Le droit des étrangers défendu devant le tribunal correctionnel

InfoMatin, Christophe Dubois, 02/12/1995

Juristes et associations dénoncent des manœuvres illégales.

Lorsque le président Monfort relit la note rédigée et diffusée le 15 décembre 1994 par Daniel Monédière, ce dernier baisse la tête et n’est pas tranquille sur le banc des accusés.

Le chef du 8e bureau de police, spécialisé dans l’éloignement des étrangers à la préfecture de Paris, était poursuivi hier devant la 17e chambre correctionnelle pour abus d’autorité, délit puni de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 F d’amende, suite à une plainte déposé par le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature.

Manœuvre: Ces deux organisations, soutenues par quatre associations partie civile (Mrap, Gisti, Cimade et l’Association de défense des droits des étrangers), entendent démontrer que le fonctionnaire a tenté une manœuvre pour «faire échec à l’exécution de la loi ». En l’occurrence, il avait écrit : «Afin d’éviter que les avocats des étrangers concernés ne demandent au juge de se déclarer incompétent en invoquant les dispositions de l’article 1er du décret du 13 juillet 1994, il est devenu l’usage de faire transiter par le centre de rétention de Paris les étrangers en provenance du Mesnil-Amelot.»

Mais, avant d’aborder le débat sur le fond, Me Martin Comnene, avocat de M. Monédière, a soulevé l’irrecevabilité et l’incompétence du tribunal. Des incidents de procédures que le président a joints au fond.

Rétention: Daniel Monédière, 46 ans, cheveux grisonnants, se tient droit à la barre, écoute attentivement le président qui lui demande de préciser ses fonctions : «Ma mission est de mettre en œuvre les mesures d’éloignement des étrangers», répond-il.

Le président demande au fonctionnaire de justifier la note incriminée : «Depuis le 30 décembre 1993, la garde à vue des retenus peut être prolongée de trois jours après les six premiers jours de rétention. Avant cela, on ne s’était jamais pose de questions.»

Un décret stipule en effet que le juge compétent est celui du lieu du centre de rétention. Daniel Monédière reconnaît à la barre que ça n’arrange pas les affaires de l’administration : «Nous n’avons pas les moyens d’aller défendre nos dossiers au tribunal de grande instance de Meaux » (ce¬lui dont dépend le centre de Mesnil-Amelot, NDLR).

Pour répondre à cette difficulté et améliorer le taux de reconduite à la frontière, le chef du 8è bureau avait donc trouvé ce qu’il appelle une «parade» : transférer les retenus au dépôt de Paris la veille de leur comparution devant un juge.

Le fonctionnaire tente de minimiser : «Cela ne concerne que treize retenus par mois sur un total de deux cents». « Donc, vous décidez de la compétence des juges? C’est choquant ! » intervient le président.

Compétence: Daniel Monédière s’enfonce dans sa logique: « au moment où l’on dépose la requête, le retenu est à Paris ». « Vous n’avez,pas à fixer la compétence des juges, renchérit le président. Nous n’avons pas le même langage.»