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Meurtre d’un vigile : des versions contradictoires

images fig Tanguy Berthemet, 20/06/2001

C’est une histoire de frères que les magistrats de la cour d’assises de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, tentent de démêler depuis hier. Une histoire d’entraide et de meurtre. Celle d’Henri, tout d’abord, qui, pour aider son aîné, Bienvenue Makolo, un Zaïrois sans papier, lui prêtait son identité pour travailler dans une société de gardiennage. Celle de Fabrice Ozier-Lafontaine, qui, voulant veiller sur son cadet, Jérémie, a poignardé à deux reprises Bienvenue, alors vigile dans un centre commercial.

Le 1er juillet 1998, vers 18 h 30, Fabrice Ozier-Lafontaine, aujourd’hui âgé de 29 ans, se rend à Rosny II avec « des amis, pour manger». Ils sont, selon lui, « chauds », après avoir bu du rhum. Au sortir du magasin Darty, le groupe, composé de sept à huit jeunes, croise trois agents de sécurité. Le ton monte vite. « Ils voulaient qu’on parte, alors il y a eu des gestes et des insultes », témoigne, à la barre, Malik Dioum, un ami de Fabrice. Les vigiles appellent deux collègues en renfort, puis la police.

Mais près de la porte, une bagarre éclate. Bienvenue Makolo, touché de deux coups de couteau au cou et au front, ne se relèvera pas. Très rapidement interpellé, Fabrice reconnaît les faits, tandis qu’un poignard est retrouvé non loin, dans un bac à fleurs.

Mais ce sont bien là les seules certitudes des débats. De fait, Fabrice affirme « avoir été pris de dos par une clef au cou ». « Je ne voyais rien, j’étouffais. Alors j’ai sorti mon couteau et j’ai piqué deux fois très vite. Je ne voulais pas tuer », explique-t-il. Seulement, Bienvenue Makolo, interrogé très peu de temps avant de mourir, a assuré que son agresseur lui avait d’abord lancé : « Casse-toi ou je te nique ! », avant de l’attaquer de face. Quant aux témoins, tous racontent des versions différentes, voire contradictoires, du drame. « Pourquoi vous promeniez- vous avec un couteau ? demande alors la présidente. – Je suis toujours armé », se contente de répondre l’accusé.

Et Me Yves Leberquier, d’insister : « Mais pourquoi ? – Depuis que j’ai vu, à l’âge de 12 ans, et sans pouvoir intervenir, mon oncle violer ma petite sœur sourde-muette. »

Responsable, coupable

logo france soir Eric Juherian, 20/06/2001

L’auteur des coups de couteaux revendique le meurtre de Bienvenue Makolo.

Ses yeux sombres balaient la salle d’audience de la cour d’assises de Bobigny d’un regard glacial, implacable : « Je dis que c’est moi, c’est tout à fait moi. » Du box des accusés, Fabrice Ozier Lafontaine, jeune martiniquais de 29 ans; les traits fins, d’imposante stature, revendique avec fermeté le meurtre de Bienvenu Mokolo, sans-papier zaïrois devenu vigile dans un centre commercial de Rosny-sous-Bois, un soir de juillet 1998.

« Il faisait beau. C’était l’ambiance Coupe du Monde, la France menait», se souvient l’accusé. Bref, une belle journée : Fabrice Ozier Lafontaine, son jeune frère, Jérémie, et une poignée de copains décident de se rendre au centre commercial. « Pour manger», précise Jérémie. En route, ils achètent des bières, du rhum, boivent le tout et arrivent particulièrement éméchés dans la galerie marchande. « C’est vrai, on était chaud », admettent à la barre les jeunes gens présents le jour du drame. Tellement « chaud » que rapidement une bagarre éclate entre les vigiles et la bande.

Carte d’identité

Tout va très vite. Les agents de sécurité tentent de maîtriser les perturbateurs. Dans la confusion, Bienvenue Mokolo reçoit deux coups de couteau, le premier au front, le second, fatal, à la gorge. Il décède deux jours plus tard à l’hôpital. « J’ai mal », avoue-t-il à sa sœur dans un ultime soupir. Bienvenue, sans-papier zaïrois au parcours sans faux-pas, prêt à tout pour s’insérer dans la société française, meurt sous le nom de son frère, N’Kombe Mokolo, de nationalité française, à qui il avait emprunté sa carte d’identité pour obtenir cet emploi de vigile. Il gagnait sa vie, louait un appartement.

Souvenirs

« Quelqu’un de bien», confie son supérieur hiérarchique. Une procédure de régularisation était en cours, un dossier déposé à la préfecture. Trop tard. Bienvenue n’aura jamais de papiers français. Son meurtrier présumé, Fabrice Ozier Lafontaine, affirme avoir voulu se défendre : « Il m’étouffait. Je voulais me libérer. » Il y parvient, à l’aide d’un couteau, qu’il garde en permanence dans sa poche. Un témoin de la scène vient à la barre : « C’est le petit frère (Jérémie) qui a porté les coups, c’est pas lui. » Un doute parcourt la salle d’audience. Un policier, présent sur les lieux du drame, se rappelle de cette phrase, lâché comme un cri par l’accusé, lors de son interpellation, quelques minutes après le drame : « relâchez mon frère, c’est moi l’auteur des coups de couteau ! ». Devant la cour d’assises, Ozier Lafontaine réitère ses propos. Il lui reste jusqu’à ce soir pour confirmer sa culpabilité.

Jugé pour le meurtre d’un vigile

logoParisien-292x75 Hélène Bry, 19/06/2001

IL S’APPELAIT Bienvenu. Un comble d’ironie pour ce Zaïrois sans papiers de 39 ans, mort égorgé sous une fausse identité en défendant le centre commercial de Rosny-sous-Bois contre une bande de jeunes, le 1er juillet 1998. Depuis dix ans qu’il était en France, les différentes demandes d’asile politique et de régularisation de Bienvenu avaient toutes échoué. Alors il avait fini par emprunter l’identité de son frère N’Kombe Makolo, de nationalité française, pour décrocher un emploi. Un emploi de vigile qui allait comme un gant à ce garçon baraqué, ceinture noire de judo et champion du Zaïre dans cette discipline. Aujourd’hui et demain, Fabrice Ozier Lafontaine comparaît devant la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis pour le meurtre de Bienvenu Makolo. Le procès, qui avait débuté en novembre 2000, avait été renvoyé après quelques heures de débats à la suite d’une journée « tribunal mort » des greffiers du tribunal de grande instance de Bobigny. « Je reconnais partiellement les faits », avait juste eu le temps de déclarer l’accusé avant d’être replacé en détention provisoire. « La triste vie et mort d’un sans-papiers » Avant de mourir le 3 juillet 1998 des suites de ses blessures, Bienvenu a pu confier sa version des faits aux enquêteurs. Le jour du drame, il se trouve avec deux collègues près du magasin Darty. Bienvenu repère un groupe de jeunes en train de semer la pagaille. Deux autres vigiles arrivent à la rescousse, mais il décide d’appeler la police. En attendant les renforts, les vigiles tentent de neutraliser le groupe en l’entraînant vers la sortie du centre commercial. Bienvenu a repéré un jeune qui essaie de s’éclipser. Les deux hommes se retrouvent face à face. Le fuyard sort son couteau, menace le vigile d’un « Casse-toi ou je te nique » et porte un premier coup de couteau au front, partiellement esquivé par Bienvenu. Ce dernier n’a, semble-t-il, pas vu arriver le deuxième coup, mortel, qui l’atteindra au cou. Quant à Fabrice Ozier Lafontaine, il indiquera aux enquêteurs que, le soir du drame, tout le monde avait bu dans le groupe de jeunes.

Pour Me Stéphane Maugendre, l’avocat de la famille de Bienvenu, « c’est la triste vie et mort d’un sans-papiers, même après sa mort ». Détail sordide, en effet, l’assurance n’a toujours pas versé à la famille de la victime le capital décès au motif que l’identité de l’assuré ne correspond pas à celle du mort… « Ce qui frappe dans ce procès, ajoute l’avocat, c’est qu’on est à mille lieues de l’image que se fait Monsieur Tout-le-Monde du sans-papiers qui trafique ou qui bidouille ou travaille au noir. Là, on a un sans-papiers qui s’occupe de la sécurité de Monsieur Tout-le-Monde, dans un département comme la Seine-Saint-Denis… et qui le paie de sa vie. »

« Clandestin jusque dans la mort »

images Lisa Vaturi, 14/06/2001

Bienvenu Makolo est mort le 3 juillet 1998. Deux jours plus tôt, ce Zaïrois de 37 ans, vigile au centre commercial de Rosny, avait été blessé de deux coups de couteau lors d’une altercation entre jeunes et agents de sécurité. Il avait succombé à l’hôpital. Le procès de son agresseur aura lieu les 19 et 20 juin devant la cour d’assises de Bobigny.

Bienvenu Makolo était l’un de ces clandestins longue durée qui soulignent l’absurdité de la législation : il est mort sous le nom de son frère, N’Kombe Makolo, naturalisé français et rebaptisé Henri. C’était la seule manière pour lui, sans papiers, d’obtenir un emploi. « L’assurance de son employeur refuse de verser le capital-décès à ses proches, sous prétexte que le souscripteur n’est pas mort, s’indigne l’avocat de la famille, Me Stéphane Maugendre.

Bienvenu Makolo sera resté clandestin jusque dans sa mort. » Clandestin, il l’est déjà en 1988, quand il fuit le Zaïre et les rangs d’une armée dont il ne peut pas démissionner. Clandestin, il l’est encore lorsqu’il choisit de rester en France avec son frère et sa sœur, mal¬gré le rejet de sa demande d’asile politique. En 1997, ce colosse, ceinture noire de judo et « vedette » de la communauté zaïroise en région pari¬sienne, profite de la circulaire Chevènement pour demander sa régularisation. La procédure était en cours lorsqu’il a été agressé.

La mariée était dans l’avion pour l’Algérie.

logo-liberation-311x113 Charlotte Rotman

Nadia , sans papiers, a été expulsée juste avant ses noces.

Ils devaient se marier hier, à 17 heures, à Laval. Avec 300 invités venus de toute la France, d’Europe et d’Algérie. Mais la veille de leur union en mairie, Malik et Nadia ont été séparés par la police. Nadia, algérienne sans-papiers, est enceinte de trois mois, elle a été expulsée hier. Le mariage a été annulé.

«J’ai flashé.» Malik et Nadia ont fait connaissance dans un café parisien à Nation, à l’automne 2000. Elle, jolie trentenaire algéroise, petite dernière d’une famille nombreuse et prospère, a quitté l’Algérie après le décès de sa mère. Lui, cadre dans une entreprise de traitement des charpentes, est français, travaille en région parisienne. «J’ai flashé, on a parlé. Depuis, c’est la femme de ma vie.» Quelques mois plus tard, le 23 février 2001, ils se marient religieusement, unis par un imam de Corbeil-Essonnes. «C’est ce qui importait le plus, même si ça n’a pas de valeur juridique» , explique Malik, car tous deux sont croyants. Nadia n’arrive pas à régulariser sa situation et n’a nulle envie de retourner dans son pays. Ils sont bien ensemble, font un enfant. Ils veulent aussi officialiser leur union. Ils publient les bans, préparent un contrat de mariage et lancent les invitations. La fête doit se dérouler dans un petit village de Mayenne, à Montigné-le-Brillant.

La veille de la cérémonie, une convocation pour le commissariat arrive chez Marie-Louise, la mère de Malik, où ils sont domiciliés. Nadia se retrouve placée en garde à vue, puis en rétention administrative. La jeune femme, arrivée avec un visa de touriste, est sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière datant d’avril 2000. Son fiancé se démène. Il dépose un recours gracieux auprès du préfet. Entretemps, les procédures de reconduite à la frontière ont avancé à toute vitesse. A midi, mercredi, Malik fait le pied de grue devant la préfecture, Nadia, elle, est emmenée par des policiers de la PAF, la police aux frontières. Direction Roissy, et l’Algérie. A la sortie du commissariat de Laval, la sœur de Malik, Sélia, aperçoit Nadia, arrête la voiture, lui parle un peu. Mais son destin est scellé. A l’aéroport Charles-de-Gaulle, des membres du comité anti-expulsion, alertés, tentent d’intervenir en sa faveur et espèrent que son avion ne partira pas. Ou sans elle. En vain. A 16 h 45, Malik, à Laval, reçoit un coup de téléphone de Nadia : «C’est mon dernier coup de fil, je suis aux portes de l’avion, je vais décoller.» Un employé d’Air Algérie confirme : «On l’a fait passer par les pistes et on lui a demandé si elle acceptait d’embarquer. Elle a répondu : « Je préfère partir plutôt que d’aller en prison ici. »» «Elle a peur pour le bébé», dit Malik.

Situation changée. Cette reconduite peut tout à fait être contestée devant le tribunal administratif, fait savoir Me Stéphane Maugendre avocat et membre du Gisti, le groupe d’information et de soutien des immigrés. Notamment parce qu’elle est enceinte d’un Français qui a déjà reconnu l’enfant : sa situation de fait a donc changé. Et son arrêté de reconduite à la frontière peut être annulé. Aujourd’hui, Malik envisage d’aller épouser Nadia en Algérie.

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Kurdes: le dossier met huit ans pour se dégonfler

logo-liberation-311x113  Dominique Simonnot, 22/05/2001

Suspectés de terrorisme par Pasqua, les 31 hommes ont finalement été innocentés.

Ils sont trente et un. Des Kurdes arrêtés à travers toute la France, en novembre 1993 sur ordre de Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur. Tous étaient soupçonnés d’être au centre d’un racket organisé pour le compte du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ils ont été incarcérés, huit jours, quinze jours, quatre mois, six mois, avant d’être placés sous contrôle judiciaire. Le 11 mai dernier, le juge parisien Roger Le Loire a mis un terme à l’affaire avec un non-lieu général. Voilà déjà trois ans d’ailleurs que le magistrat avait clos son instruction et conclu à l’innocence des Kurdes. Le parquet antiterroriste ne s’est pas beaucoup pressé de conclure.

Manipulation. En novembre 1993, l’opération de police aboutit à cent onze interpellations ayant permis selon le communiqué du ministre de l’Intérieur de saisir du matériel «pouvant servir à composer des engins incendiaires et des instruments destinés à falsifier des documents administratifs». Deux jours plus tard, vingt-quatre personnes sont mises en examen, dont vingt et une sont placées sous mandat de dépôt (les autres seront arrêtées quelques jours plus tard). A la télévision, Charles Pasqua assène «il est possible que la cause kurde mérite quelque sympathie», mais pas question d’accepter «que l’on transpose sur notre sol la guérilla, le racket et que l’on soit la base arrière d’organisations terroristes». Il parle aussi du «coup de filet» qui a eu lieu presque en même temps dans les milieux islamistes. «Certaines personnes interpellées s’apprêtaient à commettre des attentats en France» affirme-t-il. On saura bien plus tard que les policiers ont déposé puis saisi chez Moussa Kraouche, le président de la Fraternité algérienne en France des documents «prouvant» ses relations avec les GIA. Cette manipulation causera même la colère du juge Le Loire et consacrera sa rupture avec le pool antiterroriste, qu’il quitte il y a cinq ans en emportant ses dossiers. Dont celui des Kurdes. La vague d’arrestations avait d’ailleurs été organisée en son absence et tous les interrogatoires menés pas la juge Laurence Le Vert.

Expulsions. Les avocats réagissent après cette rafle de novembre 1993. Pour Daniel Jacoby, qui est aussi à l’époque, président de la Fédération internationale des droits de l’homme «il s’agit d’un dossier artificiellement fabriqué». Bilan final donc, les trente et un non-lieux. Mais aussi des expulsions de Kurdes «en urgence absolue» vers la Turquie. Dans son ordonnance, Roger Le Loire recense les actions violentes menées en France et attribuées au PKK. D’abord les règlements de compte meurtriers dans la communauté en 1992. Puis le 24 juin 1993, une prise d’otages au consulat de Turquie à Marseille. A Lyon avec «deux opérations commando visant les locaux de la Turkish Airlines et la Maison de la Turquie». A Paris, où «deux engins incendiaires étaient lancés sur l’agence de la Banque du Bosphore» par deux individus non identifiés. Ou à Strasbourg, le 4 novembre 1993, la Banque du Bosphore, mais aussi deux agences de voyage sont visées et quatre militants du PKK arrêtés. Enfin, en Turquie, où quatre Français sont enlevés. A Paris, le 15 novembre 1993, la DST (Direction de la surveillance du territoire) transmet à la DGPN (Direction générale de la police nationale) un rapport «faisant état d’informations recueillies sur le PKK qui en utilisant en France un réseau associatif, y commettrait des actions criminelles ou délictuelles» note le juge. Quant à la recrudescence des actions du PKK en France, elle serait, selon la DST «à relier à l’augmentation de l’immigration turque et kurde, notamment clandestine ou dans le cadre de demandes d’asile plus ou moins fantaisistes» relate encore le juge. Pour conclure cinq pages plus loin, au manque de preuves: «Les perquisitions ne révélaient pas la présence d’armes.» Seulement des notes, des listes de noms «au regard de sommes d’argent». Pour lui, «les investigations ne permettaient pas cependant de caractériser l’infraction d’extorsion de fonds, en l’absence de plainte». Et ne révélait pas davantage «la préparation de crimes et délits».

Arbitraire. Me Jean-Jacques de Felice fait maintenant les comptes: «Les mois de prison, les cautions versées, les associations kurdes interdites, les noms des interpellés transmis à la police turque. Mais enfin, il faut se réjouir, dit-il, il n’est jamais trop tard pour mettre fin à l’arbitraire.» Me Stéphane Maugendre a défendu un des Kurdes interpellé. Sa compagne a été placée en garde à vue, son cabinet a été perquisitionné. «Ce non-lieu total est, remarque l’avocat, d’autant plus important qu’il émane d’un juge qui a fait partie du pool antiterroriste et qui a un certain recul sur les pratiques de ses collègues.» Ensemble, les avocats vont maintenant demander à la justice d’indemniser leurs clients.

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Les Kurdes au casse-pipe.

Le transfuge du 8e bureau.

logo-liberation-311x113  Charlotte Rotman

MonédièrePendant des années, Daniel Monédière, chef du 8e bureau de la direction de la police générale à la préfecture de police de Paris, chargé des «mesures d’éloignement des étrangers», a expulsé les clandestins. Avec application. Il y a trois ans, il quitte momentanément l’administration, monte un petit cabinet de conseil juridique, et depuis… défend ­ ardemment? ­ les étrangers. Drôle de reconversion.

Ce fonctionnaire zélé a longtemps été la bête noire des avocats spécialistes du droit des étrangers. Daniel Monédière débarque à la préfecture de police de Paris en 1988, à presque 40 ans. Auparavant, il a travaillé en mairie et à différents postes de l’administration, où il s’est plutôt ennuyé. Il raconte qu’il a passé le concours de l’ENA, mais a été «fusillé au grand O», le dernier oral: «J’avais pas le style.» Après cinq ans au 9e bureau de la préfecture «Afrique-Maghreb-Europe», il passe chef du 8e bureau, dédié à l’éloignement des étrangers. «Là, on est plus impopulaire.» Le travail lui plaît. «Je me suis bien investi», dit-il aujourd’hui. Il apprécie la simplicité des situations: «Il y a des catégories: « Régulier » ou non, et des critères. S’ils sont irréguliers, les étrangers doivent quitter le territoire.» C’est sa tâche. Et, pour l’accomplir, «il faut un instinct de chasseur». «Je devais résoudre cette question: concrètement, comment fait-on pour faire monter quelqu’un dans l’avion?», résume-t-il. Mais est-ce qu’on est méchant pour autant?» Il s’en défend: «On a pu dire que j’étais investi de la mission de nettoyer la France de ses étrangers, mais non.» Pour Daniel Monédière, le roi du 8e bureau, le chantre de l’action administrative, «l’important, c’est l’efficacité».

Subterfuges. «C’était un obsédé de la statistique, obnubilé par le chiffre de reconduites à la frontière», se souvient l’avocat Simon Foreman. «A la préfecture, on l’avait en face de nous, il ne jouait pas le jeu. Il avait des pratiques pour faire échec au droit de la défense qui nous heurtaient», raconte Me Stéphane Maugendre. Les avocats se souviennent de sa «hargne» à leur égard et lui reprochent d’avoir utilisé n’importe quelle ruse pour faire du chiffre. Il faut dire que Daniel Monédière traîne quelques boulets. En 1995, il passe en correctionnelle en citation directe pour «abus d’autorité». Il avait imaginé un subterfuge pour que les étrangers en instance d’expulsion, placés au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, passent devant le juge de Paris, et non celui de Meaux, dont dépend pourtant le centre, mais où la préfecture n’a pas de permanencier. Pour cela, il avait envoyé une note au commandant du centre de rétention pour demander de conduire les étrangers à l’audience «comme s’ils étaient retenus au dépôt» parisien. Le tribunal correctionnel de Paris avait jugé irrecevables les partie civiles. Mais, à l’audience, Monédière avait passé un sale quart d’heure (Libération du 2 décembre 1995). Les subterfuges de son invention, qui avait été évoqués alors, ont contribué à sa mauvaise réputation: renvoi dans son pays natal d’un Mauricien, père de famille interpellé sur le territoire, placé en centre de rétention, et qu’un juge avait pourtant décidé de libérer. Placement en garde à vue à l’aéroport d’une Ivoirienne, convoquée à la préfecture avec sa fille de quelques mois née en France, et finalement relâchée avec son bébé par un juge. Présentation différée au tribunal des étrangers dont le maintien en centre de rétention a expiré, dans l’espoir de trouver un juge moins laxiste… «Il était connu pour sa mauvaise foi», se souvient-on au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). «Le pire c’est qu’il a imprimé cet état d’esprit à ses subordonnées.» Monédière ou l’archétype du fonctionnement de la préfecture.

Ce même individu est devenu consultant. En 1997, le fonctionnaire se met en disponibilité et ouvre une officine pour «prestations de services et conseils en matière administrative», notamment sur le droit des étrangers. «C’est comme si le procureur devenait avocat de la défense», explique Stéphane Maugendre, en habitué des prétoires. L’année 1997 est celle de la circulaire Chevènement, qui prévoit des critères de régularisation. «Ça tombait bien, il y avait beaucoup de boulot.» Pour son premier client, un chauffeur de taxi qui demande un regroupement familial, Monédière fait «une belle lettre à la préfecture». Aussitôt, raconte-t-il, son ancien adjoint l’appelle: «Mais qu’est-ce que tu fous? Tu es contre nous?» Au sein de la préfecture, une commission de déontologie est saisie. Elle rend un avis favorable à l’exercice de son activité de consultant «sous réserve que l’intéressé s’engage à ne pas avoir d’activités de conseil en droit des étrangers dans le ressort de la préfecture de police de Paris».

Tollé. Daniel Monédière a traité des centaines de dossiers qu’il boucle en puisant dans son expérience au 8e bureau. Ses honoraires moyens s’élèvent, selon lui, à 4 000 francs par dossier. «Je suis content si un client est régularisé», dit-il. Comme pour se défendre, il ajoute aussitôt qu’il ne sautait pas de joie quand, à la préfecture, il renvoyait quelqu’un hors de France. Pourtant, il ne peut s’empêcher de retrouver un agacement très préfectoral: «Mais il n’y a rien de plus frustrant que de se faire annuler un dossier bien ficelé de reconduite à la frontière.» Parfois, le consultant a du mal à oublier le fonctionnaire qu’il était.

Sa nouvelle activité soulève un tollé chez les avocats. Pour certains, elle s’apparente à un «pantouflage» peu compatible avec une fonction publique. Surtout, il s’agit d’une activité de conseil juridique alors que Daniel Monédière n’est pas inscrit au barreau. Et puis, les avocats, qui l’ont toujours connu «acharné», pugnace, huilant inlassablement la machine à expulser les étrangers, trouvent mystérieux qu’il fasse aujourd’hui son possible pour les maintenir sur le territoire. Et se demandent s’il y met le même zèle. La mise en disponibilité de l’administration de Daniel Monédière court jusqu’en 2002.

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Les avocats se mobilisent contre la grande misère de l’aide juridictionnelle

index  Franck Johannes,

Extrait : MARILYSE LEBRANCHU avait fait préparer un de ces discours qui comprend les « légitimes inquiétudes » de la profession, mais s’efforce de gagner du temps et dont on peine après coup à retrouver le sujet. La garde des sceaux, vendredi 10 novembre, devant un congrès du Syndicat des avocats de France (SAF), assez remonté, a compris qu’il n’était plus temps. Elle s’est bravement jetée à l’eau, sans notes, a pataugé un peu mais pris la mesure de la colère des avocats. Il ne s’agit plus de grogne, mais de grève, qui va plus ou moins paralyser les tribunaux à partir de lundi 13 novembre, jour du vote du budget de la justice. Les avocats réclament une réforme de l’aide juridictionnelle, le système d’accès à la justice des plus pauvres, qui met en péril un nombre croissant de cabinets.

 

L’aide juridictionnelle (AJ) est née de la loi du 10 juillet 1991 et vise à permettre aux plus démunis, grâce à une aide de l’État, de choisir librement leur avocat. Il y avait un besoin : l’État a consacré 574,7 millions à l’AJ en 1991, 1,54 milliard cette année, soit une augmentation de 128 %. C’est beaucoup et c’est peu : la France y consacrait ainsi 19,91 F par habitant en 1997, la Grande-Bretagne 271,95 F. Pour obtenir l’aide juridictionnelle, il faut remplir un dossier obscur de quinze pages.

PLAFONDS TROP FAIBLES « L’État peut vous demander de rembourser les sommes par lui exposées au titre de l’aide juridictionnelle, précise ainsi le formulaire, dans les mêmes proportions que les dépens lorsque la décision passée en force de chose jugée vous a procuré des ressources telles que, si elles avaient existé au jour de la demande d’aide juridictionnelle, celle-ci ne vous aurait pas été accordée même partiellement. » Dans 80 % des cas, c’est donc l’avocat qui s’y colle, trie, photocopie et joint les pièces demandées. 783 130 personnes ont demandé l’aide juridictionnelle en 1999, 10 % des demandes ont été rejetées. Huit fois sur dix, « parce que les…

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Coup de théâtre contre coup de tonnerre.

logo nouveau detective Michel Mary et dessins Sylvie Guillot, 20/09/2000

lndComme elle l’a dit à la cour, Nathalie sait ce que risquent « celles qui parlent ». »J’ai vu des filles mourir, dit-elle, j’ai vu des enfants pris en otages ». Pourtant, aujourd’hui, elle a le courage de dénoncer les assassins de Catherine Choukroun.

PARIS

Rue Saint-Denis, on l’appelle « madame Simone ». Cette ancienne prostituée, reconvertie dans le proxénétisme hôtelier, est à l’origine du «tuyau » qui a permis l’arrestation des trois assassins présumés de Catherine Choukroun, la femme policier abattue voilà neuf ans maintenant, le 20 février 1991, alors qu’elle effectuait un contrôle de vitesse sur le périphérique parisien (voir LND n° 939)… Ce lundi 11 septembre 2000, «madame Simone» est appelée à comparaître, en tant que témoin, devant la cour d’assises de Paris, que préside Mme Varin. Il est 17 heures lorsqu’elle entre dans la salle, vêtue d’un jean et d’un gilet de cuir noir. En la voyant s’avancer vers la barre, les trois accusés, Nathalie Delhomme, Aziz Oulamara et Marc Petaux, se tassent un peu plus dans leur box. L’avocat général Philippe Bilger se redresse, très attentif. Enfin, à l’invitation de la présidente, «madame Simone », petite dame de 71 ans aux yeux d’un noir profond, commence sa déposition.

— L’assassinat de Mme Choukroun, dit-elle, c’est un crime qui n’est pas excusable. A l’époque, je connaissais bien Aziz Oulamara, qui était videur rue Saint-Denis. Une nuit, alors que j’étais venue encaisser l’argent des prostituées qui occupaient mes studios, il m’a fait des confidences… Il m’a dit : « Tu sais, moi, je suis un tireur d’élite. A 100 à l’heure, je vise la tête ! » Il m’a répété ça au moins huit fois ! Puis il a ajouté: «Si tu me crois pas, demande à Marco »…

Un silence. Puis « madame Simone » reprend :
— Il insistait tellement que j’ai compris qu’il me parlait de quelque chose de grave… Je lui ai demandé : « La femme flic, c’est toi ?» Il m’a répondu : « Ça, faudra le prouver ! » Alors j’ai fait ma petite enquête. Et j’ai appris que, le soir du drame, Aziz, Marc Petaux et Nathalie Delhomme, qui se prostituait sous le prénom de Johanna, étaient partis ensemble acheter de la drogue sur le boulevard des Maréchaux… J’ai fait savoir ça aux policiers de la « Mondaine », mais ils n’en ont tenu aucun compte. Alors, six ans plus tard, le 31 décembre 1996, j’ai tout raconté à l’un de mes amis, policier à la brigade des stupéfiants de Seine-Saint- Denis…

« Ma parole ne vaut pas grand-chose, je ne suis qu’une tenancière… »

A cet instant, « madame Simone » se tourne vers Gilles Choukroun, le mari de la victime, qui est assis au banc des parties civiles.
— J’ai fait ça pour que cette dame dorme en paix, lui dit-elle. Je sais bien que ma parole ne vaut pas grand-chose, je ne suis qu’une tenancière… Mais dans mon genre, j’ai toujours été honnête !

Aziz Oulamara, un petit homme au visage mou, aux cheveux très noirs, se dresse d’un coup dans son box, l’air outré.
— C’est une affaire d’argent ! s’écrie-t-il. Elle a livré de fausses informations pour garder ses studios. Moi, je suis innocent ! Je n’ai rien à voir avec cette affaire !
— Monsieur Oulamara, intervient la présidente, je vous rappelle que vous avez passé des aveux complets devant le juge d’instruction.
La magistrate s’empare d’un procès-verbal et commence à le lire: « La nuit du drame, mon ami Marco – c’est-à-dire Marc Petaux est venu me chercher. Il était en compagnie de Johanna. Nous sommes montés tous les trois dans une Austin noire, immatriculée dans le 92. C’est moi qui conduisais. Marco était assis à côté de moi. Johanna était derrière. Ils étaient très énervés, tous les deux. A un moment, alors que nous sortions du périphérique, à la hauteur de la porte de Clignancourt nous avons vu une voiture de police arrêtée sur la bretelle. Marco m’a dit: « Ralentis! » Et quand nous nous sommes retrouvés à sa hauteur, Johanna lui a lancé :  » Vas-y ! Allume-les !  » Marco m’a fait arrêter la voiture, et il est descendu avant de tirer… »
Un lourd silence ponctue cette lecture publique…

Au banc des parties civiles, Gilles Choukroun, le mari de la jeune victime, est accablé. Mais Aziz Oulamara, lui, ne désarme pas.
— Si je suis dans ce box, lance-t-il avec hargne, c’est parce que je suis arabe !

« Madame Simone a raison. J’y étais, dans cette voiture »

Quant à Marc Petaux, alias Marco, il tourne son visage en lame de couteau vers la cour et déclare :
— Moi aussi, je suis innocent. Et jusqu’à ma mort je vous dirai que ce n’est pas moi qui ai tué cette femme policier ! J’ai servi trois ans au Tchad. J’ai vu mon adjudant mourir à côté de moi.

J’ai du respect pour l’uniforme. Jamais je n’aurais tué une femme qui en portait un!
Tandis que ses deux coïnculpés protestent à qui mieux mieux de leur innocence, Nathalie Delhomme. l’ancienne prostituée, garde le silence. Elle semble bouleversée. Comme s’il avait compris ce qui la tourmente, son avocat Me Jean-Yves Leborgne, se lève et demande la parole.
— Depuis le début de cette audience, dit-il, ma cliente nie elle aussi les faits qui lui sont reprochés… Mais je pense qu’à présent elle a une déclaration à faire à la cour.
Nathalie Delhomme, une rousse bien en chair, baisse la tète. Puis, les larmes aux yeux, elle murmure :
— C’est vrai, « madame Simone » a raison. J’y étais, dans cette voiture…
Un murmure s’élève dans la salle. C’est le coup de théâtre que tout le monde attendait un pas décisif, peut-être, vers la vérité…
— Vous avez participé au meurtre ? demande Me Leborgne.
— Non. J’étais à l’arrière, complètement défoncée. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé. C’est un courant d’air frais, venu de la fenêtre baissée, qui m’a tirée de mon engourdissement. Les deux hommes qui étaient avec moi dans la voiture se disputaient. Le conducteur disait : « Y’en a marre ! T’as encore fait une connerie! Maintenant on est dans la merde ! »
La présidente prend le relais et demande :
— Mme Delhomme, Aziz Oulamara était-il dans la voiture ?

Sur son banc, l’intéressé s’agite… Nathalie Delhomme va-t-elle le dénoncer ? Oui. Elle hoche affirmativement la tète.
— Tenait-il le volant? intervient Mme Varin, reprenant
la direction de l’audience.
— Non, ce n’est pas lui qui conduisait.
Cette fois, dans le public, le brouhaha est vif. Car si Aziz n’était que le passager de la voiture, et pas son conducteur, cela veut dire que c’est lui qui a ouvert le feu sur Catherine Choukroun.
— Et qui conduisait ? s’enquiert encore Mme Varin. Marc Petaux ?
— Non, répond Nathalie. Petaux n’était pas lé.
— Mais dans ce cas, qui était au volant ?
—Je ne sais pas. ..
L’ancienne prostituée jette un coup d’œil en biais vers la salle.
—Je risque gros, lance-t-elle. Il y a ici des gens du milieu. Ils me font peur. Quand je me prostituais, j’ai vu des filles mourir, j’ai vu des enfants pris en otage. Je ne veux pas qu’il arrive malheur à mon petit garçon… Il n’a plus que moi, vous comprenez.

« J’ai compris que ce bébé ne connaîtrait jamais sa mère »

Après cette déposition retentissante. c’est plutôt distraitement qu’on regarde les témoins défiler à la barre. Ce sont pour l’essentiel, des proches ou des amis des accusés. Ils tentent les uns après les autres, d’innocenter Aziz Oulamara. Puis, ultime coup de théâtre, un certain Serge Schoeller, qui exerce le « métier » de cambrioleur, se présente à son tour.
— La nuit des faits, explique cet homme râblé, vêtu d’un blouson de cuir, j’étais à Saint-Ouen devant le domicile d’Aziz. A 4 heures du matin, j’ai vu Aziz et Marco arriver en voiture. Marco conduisait. Il était très énervé. D’ailleurs, il a même heurté un plot en se garant…
Et nous voilà revenus au point de départ. Marc Petaux, mis hors de cause par Nathalie Delhomme, est à nouveau incriminé par Serge Schoeller… A-t-il oui ou non participé au meurtre de la femme policier ? Les jurés devront en décider. Mais auparavant, il leur reste deux témoins à entendre.

Le premier à s’avancer est une femme vêtue d’un élégant tailleur bleu. Elle s’appelle Catherine Faure et est commissaire divisionnaire. A l’époque des faits, elle était la patronne de Catherine Choukroun.
— Catherine a travaillé deux ans à mes côtés, déclare-t-elle, très émue. Elle a su se faire apprécier et aimer Puis elle est tombée enceinte, et tout le monde s’est mise à la « chouchouter »… Je me souviens encore de la fête qu’elle avait donné pour la naissance de son bébé. A un moment elle s’est retirée discrètement dans un coin, pour l’allaiter…
Un silence.
— La nuit du drame, reprend Mme Faure, c’est moi qui suis allée prévenir son mari. Il était 5 heures du matin quand je suis arrivé chez lui. Le bébé dormait. Quand je l’ai pris dans mes bras, je me suis mise à pleurer. Parce que j’ai compris, à ce moment-là, qu’il ne connaîtrait jamais sa mère…

« Quand j’ai vu son visage, j’ai su que c’était grave »

hubbelCatherine Faure regagne sa place, dans le public. La présidente décide alors de faire entendre un enregistrement aux jurés. C’est l’appel au secours d’Emile Hubbel, le gardien de la paix qui accompagnait Catherine Choukroun… On entend d’abord le grésillement d’un poste de radio, puis, soudain, des cris à glacer le sang :
— Au secours ! Au secours ! On a été attaqués !
— Allô! Allô! répond la voix du policier qui reçoit l’appel. Ce n’est pas une farce, au moins ? – Répétez, vous êtes presque inaudible.
– Répétez…
Des cris, de nouveaux – ceux d’Emile Hubbel, qui vient de voir sa collègue tuée d’une balle dans le cou et qui est lui-même blessé.
— Au secours! On est porte de Clignancourt I
Puis l’autre voix reprend :
— D’accord, j’ai compris. On vous envoie des secours…

C’est fini. Dans la salle, on pleure. Les jurés ont des mines bouleversées. Et dans cette atmosphère terrible, Gilles Choukroun, le mari de Catherine, s’avance à la barre… Grand, les cheveux courts, élégant dans son cos¬tume gris, il essuie une larme d’un re¬vers de main.
— J’ai connu Catherine en 1980, dans un club de vacances, dit-il. Nous nous sommes mariés , le 26 mai 1984. A l’époque, elle était secrétaire médicale, mais cela ne lui plaisait pas. C’est moi qui lui ai suggéré de passer le concours d’entrée dans la police. Elle a tout de suite adoré son nouveau métier. Nous avons acheté un petit F2, à Brunoy. Le 7 octobre 1990, Estelle est née.
Catherine était folle de joie. Elle a décidé de travailler de nuit, pour pouvoir s’occuper de la petite…
Gilles Choukroun s’interrompt. Et c’est d’une voix altérée, presque brisée, qu’il reprend :
— Le 20 février 1991, à 5 heures du matin, j’ai été réveillé par les aboiements de mon chien. Je me suis levé et je suis allé à la fenêtre. Il y avait une voiture avec un gyr¬phare, en bas. C’était Mme Faure. Quand j’ai vu son visage, j’ai tout de suite compris que c’était grave… Ensuite, je suis resté seul avec ma petite fille de quatre mois. Heureusement qu’elle était là.
Et l’homme conclut au bord des larmes :
— Ce soir, c’est tout ce que j’ai en vie de vous dire..

« Le tapin, la came. Voilà sa vie ! »

Jeudi 14 septembre, 14 heures. C’est l’heure des réquisitions et des plaidoiries. Après les parties civiles, c’est Philippe Bïlger, l’avocat général, qui se lève.
— J’aurais voulu un peu plus de clarté. Il y a trop de questions et pas assez de réponses, mais la vérité en a quand même jailli. Née d’une rumeur, la vantardise d’Oulamara se révéle une implacable vérité, puissante et vrai, ce n’est pas un ragot. L’avocat général conclut en disant : — En ce qui concerne Petaux, je n’ai qu’une quasi-certitude ! Pour Oulamara, en revanche, j’ai la certitude absolue que c’est lui qui a tiré. Il est désarmant de bêtise dans son enfermement, il ne comprend rien. C’est pourquoi je réclame vingt ans de réclusion criminelle contre Petaux et Oulamara, et pas plus de cinq ans pour Johanna.

Me Moreuil et Me Leborgne vont plaider pour Johanna Le premier stigmatise le manque de preuves et parle longuement de la vie de la jeune femme : « le tapin à l’âge de 17 ans pour un homme qu’elle aimait, puis la came, le trottoir, et encore la came. Voilà sa vie. »

Me Leborgne prend alors la parole. Il rappelle que ce crime est gratuit, qu’il n’a aucun mobile, que la justice n’a réuni aucun témoignage crédible, aucune preuve.
« Mais la nature a horreur du vide, et les enquêteurs vont donner de l’importance à une rumeur, véhiculée par une vieille mère maquerelle. Nathalie n’a confessé qu’un vague souvenir. Je vous demande de l’acquitter, que le jour se lève enfin pour elle. »

Les jurés ont finalement suivi les réquisitions de l’avocat général

Me Sophie Obadia plaide à présent pour Petaux.
— Durant ces deux semaines de procès, on a fait rentrer par la porte de la cour d’assises toute la rue Saint-Denis jusqu’à sa PDG « madame Simone », ironise-t-elle. Vous mettez artificiellement mon client en compagnie des deux autres, ce soir-là, c’est une construction qui ne repose sur rien. Je pense que si Marc avait été dans cette voiture, les choses ne se seraient pas passées comme cela On lui reproche de ne pas avoir d’alibi en octobre 97, mais qui peut répondre à une telle question ? Je vous demande de l’acquitter.

Me Hervé Temime parle aussi pour Petaux:
— Si vous avez un doute concernant Marc Petaux, Monsieur l’avocat général, il faut l’acquitter. Car pour condamner, il faut des preuves.

Mais les jurés n’ont pas admis ce raisonnement. Après huit heures et demie de délibéré, la cour rend son verdict Marc Petaux écope de vingt ans de réclusion, tout comme Aziz Oulamara. Quant à Johanna. elle est acquitté.

Avocat