Ils se tiennent tous les quatre face au juge, tête baissée et mains derrière le dos. Leur crime ? S’être opposés pacifiquement à l’expulsion de deux Maliens, le 27 février 2008, à bord du vol Paris-Casablanca de la Royal Air Maroc. À la barre, Raphaël Quenum raconte : « Un homme à terre hurlait. Un policier l’étranglait, un deuxième posait son genou sur sa poitrine et le troisième lui tenait les jambes. Un être humain ne mérite pas d’être ainsi malmené. » Les quatre passagers comparaissaient le 26 septembre devant le tribunal de Bobigny pour « provocation directe à la rébellion et entrave à la navigation d’un aéronef ». La procureure a requis quinze jours d’emprisonnement avec sursis et 500 euros d’amende. Le jugement est attendu demain.
Il ne fait pas bon, par les temps qui courent, s’opposer à la politique d’immigration du gouvernement. La répression frappe tous azimuts : les particuliers, comme ces quatre passagers de la Royal Air Maroc, ne sont que la partie visible d’une politique de plus en plus sévère à l’encontre des soutiens aux sans-papiers. En première ligne : les associations, qui s’opposent chaque jour à la politique du chiffre menée par Nicolas Sarkozy et son ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux.
Première étape : la décrédibilisation. Ou comment faire passer un vaste mouvement citoyen pour une agitation orchestrée par quelques dangereux gauchistes. En juin dernier, une note interne du ministère de la Justice évoque une « mouvance anarcho-autonome », qui s’exprimerait notamment « à l’occasion de manifestations de soutien (…) à des étrangers en situation irrégulière ». L’incendie du centre de rétention de Vincennes, le 22 juin, donne un coup d’accélérateur à ces allégations. Pour le gouvernement, les coupables sont tout trouvés. Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, accuse le Réseau Éducation sans frontières (RESF) de « provocations aux abords de ces centres, au risque de mettre en danger des étrangers retenus ». David Weiss, délégué national des Jeunes UMP, va plus loin, qualifiant RESF comme un « mouvement quasi terroriste » qui « pousse les gens à foutre le feu partout ». Jusqu’à présent, aucune plainte n’a été déposée contre le réseau. Mais ses militants restent sur le qui-vive. « On est dans la ligne de mire, indique Richard Moyon. On sait qu’on est attendu au tournant et qu’au moindre faux pas… »
poursuivi pour outrage à autorité publique
Une étape supplémentaire a toutefois déjà été franchie. À Rennes, Paris, Tours ou dans le Jura, les attaques judiciaires se multiplient. Pour Stéphane Maugendre, président du GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés) et avocat des trois militants de Rennes (lire ci-après), ces poursuites judiciaires restent au stade de l’intimidation, mais témoignent du franchissement d’une ligne jaune : « Après la création, en 2003, d’un « délit de solidarité » (1), on est passé à quelque chose de complètement nouveau. Les poursuites contre les associations existaient déjà, mais pas à ce niveau-là. Toute critique contre la politique d’immigration est désormais dans le collimateur du gouvernement. »
Ainsi, le gouvernement n’hésite pas à poursuivre les militants qui comparent les rafles de sans-papiers à celles menées contre les juifs pendant la dernière guerre. Dernier exemple en date : celui de Romain Dunand, trente-cinq ans, habitant du Jura, militant à RESF et à la CNT, qui se dit aujourd’hui un peu « dépassé » par les événements. En 2006, il participe à la campagne de soutien à Florimont Guimard, instituteur poursuivi en justice pour avoir empêché l’expulsion d’un père de famille sans papiers et de ses deux enfants. Mandaté par son syndicat, il écrit à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur : « Voilà donc Vichy qui revient : Pétain avait donc oublié ses chiens ! » Sentence rendue par la justice en février dernier : 800 euros d’amende et un euro de dommages et intérêts pour outrage à autorité publique. Romain Dunand a fait appel et sera rejugé le 22 octobre à Paris. « Ce sera le procès de la solidarité et de la liberté d’expression en général », assure le militant qui promet un procès politique. L’anthropologue Emmanuel Terray et Maurice Rajsfus, de l’Observatoire des libertés publiques, seront d’ailleurs appelés à la barre pour l’occasion.
Les militants risquent cinq ans de prison
Le procès politique, l’association SOS soutien aux sans-papiers s’en rapproche à grands pas. Ses accrochages avec le ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, ont été le feuilleton de l’été dernier. Résumé des épisodes précédents : le 2 août, alors qu’une poignée de militants manifestent devant le centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), le feu prend à l’intérieur. Trois jours après, le ministre annonce le dépôt d’une plainte contre SOS, accusée d’être à l’origine de l’incendie. Depuis, si l’avocat de l’association, Henri Braun, déclare n’avoir toujours aucune nouvelle de la fameuse plainte, le parquet de Bobigny a ouvert une enquête préliminaire pour « provocations, suivies d’effets, à commettre des dégradations dangereuses ». Les militants poursuivis risquent tout de même jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende…
Dernier épisode en date : le 24 septembre, trois membres de l’association et un sympathisant sont auditionnés. Le même jour, Muriel Elkolli, cinquante-deux ans, militante du Collectif de soutien aux demandeurs d’asile et aux sans-papiers de Tours, qui n’a pourtant pas mis les pieds au Mesnil-Amelot le 2 août, est également entendue. « Les deux gendarmes venus spécialement de Paris m’ont dit : « Vous trouvez pas que ça fait beaucoup ? La fermeture du CRA de Blois, la destruction de Vincennes et maintenant l’incendie au Mesnil-Amelot. » Ils nous considèrent comme des fous furieux qui mettons le feu et nous réunissons en secret. Mais la vraie cause de ces incendies, c’est leur politique d’enfermement des étrangers. »
Quant aux militants du comité des sans-papiers du Nord (CSP 59), ils doivent faire face à de nombreuses attaques depuis plusieurs mois. En décembre 2007, l’un d’entre eux est arrêté et mis en garde à vue trente-six heures sans qu’aucune plainte ne lui soit notifiée. Bis repetita en janvier, le même militant est gardé à vue vingt-quatre heures. Début février, c’est au tour de l’emblématique porte-parole du CSP 59, Roland Diagne, d’être convoqué à la brigade criminelle. On lui signifie alors que la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a porté plainte contre X suite à deux tracts jugés attentatoires à son honneur. Depuis : rien. « On n’a aucune nouvelle, proteste Roland Diagne. Si une plainte avait été déposée, au moins, on pourrait se défendre, mais là, ils nous arrêtent, nous relâchent… on ne peut rien faire. »
Première conséquence de ces multiples poursuites : la radicalisation du mouvement. « La multiplication des attaques crispe un certain nombre d’associations, analyse Stéphane Maugendre. Celles qui n’étaient pas forcément dans la contestation durcissent le ton. » Pour les plus optimistes, l’énergie dépensée par les pouvoirs publics pour tenter de réduire au silence les militants démontre l’efficacité de leur action. « Il existe une vraie évolution de l’opinion publique, note Richard Moyon de RESF. Il y a quelques années, il était impensable que des parents d’élèves se couchent sur la chaussée pour empêcher l’arrestation d’un père de famille. On prend des coups, c’est vrai, mais on en rend aussi… »
(1) {Le délit « d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’un étranger en situation irrégulière» est punie de 5 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende}.
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