Le travail social et les délits d’aide au séjour irrégulier

Par Stéphane MAUGENDRE, 28/05/2008, journée de réflexion de l’Anas, le Gisti et le Journal du droit des jeunes sur le thème :  « Travail social et contrôle de l’immigration ».

I) Les textes applicables :

  • Les articles L. 622-1 à L 622-7 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA)
  • La directive n° 2002/90/CE du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irrégulier (Journal Officiel des communautés européennes 5 Décembre 2002),
  • La décision-cadre n° 2002/946/JAI du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2002 visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers (Journal Officiel des communautés européennes 5 Décembre 2002),
  • Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adopté à New York le 15 novembre 2000 et signé par la France le 12 décembre 2000 (publié D. n° 2004-446, 19 mai 2004 : Journal Officiel 27 Mai 2004).

II) Bref historique

L’article L. 622-1 du CESEDA reprend les termes de l’article 21 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

Les textes relatifs aux délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de l’étranger en situation irrégulière avaient déjà modifiés auparavant à de nombreuses reprises, dans le sens d’une répression de plus en plus sévère, au prétexte de l’impérieuse nécessité de lutter contre les filières d’immigration clandestine.

Depuis le début des années 2000, notre droit national commence à intégrer le droit européen et international.

L’évolution a aussi conduit à l’autonomisation des délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier. En effet, en droit pénal français, l’aide apportée à la commission d’un délit est répréhensible et punissable par le biais de la complicité (articles 121-6 et 121-7 du Code Pénal). Toutefois la répression de la complicité nécessite l’existence de certains éléments constitutifs (exemple l’existence d’une infraction principale punissable), ce qui limite les possibilités de poursuite et de répression. C’est pourquoi le législateur, sous l’impulsion du pouvoir exécutif, a « autonomisé » les délits d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers. Ceci permet de poursuivre la complicité indirecte, la tentative de complicité, la tentative de complicité indirecte, en bref, toute personne en relation avec un sans papier.

Dernier aspect de l’évolution  : la sévérité croissante de peines sanctionnant ces délits.

III) EN QUOI CONSISTE CE DÉLIT ?

L’article L. 622-1 du CESEDA dispose :

Sera puni des mêmes peines celui qui, quelle que soit sa nationalité, aura commis le délit défini au premier alinéa du présent article alors qu’il se trouvait sur le territoire d’un État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 autre que la France.

Sera puni des mêmes peines celui qui aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger sur le territoire d’un autre État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990.

Sera puni de mêmes peines celui qui aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000.

Les dispositions du précédent alinéa sont applicables en France à compter de la date de publication au Journal officiel de la République française de ce protocole. »

  • Il s’agit d’abord d’une aide apportée à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier.

L’entrée correspond au passage de la frontière, au fait de pénétrer sur le territoire d’un Etat.

La circulation et le séjour correspondent à des notions particulièrement larges qui vont d’un simple passage sur le territoire à une résidence habituelle.

Cette entrée, cette circulation ou ce séjour doit être irrégulier.

  • Il s’agit ensuite d’une aide

On peut aider de différentes façons.

  1. L’aide active

C’est le cas lorsque l’on fournit à l’étranger en situation irrégulière des moyens pour circuler ou séjourner sur le territoire.

Quelques exemples :

  • servir de prête-nom,
  • fournir un hébergement ou un logement,
  • fournir des documents administratifs falsifiés,
  • rétention de documents

L’aide par omission

Les seuls exemples de condamnations connus concernent des personnes qui se sont abstenues de fournir les documents ou les renseignements afin qu’une personne puisse obtenir sa régularisation. Il n’existe pas de cas de condamnation pour des comportements purement passifs.

L’aide « morale »

La question s’est posée de savoir si la signature d’une pétition de soutien aux étrangers en situation irrégulière entrait dans le champ répressif de l’article L. 622-1 du CESEDA.

Le ministère de l’Intérieur à une question écrite à l’Assemblée Nationale a répondu que « la signature de pétitions, manifestation de la liberté d’expression, ne saurait être assimilée à une aide directe, voire matérielle, à l’entrée ou au séjour irréguliers de ressortissants étrangers » (Rép. min. n° 38181 : JOAN Q, 16 sept. 1996, p. 4946).

Où doit-on aider pour être poursuivi?

Pour mémoire, il convient de rappeler que le fait d’aider en France l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France, sur le territoire d’un autre État partie, soit à la Convention de Schengen (signée à Schengen le 19 juin 1990), soit au Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, est passible des poursuites pénales de l’article L. 622-1 du CESEDA.

L’aide doit être intentionnelle

La personne poursuivie doit avoir aidé en connaissance de cause, elle doit avoir agit sciemment. C’est-à-dire que la personne sache qu’il est interdit d’aider un étranger en situation irrégulière à entrer, circuler ou séjourner en France et que cette aide doit être volontaire.

Il s’agit là de l’application d’un principe général du droit pénal français (il n’y a point de délit sans intention de le commettre, article 121-7 du Code Pénal) repris par le premier article de la directive du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2002.

L’aide doit-elle être nécessairement lucrative ?

En droit on appelle cela l’animus lucri.

A la lecture de l’alinéa 1er de l’article L. 622-1 du CESEDA, il semble que la simple aide directe ou indirecte pour faciliter ou tenter de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger suffise à la poursuite et à la condamnation.

Le CESEDA exclut donc des éléments constitutifs de cette infraction le caractère lucratif ou gratuit de l’aide.

Toutefois le droit européen (Convention de Schengen du 19 juin 1990 et directive n° 2002/90/CE du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2002) invitent les États partis à la Convention ou les États membres de l’UE à instaurer des sanctions appropriées à l’encontre de quiconque aide ou tente d’aider, « à des fins lucratives » ou « dans un but lucratif », un étranger à pénétrer ou à séjourner sur le territoire d’une Partie contractante en violation de la législation de cette Partie contractante.

Ainsi, a contrario, il ne devrait pas y avoir de sanction pour l’aide à des fins non lucratives.

L’exclusion de cet élément constitutif de l’infraction et la non transposition dans le droit français de cette notion de droit européen trouvent leur fallacieux prétexte dans le fait que cela empêcherait de « poursuivre des agissements qui relèveraient par exemple de l’infiltration en France d’éléments appartenant à des réseaux d’islamistes, terroristes ou d’espionnage » et que toute « exception … risquerait d’en atténuer la portée ou d’en restreindre l’efficacité » (Th. Mariani),

L’absence de cet élément dans le droit français rend donc possible la poursuite du délit à l’aide apportée à des fins humanitaires.

IV) EXISTE-T-IL DES IMMUNITES ?

L’article L. 622-4 du CESEDA dispose :

Sans préjudice des articles L. 621-1, L. 621-2, L. 623-1, L. 623-2 et L. 623-3, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait :

1° Des ascendants ou descendants de l’étranger, de leur conjoint, des frères et soeurs de l’étranger ou de leur conjoint, sauf si les époux sont séparés de corps, ont un domicile distinct ou ont été autorisés à résider séparément;

2° Du conjoint de l’étranger, sauf si les époux sont séparés de corps, ont été autorisés à résider séparément ou si la communauté de vie a cessé, ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;

3° De toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte.

La question des immunités familiales (1° et 2°) n’entre pas vraiment dans le champ de cette étude.

On peut rappeler que lors du vote de la Loi Chevènement (1998) un amendement de dernière minute avait été introduit dans le projet de loi créant une immunité pour les associations à but non lucratif à vocation humanitaire, dont la liste devait être fixée par arrêté du ministre de l’Intérieur, et aux fondations, lorsqu’elles apportaient, conformément à leur objet, aide et assistance à un étranger séjournant irrégulièrement en France. Les associations de défense des étrangers s’étaient unanimement opposées à cet amendement et, à juste titre, le Conseil Constitutionnel par une décision en date du 5 mai 1998 avait censuré cette disposition qui conférait au ministre de l’intérieur un pouvoir exorbitant.

Les dispositions du 3°, qui nous concernent plus directement, ont pour but d’édicter une immunité à l’égard des personnes qui portent secours ou assistent un étranger en situation irrégulière dont l’intégrité physique ou morale est menacée.

Mais pour bénéficier de cette immunité, il faut

que le danger :

  • menace la vie ou l’intégrité physique de l’étranger en situation irrégulière.
  • soit réel ou vraisemblable,
  • soit injuste, c’est-à-dire contraire aux règles de droit, à la loi.

et que l’aide soit :

  • nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger,
  • proportionnée à la gravité de la menace,

Ainsi, l’absence dans le droit français de l’animus lucri qui rend possible la poursuite du délit à l’aide apportée à des fins humanitaires et les difficultés à remplir les conditions des immunités ne sont pas très encourageantes pour le travail social. Toutefois, il convient de rappeler quelques éléments de droit qui permettent d’affirmer que toute poursuite devra être écartée à l’égard des travailleurs sociaux.

1) Premièrement, il existe l’article 122-7 du Code pénal, sur l’état de nécessité.

2) Deuxièmement, à propos du délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée le Conseil Constitutionnel a affirmé qu’il ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers (Décision du 2 mars 2004). Ce raisonnement doit s’appliquer aussi aux travailleurs sociaux.

3) Troisièmement, à propos des immunités visées à l’article L. 622-4 du CESEDA le Conseil Constitutionnel a affirmé que cette immunité jouerait lorsque « lorsque la personne morale en cause est une association à but non lucratif et à vocation humanitaire ou une fondation apportant, conformément à leur objet, aide et assistance aux étrangers » (Décision du 5 mai 1998). Ce raisonnement doit s’appliquer aussi aux travailleurs sociaux.

4) Quatrièmement, dans cette même décision du 5 mai 1998, le Conseil Constitutionnel a rappelé, quant à l’application du principe de l’interprétation stricte du droit pénal, que lorsque  » l’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier a été apportée par une personne morale, et plus particulièrement par une association ou une fondation, si celle-ci a agi dans un but désintéressé, … elle doit bénéficier de l’immunité pénale (…) » (F. Julien-Laferrière). Ce raisonnement doit s’appliquer aussi aux travailleurs sociaux.

5) Enfin, il faut affirmer haut et fort que :

  • l’article 1er, paragraphe 2, de la directive n° 2002/90/CE du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2002 autorise les États membres à ne pas édicter de sanction au titre de l’aide à l’entrée et au transit « dans le cas où ce comportement a pour but d’apporter une aide humanitaire à la personne concernée » incitant ainsi à une véritable immunité,
  • l’article 1er, b) de cette même directive invite les États membres de l’UE à adopter des sanctions appropriées « à l’encontre de quiconque aide sciemment, dans un but lucratif, une personne non ressortissante d’un État membre à séjourner sur le territoire d’un État membre en violation de la législation de cet État relative au séjour des étrangers », excluant ainsi toute sanction pour l’aide à des fins non lucratives.
  • l’article 27, paragraphe 1, de la Convention de Schengen du 19 juin 1990 prévoit que « Les parties contractantes s’engagent à instaurer des sanctions appropriées à l’encontre de quiconque aide ou tente d’aider, à des fins lucratives, un étranger à pénétrer ou à séjourner sur le territoire d’une Partie contractante en violation de la législation de cette Partie contractante relative à l’entrée et au séjour des étrangers » excluant ainsi toute sanction pour l’aide à des fins non lucratives,

V) Quelles sont les peines encourues ?

 Les peines encourues par les personnes physiques sont :

A titre principal, cinq années d’emprisonnement et 30 000 € d’amende et de dix années et 750 000 € d’amende à en cas de circonstance aggravante (voir l’article L. 622-5 du CESEDA)

A titre complémentaire, (voir l’article L. 622-3 du CESEDA) :

  • l’interdiction de séjour pour une durée de cinq ans au plus,
  • la suspension, pour une durée de cinq ans au plus, du permis de conduire,
  • le retrait temporaire ou définitif de l’autorisation administrative d’exploiter soit des services occasionnels à la place ou collectifs, soit un service régulier, ou un service de navettes de transports internationaux,
  • la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction, notamment tout moyen de transport ou équipement terrestre, fluvial, maritime ou aérien, ou de la chose qui en est le produit,
  • l’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise,
  • l’interdiction du territoire français pour une durée de dix ans au plus dans les conditions prévues par les articles 131-30 à 131-30-2 du Code pénal.

Et en cas de circonstance aggravante (Voir les articles L. 622-6 et L 622-7 du CESEDA) les Peines complémentaires supplémentaires sont les suivantes :

  • La confiscation de tout ou partie des biens du condamné, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis,
  • l’interdiction définitive du territoire français, dans les conditions prévues par les articles 131-30 à 131-30-2 du Code pénal.
Pour aller plus loin
Délit d'humanité : Plein droit 1995, n° 27
Juris Classeur Pénal Annexes fascicule N° 40
Dictionnaire permanent Droit des étrangers, fascicule Infractions à la législation des étrangers.
Mercuzot, L'article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 : un défi aux fondements du droit : D. 1995, chron. p. 249 ; 
Julien-Laferrière Les dispositions répressives de la loi du 26 novembre 2003 : AJP 2004, n° 3, p. 96
Lochak La loi sur la maîtrise de l'immigration : analyse critique, in Immigration, intégration : Regard sur l'actualité 2004, n° 299, p. 18