Pour les chauffeurs de taxi partie civile, l’audience de cet après-midi est attendue comme « une délivrance », selon les mots de Me Stéphane Maugendre, l’avocat de quatre d’entre eux. « C’est enfin un crédit apporté à leur parole », explique- t-il. La parole de chauffeurs de taxi, tous d’origine étrangère, qui en 2006 ont dénoncé à l’IGS (l’inspection générale des services) le racket imposé par des policiers sur l’autoroute A1, entre Roissy et Paris, en Essonne aussi. Cet après-midi, ils seront cinq à la barre du tribunal correctionnel de Bobigny. Tous sont d’anciens CRS de la compagnie basée à Deuil-la-Barre (Val-d’Oise). Tous très jeunes aussi puisqu’en 2006, ils avaient 22-23 ans pour la plupart, le plus âgé avait 29 ans.
A l’époque, l’affaire avait eu vite fait d’être connue de tous les chauffeurs de taxi parisiens, surtout ceux qui effectuaient les liaisons entre Paris et les aéroports. Des policiers—on ne savait pas lesquels — pouvaient surgir et menaçaient d’avoir la main lourde sur les PV si le chauffeur ne donnait pas d’argent. Perdre des points, c’était risquer de perdre son permis de conduire et donc son gagne-pain.
Certains montants demandés ont pu atteindre 300 €
Plusieurs chauffeurs ont payé. Pas des sommes faramineuses, la plupart du temps quelques dizaines d’euros, mais les montants ont tout de même atteint parfois150 €, voire 300 € pour les faits avérés. L’instruction a laissé entendre que d’autres faits avaient peut-être eu lieu mais n’avaient pu être mis au jour. Au départ, tous ignoraient qu’il s’agissait de CRS de Deuil-la-Barre. Des syndicalistes de police suggéraient même à l’époque qu’il puisse s’agir de faux policiers. Avec de vrais fourgons, de vrais uniformes et des hommes qui repartaient rapidement, comme s’ils voulaient éviter qu’on repère leur plaque. La récurrence des faits sur les autoroutes a finalement mis l’IGS sur la piste de la CRS 7 : une année noire pour cette compagnie, dont certains agents étaient soupçonnés de viols de prostituées. Ceux-là ont depuis été condamnés. Au cours de l’enquête, les langues se sont peu à peu déliées, même si des prévenus ont tenté un temps de soutenir que les taxis eux-mêmes avaient volontairement proposé de l’argent… Ils se sont aussi chargés les uns les autres. «Mon client n’a pas l’intention de se soustraire à ses responsabilités, mais il n’est pas question qu’il serve de bouc émissaire », commente Me Adel Fares, l’avocat de Vianney K., présenté comme le principal instigateur. Son client a déjà fait deux mois de détention provisoire, comme deux autres coprévenus. Ils encourent sept ans d’emprisonnement.
Pour les chauffeurs de taxi partie civile, l’audience de cet après-midi est attendue comme « une délivrance », selon les mots de Me Stéphane Maugendre, l’avocat de quatre d’entre eux. « C’est enfin un crédit apporté à leur parole », explique-t-il. La parole de chauffeurs de taxi, tous d’origine étrangère, qui en 2006 ont dénoncé à l’IGS (l’inspection générale des services) le racket imposé par des policiers sur l’autoroute A1, entre Roissy et Paris, en Essonne aussi.
Cet après-midi, ils seront cinq à la barre du tribunal correctionnel de Bobigny. Tous sont d’anciens CRS de la compagnie basée à Deuil-la-Barre. Tous très jeunes aussi puisqu’en 2006, ils avaient 22-23 ans pour la plupart, le plus âgé avait 29 ans.
Une année noire pour la compagnie
A l’époque, l’affaire avait eu vite fait d’être connue de tous les chauffeurs de taxi parisiens, surtout ceux qui effectuaient les liaisons entre Paris et les aéroports. Des policiers — on ne savait pas lesquels — pouvaient surgir et menaçaient d’avoir la main lourde sur les PV si le chauffeur ne donnait pas d’argent. Perdre des points, c’était risquer de perdre son permis de conduire et donc son gagne-pain. Plusieurs chauffeurs ont payé. Pas des sommes faramineuses, la plupart du temps quelques dizaines d’euros, mais les montants ont tout de même atteint parfois150 €, voire 300 € pour les faits avérés. L’instruction a laissé entendre que d’autres faits avaient peut-être eu lieu mais n’avaient pu être mis au jour.
Au départ, tous ignoraient qu’il s’agissait de CRS de Deuil la Barre. Des syndicalistes de police suggéraient même à l’époque qu’il puisse s’agir de faux policiers. Avec de vrais fourgons, de vrais uniformes et des hommes qui repartaient rapidement, comme s’ils voulaient éviter qu’on repère leur plaque. La récurrence des faits, sur les autoroutes a finalement mis l’IGS sur la piste de la CRS 7 : une année noire pour cette compagnie, dont certains agents étaient soupçonnés de viols de prostituées. Ceux-là ont depuis été condamnés.
Au cours de l’enquête, les langues se sont peu à peu déliées, même si des prévenus ont tenté un temps de soutenir que les taxis eux-mêmes avaient volontairement proposé de l’argent… Ils se sont aussi chargés les uns les autres. « Mon client n’a pas l’intention de se soustraire à ses responsabilités, mais il n’est pas question qu’il serve de bouc émissaire », commente Me Adel Fares, l’avocat de Vianney K., présenté comme le principal instigateur. Son client a déjà fait deux mois de détention provisoire, comme deux autres coprévenus. Ils encourent sept ans d’emprisonnement.
Christius, mis en examen avec sept jeunes pour tentative de meurtre sur le garçon qu’il prenait pour le petit ami de sa sœur, était inconnu des services de police.
Dans son quartier des Marnaudes à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), on dit de Christius, l’instigateur présumé de l’agression d’Haroun Thiam, le 2 avril, à la gare RER de Noisy-le-Sec, «qu’il a cherché à jouer au papa». On dit aussi «qu’il a pété les plombs lorsqu’il a vu les textos archivés dans le portable de Gernina [sa sœur de 14 ans, ndlr] laissant croire qu’elle s’était fait dévierger par Haroun», de cinq ans plus vieux qu’elle.
Dans la cité, ou l’on ne badine pas avec «la réputation», le fait que Gernina ait un petit copain est assimilé à «un comportement de pute». Alors, Christius, 18 ans dans quelques semaines, seul garçon d’une famille où il compte trois sœurs, «est parti sécher Haroun». Par honneur mal placé. Aux enquêteurs, sa grande sœur Stéphie déclare : «Quand Christius parle des hommes à Gernina, c’est vrai, il lui crie dessus.»
Cible. Il se trouve qu’Haroun n’est pas l’amoureux de Gernina. Fraîchement sorti de l’hôpital, celui-ci l’a expliqué mercredi au Parisien, confirmant une information publiée le 8 avril par Libération : «Mes agresseurs se sont trompés de cible. Le meneur [Christius, ndlr] pensait que je sortais avec sa petite sœur. Ce n’est pas vrai ! Les textos qu’il a lus ne sont pas de moi. Je n’ai su qu’après qu’il s’agissait d’un autre.» Sous la pluie de coups initiée par Christius, le cœur d’Haroun avait failli lâcher.
De l’aveu même de Stéphane Maugendre, l’avocat de Christius, la scène fait froid dans le dos. En tant que conseil, il a pu visionner quelques extraits des bandes de vidéosurveillance ayant capté l’agression. «C’est très violent, assure-t-il, pourtant, mon client n’est pas coutumier du fait.» Christius possède un casier judiciaire vierge. Il ne figure même pas au Stic, ce fichier informatisé du ministère de l’Intérieur, regroupant des informations sur les auteurs d’infractions interpellés par la police. Le 6 avril, il a été mis en examen avec sept autres jeunes pour tentative de meurtre. Deux jours après les faits, alors que l’hystérie médiatique battait son plein autour de conflits supposés entre bandes rivales, Claude Capillon, le maire UMP de Rosny-sous-Bois, s’était étonné «de voir mêler à cet acte odieux des jeunes qui n’ont jamais posé de problème ni au sein de la commune ni dans leurs établissements scolaires respectifs».
Correction. Elève en deuxième année de bac pro électrotechnique, Christius envisageait d’entamer un BTS à la rentrée prochaine. Dans son suivi socio-éducatif, sa scolarité est décrite comme «plutôt positive.» Il est précisé que «Christius n’a jamais redoublé. En troisième, il a obtenu l’orientation qu’il souhaitait. Il reconnaît qu’il doit travailler davantage, car ses résultats sont jugés moyens, notamment dans les matières théoriques. Toutefois, c’est un jeune qui se projette dans l’avenir». Un de ses professeurs, qui a requis l’anonymat «pour ne pas interférer dans une histoire qui [le]dépasse», pense que «Christius s’est égaré. Pour l’avoir plusieurs fois par semaine en cours, je peux affirmer qu’il n’est pas particulièrement compliqué à gérer. Ce n’est pas le genre à traîner dans une bande. En revanche, je sais que dans sa famille, ce sont les aînés qui s’occupent des plus jeunes. En tant que grand frère, il a dû se sentir investi d’un devoir de correction du mec de sa petite sœur. D’autant que dans la cité, ça devait parler. Ne rien faire c’était sûrement s’exposer aux railleries de ses potes. Il a sûrement dû agir ainsi pour obtenir la reconnaissance du groupe.»
A la maison, c’est vrai, ce sont Stéphie et Christius qui s’occupent le plus souvent de Gernina. Les parents, cadre administratif et aide-soignante, font beaucoup d’heures pour joindre les deux bouts. Toutefois, on apprend du dossier socio-éducatif «qu’ils établissent des règles strictes : lorsqu’il a école le lendemain, Christius doit rentrer à 20 heures au plus tard, ce qu’il respecte. L’ambiance familiale paraît sereine. Les enfants semblent ne manquer de rien et ont chacun leur chambre».
Celle de Christius, perquisitionnée par les enquêteurs, est truffée de maillots de foot. En bonne place, celui de la république démocratique du Congo, pays d’où sont originaires ses parents, installés en France depuis de nombreuses années. Aucune arme. Pas de drogue. Un tableau qui tempère les mots employés par Sylvie Moisson, la procureure de Bobigny, qui a qualifié Christius de «leader d’une expédition punitive froide, visant à tuer». En privé, une source policière proche du dossier soupçonne le parquet d’avoir quelque peu surjoué : «Dans cette affaire, il y a tout ! Le 93, la violence gratuite, la place de la femme dans les cités, les bandes. Idéologiquement, demandez-vous à qui cela profite. Attention, ce que je dis n’enlève rien à la gravité et à l’idiotie de l’agression dont les auteurs devront répondre. Mais si la même histoire était survenue à Châlons-sur-Marne, en aurait-on autant parlé ?
Parce que Christius, bientôt 18 ans, le soupçonnait de flirter avec sa petite soeur; Haroun a failli mourir, roué de coups à la gare de Noisy-le-Sec
C’était le samedi 2 avril. Haroun, bientôt 20 ans, attend à la gare RER de Noisy-le-Sec, en compagnie de sa petite amie Siré, presque 16 ans, le train qui doit la ramener chez elle. Mais, à 20h25, dix jeunes de Rosny-sous-Bois lui tombent dessus. Le mettent à terre. Le rouent de coups de pied, de poing, au visage, dans le dos, dans les côtes, dans le ventre. Ils lui arrachent son blouson, ses chaussures Nike Requin, son téléphone portable. Filent. Le passage à tabac a duré un peu plus d’une minute, une éternité pour Haroun, qui gît au sol. Siré appelle les pompiers, le cœur de son petit ami lâche, les médecins le rattrapent, plongent Haroun dans un coma artificiel pendant deux jours. Il s’en sortira. Pas de fracture osseuse, vertébrale ou costale. Pas d’éclatement de la rate ou du foie. Mais à l’échocardiographie, « une dysfonction ventriculaire » à gauche. Surtout, le jeune homme est gravement choqué. Les médecins prévoient au moins quatre semaines d’ITT (interruption temporaire de travail). Les syndicats de police et le ministère de l’Intérieur
ont vite classé le fait divers dans la catégorie «affaires de cités», évoquant de classiques rivalités territoriales, avec en filigrane une affaire de cœur. Dix mineurs, âgés de 14 à 17 ans, ont été interpellés. Huit d’entre eux sont mis en examen pour tentative de meurtre, et cinq sont derrière les barreaux.
Les petits copains, c’est pas bien
En réalité, qu’Haroun soit originaire de la cité des Indes à Sartrouville importe peu dans l’affaire. Ce qui compte, ce sont les filles. Haroun a rencontré Siré il y a deux ans, elle avait alors 14 ans. Elle s’en souvient, c’était « à une fête du jour de l’An […] dans une salle à Villepinte, organisée par le comité des fêtes ». Au début, Haroun et Siré sont «juste copains ». Et puis, en novembre dernier, ils se «mettent ensemble », c’est « officiel », toutes les copines de Siré, et même sa mère, le savent. Ils se rejoignent généralement à l’arrêt de bus, près du Quick de Rosny-sous-Bois, et se baladent à côté, au parc de Césarie.
Un jour, il y a un peu plus d’un mois, Siré, deux copines à elle et Haroun vont chez Gernina, une autre amie qui habite au Bois- Perrier. Les filles montent chez elle, Haroun attend dans un hall d’immeuble. En redescendant, elles voient Christius, le grand frère de Gernina, tracer en direction d’Haroun. « Même pas trois secondes après, raconte Siré, Christius m’a appelée et m’a demandé si je [le] connaissais. Je lui ai dit qu’il s’agissait d’un ami. [Il] a alors appelé sa sœur. » S’est tourné vers Haroun : « Gernina, tu la connais, elle aussi?-Non. – C’est sûr?- Oui. » Christius est sûr que le gars «la lui fait à l’envers». Il lui ment, pour lui c’est clair, c’est le petit co¬pain de sa sœur. Il s’énerve, c’est la dernière fois que Siré ramène quelqu’un d’étranger dans la cité, compris ? Plus tard, Gernina et Siré recroisent le grand frère, toujours « vénère» (énervé). Il recommence, s’adresse à Siré : «D’où tu ramènes un mec dans la cité à côté de chez moi?» La traite de «salope» et de «sale pute». Et tiens, il lui colle une gifle. Pareil pour Gernina, qui tente de s’interposer. Elle en a les lèvres qui saignent.
Seul mâle parmi les quatre enfants de la maison, Christius s’improvise en supercontrôleur de ses sœurs. Né en 1993, deux ans avant Gernina, il aura 18 ans en juin. C’est un bon élève, en deuxième année de bac pro, prêt à se lancer dans un BTS à la rentrée prochaine. Les parents, français d’origine zaïroise, travaillent beaucoup. Le père, employé administratif, et la mère, aide-soignante, sont bien loin des embrouilles adolescentes au pied des immeubles. Comme Christius, Stéphie, la grande sœur, étudiante, veille. Elle se dit « à cheval sur certains principes ». Les petits copains, c’est pas bien. Question de bonne tenue. S’agit de ne pas faire honte à la famille. Stéphie en a déjà parlé avec Gernina. « Je lui explique que certaines tombent enceintes, que d’autres ont de sales réputations, a-t-elle dit aux enquêteurs. D’ailleurs, je ne voulais pas qu’elle traîne avec Siré, qui a […] une réputation de pute car elle a déjà fait des choses avec des garçons. » Christius, c’est vrai, il joue au père, sévère et autoritaire, surtout avec Gernina, la petite dernière.
Le samedi 2 avril, l’adolescente part avec ses copines, tant pis pour son tour de tâches ménagères. La veille déjà, elle est rentrée à la maison en retard. Elle va être punie, encore, mais qu’importe, Gernina a envie de s’acheter des ballerines. Après, elle retrouvera Siré à la gare de Rosny, comme convenu par SMS. Mais vers 19h20, une heure avant l’agression d’Haroun, Gernina croise Christius à la gare RER de Rosny. Il l’engueule, qu’elle arrête de traîner. Confisque son portable. Et va « se poser» dans le square avec ses potes du quartier, Axel et Florian. «Par curiosité, j’ai regardé les messages du téléphone, raconte Christius aux policiers. [.. JJ’ai vu des choses qui m’ont choqué » : ce texto où Gernina parle à «[son] homme», elle dit avoir «bien aimé la journée d’hier », mais qu’elle a « saigné pen¬dant dix minutes». La réponse du gars : « Comment ça, t’as saigné ?» Gernina écrit que oui, il l’a « déviergée ». Christius disjoncte. Il pense à Haroun, direct. Voit Gernina à la gare de Rosny, il est dans son film, n’écoute rien, aie sur sa sœur. Elle ne peut pas lui dire que celui qu’elle appelle « mon homme » en SMS, c’est un autre. Que « c’est vrai […], comme elle l’a confié aux policiers, on a flirté ensemble, en fait on se touchait et à m moment… heu… il m’a mis un doigt… après j’ai voulu lui faire croire que j’étais plus vierge et j’ai écrit ça, mais en fait, c’était pas vrai».
Elle va le regretter, il va le retrouver, ce salaud d’Haroun. A la gare de Rosny, où les jeunes ont l’habitude de réunir leur ennui pour passer le temps plus vite, la rage de Christius crée l’attraction. Belva, Axel, Weetson, Diabé, Augustin, Sakouba, Salim et Jonathan s’attroupent comme des mouches autour du grand frère. Il va se passer quelque chose, enfin, faut pas rater ça. Christius envoie un message à Siré, du portable de sa sœur \ «bat ou » (sic). SMS de Siré : « Jariv jsuis àh noisy » OK. Christius monte dans le train. Les autres le suivent comme des moutons. A Noisy-le-Sec, il trouve Haroun avec Siré, dans le souterrain qui mène aux quais. Il lui dit : «Encore toi. » Dégaine le téléphone de sa sœur. Montre le numéro destinataire des textos douteux : « C’est ton numéro ? C’est ton numéro ?» Non. «Tu connais Gernina?» Non. S’acharne : «Tu connais Gernina?» Non. Christius cogne Haroun. Fort. Les autres s’y mettent. Le 5 avril, les policiers ont encore demandé à Haroun sorti du coma : « Connaissiez-vous cette Gernina? » Toujours non : «C’est une amie de Siré. » Tout ça pour ça.
Les suspects du violent passage à tabac d’Haroun n’ont pas mis longtemps à être arrêtés. Moins de quarante-huit heures après les faits, la sûreté territoriale de Seine-Saint-Denis a interpellé chez eux les dix jeunes, dont huit sont originaires du Bois-Perrier, à Rosny-sous-Bois. Pour la plupart scolarisés, ces adolescents — un seul est majeur — étaient inconnus de la police.
Le parquet de Bobigny avait réclamé l’incarcération provisoire de six d’entre eux. Cinq ont finalement été écroués. Le parquet a fait appel pour le sixième, remis en liberté, et c’est désormais à la cour d’appel de trancher.
L’enquête se poursuit dans le cadre d’une commission rogatoire, mais tous ceux qui ont pris part, de manière plus ou moins active, à cette agression sont mis en examen à des degrés divers. Deux pour non-dénonciation de crime. Les autres sont poursuivis pour tentative d’homicide et vol aggravé.
L’hypothèse du guet-apens, avancée immédiatement après les faits et soutenue par le parquet, n’a pas été retenue par le juge d’instruction. Selon Me Stéphane Maugendre, qui assure la défense du meneur présumé, un adolescent de 17 ans scolarisé en BEP, l’agression n’a pas eu lieu sur fond de guerre de territoires. L’auteur présumé pensait que la victime avait eu des relations sexuelles avec sa jeune sœur de 15 ans et il voulait dissuader Haroun de l’approcher. Rien cependant ne laisse aujourd’hui apparaître qu’une relation existait entre l’adolescente et le jeune homme. La jeune fille qui accompagnait Haroun au moment de l’agression a quitté le quartier.
« L’enquête n’a pas permis d’établir avec certitude le motif réel de cette agression. Plusieurs thèses ayant été avancées, la première évoquant que c’était sa liaison avec un jeune homme extérieur à la cité, tandis que la seconde arguait d’une hypothétique liaison entre la victime et sa jeune sœur… » Ainsi se conclut la synthèse de la Sûreté départementale de Seine-Saint-Denis. Ce sera donc à la juge d’instruction de faire la lumière sur l’enchaînement des faits qui ont, samedi dernier, failli coûter la vie à Haroun Thiam, 19 ans, à la gare RER de Noisy-le-Sec.
Seul garçon d’une famille de quatre enfants, C…, 17 ans, était jusqu’à ce 2 avril un lycéen sans histoire de Rosny-sous-Bois. Désormais écroué au quartier des mineurs de Fleury-Mérogis, il est soupçonné être l’instigateur du lynchage du jeune Haroun, originaire, lui, de Sartrouville (Yvelines), et qui sort depuis quelques mois avec une copine de la petite sœur de C. C’est en tout cas lui qui a porté le premier coup. « Un des jeunes m’a demandé si je sortais avec sa sœur, j’ai répondu non, a déclaré la victime une fois sortie du coma. Puis il m’a montré un portable avec des messages mais ce n’était pas mon numéro. »
La suite? Haroun se fait arracher son téléphone, prend un coup, chute et se fait rouer de coups avant de perdre connaissance. « Ils l’ont laissé pour mort et sont partis tranquillement« , a précisé cette semaine Sylvie Moisson, procureur de Bobigny. Huit des dix garçons présents – âgés de 14 à 19 ans et tous inconnus jusqu’alors des services de police – ont été mis en examen pour « tentative de meurtre », cinq ont été écroués.
« Ce qu’ils ont fait est grave, insiste Me Stéphane Maugendre, avocat de C. Mais ce n’est pas une guerre des territoires entre Rosny-sous-Bois et Sartrouville. Selon moi, c’est une série de quiproquos, notamment sur l’interprétation de SMS où il est question de saignements, qui fait que mon client est persuadé que sa petite sœur de 14-15 ans a eu des relations sexuelles avec un mec de 19 ans. Après, tout est allé très vite…«
Se cacher pour s’aimer, est-ce le destin des Roméo et Juliette de banlieue? La loi du quartier est-elle plus forte que celle de la République? Rencontre à Marseille avec les jeunes comédiens de Nous, princesses de Clèves et à Ris-Orangis, avec des jeunes de la MJC.
« Elle est jeune, elle est belle, elle n’a rien vécu. » Madame de Clèves, c’est un peu elle. Tiraillée entre la raison et la passion, écrasée par le carcan familial, tentée « d’aller au clash » pour ne pas passer à côté de la vie. Sarah Yagoubi, 20 ans, aime donner ses rendez-vous place Castellane. Tout est plus simple dans le centre de Marseille: on se fond dans la masse, on peut papoter la clope aux lèvres ou se prendre par la main sans attiser la rumeur. À deux pas, le cinéma Le César projette le réjouissant documentaire Nous, princesses de Clèves, sorti la semaine dernière.
Comme d’autres élèves du lycée Diderot, situé dans les quartiers nord populaires et déshérités, Sarah Yagoubi a passé deux ans en compagnie de l’héroïne de Mme de La Fayette. Elle a jubilé en jouant des passages du texte devant la caméra de Régis Sauder et livré quelques confidences sur ses tourments d’ado des cités. Au moment du tournage, Sarah Yagoubi ne voyait aucun écho entre le dilemme amoureux de la princesse de 16 ans et son propre destin: « Je n’avais rien vécu. Par contre, la mère de la princesse, qui ne comprend pas qu’on puisse aimer quelqu’un d’autre que son mari, me faisait penser à la mienne. Elle veut que je reste à la maison jusqu’à mon mariage, avec un Algérien, si possible, et musulman. Moi, je m’en fiche de la religion. Je suis athée. L’homme que j’épouserai devra juste être quelqu’un de bien. » Aujourd’hui amoureuse, elle se sent plus proche de l’héroïne. « Je ne vais pas faire comme la princesse de Clèves: renoncer. J’ai envie de me trouver un studio pour pouvoir passer la soirée au ciné avec mon copain sans être accueillie par ma mère en colère. »
Le lynchage tragique d’un jeune homme à Noisy-le-Sec, la semaine dernière, par des adolescents qui lui reprochaient, semble-t-il, de fréquenter une fille de leur quartier vient rappeler combien il est parfois difficile de s’aimer dans les cités. Il y a quinze ans, Vanda Gauthier et Catherine Régula, éducatrice et directrice artistique à la MJC de Ris-Orangis, dans l’Essonne, avaient été missionnées pour travailler avec les jeunes de la ville sur la question de la violence. « On s’est aperçues que l’amour – et tout ce qui lui fait obstacle – était au centre de leurs préoccupations. On a commencé à monter des spectacles de théâtre autour de ces questions essentielles: les mariages arrangés, les couples mixtes, l’homosexualité, et les discussions n’ont plus jamais cessé. »
Le centre-ville, un terrain neutre où on peut s’embrasser
Alors que les « bébés couples » des classes moyennes et des milieux aisés se promènent dans la rue, deux par deux, les Roméo et Juliette des cités doivent se cacher pour s’aimer. C’est une question de pudeur et de prudence. « Personne ne s’affiche, les parents ne doivent pas savoir qui sort avec qui, seuls les meilleurs amis sont dans la confidence« , témoigne Morgane Badrane, qui a participé au documentaire. « On ruse, on se retrouve en cachette dans les cages d’escalier. Pour faire l’amour, c’est l’après-midi pour ceux dont les parents ne sont pas là et sinon à l’hôtel« , confirme Francis. Le jeune homme de Ris-Orangis a commencé sa carrière d’amoureux dans son propre quartier avant de déserter. « En théorie, c’est plus simple ailleurs, mais en pratique… Je suis resté un moment avec une fille de Créteil. On se voyait dans son quartier à elle. C’était la galère. Les mecs de sa cité lui disaient que les gars du 91 comme moi, on n’est pas fidèles. Du coup, on s’est mis à se retrouver à Paris, à Châtelet ou à la bibliothèque François-Mitterrand. »
Tout comme le collège ou le lycée, le centre-ville est un terrain neutre où on peut s’embrasser en paix. « Les jeunes font tout le temps référence à la loi du quartier. Je leur répète que la seule loi valable dans ce pays, c’est celle de la République. Mais je comprends très bien qu’ils se cachent pour flirter« , décrypte la directrice artistique de la MJC de Ris-Orangis, Catherine Régula.
Pourquoi l’amour n’a-t-il pas droit de cité? Les jeunes évoquent un mélange de « traditions » portées par certains parents et de « réputations » orchestrées par quelques garçons qui se sentent propriétaires des filles. Autant d’obstacles renforcés par la structure villageoise du quartier, excentré, replié sur lui-même. Tout le monde se connaît, se commente et s’épie. Dans le film de Régis Sauder, un père de famille justifie la surveillance qu’il exerce sur sa fille par le souci de la protéger: « On étouffe nos enfants par amour. » Sans jamais juger des parents souvent venus de loin et confrontés à d’importantes difficultés matérielles, Catherine Régula tente de nouer un dialogue avec eux: « Très souvent, ils sont inquiets. En les rassurant, les jeunes peuvent se ménager des marges de liberté. » Les couples clandestins subissent également la pression de leurs camarades. En écoutant les confidences des jeunes, le réalisateur Régis Sauder a constaté que « même si toutes les filles ne sont pas brimées, certaines sont en liberté surveillée, sous le contrôle des garçons qu’on appelle les grands frères« .
« Tomber amoureux de qui on veut et vivre comme on l’entend«
Comme dans le roman de Mme de La Fayette, l’interdit décuple les sentiments. « Dans notre malchance, on vit des plus belles histoires que les autres jeunes. On est peut-être plus romantiques« , sourit la jeune Marseillaise Morgane Badrane. Désormais étudiant en première année de médecine à Marseille, Abou Achoumani a confié au documentariste Régis Sauder qu’il s’identifiait au prince de Clèves. « Ma mère, comorienne musulmane et très ouverte, m’a appris à toujours respecter les filles. Aussi je me suis toujours efforcé d’être un honnête homme, comme le mari de la princesse. Ça ne m’a pas toujours réussi parce que les filles ne sont pas toutes des anges. Mais ces chagrins m’ont beaucoup appris. »
Le jeune homme a su résister aux sarcasmes de ses copains, qui lui reprochaient d’être trop sentimental et doux avec les filles. Il a refusé de mettre son nez dans les histoires de cœur de sa sœur. « Je crois à la vertu de l’exemple: on doit pouvoir tomber amoureux de qui on veut et vivre comme on l’entend. Pour moi, c’est encore difficile, mais j’espère que mes enfants – si j’en ai – pourront s’afficher dans leurs quartiers avec leurs petits amis. »
En attendant, le jeune homme qui vit « une passion pure et dure avec une fille formidable« , reste discret. Ses voisins ignorent tout de sa romance, son statut Facebook affiche « célibataire ». Ce qui ne l’empêche pas d’être lyrique et démonstratif dans ses lieux secrets: la plage, le parc Borély… Le jour de la Saint-Valentin, il a grimpé avec sa belle jusqu’aux marches de Notre-Dame-de-la Garde pour lui déclamer des poèmes de son invention.
Violences. Selon les PV d’auditions, l’instigateur du lynchage affirme avoir agi parce que la victime fréquentait sa sœur, une relation qu’elle dément.
A-t-il cherché à corriger celui qu’il soupçonnait avoir été le petit copain de sa sœur ? C’est, à la lumière des PV d’auditions que s’est procurés Libération, l’argument avancé par C., 17 ans, élève en électrotechnique, pour justifier le passage à tabac d’Haroun Thiam, 19 ans, survenu samedi soir à la gare RER de Noisy-le-Sec.
Aux enquêteurs, celui que le parquet de Bobigny présente comme l’instigateur de l’agression, révèle, dès les premières heures de sa garde à vue, «avoir rencontré il y a quelques temps Haroun en bas de chez moi. Je pensais qu’il attendait ma petite sœur Gernina (15 ans). […]. J’ai alors demandé à Haroun ce qu’il faisait. Il a dit qu’il attendait sa cousine, en parlant de Siré.» Siré est la copine de Gernina ; au moment de l’agression, c’est elle la petite amie d’Haroun. «Je lui ai dit que je ne voulais plus le voir en bas de chez moi et que je ne voulais plus le revoir avec ma petite sœur, car je pensais qu’il sortait avec elle», poursuit C.A l’époque, des rumeurs courent dans la cité du Bois-Perrier à Rosny-sous-Bois, selon lesquelles Gernina a un amoureux.
Saignements. L’après-midi précédant l’agression, C. croise Gernina dans la cité. Il lui confisque son portable sur ordre de sa grande sœur, «car Gernina n’avait pas effectué les tâches ménagères qu’elle devait faire». C’est alors qu’il constate «un certain nombre de messages archivés qui m’ont choqué. J’ai compris qu’un gars avait fait des choses avec ma petite sœur». En regardant un autre texto que Gernina a envoyé à une de ses copines, il comprend que le garçon est bien plus âgé que sa sœur. Et que celle-ci se plaint de saignements. Dans sa tête, le lien avec Haroun, croisé quelques jours plus tôt, est évident. Et les saignements sont, selon lui, la preuve évidente que Gernina et Haroun ont eu un rapport sexuel.
Le téléphone toujours en poche, C. reçoit alors un texto de Siré, destinée à Gernina, lui expliquant qu’elle est bloquée à la gare de Noisy-le-Sec avec un garçon. Sans préciser son prénom. C. part sur le champ à Noisy. «Alors que j’allais sur le quai, dit-il aux policiers, un petit groupe de jeunes de mon quartier m’a vu énervé […]. Le train est arrivé et le groupe m’a suivi. Je leur ai dit qu’il y avait un mec qui fréquentait ma sœur et que je n’étais pas d’accord avec ça.» Dans l’escouade, se trouvent des cousins, des amis, et des connaissances de C., dont certains, très jeunes, venus «juste pour voir».
Après quelques minutes de recherche, le groupe localise Haroun et Siré. C. : «Je me suis approché de lui. Je lui ai dit « comme ça, tu continues à fréquenter ma petite sœur ? » Je lui ai dit que j’avais vu le message et qu’il ne pouvait pas me mentir. Je lui ai mis une gifle […]. Puis un coup de poing au visage. J’ai vu qu’il avait mal et je préférais continuer à lui parler sans violence. Mais, à ce moment-là, les autres jeunes qui étaient avec moi lui sont rentrés dedans.» S’ensuit la pluie de coups qui laissent Haroun grièvement blessé.
Zones d’ombre. C. dit-il la vérité ? De nombreuses zones d’ombre demeurent. A ce jour, Gernina nie formellement avoir eu une relation avec Haroun. C. S’est-il mépris sur l’identité du copain de sa petite sœur ? Au parquet, on continue de privilégier une thèse différente : Haroun a été tabassé au motif «qu’il avait l’audace de vivre une relation» avec Siré, originaire du Bois-Perrier, alors que lui vient de la cité des Indes de Sartrouville, dans les Yvelines.
Mercredi soir, dix adolescents ont été mis en examen dans cette affaire. Huit pour «tentative de meurtre». Parmi eux cinq ont été écroués. Les deux derniers sont poursuivis pour «non-dénonciation et non empêchement d’un crime».
Cinq des dix jeunes déférés devant le parquet de Bobigny ont été écroués mercredi soir. Après le lynchage d’un jeune de 18 ans à la gare RER de Noisy-le-Sec, les adolescents étaient notamment suspectés de « tentative d’assassinat ». Le juge a requalifié leur mise en examen pour « tentative de meurtre ».
Suspectés dans le cadre de l’enquête sur l’agression d’une rare violence de Harouna Thiam, survenue le week-end dernier à la gare RER de Noisy-le-Sec, cinq des dix jeunes mis en examen mercredi soir ont été écroués et huit ont vu leur mise en examen requalifiée en « tentative de meurtre » et non « tentative d’assassinat ». Un changement dû à la décision du juge qui n’a pas retenu la préméditation.
Une décision qui doit satisfaire l’avocat de celui présenté comme l’instigateur de cette agression. Me Stéphane Maugendre a en effet, toujours réfuté la thèse de la préméditation. Regrettant la tournure que prenait l’enquête, il défendait le scénario d’un « quiproquo » qui aurait mal tourné.
Un guet-apens ?
L’un des mis en cause, qui « apparaît comme l’instigateur, a repéré l’endroit où se situait la cible, en utilisant un subterfuge, notamment un sms », a expliqué la procureur. « Les mis en cause se sont rendus sur les lieux après avoir localisé (Haroun), à la gare RER de Noisy », a-t-elle rapporté: « Ils ont encerclé, ils ont porté des coups de poing, de pied, d’une rare violence à la victime qui était au sol ».
La thèse du guet-apens semble toutefois être la plus probable pour le responsable régional du syndicat Alliance. Benoît Hutse s’accroche à l’idée que les dix jeunes ont tendu un piège à Harouna. « Dans la journée, ils ont pris le téléphone portable d’une amie de la jeune fille (ndlr: Sire, la petite-amie de Harouna). Pour cela, ils l’ont menacée. Ensuite, ils lui ont demandé par texto où elle se trouvait. Elle a répondu: « Je suis à la gare et j’attends mon petit copain ». Quelques minutes plus tard, ils arrivaient. C’était un guet-apens ». Gravement blessé, Harouna souffre d’un traumatisme crânien et d’un éclatement de la rate. Si son état est préoccupant, il est toutefois stationnaire et son pronostic vital n’est plus engagé. Selon une source policière, il serait sorti du coma.
SIRA, (5 ANS, EST ORIGINAIRE DE ROSNY-SOUS-BOIS (SEINE-SAINT-DENIS), AROUN. 19 ANS, EST DE SARTROUVILLE (YVELINES). SAMEDI 2 AVRIL, IL EST ENVIRON 20 HEURES À LA GARE RER DE NOISY-LE-SEC. LE COUPLE CROISE LA ROUTE D’UN GROUPE DE (DIX) JEUNES. LA PETITE BANDE N’AURAIT PAS SUPPORTÉ QU’UNE DES LEURS FRÉQUENTE UN GARÇON D’UN AUTRE QUARTIER. LES COUPS PLEUVENT, LE JEUNE HOMME EST PASSÉ À TABAC. APRÈS LE DÉPART DE SES AGRESSEURS, IL EST TRANSPORTÉ, DANS UN ÉTAT CRITIQUE. AU SERVICE DE RÉANIMATION DE L’HÔPITAL BEAUJON, À CLICHY (HAUTS-DE-SEINE)…
LUNDI 4 AVRIL, HUIT PERSONNES, DONT SEPT MINEURS, ONT ÉTÉ INTERPELLÉES.