« LE Canard enchaîné » puis « le Monde » viennent de rappeler que la tragédie de la jeune Nigériane Sémira Adamu étouffée sous un coussin par des gendarmes belges, le 22 septembre, lors d’une tentative de rapatriement forcé, n’est pas la première. En effet « l’Humanité » et d’autres journaux révélaient le 26 août 1991 la mort d’un jeune Sri Lankais d’origine tamoul, Arumum Sivasampu Esan, survenue le 25 août 1991 à 7 h 30 à l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Notre quotidien rapportait à l’époque le communiqué du ministère de l’Intérieur qui imputait ce décès à une « crise cardiaque ». Il s’interrogeait également sur le caractère « musclé » de la tentative d’expulsion dont ce jeune homme avait été victime, la veille à Roissy, lors d’une reconduite à bord d’un DC10 où les policiers tentaient, pour la seconde fois, de le renvoyer pour Colombo via New Delhi.
Seize jours plus tôt, Arumum avait débarqué à Roissy en demandant l’asile pour essayer ensuite de rejoindre son épouse réfugiée en Allemagne. Sa demande ayant été rejetée par le ministère de l’Intérieur dirigé alors par Philippe Marchand, le jeune homme avait été placé en « zone internationale ». Il s’était tellement débattu lors de la première tentative d’embarquement que le commandant de bord avait ordonné son débarquement. Le 24 août, la police avait dépêché deux fonctionnaires pour l’escorter jusqu’à destination. Ils l’avaient installé au fond de l’avion. Selon le rapport du commissaire de la police de l’air et des frontières (PAF, devenue depuis la DICCILEC), on lui avait alors placé une bande Velpeau à hauteur de la bouche. Il était menotté aux poignets (les mains dans le dos), ainsi qu’aux chevilles. Toujours selon le rapport, l’homme se serait débattu. Il était alors attaché à son siège au moyen d’une couverture utilisée comme sangle, « fermement appliquée en haut du thorax ». A l’issue de vingt à trente minutes, durant lesquelles Arumum tenta vainement de lutter contre les policiers, il perdait connaissance et décédait le lendemain à l’hôpital.
A l’époque, Jacques Chirac parlait de « l’overdose des étrangers », évoquant « le bruit et l’odeur », et Edith Cresson, premier ministre, prônait l’utilisation des charters pour renvoyer les étrangers en situation irrégulière. Il n’y avait pas eu d’information judiciaire. Il aura fallu une plainte déposée au nom de la veuve de la victime, du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI) et de l’association France Terre d’asile pour que la justice se mette en marche. Lentement. Ce n’est qu’en 1993 qu’Eric Brendel, le commissaire qui a conduit la tentative de rapatriement, a été mis en examen pour coups mortels, atteinte aux libertés par fonctionnaire public et détention arbitraire, tandis que son subalterne, l’officier de paix Paul Manier, était mis en examem pour le seul premier chef. Les deux fonctionnaires n’ont jamais été suspendus. La reconstitution du drame n’a eu lieu que le 28 avril, presque sept ans après, dans un avion au Bourget. Si les premières expertises insistaient sur la malformation cardiaque de la victime, la reconstitution indique que la compression cervicale « a pu survenir lors des manéuvres de maintien sur le siège effectuées en utilisant une couverture »… Hier, Philippe Marchand a indiqué qu’à l’époque « le ministère n’était pas dans le coup car le rapport parlait de crise cardiaque ».
Les pratiques en cours lors des expulsions ont donné lieu, depuis l’arrivée de Jean-Pierre Chevènement au ministère de l’Intérieur, à des recommandations orales. Tout en permettant aux policiers d’immobiliser la personne expulsée en liant les poignets et les chevilles avec des menottes ou du papier collant, celles-ci leur interdisent de toucher à la bouche. Jean-Pierre Chevènement a également interdit l’administration de calmants. Enfin, depuis la mort de Sémira Adamu, le ministère de l’Intérieur français envisage d’édicter des règles écrites…