Le président du groupe d’information et de soutien aux immigrés dénonce l' »absence totale de solidarité » de la France avec l’Italie qui fait face à un afflux important de migrants.
En accordant des permis de séjour temporaires à des milliers de Tunisiens arrivés sur son territoire, l’Italie ne respecterait pas « l’esprit » de la convention de l’espace Schengen sans frontières, selon Claude Guéant. A-t-il raison ?
– L’Italie ne viole ni le texte, ni l’esprit de la convention de Schengen. Celle-ci met en place un espace de libre circulation formé par tous les pays signataires et des règles communes pour le franchissement des frontières extérieures de cet espace. Au nom d’un principe de solidarité, chaque pays membre de Schengen doit faire respecter ces règles dans l’intérêt de tous les autres. Ce principe pèse beaucoup plus lourd pour les pays qui ont de nombreuses frontières extérieures à surveiller, comme l’Italie ou la Grèce. On notera au passage que ça ne gêne pas ceux qui n’en ont pas ou presque pas, comme la France ou la Belgique…
Mais Schengen dit aussi qu’un Etat a parfaitement le droit d’accorder le droit au séjour sur son territoire à qui il veut, même si cette personne est entrée sans visa. La France le fait parfois quand elle régularise des sans-papiers. Et, de fait, ce droit au séjour octroyé par un Etat à un étranger va faciliter sa circulation sur tout l’espace Schengen. Si l’Italie a décidé aujourd’hui d’user de cette faculté, c’est en quelque sorte « de bonne guerre », parce que la France, en affirmant haut et fort qu’elle n’accepterait pas de Tunisiens sur son sol, a fait preuve d’une absence totale de solidarité face à une situation exceptionnelle comme celle qui a suivi la révolution tunisienne. Une attitude partagée d’ailleurs par tous les Etats membres de l’Union européenne, dont le silence est criant… c’est vraiment chacun pour soi.
Claude Guéant a par ailleurs indiqué que la France allait renforcer ses contrôles. Craignez-vous une chasse aux migrants ?
– Cette chasse a déjà commencé. Depuis février, la police de Cannes a des consignes pour » interpeller les étrangers en situation illégale de nationalité tunisienne », ce qui incite clairement aux contrôles au faciès. Avant même la circulaire du ministère de l’intérieur du 6 avril qui donne des instructions en ce sens, les contrôles à la frontière ont été renforcés – ce qui, pour le coup, est tout à fait contraire à « l’esprit de Schengen » qui prévoit la suppression de ces contrôles. Et sur le terrain, il y a déjà beaucoup de témoignages qui attestent de cette traque aux Tunisiens.
Dans ce contexte, que peuvent espérer les migrants qui se sont vus délivrer un permis de séjour temporaire et qui sont aujourd’hui sur le sol français ?
– Au minimum, ceux qui veulent demander protection à la France doivent pouvoir déposer cette demande et celle-ci doit être examinée. Pour les autres, il est à craindre qu’ils ne se trouvent jetés dans la clandestinité à l’expiration du permis de séjour provisoire. Ce qui est très hypocrite, car la France, comme l’Italie et le reste de l’Europe, ont parfaitement la capacité d’absorber ces quelques milliers de Tunisiens, une goutte d’eau à l’échelle des 500 millions d’habitants de l’Union européenne. Vous verrez que dans quelques mois, on n’en parlera plus. Au lieu de crier à la menace d’invasion, l’Europe devrait prendre exemple sur la Tunisie, et ouvrir ses portes.
Parce que Christius, bientôt 18 ans, le soupçonnait de flirter avec sa petite soeur; Haroun a failli mourir, roué de coups à la gare de Noisy-le-Sec
C’était le samedi 2 avril. Haroun, bientôt 20 ans, attend à la gare RER de Noisy-le-Sec, en compagnie de sa petite amie Siré, presque 16 ans, le train qui doit la ramener chez elle. Mais, à 20h25, dix jeunes de Rosny-sous-Bois lui tombent dessus. Le mettent à terre. Le rouent de coups de pied, de poing, au visage, dans le dos, dans les côtes, dans le ventre. Ils lui arrachent son blouson, ses chaussures Nike Requin, son téléphone portable. Filent. Le passage à tabac a duré un peu plus d’une minute, une éternité pour Haroun, qui gît au sol. Siré appelle les pompiers, le cœur de son petit ami lâche, les médecins le rattrapent, plongent Haroun dans un coma artificiel pendant deux jours. Il s’en sortira. Pas de fracture osseuse, vertébrale ou costale. Pas d’éclatement de la rate ou du foie. Mais à l’échocardiographie, « une dysfonction ventriculaire » à gauche. Surtout, le jeune homme est gravement choqué. Les médecins prévoient au moins quatre semaines d’ITT (interruption temporaire de travail). Les syndicats de police et le ministère de l’Intérieur
ont vite classé le fait divers dans la catégorie «affaires de cités», évoquant de classiques rivalités territoriales, avec en filigrane une affaire de cœur. Dix mineurs, âgés de 14 à 17 ans, ont été interpellés. Huit d’entre eux sont mis en examen pour tentative de meurtre, et cinq sont derrière les barreaux.
Les petits copains, c’est pas bien
En réalité, qu’Haroun soit originaire de la cité des Indes à Sartrouville importe peu dans l’affaire. Ce qui compte, ce sont les filles. Haroun a rencontré Siré il y a deux ans, elle avait alors 14 ans. Elle s’en souvient, c’était « à une fête du jour de l’An […] dans une salle à Villepinte, organisée par le comité des fêtes ». Au début, Haroun et Siré sont «juste copains ». Et puis, en novembre dernier, ils se «mettent ensemble », c’est « officiel », toutes les copines de Siré, et même sa mère, le savent. Ils se rejoignent généralement à l’arrêt de bus, près du Quick de Rosny-sous-Bois, et se baladent à côté, au parc de Césarie.
Un jour, il y a un peu plus d’un mois, Siré, deux copines à elle et Haroun vont chez Gernina, une autre amie qui habite au Bois- Perrier. Les filles montent chez elle, Haroun attend dans un hall d’immeuble. En redescendant, elles voient Christius, le grand frère de Gernina, tracer en direction d’Haroun. « Même pas trois secondes après, raconte Siré, Christius m’a appelée et m’a demandé si je [le] connaissais. Je lui ai dit qu’il s’agissait d’un ami. [Il] a alors appelé sa sœur. » S’est tourné vers Haroun : « Gernina, tu la connais, elle aussi?-Non. – C’est sûr?- Oui. » Christius est sûr que le gars «la lui fait à l’envers». Il lui ment, pour lui c’est clair, c’est le petit co¬pain de sa sœur. Il s’énerve, c’est la dernière fois que Siré ramène quelqu’un d’étranger dans la cité, compris ? Plus tard, Gernina et Siré recroisent le grand frère, toujours « vénère» (énervé). Il recommence, s’adresse à Siré : «D’où tu ramènes un mec dans la cité à côté de chez moi?» La traite de «salope» et de «sale pute». Et tiens, il lui colle une gifle. Pareil pour Gernina, qui tente de s’interposer. Elle en a les lèvres qui saignent.
Seul mâle parmi les quatre enfants de la maison, Christius s’improvise en supercontrôleur de ses sœurs. Né en 1993, deux ans avant Gernina, il aura 18 ans en juin. C’est un bon élève, en deuxième année de bac pro, prêt à se lancer dans un BTS à la rentrée prochaine. Les parents, français d’origine zaïroise, travaillent beaucoup. Le père, employé administratif, et la mère, aide-soignante, sont bien loin des embrouilles adolescentes au pied des immeubles. Comme Christius, Stéphie, la grande sœur, étudiante, veille. Elle se dit « à cheval sur certains principes ». Les petits copains, c’est pas bien. Question de bonne tenue. S’agit de ne pas faire honte à la famille. Stéphie en a déjà parlé avec Gernina. « Je lui explique que certaines tombent enceintes, que d’autres ont de sales réputations, a-t-elle dit aux enquêteurs. D’ailleurs, je ne voulais pas qu’elle traîne avec Siré, qui a […] une réputation de pute car elle a déjà fait des choses avec des garçons. » Christius, c’est vrai, il joue au père, sévère et autoritaire, surtout avec Gernina, la petite dernière.
Le samedi 2 avril, l’adolescente part avec ses copines, tant pis pour son tour de tâches ménagères. La veille déjà, elle est rentrée à la maison en retard. Elle va être punie, encore, mais qu’importe, Gernina a envie de s’acheter des ballerines. Après, elle retrouvera Siré à la gare de Rosny, comme convenu par SMS. Mais vers 19h20, une heure avant l’agression d’Haroun, Gernina croise Christius à la gare RER de Rosny. Il l’engueule, qu’elle arrête de traîner. Confisque son portable. Et va « se poser» dans le square avec ses potes du quartier, Axel et Florian. «Par curiosité, j’ai regardé les messages du téléphone, raconte Christius aux policiers. [.. JJ’ai vu des choses qui m’ont choqué » : ce texto où Gernina parle à «[son] homme», elle dit avoir «bien aimé la journée d’hier », mais qu’elle a « saigné pen¬dant dix minutes». La réponse du gars : « Comment ça, t’as saigné ?» Gernina écrit que oui, il l’a « déviergée ». Christius disjoncte. Il pense à Haroun, direct. Voit Gernina à la gare de Rosny, il est dans son film, n’écoute rien, aie sur sa sœur. Elle ne peut pas lui dire que celui qu’elle appelle « mon homme » en SMS, c’est un autre. Que « c’est vrai […], comme elle l’a confié aux policiers, on a flirté ensemble, en fait on se touchait et à m moment… heu… il m’a mis un doigt… après j’ai voulu lui faire croire que j’étais plus vierge et j’ai écrit ça, mais en fait, c’était pas vrai».
Elle va le regretter, il va le retrouver, ce salaud d’Haroun. A la gare de Rosny, où les jeunes ont l’habitude de réunir leur ennui pour passer le temps plus vite, la rage de Christius crée l’attraction. Belva, Axel, Weetson, Diabé, Augustin, Sakouba, Salim et Jonathan s’attroupent comme des mouches autour du grand frère. Il va se passer quelque chose, enfin, faut pas rater ça. Christius envoie un message à Siré, du portable de sa sœur \ «bat ou » (sic). SMS de Siré : « Jariv jsuis àh noisy » OK. Christius monte dans le train. Les autres le suivent comme des moutons. A Noisy-le-Sec, il trouve Haroun avec Siré, dans le souterrain qui mène aux quais. Il lui dit : «Encore toi. » Dégaine le téléphone de sa sœur. Montre le numéro destinataire des textos douteux : « C’est ton numéro ? C’est ton numéro ?» Non. «Tu connais Gernina?» Non. S’acharne : «Tu connais Gernina?» Non. Christius cogne Haroun. Fort. Les autres s’y mettent. Le 5 avril, les policiers ont encore demandé à Haroun sorti du coma : « Connaissiez-vous cette Gernina? » Toujours non : «C’est une amie de Siré. » Tout ça pour ça.
Les suspects du violent passage à tabac d’Haroun n’ont pas mis longtemps à être arrêtés. Moins de quarante-huit heures après les faits, la sûreté territoriale de Seine-Saint-Denis a interpellé chez eux les dix jeunes, dont huit sont originaires du Bois-Perrier, à Rosny-sous-Bois. Pour la plupart scolarisés, ces adolescents — un seul est majeur — étaient inconnus de la police.
Le parquet de Bobigny avait réclamé l’incarcération provisoire de six d’entre eux. Cinq ont finalement été écroués. Le parquet a fait appel pour le sixième, remis en liberté, et c’est désormais à la cour d’appel de trancher.
L’enquête se poursuit dans le cadre d’une commission rogatoire, mais tous ceux qui ont pris part, de manière plus ou moins active, à cette agression sont mis en examen à des degrés divers. Deux pour non-dénonciation de crime. Les autres sont poursuivis pour tentative d’homicide et vol aggravé.
L’hypothèse du guet-apens, avancée immédiatement après les faits et soutenue par le parquet, n’a pas été retenue par le juge d’instruction. Selon Me Stéphane Maugendre, qui assure la défense du meneur présumé, un adolescent de 17 ans scolarisé en BEP, l’agression n’a pas eu lieu sur fond de guerre de territoires. L’auteur présumé pensait que la victime avait eu des relations sexuelles avec sa jeune sœur de 15 ans et il voulait dissuader Haroun de l’approcher. Rien cependant ne laisse aujourd’hui apparaître qu’une relation existait entre l’adolescente et le jeune homme. La jeune fille qui accompagnait Haroun au moment de l’agression a quitté le quartier.
« L’enquête n’a pas permis d’établir avec certitude le motif réel de cette agression. Plusieurs thèses ayant été avancées, la première évoquant que c’était sa liaison avec un jeune homme extérieur à la cité, tandis que la seconde arguait d’une hypothétique liaison entre la victime et sa jeune sœur… » Ainsi se conclut la synthèse de la Sûreté départementale de Seine-Saint-Denis. Ce sera donc à la juge d’instruction de faire la lumière sur l’enchaînement des faits qui ont, samedi dernier, failli coûter la vie à Haroun Thiam, 19 ans, à la gare RER de Noisy-le-Sec.
Seul garçon d’une famille de quatre enfants, C…, 17 ans, était jusqu’à ce 2 avril un lycéen sans histoire de Rosny-sous-Bois. Désormais écroué au quartier des mineurs de Fleury-Mérogis, il est soupçonné être l’instigateur du lynchage du jeune Haroun, originaire, lui, de Sartrouville (Yvelines), et qui sort depuis quelques mois avec une copine de la petite sœur de C. C’est en tout cas lui qui a porté le premier coup. « Un des jeunes m’a demandé si je sortais avec sa sœur, j’ai répondu non, a déclaré la victime une fois sortie du coma. Puis il m’a montré un portable avec des messages mais ce n’était pas mon numéro. »
La suite? Haroun se fait arracher son téléphone, prend un coup, chute et se fait rouer de coups avant de perdre connaissance. « Ils l’ont laissé pour mort et sont partis tranquillement« , a précisé cette semaine Sylvie Moisson, procureur de Bobigny. Huit des dix garçons présents – âgés de 14 à 19 ans et tous inconnus jusqu’alors des services de police – ont été mis en examen pour « tentative de meurtre », cinq ont été écroués.
« Ce qu’ils ont fait est grave, insiste Me Stéphane Maugendre, avocat de C. Mais ce n’est pas une guerre des territoires entre Rosny-sous-Bois et Sartrouville. Selon moi, c’est une série de quiproquos, notamment sur l’interprétation de SMS où il est question de saignements, qui fait que mon client est persuadé que sa petite sœur de 14-15 ans a eu des relations sexuelles avec un mec de 19 ans. Après, tout est allé très vite…«
Se cacher pour s’aimer, est-ce le destin des Roméo et Juliette de banlieue? La loi du quartier est-elle plus forte que celle de la République? Rencontre à Marseille avec les jeunes comédiens de Nous, princesses de Clèves et à Ris-Orangis, avec des jeunes de la MJC.
« Elle est jeune, elle est belle, elle n’a rien vécu. » Madame de Clèves, c’est un peu elle. Tiraillée entre la raison et la passion, écrasée par le carcan familial, tentée « d’aller au clash » pour ne pas passer à côté de la vie. Sarah Yagoubi, 20 ans, aime donner ses rendez-vous place Castellane. Tout est plus simple dans le centre de Marseille: on se fond dans la masse, on peut papoter la clope aux lèvres ou se prendre par la main sans attiser la rumeur. À deux pas, le cinéma Le César projette le réjouissant documentaire Nous, princesses de Clèves, sorti la semaine dernière.
Comme d’autres élèves du lycée Diderot, situé dans les quartiers nord populaires et déshérités, Sarah Yagoubi a passé deux ans en compagnie de l’héroïne de Mme de La Fayette. Elle a jubilé en jouant des passages du texte devant la caméra de Régis Sauder et livré quelques confidences sur ses tourments d’ado des cités. Au moment du tournage, Sarah Yagoubi ne voyait aucun écho entre le dilemme amoureux de la princesse de 16 ans et son propre destin: « Je n’avais rien vécu. Par contre, la mère de la princesse, qui ne comprend pas qu’on puisse aimer quelqu’un d’autre que son mari, me faisait penser à la mienne. Elle veut que je reste à la maison jusqu’à mon mariage, avec un Algérien, si possible, et musulman. Moi, je m’en fiche de la religion. Je suis athée. L’homme que j’épouserai devra juste être quelqu’un de bien. » Aujourd’hui amoureuse, elle se sent plus proche de l’héroïne. « Je ne vais pas faire comme la princesse de Clèves: renoncer. J’ai envie de me trouver un studio pour pouvoir passer la soirée au ciné avec mon copain sans être accueillie par ma mère en colère. »
Le lynchage tragique d’un jeune homme à Noisy-le-Sec, la semaine dernière, par des adolescents qui lui reprochaient, semble-t-il, de fréquenter une fille de leur quartier vient rappeler combien il est parfois difficile de s’aimer dans les cités. Il y a quinze ans, Vanda Gauthier et Catherine Régula, éducatrice et directrice artistique à la MJC de Ris-Orangis, dans l’Essonne, avaient été missionnées pour travailler avec les jeunes de la ville sur la question de la violence. « On s’est aperçues que l’amour – et tout ce qui lui fait obstacle – était au centre de leurs préoccupations. On a commencé à monter des spectacles de théâtre autour de ces questions essentielles: les mariages arrangés, les couples mixtes, l’homosexualité, et les discussions n’ont plus jamais cessé. »
Le centre-ville, un terrain neutre où on peut s’embrasser
Alors que les « bébés couples » des classes moyennes et des milieux aisés se promènent dans la rue, deux par deux, les Roméo et Juliette des cités doivent se cacher pour s’aimer. C’est une question de pudeur et de prudence. « Personne ne s’affiche, les parents ne doivent pas savoir qui sort avec qui, seuls les meilleurs amis sont dans la confidence« , témoigne Morgane Badrane, qui a participé au documentaire. « On ruse, on se retrouve en cachette dans les cages d’escalier. Pour faire l’amour, c’est l’après-midi pour ceux dont les parents ne sont pas là et sinon à l’hôtel« , confirme Francis. Le jeune homme de Ris-Orangis a commencé sa carrière d’amoureux dans son propre quartier avant de déserter. « En théorie, c’est plus simple ailleurs, mais en pratique… Je suis resté un moment avec une fille de Créteil. On se voyait dans son quartier à elle. C’était la galère. Les mecs de sa cité lui disaient que les gars du 91 comme moi, on n’est pas fidèles. Du coup, on s’est mis à se retrouver à Paris, à Châtelet ou à la bibliothèque François-Mitterrand. »
Tout comme le collège ou le lycée, le centre-ville est un terrain neutre où on peut s’embrasser en paix. « Les jeunes font tout le temps référence à la loi du quartier. Je leur répète que la seule loi valable dans ce pays, c’est celle de la République. Mais je comprends très bien qu’ils se cachent pour flirter« , décrypte la directrice artistique de la MJC de Ris-Orangis, Catherine Régula.
Pourquoi l’amour n’a-t-il pas droit de cité? Les jeunes évoquent un mélange de « traditions » portées par certains parents et de « réputations » orchestrées par quelques garçons qui se sentent propriétaires des filles. Autant d’obstacles renforcés par la structure villageoise du quartier, excentré, replié sur lui-même. Tout le monde se connaît, se commente et s’épie. Dans le film de Régis Sauder, un père de famille justifie la surveillance qu’il exerce sur sa fille par le souci de la protéger: « On étouffe nos enfants par amour. » Sans jamais juger des parents souvent venus de loin et confrontés à d’importantes difficultés matérielles, Catherine Régula tente de nouer un dialogue avec eux: « Très souvent, ils sont inquiets. En les rassurant, les jeunes peuvent se ménager des marges de liberté. » Les couples clandestins subissent également la pression de leurs camarades. En écoutant les confidences des jeunes, le réalisateur Régis Sauder a constaté que « même si toutes les filles ne sont pas brimées, certaines sont en liberté surveillée, sous le contrôle des garçons qu’on appelle les grands frères« .
« Tomber amoureux de qui on veut et vivre comme on l’entend«
Comme dans le roman de Mme de La Fayette, l’interdit décuple les sentiments. « Dans notre malchance, on vit des plus belles histoires que les autres jeunes. On est peut-être plus romantiques« , sourit la jeune Marseillaise Morgane Badrane. Désormais étudiant en première année de médecine à Marseille, Abou Achoumani a confié au documentariste Régis Sauder qu’il s’identifiait au prince de Clèves. « Ma mère, comorienne musulmane et très ouverte, m’a appris à toujours respecter les filles. Aussi je me suis toujours efforcé d’être un honnête homme, comme le mari de la princesse. Ça ne m’a pas toujours réussi parce que les filles ne sont pas toutes des anges. Mais ces chagrins m’ont beaucoup appris. »
Le jeune homme a su résister aux sarcasmes de ses copains, qui lui reprochaient d’être trop sentimental et doux avec les filles. Il a refusé de mettre son nez dans les histoires de cœur de sa sœur. « Je crois à la vertu de l’exemple: on doit pouvoir tomber amoureux de qui on veut et vivre comme on l’entend. Pour moi, c’est encore difficile, mais j’espère que mes enfants – si j’en ai – pourront s’afficher dans leurs quartiers avec leurs petits amis. »
En attendant, le jeune homme qui vit « une passion pure et dure avec une fille formidable« , reste discret. Ses voisins ignorent tout de sa romance, son statut Facebook affiche « célibataire ». Ce qui ne l’empêche pas d’être lyrique et démonstratif dans ses lieux secrets: la plage, le parc Borély… Le jour de la Saint-Valentin, il a grimpé avec sa belle jusqu’aux marches de Notre-Dame-de-la Garde pour lui déclamer des poèmes de son invention.
Violences. Selon les PV d’auditions, l’instigateur du lynchage affirme avoir agi parce que la victime fréquentait sa sœur, une relation qu’elle dément.
A-t-il cherché à corriger celui qu’il soupçonnait avoir été le petit copain de sa sœur ? C’est, à la lumière des PV d’auditions que s’est procurés Libération, l’argument avancé par C., 17 ans, élève en électrotechnique, pour justifier le passage à tabac d’Haroun Thiam, 19 ans, survenu samedi soir à la gare RER de Noisy-le-Sec.
Aux enquêteurs, celui que le parquet de Bobigny présente comme l’instigateur de l’agression, révèle, dès les premières heures de sa garde à vue, «avoir rencontré il y a quelques temps Haroun en bas de chez moi. Je pensais qu’il attendait ma petite sœur Gernina (15 ans). […]. J’ai alors demandé à Haroun ce qu’il faisait. Il a dit qu’il attendait sa cousine, en parlant de Siré.» Siré est la copine de Gernina ; au moment de l’agression, c’est elle la petite amie d’Haroun. «Je lui ai dit que je ne voulais plus le voir en bas de chez moi et que je ne voulais plus le revoir avec ma petite sœur, car je pensais qu’il sortait avec elle», poursuit C.A l’époque, des rumeurs courent dans la cité du Bois-Perrier à Rosny-sous-Bois, selon lesquelles Gernina a un amoureux.
Saignements. L’après-midi précédant l’agression, C. croise Gernina dans la cité. Il lui confisque son portable sur ordre de sa grande sœur, «car Gernina n’avait pas effectué les tâches ménagères qu’elle devait faire». C’est alors qu’il constate «un certain nombre de messages archivés qui m’ont choqué. J’ai compris qu’un gars avait fait des choses avec ma petite sœur». En regardant un autre texto que Gernina a envoyé à une de ses copines, il comprend que le garçon est bien plus âgé que sa sœur. Et que celle-ci se plaint de saignements. Dans sa tête, le lien avec Haroun, croisé quelques jours plus tôt, est évident. Et les saignements sont, selon lui, la preuve évidente que Gernina et Haroun ont eu un rapport sexuel.
Le téléphone toujours en poche, C. reçoit alors un texto de Siré, destinée à Gernina, lui expliquant qu’elle est bloquée à la gare de Noisy-le-Sec avec un garçon. Sans préciser son prénom. C. part sur le champ à Noisy. «Alors que j’allais sur le quai, dit-il aux policiers, un petit groupe de jeunes de mon quartier m’a vu énervé […]. Le train est arrivé et le groupe m’a suivi. Je leur ai dit qu’il y avait un mec qui fréquentait ma sœur et que je n’étais pas d’accord avec ça.» Dans l’escouade, se trouvent des cousins, des amis, et des connaissances de C., dont certains, très jeunes, venus «juste pour voir».
Après quelques minutes de recherche, le groupe localise Haroun et Siré. C. : «Je me suis approché de lui. Je lui ai dit « comme ça, tu continues à fréquenter ma petite sœur ? » Je lui ai dit que j’avais vu le message et qu’il ne pouvait pas me mentir. Je lui ai mis une gifle […]. Puis un coup de poing au visage. J’ai vu qu’il avait mal et je préférais continuer à lui parler sans violence. Mais, à ce moment-là, les autres jeunes qui étaient avec moi lui sont rentrés dedans.» S’ensuit la pluie de coups qui laissent Haroun grièvement blessé.
Zones d’ombre. C. dit-il la vérité ? De nombreuses zones d’ombre demeurent. A ce jour, Gernina nie formellement avoir eu une relation avec Haroun. C. S’est-il mépris sur l’identité du copain de sa petite sœur ? Au parquet, on continue de privilégier une thèse différente : Haroun a été tabassé au motif «qu’il avait l’audace de vivre une relation» avec Siré, originaire du Bois-Perrier, alors que lui vient de la cité des Indes de Sartrouville, dans les Yvelines.
Mercredi soir, dix adolescents ont été mis en examen dans cette affaire. Huit pour «tentative de meurtre». Parmi eux cinq ont été écroués. Les deux derniers sont poursuivis pour «non-dénonciation et non empêchement d’un crime».
Cinq des dix jeunes déférés devant le parquet de Bobigny ont été écroués mercredi soir. Après le lynchage d’un jeune de 18 ans à la gare RER de Noisy-le-Sec, les adolescents étaient notamment suspectés de « tentative d’assassinat ». Le juge a requalifié leur mise en examen pour « tentative de meurtre ».
Suspectés dans le cadre de l’enquête sur l’agression d’une rare violence de Harouna Thiam, survenue le week-end dernier à la gare RER de Noisy-le-Sec, cinq des dix jeunes mis en examen mercredi soir ont été écroués et huit ont vu leur mise en examen requalifiée en « tentative de meurtre » et non « tentative d’assassinat ». Un changement dû à la décision du juge qui n’a pas retenu la préméditation.
Une décision qui doit satisfaire l’avocat de celui présenté comme l’instigateur de cette agression. Me Stéphane Maugendre a en effet, toujours réfuté la thèse de la préméditation. Regrettant la tournure que prenait l’enquête, il défendait le scénario d’un « quiproquo » qui aurait mal tourné.
Un guet-apens ?
L’un des mis en cause, qui « apparaît comme l’instigateur, a repéré l’endroit où se situait la cible, en utilisant un subterfuge, notamment un sms », a expliqué la procureur. « Les mis en cause se sont rendus sur les lieux après avoir localisé (Haroun), à la gare RER de Noisy », a-t-elle rapporté: « Ils ont encerclé, ils ont porté des coups de poing, de pied, d’une rare violence à la victime qui était au sol ».
La thèse du guet-apens semble toutefois être la plus probable pour le responsable régional du syndicat Alliance. Benoît Hutse s’accroche à l’idée que les dix jeunes ont tendu un piège à Harouna. « Dans la journée, ils ont pris le téléphone portable d’une amie de la jeune fille (ndlr: Sire, la petite-amie de Harouna). Pour cela, ils l’ont menacée. Ensuite, ils lui ont demandé par texto où elle se trouvait. Elle a répondu: « Je suis à la gare et j’attends mon petit copain ». Quelques minutes plus tard, ils arrivaient. C’était un guet-apens ». Gravement blessé, Harouna souffre d’un traumatisme crânien et d’un éclatement de la rate. Si son état est préoccupant, il est toutefois stationnaire et son pronostic vital n’est plus engagé. Selon une source policière, il serait sorti du coma.
SIRA, (5 ANS, EST ORIGINAIRE DE ROSNY-SOUS-BOIS (SEINE-SAINT-DENIS), AROUN. 19 ANS, EST DE SARTROUVILLE (YVELINES). SAMEDI 2 AVRIL, IL EST ENVIRON 20 HEURES À LA GARE RER DE NOISY-LE-SEC. LE COUPLE CROISE LA ROUTE D’UN GROUPE DE (DIX) JEUNES. LA PETITE BANDE N’AURAIT PAS SUPPORTÉ QU’UNE DES LEURS FRÉQUENTE UN GARÇON D’UN AUTRE QUARTIER. LES COUPS PLEUVENT, LE JEUNE HOMME EST PASSÉ À TABAC. APRÈS LE DÉPART DE SES AGRESSEURS, IL EST TRANSPORTÉ, DANS UN ÉTAT CRITIQUE. AU SERVICE DE RÉANIMATION DE L’HÔPITAL BEAUJON, À CLICHY (HAUTS-DE-SEINE)…
LUNDI 4 AVRIL, HUIT PERSONNES, DONT SEPT MINEURS, ONT ÉTÉ INTERPELLÉES.
Les dix suspects ont été mis en examen pour « tentative de meurtre » pour l’agression d’un jeune homme, victime d’une « expédition punitive. »
Quatre jours après la violente agression d’Haroun, un jeune de 18 ans, à Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, neuf mineurs et un majeur ont été mis en examen mercredi soir et cinq d’entre eux ont été écroués. Huit ont été mis en examen pour « tentative de meurtre », et non « tentative d’assassinat », comme l’avait requis le parquet de Bobigny, le juge n’ayant pas retenu la préméditation; Les deux autres pour « non dénonciation et non empêchement d’un crime ».
Sur les six mandats de dépôts requis par le parquet de Bobigny, cinq adolescents, dont celui qui est présenté comme l’instigateur de l’agression, ont été écroués. Les cinq autres ont été placés sous contrôle judiciaire. Les dix mis en examen n’ont pas d’antécédent judiciaire. Il s’agit de neuf mineurs de 14 à 17 ans et d’un majeur de 18 ans.
Lors d’une conférence de presse, plus tôt, mercredi, la procureure de Bobigny Sylvie Moisson a déclaré qu’Haroun a été victime d’un « déchaînement de violence », d’une « expédition punitive ». Il a été « battu à mort (…) de manière préméditée, froide, déterminée et même détachée », a-t-elle dit, observant qu' »un tel déchaînement, une telle préméditation, c’est quelque chose qui est assez nouveau ».
Guet-apens
L’un des mis en cause, qui « apparaît comme l’instigateur, a repéré l’endroit où se situait la cible, en utilisant un subterfuge, notamment un sms », a expliqué la procureure. « Les mis en cause se sont rendus sur les lieux après avoir localisé (Haroun), à la gare RER de Noisy », a-t-elle rapporté: « Ils ont encerclé, ils ont porté des coups de poing, de pied, d’une rare violence à la victime qui était au sol ».
Ils ont laissé la victime pour morte après l’avoir dépouillée de son portable, ses chaussures, selon la procureure, qui a précisé que la plupart des mis en cause ont reconnu les faits et que la bande vidéo avait permis d’identifier les agresseurs présumés, qui ne portaient pas de cagoule.
Aux yeux de ses agresseurs, le tort du jeune homme aurait bien été, selon l’enquête, d’avoir fréquenté une jeune fille de leur quartier, le Bois Perrier, à Rosny-sous-Bois alors que lui était de Sartrouville (Yvelines).Ce mobile est accrédité par le fait qu’il y a quelques semaines, la petite amie d’Haroun et une de ses amies avaient reçu chacune une gifle de la part du frère de cette dernière, l’instigateur présumé de l’agression, au motif qu’elles ne devaient pas sortir avec quelqu’un qui n’habitait pas leur cité, a indiqué Mme Moisson.
Haroun a subi des traumatismes crânien et cardiaque. Son pronostic vital était engagé mais l’état de santé du jeune homme de 18 ans « semble s’améliorer » même s’il « est toujours particulièrement sérieux ». Selon une source policière, il est sorti du coma.
Relogée
La petite amie d’Haroun, qui est mineure, est en cours de rescolarisation et sa famille va être relogée, afin d’échapper à une éventuelle vengeance.
Me Stéphane Maugendre, avocat du mineur présenté comme l’instigateur de l’agression, s’est dit « scandalisé par l’instrumentalisation » de cette affaire, notamment sur la vidéo. Il affirme que ce n’est pas la vidéo-surveillance qui a permis d’identifier les jeunes interpellés.
Quatre jours après la violente agression d’Haroun, un jeune de 18 ans, à Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, neuf mineurs et un majeur ont été mis en examen mercredi soir et cinq d’entre eux ont été écroués.
Huit ont été mis en examen pour « tentative de meurtre », et non « tentative d’assassinat », comme l’avait requis le parquet de Bobigny. Le juge n’a pas retenu la préméditation.
Les deux autres ont été mis en examen pour « non dénonciation et non empêchement d’un crime ».
Sur les six mandats de dépôts requis par le parquet de Bobigny, cinq adolescents, dont celui qui est présenté comme l’instigateur de l’agression, ont été écroués. Les cinq autres ont été placés sous contrôle judiciaire.
Lors d’une conférence de presse, plus tôt, mercredi, la procureur de Bobigny Sylvie Moisson a déclaré qu’Haroun a été victime d’un « déchaînement de violence », d’une « expédition punitive ». Il a été « battu à mort (…) de manière préméditée, froide, déterminée et même détachée », a-t-elle dit, observant qu' »un tel déchaînement, une telle préméditation, c’est quelque chose qui est assez nouveau ».
Le parquet a ouvert une information judiciaire « des chefs de tentative d’assassinat, de non dénonciation de crime et de vol aggravé ».
L’un des mis en cause, qui « apparaît comme l’instigateur, a repéré l’endroit où se situait la cible, en utilisant un subterfuge, notamment un sms », a expliqué la procureur. « Les mis en cause se sont rendus sur les lieux après avoir localisé (Haroun), à la gare RER de Noisy », a-t-elle rapporté: « Ils ont encerclé, ils ont porté des coups de poing, de pied, d’une rare violence à la victime qui était au sol ».
« Ils ont laissé la victime pour morte après l’avoir dépouillée de son portable, ses chaussures », a dit la procureur, précisant que la plupart des mis en cause ont reconnu les faits et que la bande vidéo avait permis d’identifier les agresseurs présumés, qui ne portaient pas de cagoule.
Haroun a subi des traumatismes crânien et cardiaque. Son pronostic vital était engagé mais l’état de santé du jeune homme de 18 ans « semble s’améliorer » même s’il « est toujours particulièrement sérieux ». Selon une source policière, il est sorti du coma.
Aux yeux de ses agresseurs, le tort du jeune homme aurait bien été, selon l’enquête, d’avoir fréquenté une jeune fille de leur quartier, le Bois Perrier, à Rosny-sous-Bois alors que lui était de Sartrouville (Yvelines).
Ce mobile est accrédité par le fait qu’il y a quelques semaines, la petite amie d’Haroun et une de ses amies avaient reçu chacune une gifle de la part du frère de cette dernière, l’instigateur présumé de l’agression, au motif qu’elles ne devaient pas sortir avec quelqu’un qui n’habitait pas leur cité, a indiqué Mme Moisson.
La petite amie d’Haroun, qui est mineure, est en cours de rescolarisation et sa famille va être relogée, afin d’échapper à une éventuelle vengeance.
Les dix mis en examen n’ont pas d’antécédent judiciaire. Il s’agit de neuf mineurs de 14 à 17 ans et d’un majeur de 18 ans.
Me Stéphane Maugendre, avocat du mineur présenté comme l’instigateur de l’agression, s’est dit « scandalisé par l’instrumentalisation » de cette affaire, notamment sur la vidéo. Il affirme que ce n’est pas la vidéo-surveillance qui a permis d’identifier les jeunes interpellés.
Pour lui, l’affaire est « un quiproquo ». Son client aurait cru que sa sœur de 15 ans avait perdu sa virginité avec Haroun, ce qu’il n’aurait pas accepté. Il affirme que l’agression n’a pas été organisée.