Ils ont réagi :

– victimes,
– fils et petits-fils de victimes,
– hommes et femmes,
– universitaires et gens de lettres,
– magistrats et avocats,

Les uns ont crié et pleuré, les autres ont écrit, nos consœurs, enfin, ont refusé de plaider devant ceux qui, l’espace de quelques pages, ont nié l’Histoire et la Collaboration. Monsieur le Bâtonnier de Paris, en réprouvant ces avocates, vous approuvez ces magistrats. Pourquoi ?

Parce que ne pas commenter une décision de justice rendue dans une affaire particulièrement délicate et qui “pose un problème de fond difficile, complexe, pénible” et soutenir le principe la réserve “respectée dans bien des circonstances pénibles” revient à laisser les armes de la Défense au placard, face à une idéologie révisionniste.

Votre charge de Bâtonnier d’un Barreau, si grand fut-il, ne vous empêchait pas de réagir, d’autres l’ont fait.

Parce qu’utiliser les termes de participation “à une opération de destruction de l’État de Droit”, c’est affirmer que l’ennemi est parmi nous.

Parce qu’appeler à être “saisi de demandes de poursuites” par le Parquet Général de Paris contre ces avocates c’est dénoncer.

Alors Monsieur le Bâtonnier Pourquoi ?

La  » zone de transit  » devant le tribunal de grande instance de Paris L’Etat est condamné pour voie de fait sur des étrangers

index , Philippe Bernard, 27/03/1992

La tribunal de grande instance la Paris a Jugé, mercredi 25 mars, que le ministère de l’intérieur avait porté gravement atteinte à la liberté» de six demandeurs d’asile en les retenant, plusieurs jours durant, dans l’aéroport de Roissy, puis à l’hôtel Arcade, en dehors de toute légalité, L’État a été condamné à payer au total 33 000 francs de dommages et intérêts aux intéressés, ainsi que 1 franc symbolique au Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI). Cette décision affirme l’illégalité de l’actuelle zone internationale où sont placés les étrangers non admis sur le territoire. C’est pour légaliser cette pratique sous le nom de «zone de transit» que le ministère de l’intérieur avait fait adopter l’« amendement Marchand », que le Conseil constitutionnel a censuré le 25 février dermier.

La «zone internationale» est une «zone de non-droit» et la police ne peut y retenir un étranger, sauf à être condamnée pour «atteinte à la liberté individuelle». Telle semble être la conséquence, lourde dans la pratique, de la décision du tribunal de grande instance de Paris. Les juges ont estimé, en effet, que le maintien d’un étranger à l’hôtel Arcade de Roissy, « en raison du degré de contrainte qu’il revêt et de sa durée – laquelle n’est prévu par aucun texte et dépend de la seule décision de l’administration, sans le moindre contrôle Judiciaire, – a pour conséquence d’affecter la liberté individuelle de la personne qui en fait l’objet».

L’affaire concernait une Zaïroise et cinq Haïtiens qui, à l’automne dernier, n’avaient pas été admis en France. La police de l’air et des frontières (PAF) avait préparé leur refoulement vers Kinshasa et Port-au Prince. Mais, demandant a bénéficier du droit d’asile, ils avaient été retenus dans une salle de aéroport Charles-de-Gaulle, puis au premier étage de l’hôtel Arcade, loué à cet effet par le ministère de l’intérieur, en attendant l’examen de leur demande. Si l’«atteinte au droit d’asile», que certains invoquaient, n’a pas été retenue par le tribunal au motif que le refoulement n’avait pas été exécuté, les juges ont, en revanche, analysé en détail les conditions de rétention, avant de reconnaître que «l’atteinte à la liberté Individuelle» constituait une « voie de fait ».

Les magistrat ont constaté que les étrangers retenus à l’hôtel Arcade sont placés sous la surveillance de la PAF et sont logés «dans des chambres dont les fenêtres sont condamnées» avec interdiction de quitter le premier étage, dont le couloir est fermé par une porte verrouillée et «gardée par la police, qui empêche toute entrée ou sortie non autorisée par l’administration».

Le tribunal ajoute que les intéressés «ne bénéficient pas des droits reconnus par la loi mais seulement de ceux qui leur sont octroyés, à sa discrétion, par l’autorité administrative (…)». Il rejette l’argument du ministre de l’intérieur qui soutenait que cette privation de liberté consistait seulement en une interdiction d’entrer en France. La décision relève qu’aucun texte, national ou international, ne confère «une quelconque extra-territorialité à tout ou partie des locaux de l’hôtel Arcade, situé (…) hors de l’enceinte de l’aéroport», ce qui relève d’une «fiction juridique».

La décision d’un magistrat d’autoriser à porter une telle affaire devant un tribunal civil (le Monde du 28 février) devait conduire logiquement à la condamnation de l’État, puisque aucun texte n’a jamais autorisé la création de la « zone internationale ». La teneur prévisible de ce jugement avait d’ailleurs été pour ainsi dire annoncée par le Ministre de l’intérieur, M. Marchand, lorsqu’il avait déposé in extremis un amendement légalisant cette pratique, pour tenter de prévenir les conséquence d’un condamnation de son administration. On connaît le sort qu’a réservé le Conseil constitutionnel à ce texte, non pour des raisons tenant au principe même d’une «zone de transit», mais parce que le texte gouvernemental laissait les mains libres à la police pendant vingt jours, délai que le Conseil n’a pas jugé « raisonnable ».

Le jugement présent, s’il empêche le ministère de l’intérieur de maintenir les étrangers non admis à Arcade et le prive donc d’un moyen efficace de filtrer les entrées, ne laisse cependant pas l’administration démunie. L’ordonnance de 1945 sur les étrangers lui permet, en effet, de maintenir ces personnes dans les centres de rétention existant sur tout le territoire « s’il y a nécessité absolue » Le texte prévoit le contrôle du juge judiciaire au bout de vingt-quatre heures et la limitation à sept jours, total, de la durée de cette rétention tout à fait légale celle-là.

⇒ Voir l’article

Zones de transit: l’État condamné à payer des dommages et intérêts.

logo-liberation-311x113 Marie-Laure Colson, 26/03/1992

Le tribunal de grande instance de Paris a estimé qu ’en retenant six étrangers, cinq Haïtiens et une Zaïroise, à l’hôtel Arcade de Roissy, le ministère de l’Intérieur avait affecté leur liberté individuelle.

Devant le Parlement ou le tribunal, Philippe Marchand a décidément bien du mal à faire valoir sa conception de la zone de transit. Alors que le ministre de l’Intérieur s’apprête à présenter un nouveau projet de loi —le précédent ayant été rejeté par le Conseil constitutionnel — définissant les conditions sous lesquelles certains étrangers arrivant par avion pourraient être retenus à proximité des aéroports, le tribunal de grande instance de Paris (TGI) vient de condamner l’État français à verser un total de 33000 francs de dommages et intérêts à six étrangers qui avaient fait l’expérience, en novembre 1991, de ce qui n’est pour l’instant qu’une pratique administrative.

La décision rendue par la présidente du TGI, Jacqueline Cochard est exemplaire en ce qu’elle juge pour la première fois sur le fond, au travers de ce procès, d’une question difficile: le traitement des quelque 10 000 voyageurs bloqués chaque année aux frontières aériennes, soit qu’ils ne disposent pas de papiers en règle, soit que la police de l’air et des frontières juge qu’ils cherchent à détourner la procédure de la demande d’asile. En attendant que chaque dossier soit étudié et que le ministère de l’Intérieur décide d’autoriser ou non l’entrée sur le territoire, les étrangers sont actuellement retenus dans un hôtel à proximité de l’aéroport d’arrivée. Les six étrangers dont l’affaire était jugée hier, cinq Haïtiens et une Zaïroise, ont ainsi passé plusieurs jours, voire plusieurs semaines, à l’hôtel Arcade de Roissy, considéré pour l’occasion comme zone de transit. Considérant qu’il s’agissait d’une séquestration arbitraire, ils ont, sur les conseils de leurs avocats et du Gisti, une association de défense des droits des étrangers, assigné le ministre de l’Intérieur pour voie de fait. A noter en passant que sur ces six demandeurs d’asile, à qui l’on a commencé par refuser l’entrée en France, trois ont été depuis officiellement reconnus comme réfugiés politiques.

Le ministre n’est certes pas directement condamné, la plainte à son encontre ayant été jugée irrecevable. C’est l’agent judiciaire du Trésor, l’agent payeur de l’État, qui assurera la réparation financière de l’injustice faite aux plaignants. Car injustice il y a, et, le tribunal est clair sur ce point, elle est de la responsabilité du ministre de l’Intérieur : s’il est de son pouvoir I de refuser l’entrée sur le territoire, écrit Jacqueline Cochard pour motiver son jugement, ces étrangers ont été retenus hors des conditions définies par la loi. pour une durée indéterminée, avec pour seuls droits « ceux qui leur sont octroyés, à sa discrétion, par l’autorité administrative ».

La présidente rappelle, non sans une certaine malice, que le ministre lui-même avait jugé, dans une note relative à la nécessité d’instituer une zone de transit, que les conditions y sont essentiellement «précaires et incertaines». Le tribunal pose un premier principe : « En l’état, cette zone qui constitue une fiction juridique ne saurait être soustraite aux principes fondamentaux de la liberté individuelle. »

Reprenant le descriptif des avocats de l’accusation, le tribunal a jugé que retenir des étrangers dans des chambres « dont les fenêtres sont condamnées », avec l’interdiction de quitter le premier étage de l’hôtel Arcade dont le couloir est fermé par une porte verrouillée et «gardée par la police qui empêche toute entrée ou sortie non autorisée par l’administration», constituait bien une voie de fait. Cette rétention s’exerce « sans le moindre contrôle judiciaire » et «a pour conséquence d’affecter la liberté individuelle de la personne qui en fait l’objet».

Cette liberté, inscrite dans la Constitution, ne peut être entravée qu’à titre exceptionnel, rappelle le juge, qui renvoie le ministre à l’ordonnance de 1945 sur l’entrée et le séjour des étrangers: l’intervention du président du TGI est obligatoire pour autoriser la prolongation d’une rétention au-delà de vingt-quatre heures. Ce qui n’est pas le cas actuellement, le ministre de l’Intérieur arguant qu’il n’y a pas rétention puisque les étrangers en zone de transit sont libres de reprendre l’avion… Se réservant le droit de faire appel, Philippe Marchand a estimé hier que ce jugement venait justifier «a posteriori» son «projet de légiférer sur la zone de transit pour mettre fin à cette situation de non-droit ».

Double peine : Une réforme courageuse, inachevée

d99c31a04911dddfeb364fc8d90af056 Stéphane Maugendre, Avocat, Bureau du SAF, mars 1992

Photo Stéphane Maugendre

La loi du 31 décembre 1991, renforçant la lutte contre le travailclandestin et la lutte contre l’organisation de Centrée et du séjour irrégulier (JO du 1er janvier 1992) réforme l’Ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire français et l’article L.630-1 du Code de la Santé Publique.

1.COURAGEUSE:

Cette loi renforce la protection des étrangers ayant des attaches familiales et sociales particulièrement fortes avec la France (époux ou enfants français, durée du séjour en France importante, arrivée en France avant l’âge de 10 ans) contre les mesures d’éloignement administratives (arrêtés ministériels d’expulsion et arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière) ou judiciaires (interdiction du territoire français pour séjour irrégulier ou refus d’embarquement et infraction à la législation sur les stupéfiants).

Enfin, abrogeant le dernier alinéa de l’article L.630-1 du Code de la Santé Publique (issu de l’article 8 de la loi n’ 87-1157 du 31 décembre 1987) elle permet aux personnes touchées par une interdiction définitive du territoire français d’introduire une requête en relèvement de cette mesure.

Cette loi est renforcée, pour son application, par une circulaire en date du 22 janvier 1992 du Garde des Sceaux à l’attention des Procureurs Généraux et de la République.

Cette circulaire demande aux Parquets d’une part que les requêtes en relèvement d’interdiction du territoire français soient “soumises dans les meilleurs délais possibles aux juridictions compétentes », d’autre part qu’ils prennent des conclusions “tirant toutes les conséquences des dispositions de la loi nouvelle à l’égard des personnes relevant d’une catégorie d’étrangers ne pouvant plus faire l’objet d’une mesure d’interdiction du territoire”, enfin qu’il soit sursis “à l’exécution de la mesure de reconduite i la frontière dans l’attente de la décision de la juridiction saisie ». Ainsi étaient tirées presque toutes les conséquences des décisions relatives à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Cour EDH, 18/2/91 Moustaquim c/Belgique; Commission EDH 15/3/90 Djeroud c/France ; 6/9/90 Beldjoudi c/France ; CE. 19/4/91 Belgacem c/M.I.).

Courage politique et crainte d’une condamnation européenne sont mêlés dans cette réforme, seule lumière dans le sombre tunnel du Droit des étrangers.

2. INACHEVEE:

Reste que cette réforme n’est pas totalement protectrice.

a) Côté Justice :

En effet, sont exclues de cette nouvelle protection les personnes qui seront condamnées pour production, fabrication, importation ou exportation de stupéfiants ou en cas d’association ou entente établie en vue de commettre ces infractions .

Reste que l’administration pénitentiaire et les services chargés de l’application des peines ne semblent pas toujours connaître ou prendre en considération cette loi pour les demandes de permission, de libération conditionnelle ou de semi liberté, ou lors de l’élargissement des personnes concernées.

Reste que certaines juridictions ont plus que des réticences à appliquer toutes les conséquences, même “rétroactives”, d’une telle réforme.

b) Côté Intérieur :

Quant au Ministère de l’Intérieur il affirme qu’il a “demandé aux Préfets par un télégramme-circulaire du 20 janvier 1992 de surseoir à l’exécution des interdictions du territoire français dont le relèvement aurait été sollicité des tribunaux et de le saisir dans tous les cas où un arrêté d’expulsion coexisterait avec une interdiction du territoire” et “dès lors que les étrangers concernés obtiendraient le relèvement de la peine d’interdiction du territoire et le cas échéant l’abrogation de la mesure d’expulsion, ils se verront remettre un titre de séjour de dix ans s’ils remplissent les conditions d’obtention du titre de plein droit”.

Sage déclaration dont il convient de prendre acte et de rappeler le cas échéant aux services des étrangers de nos préfectures, les pratiques préfectorales étant parfois très loin de la réalité légale !

Restent encore les étrangers frappés d’un arrêté ministériel d’expulsion pris avant l’application de la loi du 2 août 1989 (loi dite Joxe réformant l’ordonnance du 2 novembre 1945 et abrogeant partiellement la loi dite Pasqua, JO du 8 août 1989), soit par Monsieur Pasqua, soit par Monsieur Joxe (arrêtés dits Pasqua et Pasqua/Joxe) et qui ne pourraient plus, depuis celle-ci faire l’objet d’une telle mesure.

Ces mesures sont en rapport avec la double peine n’en déplaise aux Ministres concernés. Qu’est-ce qu’une mesure d’expulsion touchant un individu né en France, marié à une personne de nationalité française, ayant des enfants français, ou des parents et des frères et sœurs installés en France depuis deux ou trois générations ?

Reste surtout l’article 26 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, la fameuse urgence absolue.

Cette mesure permet d’expulser en urgence absolue tout étranger -à la seule exception des mineurs de 18 ans “lorsque sa présence constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou pour la sécurité publique” (article 26).

Si officiellement cette mesure n’est appliquée qu’en cas de crime de sang, trafic grave de stupéfiants, atteinte grave i la dignité de la personne humaine ou atteintes aux biens répétées et d’une gravité exceptionnelle, elle « n’est pas mise en œuvre de façon aussi exceptionnelle que ces circonstances permettraient de le supposer .

Il convient de remarquer que cette procédure ne présente aucune garantie au regard de la Convention Européenne des Droits de l’Homme : recours effectif, délai raisonnable…

Les récentes affaires dont la Presse s’est fait l’écho nous démontrent les débordements et le détournement de la loi auxquels le Ministère de l’Intérieur peut se livrer.

Les zones de transit en procès

logo-liberation-311x113 Marie-Laure Colson, 27/02/1992

La Justice examinait hier les plaintes de six étrangers contre le ministère de l’Intérieur. Après le rejet par les Sages de l’amendement Marchand.

L’avocat Christian Bourguet considère ses pieds d’un air perplexe. Il fait un pas en direction de la présidente du tribunal de grande instance de Paris, qui assurait hier l’audience de deux affaires concernant des étrangers retenus par la police de l’air et des frontières à l’hôtel Arcade de Paris: «Je ne comprends pas. Dans ce sens, je suis sur le territoire français… » Ses pieds virevoltent sous la robe…et dans celui-là, je suis en zone internationale. Comment un même territoire peut-il avoir deux statuts différents, selon que l’on en sorte ou que l’on y entre?»

C’est la question de fond de ce procès qui oppose six étrangers, cinq Haïtiens et une Zaïroise, au ministère de l’Intérieur, et Christian Bourguet vient de mimer les deux thèses qui font toute l’ambiguïté du problème. Puisqu’aucun texte ne légalise cette zone et que le Conseil constitutionnel vient tout juste de rejeter l’amendement Marchand, faut-il aujourd’hui s’appuyer sur l’arrêt Eksir rendu en 1984 par le Conseil d’État (la zone de transit n’appartient pas au territoire national) ou sur l’arrêt Youssef rendu en 1987 par la cour de cassation (la zone de transit appartient au territoire national) ?

Bien évidemment, la décision rendue la veille par le Conseil constitutionnel a largement été utilisée par l’avocat de la défense comme par ceux de l’accusation. Me Farthouat, qui représentait le ministère de l’Intérieur, s’est dit « singulièrement conforté » par le texte des Sages, qui rappelle que l’État est souverain pour apprécier le droit d’entrée des étrangers sur son territoire. Il a fait valoir que l’hôtel Arcade n’était certes pas «le paradis», mais que c’était toujours mieux qu’un centre de rétention, ce que souligne d’ailleurs le Conseil constitutionnel.

Mais mardi, les Sages ont également renvoyé le ministère de l’Intérieur l’article 66 de la Constitution, qui garantit les libertés individuelles. Or, il existe des textes (articles 5 et 35bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 conformes à ce principe, dont les avocats de l’accusation se demandent pourquoi on rechigne tant à les utiliser. L’un d’entre eux, Sylvia Lausinotte a rappelé que ces mesures contenues dans l’article 35bis avaient été prises à la suite de l’émotion soulevé par la découverte du centre de détention clandestin d’Arenc, près de Marseille, et a fait le parallèle avec l’hôtel Arcade. L’accusation a d’ailleurs conseillé à la présidente Cochard d’aller vérifier sur les lieux mêmes que le conditions faites aux étrangers a l’hôtel Arcade relevaient tout simplement de la détention.

Pour eux, il y à l’évidence « séquestration arbitraire », donc voie de fait. Mais il y a également violation du droit d’asile. Me Simon Foreman a rappelé à cet égard que la Convention de Genève comme la Convention européenne des droits de l’homme, ratifiées par la France, imposaient aux États signataires de ne pas refouler les demandeurs d’asile vers un pays ils courraient des risques. Ce principe a été bafoué, a-t-il affirme hier, puisque chacun des six plaignants aurait été, sans l’intervention des avocats et celle du Gisti, une association de défense du droit des étrangers, mis dans un avion à destination de Port-au-Prince ou de Kinshasa. L’affaire est d’autant plus grave, souligne-t-il, que depuis lors, deux d’entre eux ont déjà obtenu le statut de réfugié.

Plus largement, c’est donc la pratique du droit d’asile en France qui est mise en cause par l’accusation dans ces deux affaires, et notamment l’importance que prend progressivement le premier « tri » effectué par la police dés qu’un demandeur d’asile met le pied hors de l’avion. Mais quel que soit le jugement que rendront les magistrats le 25 mars prochain, le Conseil constitutionnel a bel et bien confirmé le droit qu’a le ministère de l’Intérieur depuis 1982 de vérifier que les demandes d’asile ne sont « manifestement pat infondées». Un droit qui n’est pat négligeable puisqu’il lui permet de refouler, avant même qu’ils ne déposent leurs dossiers à l’OFPRA, 45 % des demandeurs d’asile.