Halim Jebbar, 28 ans, en France depuis l’âge de 13 ans, est menacé d’interdiction de séjour. Pour le tribunal administratif, il est en situation irrégulière depuis 1989, date où ses parents, membres d’une mission diplomatique, ont quitté le pays. Il n’avait qu’un statut d’« extra-territorial ».
« Je suis un modèle d’intégration », plaisante Halim Jebbar… Mais un modèle « hors la loi » depuis le 25 août, jour où, sous le coup d’un arrêté de reconduction à la frontière de la préfecture de Seine-Saint-Denis, il aurait dû embarquer à destination du Maroc. A 28 ans, et après moult tentatives de régulariser sa situation, ce jardinier à la mairie de Montreuil risque, aujourd’hui, la prison et trois ans d’interdiction de séjour sur le territoire français.
Pendant les douze ans où il est resté sous la tutelle de sa famille, pas de problèmes. Halim est arrivé en France en 1976 à l’âge de 13 ans, suivant son père, fonctionnaire au consulat du Maroc. La famille réside à Montreuil, les enfants sont scolarisés. Après le bac en 1986, il reçoit sa première carte de séjour étudiant. Quand les parents retournent au pays en 1988, Halim, lui, reste à Montreuil ; il est en deuxième année de BTS. Mais il manque le diplôme et, l’année suivante, il se réinscrit, par correspondance, à l’examen. Et son parcours du combattant commence. Quand il vient faire renouveler sa carte étudiant, début 1989, les services de la préfecture font valoir qu’il n’y a pas eu «suivi de cours» (1), et lui refusent la carte. Il engage alors un premier recours pour faire valoir son statut de résident. Et apprendra ainsi qu’il est toujours un «extra-territorial», fils d’un membre du personnel d’une mission diplomatique. Selon le tribunal, Halim, pendant la période passée sous le toit de son père, ne peut pas être « considéré comme étant en situation régulière… ». Nuance perverse de la législation sur le séjour des étrangers. Il existe en effet une clause qui exclut, du champ d’application de ses dispositions, les membres de la famille d’un agent consulaire, sans proposer toutefois d’autres aménagements.
Le 19 août dernier, Halim Jebbar revient à l’assaut, en demandant cette fois une carte de résident, qui, —conformément à la loi du 2 novembre 1945— peut être octroyée «de plein droit à tout étranger vivant sur le territoire depuis plus de quinze ans ». Et là, du coup, cette simple formalité vire au cauchemar. Il donne identité et adresse au fonctionnaire qui lui demande d’attendre dans le couloir. Quelques minutes après, sans autre explication, il est emmené sous bonne garde au centre de rétention de Bobigny et ne doit son sursis qu’à l’absence de vol vers le Maroc ce jour-là.
Un nouveau recours, déposé devant le tribunal administratif de Paris, est rejeté. L’arrêté de reconduction est confirmé. Motif: «L’étranger auquel (…) le renouvellement d’un titre de séjour temporaire a été refusé s’est maintenu sur le territoire au-delà d’un mois à compter de la date de notification du refus… » Et pour cause, puis¬que depuis deux ans, Halim est formellement en situation irrégulière. Mercredi, à la Maison des associations de Montreuil, un comité de soutien s’est formé rassemblant ses amis d’enfance, les principaux mouvements de défense des droits de l’homme ainsi que diverses organisations de gauche et la municipalité de Montreuil elle-même. Le maire, Jean- Pierre Brard, communiste, a adressé une lettre de protestation au ministre de l’Intérieur, suivi aussitôt par le MRAP qui, par la voix de son secrétaire national, Norbert Haddad, rappelle que Halim, « connu et apprécié dans sa ville, est régulièrement affilié à la sécurité sociale, paye ses impôts, a un logement à son nom et participe activement à la vie associative de sa commune». «Ce jeune homme, précise le communiqué, ne connaît que la France et n’a plus aucun lien avec le Maroc. A l’évidence, exiger un départ immédiat pour ce pays équivaudrait (…) à un bannissement. » Le défenseur de Halim, Me Stéphane Maugendre (avocat), ne se prive pas, quant à lui, de dénoncer la préfecture de Seine-Saint-Denis comme « l’une des plus répressives » en matière d’immigration, « Le tribunal, explique-t-il, n ’a pas jugé sur le fond et s’en est tenu au séjour délictueux de Halim depuis le non-renouvellement de sa carte en 1989 et son rejet de statut de résident.» Rappelant que le recours possible devant le Conseil d’État n’est pas suspensif de la mesure de reconduction, il en appelle, lui aussi, au ministre de l’Intérieur pour qu’il « prenne la mesure humanitaire et dérogatoire qui s’impose en l’espèce ».
Le conseiller technique du ministère, Michel Debacq, en charge du dossier, n’avait toujours pas fait connaître, hier, la décision. La préfecture, quant à elle, répète inlassablement que Halim Jebbar « n ’existe que depuis 1986 et est en situation irrégulière depuis 1989».
(1) Cette décision s’appuie sur une circulaire d’août 1985, selon laquelle « l’étudiant peut se voir réclamer une attestation de participation aux examens ».