El Hadj Momar Diop, Délégué de la coordination nationale des «sans-papiers, interpellé mercredi soir après l’occupation du stade de France de Saint-Denis, a été déféré hier soir au tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Il doit être présenté aujourd’hui en comparution immédiate pour «coups et blessures sur agent de la force publique» et «infraction à la législation sur les étrangers». Selon la police, il aurait, en se débattant dans le car, blessé un fonctionnaire appartenant a une brigade anticriminalité qui a eu un arrêt de travail de cinq jours. Mais, selon des témoins, ce sont au contraire les policiers qui auraient très brutalement interpellé. La coordination des sans-papiers parte même de “passage à tabac», Un photographe travaillant pour l’agence Associated Press, qui prenait des clichés de la scène, avait été aussi interpellé mercredi soir et relâché quelques heures plus tard. Il envisageait hier de porter plainte contre la police, qui avait jeté à terre son matériel photographique.
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Trois jeunes en perdition condamnés pour un braquage
Geoffroy Tomasovitch, 08/04/1997
Il est 16 heures et le tribunal correctionnel d’Evry vient de condamner Cédric et Ahmed à trois ans de prison dont dix-huit mois avec sursis, leur complice Dominique écopant de trois ans dont deux avec sursis. Tous trois sont les auteurs d’un braquage au Crédit agricole de Ris-Orangis, le 30 octobre dernier. Des faits examinés hier par les juges d’Evry ; un braquage presque banal commis par des « jeunes en désarroi qui n’ont rien de bandits de grand chemin », selon l’expression de l’avocate d’Ahmed
Les faits sont simples et reconnus — à quelques détails près — par les prévenus. Ce 30 octobre, Ahmed, 22 ans, originaire de Vitry-sur-Seine (94) et Cédric, 20 ans, domicilié à Noisy-le-Grand (93) braquent «en douceur » la banque à l’aide d’une arme factice. Butin : 31000 F. Ils se le partagent après avoir « payé » leur complice de Brunoy, Dominique, 29 ans, oui leur a servi de chauffeur. Aucun d’eux n’a pensé à réclamer la bande enregistrée par le système de surveillance de la banque. Aussi, les braqueurs seront-ils rapidement interpellés et placés en détention provisoire. Mais, hier, la personnalité des prévenus a prévalu sur les circonstances du braquage, dont personne n’a nié la gravité.
Sans emploi et presque sans ressource, ces trois jeunes vivait dans des conditions plus que précaires. Cédric n’a jamais connu son père et sa mère, condamnée par la maladie, l’a émancipé à l’âge de 16 ans. Sa famille croule sous les loyers impayés et est menacée d’expulsion. « un jeune en perdition. Avec l’argent du butin, Cédric a réglé des dettes de téléphone, d’électricité et même des honoraires médicaux», explique son défenseur, Stéphane Maugendre. Ahmed, passionné de sport, a raté quant à lui sa formation à cause d’une blessure et d’un échec à un examen théorique. La commune de Vitry se dit prête à faciliter son insertion dans le monitorat sportif. Dominique enfin, père de deux enfants, souffre d’une invalidité et percevait le RMI à l’époque des faits.
Au vu du verdict, le tribunal ne semble pas avoir été insensible à l’évocation de la vie pas facile des trois prévenus.
Projet Debré : la justice écartée
Catherine Vannier, vice-présidente du Syndicat de la Magistrature. Stéphane Maugendre, président de la section Bobigny du Syndicat des Avocats de France.
Ce qui caractérise très profondément la philosophie du projet de loi Debré relatif à l’entrée et au séjour des étrangers en France, c’est la volonté d’écarter l’intervention du juge et de l’avocat dans la procédure d’éloignement de l’étranger.
Le débat ne relève pas de la seule technique juridique, il recouvre un véritable enjeu de principe. En effet, le juge judiciaire est «le garant des libertés individuelles» (art. 66 de la Constitution) et à ce titre, il est chargé de contrôler toutes les situations dans lesquelles un individu est privé de liberté. Tel est le cas dans les procédures d’éloignement administratif hors du territoire français d’un étranger. Aux termes de la loi actuelle, un étranger en situation irrégulière peut faire l’objet, de la part de l’administration et dans l’attente de son départ, d’une rétention de 24h dans un centre administratif. Passé ce délai, le préfet doit, s’il veut prolonger la rétention, saisir le juge judiciaire.
Pendant des années, les juges, peu investis dans ce contentieux marqué de surcroît par l’absence chronique des avocats, ont entériné les demandes des préfectures. De plus, les lois Pasqua, profitant de cette inertie, ont encore réduit le cadre d’intervention du juge judiciaire dans ces procédures. Toutefois, divers facteurs ont progressivement contribué à faire évoluer les mentalités: protestations des associations défense des droits de l’homme face à l’absence de garantie dans ces procédures, multiplications des irrégularités commises par l’administration, mise en place permanence d’avocats, afflux devant les magistrats d’étrangers parfaitement intégrés dans la société française et précipités dans l’illégalité du seul fait de la survenance des lois Pasqua. Des magistrats et des avocats se sont peu à peu réapproprié un domaine dans lequel ils n’étaient jusqu’alors que des faire-valoir, en contrôlant les procédures d’interpellation des étrangers, en s’assurant des conditions dans lesquelles les rétentions s’effectuaient, en vérifiant la présence au dossier des pièces utiles à la procédure d’éloignement et en exigeant la publicité des audiences. C’est à la suite de ces luttes acharnées que la chambre civile de la Cour de Cassation a tenu, dans une série de 11 arrêts rendus je 28 juin 1995 à réaffirmer le rôle de garant des libertés individuelles du juge judiciaire dans ce contentieux
C’est à la lumière de cette évolution qu’il faut comprendre la réaction du gouvernement et la rédaction du projet de loi actuel. Depuis déjà plusieurs années, la classe politique n’a eu de cesse de stigmatiser l’action de la justice et Charles Pasqua était publiquement intervenu pour dénoncer le parti-pris des juges. Récemment, la commission d’enquête sur l’immigration clandestine et le séjour irrégulier d’étrangers en France, présidée par M. Philibert, s’alarmait des décisions de remise en liberté prononcées en faveur d’étrangers allant même jusqu’à affirmer que la Cour de Cassation violait la loi.
Le texte élaboré par Jean-Louis Debré propose de prolonger de 24h la rétention administrative d’un étranger en voie d’éloignement et de retarder d’autant l’intervention du juge et de la défense. Plus dangereux encore, lorsque le juge décide de remettre en liberté l’étranger, il est prévu de rendre suspensif l’appel du Procureur de la République. Autrement dit: l’étranger restera privé de liberté malgré la décision favorable du juge le temps nécessaire à la cour d’appel de se prononcer. En revanche, l’appel de l’étranger contre une décision défavorable d’un juge ne sera pas suspensif. Autrement dit: l’étranger restera aussi privé de liberté. L’inégalité des armes est consommée. Pire, le gouvernement veut revenir dix ans en arrière: jusqu’en 1985 en effet, une telle disposition existait dans le domaine de la détention provisoire, l’appel du procureur était suspensif. Elle avait alors été supprimée par le législateur. Les étrangers d’aujourd’hui doivent-ils être moins considérés que les délinquants d’il y a dix ans alors que sur ceux-ci ne pèse aucune charge faisant présumer qu’ils ont commis un délit voire un crime?
Nous en arrivons à cette aberration qu’un étranger qui doit être éloigné du territoire français aura moins de garanties que celui qui, en situation irrégulière, aurait commis une infraction, puisque ce dernier sera déféré plus vite et obligatoirement devant un juge judiciaire. C’est donc l’éviction d’une défense et d’un juge qui est recherché, premier pas vers la destruction de la justice. Qui aujourd’hui, imaginerait, sous prétexte «d’accident zéro» sur les routes qu’un automobiliste commettant un excès de vitesse se voit saisir immédiatement son permis de conduire et son véhicule, sans contrôle d’un juge susceptible d’annuler la procédure pour cause, par ex., de radar défaillant? Qui aujourd’hui, imaginerait, sous prétexte de «loyer impayé zéro», l’expulsion d’un locataire avec saisie des meubles par un office HLM, sans recours préalable à un juge chargé de vérifier la régularité de la procédure?
Que l’on ne s’y trompe pas, si des hommes et des femmes n’ont plus accès à la justice, sous prétexte qu’ils sont étrangers, cela nous ramène inévitablement à ce questionnement : demain, sous quel prétexte et pour quelle catégorie de personnes le Parlement entérinera-t-il un projet gouvernemental autant destructeur de l’État de droit?
Sénat : séance du 6 février 1997
M. le président « Art. 5. – La section 3 du chapitre II de la même ordonnance est abrogée. »
Sur l’article, la parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Cet article prévoit la suppression de la commission départementale du séjour des étrangers, qui joue, dans le déroulement des procédures, un rôle extrêmement utile. Cette commission, composée de trois magistrats spécialisés, notamment d’un membre des juridictions administratives, rend son avis lorsqu’il s’agit de la délivrance ou du renouvellement des cartes de séjour.
Je souligne l’importance de cet avis parce que, lors des auditions auxquelles M. le rapporteur a procédé, les représentants des barreaux ont eu l’occasion de souligner ce que signifiait pour les étrangers la possibilité de se faire entendre par des magistrats à l’occasion d’un débat contradictoire.
Il n’est jamais indifférent pour quiconque de présenter devant des magistrats en occurrence ses moyens de défense en public. Cela permet de sentir que l’on est écouté, ce qui, à tous égards, est indispensable.
Jadis, cette commission rendait des décisions puis, à partir de 1993, elle est devenue une simple instance de consultation. Cependant, d’après les renseignements très précis qui nous ont été fournis par M. Maugendre, membre du Conseil de l’ordre, qui s’occupe beaucoup de telles affaires au barreau de la Seine-Saint-Denis – c’est-à-dire dans une préfecture où ces questions se posent avec acuité – plus de 90 % des avis rendus par la commission sont suivis par la préfecture.
Par ailleurs, à Paris, toujours selon ce praticien, compétent en la matière, il n’y a jamais eu de refus de délivrance de carte de séjour après un avis favorable de la commission.
La raison en est simple : nous sommes en présence de magistrats très compétents, notamment de magistrats du tribunal administratif, et je n’ai pas besoin de rappeler que ce n’est pas la simplicité qui caractérise cette législation, et ce ne sont pas les votes qui sont intervenus qui vont simplifier les choses.
Cette commission est utile, elle permet de donner à ceux qui font valoir leurs droits le sentiment qu’ils sont entendus et d’éviter des contentieux, parce que le préfet statue en parfaite connaissance de cause grâce à l’avis qu’elle rend.
Toutes ces raisons commandent son maintien et non sa suppression.
ML Michel Dreyfus-Schmidt Très bien !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l’intérieur. Je demande la parole.
M. le président La parole est à M. le ministre.
ML Jean-Louis Debré, ministre de l’intérieur. Jusqu’à maintenant, la commission départementale du séjour des étrangers est essentiellement saisie du cas des conjoints de Français ou des parents d’enfants français……
Bobigny: manifestation pour l’aide juridictionnelle
, 27/11/1996
Les longues attentes du tribunal de Bobigny.
Didier Arnaud 26/11/1996
Les avocats dénoncent les dysfonctionnements de l’aide judiciaire et l’errance de leurs clients.
Au palais de justice de Bobigny (Seine-Saint-Denis), les justiciables les plus démunis prennent leur mal en patience. Délai pour obtenir l’aide juridictionnelle (système de prise en charge des plaignants dans le besoin) entre un an et quatorze mois. Lundi après-midi, les avocats en tenue sont sortis devant le palais pour dénoncer cette situation et les errements de leurs clients. Les uns vont à l’audience sans défenseur. Les autres préfèrent attendre ou vont se faire juger ailleurs. «Une de nos adhérentes s’est débrouillée pour faire son dossier à Paris, en un mois c’était réglé», explique la responsable d’une association de défense des droits de la femme présente à la manifestation. Des assistantes sociales encouragent les familles à donner des adresses fictives pour que leurs demandes soient traitées dans d’autres tribunaux plus rapides, comme celui de Créteil (Val-de-Marne). A Bobigny, ça traîne et les avocats râlent: «Le traitement de l’aide judiciaire: le procès arrive avant, et nous après», dit un avocat.
Tous ont des exemples en tête. Celui de cette adolescente de 14 ans victime d’un viol en octobre 1995, dont le dossier ne connaîtra d’issue qu’un an après: l’avocat est désigné le 20 septembre 1996. Cet autre où une mère de trois enfants, en procédure de divorce depuis mars dernier, attend toujours l’aide d’un conseil. Entre-temps, son mari a frappé encore plus fort. Après un séjour à l’hôpital, la maman a été placée dans un foyer d’hébergement, ses enfants confiés à des membres de la famille. Le mari, lui, vit seul au domicile conjugal.
Au bureau d’aide juridictionnelle du palais de justice, il n’y a qu’une dame derrière un guichet. Un retraité s’énerve contre les lenteurs: «Je demande juste d’avoir un avocat.» La photocopieuse est en panne. Deux étages plus haut, les dossiers attendent aussi, entassés dans un petit bureau, à même le sol, sur les tables et les sièges.
Le syndicat des avocats de France (SAF) comptabilise 6 600 foyers (représentant plus de 25 000 personnes) dont les demandes n’auraient pas été satisfaites. «Cela fait un an qu’on essaie de faire remuer les choses mais rien n’a abouti», explique Stéphane Maugendre, président de la section SAF de Bobigny.
Selon les avocats, cette situation est une conséquence indirecte de la réforme de 1991 qui a permis à un nombre plus important de justiciables de bénéficier de l’aide. Ainsi, en 1991, au civil, 3 400 personnes bénéficiaient de l’aide juridictionnelle à Bobigny. Quatre ans plus tard, ils sont 6 600. Sur le plan pénal, la proportion est quasiment la même (10 000 aujourd’hui contre 4 900 en 1991).
Pour désengorger l’entonnoir, 200 dossiers (droits de garde, résidence des enfants ou suppressions de pension alimentaires) ont été traités en urgence par les magistrats eux-mêmes » les autres attendent. Des avocats vont même jusqu’à plaider avant que leurs dossiers ne soient acceptés à l’aide juridictionnelle. «Les dossiers vont plus vite lorsque nous les pistonnons», dit un avocat. Certains magistrats trouvent la situation kafkaïenne. «On a vraiment touché le fond», explique une juge des affaires familiales.
«Tout cela pourrait se résorber très vite, explique Stéphane Maugendre, mais il y a une volonté politique de donner plus de moyens à d’autres secteurs de contentieux plus nobles.» Claude Bartolone, député PS de Seine-Saint-Denis devrait interpeller le ministre de la Justice aujourd’hui à l’Assemblée nationale: «Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour que la juridiction de Bobigny dispose des moyens nécessaires dans un délai raisonnable?» La vice-présidente du tribunal de grande instance (TGI) reconnaît l’ampleur du problème et met en avant l’obsolescence du système informatique et l’absence de moyens humains au greffe (environ 45 postes vacants). La présidente est optimiste. Elle compte augmenter le nombre d’audiences, récupérer des postes et une dizaine d’écrans. «Dans six mois, on devrait retrouver un rythme plus raisonnable», explique-t-elle. Quelque chose comme six mois d’attente. Un délai encore long.
Les sans papiers après Saint Bernard
Les lois Pasqua réformées sans « humanité ».
Juristes et associations estiment que le projet Debré pénalise encore plus les étrangers.
«Un bout de gras donné à l’extrême droite et aux sans-papiers», «un projet qui ne tient pas compte des événements.» Les spécialistes, familiers des arcanes du droit des étrangers, qui ont analysé l’avant-projet de loi sur l’immigration du gouvernement (Libération du 9 octobre) sont sévères et parlent de durcissement et de répression. «Les dispositions les plus répressives sont à la fois innovantes et liberticides, et tout ce qui peut sembler libéral n’est en fait que l’application de textes actuellement en vigueur, ou de la jurisprudence appliquée depuis longtemps par les tribunaux administratifs», estime l’avocat Stéphane Maugendre. Défenseurs de nombreux étrangers, il regrette que ni les propositions des médiateurs, ni le travail de ceux qui ont réfléchi depuis des années sur l’immigration, n’ait jamais été pris en considération. «Le projet, dans sa forme actuelle, aggrave les conditions de traitement des étrangers à l’entrée et à la sortie», note de son côté Jean-Pierre Alaux pour le Gisti (Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés). Pour lui, l’avant-projet Debré «ne tient pas compte des événements récents et ne régularise qu’une petite frange des immigrés. Ainsi, les parents d’enfants nés en France, qui sont déjà inexpulsables, sont absents du projet». Les juristes notent aussi que le texte fait preuve d’une grande méfiance envers la justice, puisqu’il fait passer de vingt-quatre à quarante-huit heures le délai de présentation au juge d’un étranger placé en rétention administrative. La déception est d’autant plus forte que la disposition la plus libérale inscrite dans l’avant-dernière mouture, qui interdisait d’expulser les étrangers dont l’éloignement aurait des conséquences «d’une gravité exceptionnelle», a disparu de l’avant-projet définitif. Et que les déboutés du droit d’asile voient leurs possibilités de recours encore un peu plus limitées. D’autres critiques portent sur les pouvoirs jugés excessifs accordés aux maires pour contrôler la réalité des certificats d’hébergement. «Pour réprimer les étrangers, on porte atteinte à la liberté des Français», déplore-t-on au Gisti.
«On en profite pour resserrer les verrous», résume, au PS, Martine Aubry. Une intention dont se défendent, à droite, ceux qui ont travaillé au projet: bien que des concessions ont été faites en direction des plus répressifs sur la rétention administrative et les certificats d’hébergement, ils soutiennent, que la loi autorise un maximum de régularisation et tire, sans équivoque, les leçons de la crise estivale des sans-papiers. Mais sera-t-elle suffisante pour éviter d’autres Saint-Bernard?. – 24 membres d’un collectif de sans-papiers, dont une militante du MRAP et 2 sans-papiers ont été arrêtés et conduits dans les locaux de la police. Ils participaient à une manifestation qui n’avait pas été déclarée auprès de la préfecture.
Nuit policière pour dix enfants de Chinois sans papiers.
DIX ENFANTS viennent de passer une journée et une nuit entière au commissariat de police de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Adolescents au couteau ? Voleurs de supermarché ? Non, enfants de Chinois sans papiers. Le plus jeune, un bébé de six mois, se prénomme Geneviève. La plus âgée va sur ses quatorze ans. Ils sont nés en France ou y sont scolarisés. L’affaire commence par l’une de ces rumeurs de régularisation qui précipitent «dans la gueule du loup», c’est-à-dire dans les préfectures, des étrangers en situation irrégulière. Ces temps-ci, la rumeur veut que les parents d’enfants nés en France puissent bénéficier des largesses de l’administration. Elle est née en juin, d’un communiqué du ministère de l’intérieur justifiant par ce motif la régularisation de certains Africains de l’église Saint-Ambroise.
« UN PIÈGE »
Lundi 3O septembre, M. et Mme Lim, Mme Huang et Mme Luo se présentent donc à la préfecture de Bobigny. Là, affirment ces personnes, un employé leur remet une note manuscrite leur proposant de revenir afin de « prendre rendez-vous pour un examen de situation ». Le lendemain matin dès 5 heures, les voilà à nouveau dans la file d’attente, accompagnées cette fois de leurs trois enfants. Le guichetier constate leur situation illégale et appelle la police.
Au début de l’après-midi, parents et enfants, bébé compris, se retrouvent au centre de rétention situé dans le commissariat. Ils ne retrouveront la liberté que le lendemain, lorsque, sur intervention de leur avocat, Stéphane Maugendre, le juge les assignera à résidence à leur domicile (Le Monde des 3-4 octobre). Un scénario identique se reproduit le mardi 1er octobre devant la préfecture, où quatre autres couples chinois se présentent dès 22 heures et passent la nuit pour être certains d’être reçus le lendemain. Ils le sont effectivement mais un fonctionnaire, assurent-ils, exige la présence des enfants. Ils connaîtront le même sort que leurs prédécesseurs.
«On a voulu attirer les étrangers dans un piège ! », dénonce le Syndicat des avocats de France. «Ces personnes n’ont jamais été convoquées, dément-on formellement au cabinet du préfet. Elles se sont présentées volontairement. Comme elles avaient déjà fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière, elles ont été interpellées». Mais la préfecture ne donne aucune précision sur la présence dans un centre de rétention de dix enfants, que la loi ne permet pas d’expulser. « Les enfants n’ont pas fait l’objet d’une mesure de rétention : ils y ont accompagné leurs parents, nuance subtilement un représentant de l’État On ne peut pas séparer les familles : éloigner les parents et mettre les enfants à la Ddass. » Ainsi, sous couvert de «ne pas séparer les familles», on tente de reconduire illégalement à la frontière des enfants.
Mineurs sans papiers en rétention. Les avocats parlent de «séquestration arbitraire» à Bobigny.
A la suite de la mise en rétention à Bobigny de plusieurs enfants de sans-papiers chinois (lire Libération du 3 octobre), le Syndicat des avocats de France rappelle que le placement et la reconduite à la frontière des enfants mineurs sont interdits et que ces pratiques sont assimilables à une séquestration arbitraire. Le syndicat condamne ces rétentions «qui mettent en danger la santé des enfants et ont pour but de prendre des familles et des enfants en otages pour inciter les étrangers à ne plus se présenter aux guichets de la préfecture». Depuis lundi, une dizaine d’arrestations se sont en effet produites à la préfecture de Bobigny, où les parents, abusés par des rumeurs, espéraient pouvoir faire régulariser leur situation. Sur les lieux, il leur a été précisé qu’aucune régularisation ne pourrait avoir lieu si les enfants n’étaient pas présents. Des enfants de 1 mois à 13 ans, dont une petite fille malade, ont passé la nuit en rétention, tandis qu’un enfant de 5 ans, en situation régulière, a été retenu avec sa tante qui n’avait pas de papiers. Lorsque la mère est allée le chercher, les policiers lui ont indiqué qu’il était trop tard et qu’elle ne pourrait récupérer son enfant que le lendemain, à l’audience du tribunal où devait comparaître sa tante. A la suite de l’audience, les familles ont été relâchées ou assignées à résidence .