Archives de catégorie : Avocat

Militants hors-la-loi

Image_3_reasonably_small-du_400x400 Par Stéphane Maugendre, président du Gisti 26/08/2008

La droite au pouvoir stigmatise les associations en lutte contre la politique d’immigration du gouvernement. Le président du Gisti s’insurge et décrypte cette dérive de criminalisation des militants.

A la suite de l’incendie qui s’est déclaré au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (77), le samedi 2 août, le ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, a décidé de porter plainte contre le président d’une association. L’ Anafé, la Cimade, la LDH, la Pastorale des migrants, RESF et le Gisti ont dénoncé l’attitude du gouvernement consistant à rechercher un bouc émissaire et à se dédouaner ainsi de sa propre responsabilité quant aux conséquences désastreuses de sa politique. Au-delà, ces mêmes organisations posaient la question : “La critique de la politique de l’immigration est-elle encore possible en France ?” (voir le communiqué de ces associations sur gisti.org).

Cette question n’est malheureusement pas née d’hier, et l’initiative du ministre de l’Immigration, loin d’être isolée, s’inscrit dans un contexte qui montre que le gouvernement est décidé à s’attaquer à tous ceux qui osent s’opposer à lui. Témoin de cette dérive, les déclarations du porte-parole de l’UMP, le 24 juin dernier, qualifiant RESF et d’autres collectifs de soutien aux sans-papiers de “faiseurs de provocations” et “semeurs de désordre” lors de l’incendie du centre de rétention de Vincennes consécutif au décès, dans des circonstances non encore élucidées, d’un Tunisien âgé de 41 ans.

Témoin la publication au Journal officiel du 1er juillet 2008 du décret instituant le fameux fichier Edvige, qui permet le fichage de “toute personne âgée de 13 ans et plus (…) ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif”, de tout individu, groupe ou organisation dont l’activité est susceptible de troubler l’ordre public ainsi que toutes les informations relatives aux fréquentations, au comportement, aux déplacements, à l’appartenance ethnique, à la vie sexuelle, aux opinions politiques, philosophiques et religieuses, au patrimoine, au véhicule… de ces personnes (pour signer la pétition Non à Edvige : www.no- naedvige.ras.eu.org).

Témoin, la diffusion de la note en date du 13 juin 2008 de la Chancellerie qui demande aux parquets d’informer dans les plus brefs délais la section antiterroriste de Paris de faits “susceptibles d’être attribués à la mouvance anarcho-autonome” et qui vise, parmi ces faits, les “manifestations de soutien aux étrangers en situation irrégulière” aux cours desquelles “ses membres s’expriment, parfois avec violence”.

Témoin encore la question écrite de M. Thierry Mariani (député UMP et auteur du mémorable amende-ment ADN en septembre 2007) sur le financement public du Gisti et la réponse du ministère de l’Immigration laissant entendre que des contrôles seraient prochainement diligentés sur l’emploi des fonds publics ainsi versés de façon à établir les conditions d’une reconduction éventuelle du soutien financier de l’Etat (JO des 18 septembre 2007, p. 5625, et 6 mai 2008, p. 3842). Comme si la reconduction des subventions d’une année sur l’autre n’était pas toujours subordonnée au contrôle de l’exécution des engagements pris et alors que la Cour des comptes a elle-même effectué un contrôle en 2007 sur la gestion financière du Gisti dont il est ressorti un rapport particulièrement élogieux. Derrière la question du député et la réponse ministérielle se profile donc bien, en réalité, une menace sur le financement public des associations qui expriment leur désaccord avec la politique gouvernementale. Stigmatisation, anathèmes, fichage des militants et associations, criminalisation des soutiens et maintenant dénonciation publique et médiatique des associations (qualifiées de “groupuscules d’extrême gauche”), annonce d’une plainte contre un militant – sur l’unique fondement d’un seul article de presse mettant entre guillemets des mots non-prononcés -, interdiction de manifester : décidément, tout est fait, et par tous les moyens, pour rejeter sur ceux-là les conséquences désastreuses de l’actuelle politique d’immigration.

Il va d’évidence que plus cette politique se durcira, plus la critique démocratique des associations, des syndicats et des militants se fera entendre, et plus le désir de nos gouvernants sera de nous bâillonner et de nous dénoncer – non plus pour trouble à l’ordre public mais pour trouble à l’ordre politique, au risque de mettre en danger les libertés de tous

*Gisti : Groupe d'information et de soutien des immigrés. www.gisti.org

Enseignants, protestants, avocats… : la galaxie hétéroclite des soutiens

index,  Luc Bronner et Michel Delberghe, 07/08/2008

Des enseignants, des lycéens, des parents d’élèves, des juristes, des syndicalistes, des chefs d’entreprise… Le profil des militants et sympathisants engagés dans la défense des sans-papiers est assez hétéroclite, même si la plupart des associations impliquées sont classées à gauche. Cette galaxie se révèle assez mouvante avec des collectifs qui naissent et disparaissent en fonction des menaces d’expulsion repérées ici dans un établissement scolaire, là par un syndicat, plus loin par un club sportif… Trois associations ou collectifs jouent un rôle moteur, rejoints, plus récemment, par des syndicats de salariés comme la CGT. A leurs côtés, interviennent des asso­ciations comme la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature ou des organisations de l’éducation natio­nale (SUD-Education, SNES, etc.).

La Cimade. L’association, créée en 1939 par des protestants, a conservé son acrony­me d’origine lié à la guerre (qui signifie Comité inter-mouvements auprès des éva­cués) mais se présente aujourd’hui com­me un « service œcuménique d’entraide » intervenant auprès des étrangers et des migrants. Elle est chargée, depuis 1984, d’une mission officielle dans les centres de rétention administrative (CRA) pour accompagner les personnes retenues et les conseiller.

Présidée par Patrick Peugeot, elle dispo­se de moyens importants, contrôlés par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), avec 120 salariés et 1 500 bénévo­les. Le ministère de l’immigration la finan­ce à hauteur de 40 % de son budget, le res­te étant assuré par des dons, des subven­tions de collectivités locales et de fonda­tions privées. La Cimade publie des enquê­tes sur la situation des centres de réten­tion. Elle n’a pas cessé, depuis plusieurs mois, d’alerter le gouvernement sur la situation critique dans certains CRA, notamment à Vincennes (Val-de-Marne) et au Mesnil-Amelot (Seine-et-Mame).

Le Gisti. Le Groupe d’information et de soutien des immigrés, crée en 1972, est une association spécialiste du droit des étran­gers. Il organise des permanences juridi­ques, assure des formations. Début 2008, il comptait 208 membres, dont 54 avocats. Cette structure, présidée par l’avocat Sté­phane Maugendre, joue un rôle important dans le combat juridique, contestant régu­lièrement les textes réglementaires devant la juridiction administrative française ou européenne. Plusieurs « grands arrêts » du Conseil d’Etat ont été obtenus sur des recours déposés par le Gisti.

RESF. Le Réseau éducation sans frontiè­res est un rassemblement informel de cen­taines de collectifs locaux, créés autour d’établissements scolaires, pour assurer la défense d’élèves mineurs menacés d’expul­sion du fait de la reconduite de leurs parents. Depuis sa création, en 2004, ce réseau a connu un développement rapide, soutenu par des syndicats d’enseignants et des associations de parents. Grâce à ses actions (parrainages, pétitions, manifesta­tions), le réseau estime avoir empêché plusieurs milliers d’expulsions. Son porte-parole national est Richard Moyon.

CGT et Droits devant !! Le mouve­ment a commencé en février par une grè­ve inédite de salariés employés avec de fausses cartes de séjour dans un grand res­taurant parisien. Depuis, la CGT et l’asso­ciation Droits devant ! ! accompagnent les actions spontanées qui ont émergé dans plus de 70 entreprises, pour l’essen­tiel en Ile-de-France, contraintes par la nouvelle loi sur l’immigration de licencier leurs salariés employés « irrégulière­ment », le plus souvent depuis plusieurs années. Au total, plus de 800 travailleurs ont été régularisés, au cas par cas dans les préfectures, parfois avec l’aide des chefs d’entreprise concernés. Pour autant, ce mouvement concerne assez peu les fem­mes qui occupent des emplois précaires dans le nettoyage et la restauration.

⇒ Voir l’article

M. Hortefeux s’en prend aux soutiens des sans-papiers

index Luc Bronner, 07/08/2008

LéoFaustine/PHOTOPQR/« LE PARISIEN »
Léo Faustine/PHOTOPQR/« LE PARISIEN »

Les associations de soutien aux sans-papiers se sentent désormais dans la ligne de mire du gouvernement et de la majorité parlementaire. Avec l’annonce du dépôt d’une plainte contre SOS soutien aux sans-papiers, accusée d’avoir incité à la révolte des immigrés placés au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), le gouvernement a franchi une étape dans le durcissement de ses rapports avec les collectifs mobilisés contre la politique gouvernementale.

Le ministre de l’immigration et de l’iden­tité nationale, Brice Hortefeux, a interrom­pu ses vacances, mardi 5  août, et présidé une courte réunion avec des hauts responsables des ministères de l’intérieur et de l’immigration pour faire le point sur les incidents du Mesnil-Amelot, samedi 2 août, au cours desquels trois matelas avaient été incendiés par des retenus en attente d’expulsion alors que se déroulait, à l’extérieur, une manifestation de SOS soutien aux sans-papiers.

Devant les journalistes, le ministre i dénoncé les « agissements » de l’association, proche du mouvement autonome qu’il a qualifiée de « groupuscule » et dont les membres sont, à ses yeux, des « agita­teurs » » et des « provocateurs ». Le ministre a confirmé le dépôt d’une plainte contre le collectif et demandé l’interdiction de manifester, samedi 9 août, devant le CRA dt Mesnil-Amelot.

Pour justifier ces décisions, M. Horte­feux s’appuie sur les déclarations du prési­dent de l’association, Rodolphe Nettier, au Parisien du 4 août. Celui-ci appelait à « brû­ler les centres » – propos qu’il a depuis démenti avoir tenus. Le cabinet du minis­tre précise que d’« autres éléments » figu­rent dans la plainte – notamment la présen­ce, lors du rassemblement du 2 août, d’une banderole appelant à la « destruction » des centres. M. Nettier rétorque que la banderôle n’avait pas été apportée par l’associa­tion mais par des « anarchistes ».

Au-delà du cas particulier de SOS sou­tien aux sans-papiers, acteur secondaire dans le paysage militant, cet épisode inter­vient dans un contexte de rapports tendus avec les associations historiques. Le minis­tère de l’immigration tente discrètement de réduire les capacités critiques de la Cimade, association d’origine protestante chargée d’assurer la défense et l’informa­tion des retenus au sein des centres. M. Hortefeux, qui ne dissimule pas son agacement vis-à-vis de la Cimade, préconi­se de faire appel à des associations caritati­ves, comme la Croix-Rouge ou l’Ordre de Malte (Le Monde du 26 juillet) pour assu­rer une plus grande « diversité » dans l’aide aux sans-papiers. « La Cimade est trop indépendante à ses yeux. Le ministère veut éclater ses missions en les confiant à plu­sieurs associations dans l’idée de réduire son poids », explique un proche du dossier. L’UMP a multiplié, ces derniers mois, les accusations et les critiques à l’encontre des « collectifs » de soutien aux sans-papiers. A plusieurs reprises, son porte-parole, Frédé­ric Lefebvre, a mis en cause les associations dans les incidents. Après l’incendie, le 22 juin, du CRA de Vincennes, il s’en était pris très durement au Réseau Education sans frontières (RESF), lui attribuant une « responsabilité morale » dans les troubles.

Les associations, qui décrivent une atmosphère tendue dans les centres de rétention, estiment que le ministère tente d’allumer des « contrefeux » pour prévenir les critiques au cas où surviendrait un dra­me. « Les gestes de désespoir se multiplient dans les centres. La stratégie de M. Hortefeux vise à cacher cette réalité qui est le produit de sa politique », souligne Richard Moyon, porte-parole de RESF. « Le gouvernement détourne l’attention sur des “groupuscules d’extrême gauche”, j’emploie des guillemets, pour éviter qu ’on se préoccupe de sa politique et de ce qui se passe dans les centres de réten­tion », ajoute Stéphane Maugendre, prési­dent du Gisti. Les associations réfléchis­sent à une action commune pour dénoncer l’attitude du gouvernement.

⇒ Voir l’article

Gisti, ils restent.

  Anne Diatkine

Il est le tout nouveau président d’une association aussi discrète que notoire et efficace, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), dont il est membre depuis vingt-cinq ans. «Je suis entré au Gisti pour devenir avocat et je suis devenu avocat parce que j’étais au Gisti. C’est complètement lié.» Il ne sait pas encore ce qu’implique exactement la fonction de président. Ou peut-être le sait-il, mais pas à la seconde, en vacances, en Bretagne, dans le jardin de cette belle maison, qui n’est pas du tout de famille, et qui a gardé tous les éléments de la crêperie qu’elle fut. Elle est le rêve de Boucle d’or. Lui, sa femme, sa fille, son fils, y sont entrés il y a cinq ans et tout était déjà là, il n’y avait plus qu’à goûter à la grande crêpe, à la moyenne crêpe, et à la petite crêpe. Puis à dormir dans des lits de toutes tailles. Les murs étaient violets, ils le sont restés.

D’accord, parler de décoration, c’est futile. Parler de repos aussi. Car l’année fut exténuante, et les problèmes de plus en plus abracadabrants. Un exemple : beaucoup de sans-papiers travaillent sous une identité d’emprunt. La personne, qui prête et parfois loue son nom, ne se doute pas que sa vie va en être modifiée, qu’elle aussi va devenir une autre, dont le tarif de cantine change et qui paye plus d’impôts – pour prendre des exemples simples -, qui peut subir des accidents du travail ou bénéficier de promotions étranges. Ce n’est pas toujours facile de prouver qu’on n’est pas soi.

Il manque un Antonioni, pour raconter l’histoire de cette femme africaine qui a passé, sous un nom d’emprunt, les concours de la fonction publique, s’est mariée sous sa fausse identité, dont les enfants sont français, et qui après son divorce, décide de récupérer son état civil de naissance. Qui est-elle, désormais ? Clandestine, il y a vingt ans, le sera-t-elle tout autant si elle retire son masque social qui pourtant fait partie d’elle ? «Un étranger n’a pas le droit de passer les concours de la fonction publique.» Va-t-elle devoir démissionner ?

L’histoire inverse existe aussi : Stéphane Maugendre a défendu une jeune femme, née en France, de parents étrangers, qui a quitté la France avec ses parents, à 12 ans, pour y revenir à sa majorité. Elle fait une demande de naturalisation. Et dans la foulée dépose un dossier pour une carte de séjour vie privée et familiale, afin de pouvoir travailler. «Je me suis battu pour elle en vain. Elle a récolté un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Deux mois plus tard, elle m’appelle : « C’est réglé. » Je lui demande : « Vous avez reçu une autorisation provisoire de séjour ? » « Non, je suis Française ! » Commentaire : «Cette jeune femme méritait d’être Française, mais pas d’avoir un titre de séjour et une autorisation de travailler ! Ce n’est qu’un exemple d’incohérence. Il y en a constamment.»

Toutes les histoires de migrations sont singulières. Et comme le droit des étrangers est en perpétuel changement, le métier n’est pas lassant. «En revanche, ce quiest profondément décourageant, c’est de devoir répondre de plus en plus souvent négativement à des gens qui cherchent une solution juridique. Des dossiers défendables, ne serait-ce qu’il y a deux ans, ne le sont plus.»

Stéphane Maugendre n’explique pas sa spécialisation juridique par sa biographie. «J’ai bien un grand-père breton, qui est monté à Paris !» Il ne pense pas non plus que l’engagement de ses parents – étudiants à l’Union des étudiants communistes au moment de sa naissance – ait été déterminant. «J’ai grandi sur ce terreau. Mais si j’avais voulu suivre leur voie, j’aurais fait médecine.»

Son autre spécialité est le droit pénal. Il dit : «Faire progresser le droit des étrangers, c’est faire progresser tous les autres droits.» Un exemple : «Le fichage des étrangers sert de laboratoire pour le fichier Edvige, où seront informatisées toutes les personnes qui ont un engagement.» De même, les tests ADN, présents dans la dernière loi sur le regroupement familial : «Accepter que la filiation de certains étrangers soit prouvée par le biologique, conditionne la banalisation de tels tests.»

Le Gisti, qui emploie huit salariés et un grand nombre de bénévoles, a été créé en 1972, par des juristes et des intervenants sociaux, pour donner des outils juridiques aux migrants et aux associations qui les défendent. L’autre activité principale est la permanence téléphonique et la réponse aux courriers. Lorsqu’en juin, le centres de rétention de Vincennes brûle, le Gisti se constitue partie civile, suite au décès d’un retenu toujours pas élucidé. Et demande une commission d’enquête pour comprendre «comment les bâtiments ont pu cramer si vite». Il explique : «Les centres de rétention ne dépendent pas de l’administration pénitentiaire et ne sont pas censés être des prisons. Au contraire, d’après les textes, les conditions d’accueil doivent être « hôtelières ». Or mutatis mutandis, on s’habitue à ce que les sans-papiers soient criminalisés. Cela dit, si une prison brûlait ainsi, l’opinion l’accepterait peut-être moins qu’elle ne l’a fait pour le CRA de Vincennes.»

Quand il a ouvert son cabinet en Seine-Saint-Denis en 1999, s’est posé un problème moral. Comment faire payer des conseils ou des constitutions de dossiers, activités bénévoles, si elles ont lieu au Gisti ? «J’ai réglé ce conflit interne en ne mélangeant jamais mes activités militantes et professionnelles, même si elles se ressemblent. Il aurait été insupportable que mon engagement soit une manière de ramasser des clients. Les dossiers au sein du Gisti ne sont jamais transférés dans mon cabinet. Ça peut parfois être mal compris lorsque je refuse de donner ma carte à la suite d’une conférence.»

Lorsque le Gisti finit par accepter de rencontrer Brice Hortefeux, en dépit de l’intitulé de son ministère, le ministre apostrophe l’avocat : «Vous prenez des notes ? Parce qu’avec votre look d’artiste, je pensais que vous me dessiniez.» Stéphane entend le double discours de celui qui parle de respect, tout en cherchant à humilier l’interlocuteur. Impossible d’établir la liste des problèmes : il faudrait expliquer «cette tendance lourde» et méconnue, qu’est l’externalisation des titres de séjour et qui rend très difficile le travail des soutiens et des avocats. Autre thème : «L’harmonisation européenne» qui laisse le champ libre pour retenir les clandestins jusqu’à dix-huit mois. «Or, plus le nombre de mois de rétention augmente, plus il y a de retenus, et plus prévisibles sont les catastrophes», remarque logiquement l’avocat. On évoque alors les «surprises» de cette année : «Je n’aurais jamais cru que je serais amené, dans le cadre de la défense des sans-papiers, à être l’avocat de patrons.» Un exemple parmi d’autres : «Un directeur emploie pour sa comptabilité une stagiaire étudiante étrangère, avec un titre de séjour étudiant. A la fin de ses études, elle devient clandestine. Or, il veut l’embaucher. Il est obligé d’entamer une procédure pour la faire régulariser.»

En vacances, il parvient à ne regarder ses mails que deux fois par jour. Adolescent, étudiant, il n’était pas un «foudre de travail». Il ne se serait jamais douté qu’adulte, il travaillerait autant et porterait «les problèmes des autres». Il a les siens. La belle maison a été achetée après les morts successives de proches. «On s’est posé entre des murs solides.»

⇒ Voir l’article

⇒ Voir la photo

Vincennes, les feux de la honte

Le centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, qui a brûlé le 22 juin, était en proie à une violence permanente : début d’incendie, automutilation, suicides. Pourquoi les conditions de rétention des sans-papiers sont-elles devenues inacceptables ? Analyse de Stéphane Maugendre, avocat.

« Réunir 280 personnes dans des conditions aussi mauvaises et pour des durées aussi longues ne peut conduire qu’à des gestes désespérés. Les centres de rétention ne dépendent pas de l’administration judiciaire et ne sont pas censés être des prisons. Les textes prévoient au contraire des conditions d’accueil dites “hôtelières”. Pourtant, on s’habitue à ce que les sans-papiers soient criminalisés et que ces lieux soient de fait des lieux de détention. Les incendies du CRA de Vincennes ont été déclenchés après la mort non élucidée d’un Tunisien de 41 ans. Mais aussi juste après que le Parlement européen eut voté une directive visant à “harmoniser le retour” des immigrés en situation irrégulière et allongeant à dix-huit mois la durée possible de rétention. “Harmonie” et “retour” sont de jolis mots qui cachent la violence de l’expulsion. Désormais, un sans-papiers dont le seul délit est d’avoir cherché un asile en France pourra donc rester jusqu’à dix-huit mois dans un centre de rétention. »

⇒ Voir l’article

« En rétention, l’explosion était inéluctable »

Accueil, Entretien réalisé par Alexandre Fache, 24/06/ 2008

Pour l’avocat Stéphane Maugendre, nouveau président du GISTI, c’est la politique d’expulsions massives du gouvernement qui est à l’origine de l’incendie de Vincennes. Avocat au barreau de la Seine-Saint-Denis, Stéphane Maugendre, quarante-sept ans, a succédé, le 17 mai dernier, à Nathalie Ferré à la présidence du Groupe d’information et de soutien aux immigrés.
Comment réagissez-vous à la destruction du centre de Vincennes ?
Stéphane Maugendre. Il ne faut pas s’étonner que ce genre de choses arrive. Les retenus sont de plus en plus nombreux, et leur durée de rétention ne cesse de s’allonger. La politique gouvernementale dans ce domaine est tout entière consacrée à un seul objectif : faire du chiffre, ce que les policiers eux-mêmes confirment et parfois regrettent. Les centres sont surchargés, ils accueillent des gens de plus en plus désespérés, dans des conditions de « cohabitation » avec les services de police très tendues, ce qui ne va pas sans certaines exactions, répertoriées par les rapports de la CIMADE, du commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe ou encore des parlementaires qui se rendent à l’intérieur de ces centres. L’explosion était donc inéluctable. Le décès de ce retenu tunisien, dans des conditions qui restent à préciser, a été l’élément déclencheur.
La situation était particulièrement difficile à Vincennes…
Stéphane Maugendre. Tous les témoignages évoquaient en effet dans ce centre des conditions indignes de la République. D’autant que la rétention, théoriquement, ce n’est pas la prison. Les retenus sont censés être accueillis dans des conditions « hôtelières ». On en était loin ! Et cela ne va pas s’améliorer : l’Europe vient d’adopter la fameuse directive retour, qui permet de prolonger une rétention jusqu’à dix-huit mois, et ce avec femmes et enfants. Nous sommes face à une spirale délirante qui ne fera qu’augmenter l’occurrence de ce genre de drame. Pour les éviter, une seule solution : fermer tous ces centres.
Le gouvernement ne semble pas aller dans ce sens, le ministre se félicitant de la hausse spectaculaire des expulsions…
Stéphane Maugendre. Cette politique de reconduites massives à la frontière est totalement illusoire. Si aujourd’hui, hypothèse d’école, l’immigration clandestine s’arrêtait totalement, plus de dix ans seraient nécessaires pour reconduire toutes les personnes en situation irrégulière. On cultive donc une gigantesque illusion. D’autant que les arrivées illégales sur le territoire se poursuivront, que ce soit pour des raisons climatiques, politiques ou économiques.
Voilà vingt ans que vous exercez en tant qu’avocat, auprès des sans-papiers. Que peut le droit face à cette politique ?
Stéphane Maugendre. Tous les jours, nous essayons, avec d’autres avocats, de trouver des failles dans les procédures, de mettre en avant de nouveaux instruments pour que le droit des gens soit respecté au mieux. Mais, c’est vrai, la législation ne cesse de se durcir. Les conditions pour prendre un arrêté de reconduite à la frontière s’élargissent, la période de rétention administrative s’allonge, les accords dits « de réadmission », qui raccourcissent les délais et compliquent les possibilités de recours, ne facilitent pas les remises en liberté… C’est un combat permanent, duquel on ne sort pas toujours vainqueur.
Un dernier mot : l’UMP menace de poursuites le collectif RESF, l’accusant d’être en partie responsable de l’incendie du centre de Vincennes…
Stéphane Maugendre. Ces propos sont totalement irresponsables. Les associations, RESF ou d’autres, sont là pour défendre les gens, au quotidien, elles ne les poussent en aucune manière à mettre le feu aux centres de rétention, aussi inhumains soient-ils. La responsabilité d’un événement comme celui de ce week-end, de ce geste de désespoir, est d’abord et avant tout celle du gouvernement, qui a fait de l’expulsion le leitmotiv de sa politique d’immigration.

La directive de la honte

newlogohumanitefr-20140407-434 Annie Demont, 17/06/2008

Une délégation du RESF se rendra au parlement européen de Strasbourg à l’invitation du député André Laignel à l’occasion du scrutin sur la directive européenne dite du Retour.

Ce texte, s’il est adopté, risque d’aggraver considérablement les conditions d’arrestation, d’emprisonnement et d’expulsion des étrangers sans papiers en Europe sous prétexte de les harmoniser.

Cette délégation, composée de militants d’Ile de France et strasbourgeois sera reçue par M. André Laignel avant d’assister au vote afin de montrer symboliquement à l’ensemble des députés que des membres de la société les regardent et attendent d’eux qu’ils votent des textes respectueux des droits de l’homme et de ceux des enfants. Ce qui n’est en aucune façon le cas du texte soumis demain au parlement européen. L’ensemble des députés européens ont reçu par mail le texte de la tribune signée de Gérard Aschiéri, secrétaure général de la FSU, Francine Blanche, secrétaire confédérale de la CGT, Laurent Cantet, cinéaste, Marc Peschanski, Directeur de recherche INSERM et Aminata Traore, Écrivain et ancien ministre du Mali.

Ces personnalités condamnaient le projet de directive Retour. Elles ont été depuis lors rejointes par plusieurs dizaines de personnalités parmi lesquelles Danièle Mitterrand, Jorge Semprun, Josiane Balasko, Ariane Mnouchkine, Nancy Houston, Olivier Lecour Grand Maison, Cali.

Sans-papiers : la responsabilité de l’Europe _ Le projet de directive européenne  » retour  » qui se prépare est scandaleux}2}|] _ _ Mercredi 18 juin sera soumis à l’approbation du Parlement européen le projet de directive dite  » retour  » visant à harmoniser les conditions dans lesquelles les migrants irréguliers sur le territoire de l’Union européenne doivent être détenus et  » reconduits « . _ _ Il apparaît avant toute chose nécessaire de rappeler la réalité que recouvre l’expression pudique de  » retour « . L’expulsion est une violence qui multiplie les uns par les autres les traumatismes de l’arrestation inopinée, de l’emprisonnement, de la perte de son logement, d’une perte d’emploi, de la spoliation de la totalité de ses biens, parfois de la séparation brutale de son conjoint et de ses enfants, de la dislocation de tout lien avec son milieu et d’une reconduite contrainte, éventuellement assortie de violences. _ _ C’est une humiliation dont on ne se remet pas. Le pays dans lequel on avait placé l’espoir d’une existence nouvelle, qu’on avait parfois bataillé des années pour rejoindre, vous rejette, vous expulse et vous dépose sans bagage sur un Tarmac où personne ne vous attend. _ _ Même quand les expulsés ont des proches au pays, la honte les empêche parfois de les rejoindre : celui qui faisait vivre toute une famille est devenu une charge. Nombre d’expulsés finissent désespérés, désocialisés, à la rue… Il faut que ceux qui votent la loi le sachent. _ _ Le projet de directive européenne soumis aux parlementaires reflète en partie la brutalité du sort réservé aux sans-papiers : jusqu’à dix-huit mois d’internement pour le seul fait d’avoir franchi des frontières et de vouloir vivre en Europe ; rétention et expulsion de mineurs et de personnes vulnérables (femmes enceintes, personnes âgées, victimes de torture…) ; possibilité d’expulser des personnes vers un pays de transit, même en l’absence de lien avec ce pays ; interdiction de retour sur le territoire européen pour une durée de cinq ans de ceux ayant été expulsés ; absence d’obligation de fournir un titre de séjour aux étrangers souffrant de maladies graves ; application aux mineurs isolés de l’ensemble de ces mesures. _ _ {{UN RÉGIME D’EXCEPTION}} _ _ Officiellement, le projet de directive  » retour  » vise à encadrer les conditions de rétention et à en limiter la durée dans ceux des pays européens dont la législation tolère un internement théoriquement indéfini. Nous craignons qu’elle devienne la norme européenne sur laquelle vont être tentés de s’aligner tous les pays de l’Union. Pour preuve, l’Espagne vient d’annoncer le passage de sa durée maximale de rétention de trente à quarante jours et l’Italie de deux à dix-huit mois ! Si elles étaient adoptées, les dispositions du projet de directive  » retour  » placeraient les étrangers en situation irrégulière, même mineurs, sous un régime d’exception : internement à la discrétion du pouvoir, faiblesse des droits de la défense, bannissement. Comment concevoir qu’une institution censée incarner la démocratie à l’échelle de l’Union européenne envisage d’infliger un tel traitement à une fraction de sa population ? _ _ Davantage encore que chacun des Parlements nationaux des Etats de l’Union, le Parlement européen a une responsabilité devant l’histoire. Du fait de son existence récente, il n’a pas été mêlé aux déchirements et aux tyrannies du passé européen. Il incarne au contraire un certain idéal, en rupture avec les conflits et les dictatures qui ont trop souvent marqué l’Europe. Sous peine de disqualifier son institution, le Parlement ne doit pas adopter ce projet de directive.

Villepinte : une marche contre les « violences policières »

index Luc Bronner, 31/05/2008

A Villepinte, en Seine-Saint-Denis, dans le quartier de la Fontaine-Mallet, les murs délabrés témoignent de la permanence des tensions entre habitants et policiers. Des « nique la police » récents voisinent avec des tags similaires, à moitié effacés, issus des générations précédentes. Une colère qui a pris la forme d’une marche vers le commissariat de police, samedi 31 mai : soutenus par des associations locales et nationales, dont le MIB et les Indigènes de la République, plusieurs dizaines de jeunes de la cité ont manifesté pour réclamer l’arrêt des « brutalités policières”.
Un incident survenu le 8 mai est à l’origine de cette mobilisation. Lamba Soukouna, 29 ans, affirme que cette nuit-là des policiers l’ont frappé avec la crosse d’un flash-bail puis à coups de pieds, occasionnant six jours d’interruption temporaire de travail (ITT). Lejeune homme, décrit comme très calme » et « respecté » par le premier adjoint au maire (PS), Christophe Borgel, a déposé plainte devant l’inspection générale des services (IGS), la »police des polices ».

Selon ses déclarations, Lamba Soukouna, qui souffre de la drépanocytose, une maladie génétique grave, rentrait chez lui lorsque des policiers seraient arrivés en courant, dispersant le groupe de jeunes au pied de son immeuble – scène que confirment plusieurs témoins. « Dans le hall, ils m’ont attrapé par le bras et jeté contre le mur, raconte-t-il. Puis ils m’ont donné des coups de crosse sur la tête, et je suis tombé par terre. Ils ont continué avec des coups de pied. J’ai crié, mais ils m’ont dit « ferme ta gueule ». » Les policiers l’auraient ensuite laissé partir.

Le visage en sang, accompagné d’un proche, Lamba Soukouna se serait rendu à la gendarmerie pour déposer plainte. Sur la route, il aurait croisé les mêmes policiers, en intervention sur un accident, et se serait arrêté pour essayer de les identifier. Selon lui, ils l’auraient alors interpellé pour éviter le dépôt de plainte.

Cette version est contestée par la police. Selon le parquet de Bobigny, les policiers ont en effet expliqué avoir été pris à partie par Lamba Soukouna, qui aurait ensuite résisté à l’interpellation. Ses blessures, notamment une plaie au front, s’expliqueraient par le fait qu’il ait tenté de se débattre. Les policiers l’ont placé en garde à vue pour « outrages », « menaces » et « rébellion ».

La thèse est jugée peu crédible par l’avocat du plaignant, Me Stéphane Maugendre, qui insiste sur son état de santé précaire. Régulièrement hospitalisé – près d’une trentaine de fois sur les trois dernières années -, le jeune homme pèse moins de 50 kg pour 1,78 m. A cause d’opérations à la hanche, il ne peut pas courir et se déplace difficilement.

Le quartier de la Fontaine-Mallet est décrit comme « sensible » par les policiers. Le 24 avril, un véhicule de police avait été la cible d’une embuscade provoquée par une vingtaine de jeunes cagoulés. Des pavés avaient été jetés sur le pare-brise, blessant sérieusement au visage le conducteur. Selon une source policière, celui-ci s’est vu reconnaître quinze jours d’ITT.

⇒ Voir l’article

Le travail social et les délits d’aide au séjour irrégulier

Par Stéphane MAUGENDRE, 28/05/2008, journée de réflexion de l’Anas, le Gisti et le Journal du droit des jeunes sur le thème :  « Travail social et contrôle de l’immigration ».

I) Les textes applicables :

  • Les articles L. 622-1 à L 622-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA)
  • La directive n° 2002/90/CE du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irrégulier (Journal Officiel des communautés européennes 5 Décembre 2002),
  • La décision-cadre n° 2002/946/JAI du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2002 visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers (Journal Officiel des communautés européennes 5 Décembre 2002),
  • Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adopté à New York le 15 novembre 2000 et signé par la France le 12 décembre 2000 (publié D. n° 2004-446, 19 mai 2004 : Journal Officiel 27 Mai 2004).

II) Bref historique

L’article L. 622-1 du CESEDA reprend les termes de l’article 21 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

Les textes relatifs aux délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de l’étranger en situation irrégulière avaient déjà modifiés auparavant à de nombreuses reprises, dans le sens d’une répression de plus en plus sévère, au prétexte de l’impérieuse nécessité de lutter contre les filières d’immigration clandestine.

Depuis le début des années 2000, notre droit national commence à intégrer le droit européen et international.

L’évolution a aussi conduit à l’autonomisation des délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier. En effet, en droit pénal français, l’aide apportée à la commission d’un délit est répréhensible et punissable par le biais de la complicité (articles 121-6 et 121-7 du Code Pénal). Toutefois la répression de la complicité nécessite l’existence de certains éléments constitutifs (exemple l’existence d’une infraction principale punissable), ce qui limite les possibilités de poursuite et de répression. C’est pourquoi le législateur, sous l’impulsion du pouvoir exécutif, a « autonomisé » les délits d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers. Ceci permet de poursuivre la complicité indirecte, la tentative de complicité, la tentative de complicité indirecte, en bref, toute personne en relation avec un sans papier.

Dernier aspect de l’évolution  : la sévérité croissante de peines sanctionnant ces délits.

III) EN QUOI CONSISTE CE DÉLIT ?

L’article L. 622-1 du CESEDA dispose :

Sera puni des mêmes peines celui qui, quelle que soit sa nationalité, aura commis le délit défini au premier alinéa du présent article alors qu’il se trouvait sur le territoire d’un État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 autre que la France.

Sera puni des mêmes peines celui qui aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger sur le territoire d’un autre État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990.

Sera puni de mêmes peines celui qui aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000.

Les dispositions du précédent alinéa sont applicables en France à compter de la date de publication au Journal officiel de la République française de ce protocole. »

  • Il s’agit d’abord d’une aide apportée à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier.

L’entrée correspond au passage de la frontière, au fait de pénétrer sur le territoire d’un Etat.

La circulation et le séjour correspondent à des notions particulièrement larges qui vont d’un simple passage sur le territoire à une résidence habituelle.

Cette entrée, cette circulation ou ce séjour doit être irrégulier.

  • Il s’agit ensuite d’une aide

On peut aider de différentes façons.

  1. L’aide active

C’est le cas lorsque l’on fournit à l’étranger en situation irrégulière des moyens pour circuler ou séjourner sur le territoire.

Quelques exemples :

  • servir de prête-nom,
  • fournir un hébergement ou un logement,
  • fournir des documents administratifs falsifiés,
  • rétention de documents

L’aide par omission

Les seuls exemples de condamnations connus concernent des personnes qui se sont abstenues de fournir les documents ou les renseignements afin qu’une personne puisse obtenir sa régularisation. Il n’existe pas de cas de condamnation pour des comportements purement passifs.

L’aide « morale »

La question s’est posée de savoir si la signature d’une pétition de soutien aux étrangers en situation irrégulière entrait dans le champ répressif de l’article L. 622-1 du CESEDA.

Le ministère de l’Intérieur à une question écrite à l’Assemblée Nationale a répondu que « la signature de pétitions, manifestation de la liberté d’expression, ne saurait être assimilée à une aide directe, voire matérielle, à l’entrée ou au séjour irréguliers de ressortissants étrangers » (Rép. min. n° 38181 : JOAN Q, 16 sept. 1996, p. 4946).

Où doit-on aider pour être poursuivi?

Pour mémoire, il convient de rappeler que le fait d’aider en France l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France, sur le territoire d’un autre État partie, soit à la Convention de Schengen (signée à Schengen le 19 juin 1990), soit au Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, est passible des poursuites pénales de l’article L. 622-1 du CESEDA.

L’aide doit être intentionnelle

La personne poursuivie doit avoir aidé en connaissance de cause, elle doit avoir agit sciemment. C’est-à-dire que la personne sache qu’il est interdit d’aider un étranger en situation irrégulière à entrer, circuler ou séjourner en France et que cette aide doit être volontaire.

Il s’agit là de l’application d’un principe général du droit pénal français (il n’y a point de délit sans intention de le commettre, article 121-7 du Code Pénal) repris par le premier article de la directive du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2002.

L’aide doit-elle être nécessairement lucrative ?

En droit on appelle cela l’animus lucri.

A la lecture de l’alinéa 1er de l’article L. 622-1 du CESEDA, il semble que la simple aide directe ou indirecte pour faciliter ou tenter de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger suffise à la poursuite et à la condamnation.

Le CESEDA exclut donc des éléments constitutifs de cette infraction le caractère lucratif ou gratuit de l’aide.

Toutefois le droit européen (Convention de Schengen du 19 juin 1990 et directive n° 2002/90/CE du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2002) invitent les États partis à la Convention ou les États membres de l’UE à instaurer des sanctions appropriées à l’encontre de quiconque aide ou tente d’aider, « à des fins lucratives » ou « dans un but lucratif », un étranger à pénétrer ou à séjourner sur le territoire d’une Partie contractante en violation de la législation de cette Partie contractante.

Ainsi, a contrario, il ne devrait pas y avoir de sanction pour l’aide à des fins non lucratives.

L’exclusion de cet élément constitutif de l’infraction et la non transposition dans le droit français de cette notion de droit européen trouvent leur fallacieux prétexte dans le fait que cela empêcherait de « poursuivre des agissements qui relèveraient par exemple de l’infiltration en France d’éléments appartenant à des réseaux d’islamistes, terroristes ou d’espionnage » et que toute « exception … risquerait d’en atténuer la portée ou d’en restreindre l’efficacité » (Th. Mariani),

L’absence de cet élément dans le droit français rend donc possible la poursuite du délit à l’aide apportée à des fins humanitaires.

IV) EXISTE-T-IL DES IMMUNITES ?

L’article L. 622-4 du CESEDA dispose :

Sans préjudice des articles L. 621-1, L. 621-2, L. 623-1, L. 623-2 et L. 623-3, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait :

1° Des ascendants ou descendants de l’étranger, de leur conjoint, des frères et soeurs de l’étranger ou de leur conjoint, sauf si les époux sont séparés de corps, ont un domicile distinct ou ont été autorisés à résider séparément;

2° Du conjoint de l’étranger, sauf si les époux sont séparés de corps, ont été autorisés à résider séparément ou si la communauté de vie a cessé, ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;

3° De toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte.

La question des immunités familiales (1° et 2°) n’entre pas vraiment dans le champ de cette étude.

On peut rappeler que lors du vote de la Loi Chevènement (1998) un amendement de dernière minute avait été introduit dans le projet de loi créant une immunité pour les associations à but non lucratif à vocation humanitaire, dont la liste devait être fixée par arrêté du ministre de l’Intérieur, et aux fondations, lorsqu’elles apportaient, conformément à leur objet, aide et assistance à un étranger séjournant irrégulièrement en France. Les associations de défense des étrangers s’étaient unanimement opposées à cet amendement et, à juste titre, le Conseil Constitutionnel par une décision en date du 5 mai 1998 avait censuré cette disposition qui conférait au ministre de l’intérieur un pouvoir exorbitant.

Les dispositions du 3°, qui nous concernent plus directement, ont pour but d’édicter une immunité à l’égard des personnes qui portent secours ou assistent un étranger en situation irrégulière dont l’intégrité physique ou morale est menacée.

Mais pour bénéficier de cette immunité, il faut

que le danger :

  • menace la vie ou l’intégrité physique de l’étranger en situation irrégulière.
  • soit réel ou vraisemblable,
  • soit injuste, c’est-à-dire contraire aux règles de droit, à la loi.

et que l’aide soit :

  • nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger,
  • proportionnée à la gravité de la menace,

Ainsi, l’absence dans le droit français de l’animus lucri qui rend possible la poursuite du délit à l’aide apportée à des fins humanitaires et les difficultés à remplir les conditions des immunités ne sont pas très encourageantes pour le travail social. Toutefois, il convient de rappeler quelques éléments de droit qui permettent d’affirmer que toute poursuite devra être écartée à l’égard des travailleurs sociaux.

1) Premièrement, il existe l’article 122-7 du Code pénal, sur l’état de nécessité.

2) Deuxièmement, à propos du délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée le Conseil Constitutionnel a affirmé qu’il ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers (Décision du 2 mars 2004). Ce raisonnement doit s’appliquer aussi aux travailleurs sociaux.

3) Troisièmement, à propos des immunités visées à l’article L. 622-4 du CESEDA le Conseil Constitutionnel a affirmé que cette immunité jouerait lorsque « lorsque la personne morale en cause est une association à but non lucratif et à vocation humanitaire ou une fondation apportant, conformément à leur objet, aide et assistance aux étrangers » (Décision du 5 mai 1998). Ce raisonnement doit s’appliquer aussi aux travailleurs sociaux.

4) Quatrièmement, dans cette même décision du 5 mai 1998, le Conseil Constitutionnel a rappelé, quant à l’application du principe de l’interprétation stricte du droit pénal, que lorsque  » l’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier a été apportée par une personne morale, et plus particulièrement par une association ou une fondation, si celle-ci a agi dans un but désintéressé, … elle doit bénéficier de l’immunité pénale (…) » (F. Julien-Laferrière). Ce raisonnement doit s’appliquer aussi aux travailleurs sociaux.

5) Enfin, il faut affirmer haut et fort que :

  • l’article 1er, paragraphe 2, de la directive n° 2002/90/CE du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2002 autorise les États membres à ne pas édicter de sanction au titre de l’aide à l’entrée et au transit « dans le cas où ce comportement a pour but d’apporter une aide humanitaire à la personne concernée » incitant ainsi à une véritable immunité,
  • l’article 1er, b) de cette même directive invite les États membres de l’UE à adopter des sanctions appropriées « à l’encontre de quiconque aide sciemment, dans un but lucratif, une personne non ressortissante d’un État membre à séjourner sur le territoire d’un État membre en violation de la législation de cet État relative au séjour des étrangers », excluant ainsi toute sanction pour l’aide à des fins non lucratives.
  • l’article 27, paragraphe 1, de la Convention de Schengen du 19 juin 1990 prévoit que « Les parties contractantes s’engagent à instaurer des sanctions appropriées à l’encontre de quiconque aide ou tente d’aider, à des fins lucratives, un étranger à pénétrer ou à séjourner sur le territoire d’une Partie contractante en violation de la législation de cette Partie contractante relative à l’entrée et au séjour des étrangers » excluant ainsi toute sanction pour l’aide à des fins non lucratives,

V) Quelles sont les peines encourues ?

 Les peines encourues par les personnes physiques sont :

A titre principal, cinq années d’emprisonnement et 30 000 € d’amende et de dix années et 750 000 € d’amende à en cas de circonstance aggravante (voir l’article L. 622-5 du CESEDA)

A titre complémentaire, (voir l’article L. 622-3 du CESEDA) :

  • l’interdiction de séjour pour une durée de cinq ans au plus,
  • la suspension, pour une durée de cinq ans au plus, du permis de conduire,
  • le retrait temporaire ou définitif de l’autorisation administrative d’exploiter soit des services occasionnels à la place ou collectifs, soit un service régulier, ou un service de navettes de transports internationaux,
  • la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction, notamment tout moyen de transport ou équipement terrestre, fluvial, maritime ou aérien, ou de la chose qui en est le produit,
  • l’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise,
  • l’interdiction du territoire français pour une durée de dix ans au plus dans les conditions prévues par les articles 131-30 à 131-30-2 du Code pénal.

Et en cas de circonstance aggravante (Voir les articles L. 622-6 et L 622-7 du CESEDA) les Peines complémentaires supplémentaires sont les suivantes :

  • La confiscation de tout ou partie des biens du condamné, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis,
  • l’interdiction définitive du territoire français, dans les conditions prévues par les articles 131-30 à 131-30-2 du Code pénal.
Pour aller plus loin
Délit d'humanité : Plein droit 1995, n° 27
Juris Classeur Pénal Annexes fascicule N° 40
Dictionnaire permanent Droit des étrangers, fascicule Infractions à la législation des étrangers.
Mercuzot, L'article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 : un défi aux fondements du droit : D. 1995, chron. p. 249 ; 
Julien-Laferrière Les dispositions répressives de la loi du 26 novembre 2003 : AJP 2004, n° 3, p. 96
Lochak La loi sur la maîtrise de l'immigration : analyse critique, in Immigration, intégration : Regard sur l'actualité 2004, n° 299, p. 18