Noisy-le-Sec : itinéraire d’un grand frère vengeur

logo-liberation-311x113   Willy Le Devin

Dans son quartier des Marnaudes à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), on dit de Christius, l’instigateur présumé de l’agression d’Haroun Thiam, le 2 avril, à la gare RER de Noisy-le-Sec, «qu’il a cherché à jouer au papa». On dit aussi «qu’il a pété les plombs lorsqu’il a vu les textos archivés dans le portable de Gernina [sa sœur de 14 ans, ndlr] laissant croire qu’elle s’était fait dévierger par Haroun», de cinq ans plus vieux qu’elle.

Dans la cité, ou l’on ne badine pas avec «la réputation», le fait que Gernina ait un petit copain est assimilé à «un comportement de pute». Alors, Christius, 18 ans dans quelques semaines, seul garçon d’une famille où il compte trois sœurs, «est parti sécher Haroun». Par honneur mal placé. Aux enquêteurs, sa grande sœur Stéphie déclare : «Quand Christius parle des hommes à Gernina, c’est vrai, il lui crie dessus.»

Cible. Il se trouve qu’Haroun n’est pas l’amoureux de Gernina. Fraîchement sorti de l’hôpital, celui-ci l’a expliqué mercredi au Parisien, confirmant une information publiée le 8 avril par Libération : «Mes agresseurs se sont trompés de cible. Le meneur [Christius, ndlr] pensait que je sortais avec sa petite sœur. Ce n’est pas vrai ! Les textos qu’il a lus ne sont pas de moi. Je n’ai su qu’après qu’il s’agissait d’un autre.» Sous la pluie de coups initiée par Christius, le cœur d’Haroun avait failli lâcher.

De l’aveu même de Stéphane Maugendre, l’avocat de Christius, la scène fait froid dans le dos. En tant que conseil, il a pu visionner quelques extraits des bandes de vidéosurveillance ayant capté l’agression. «C’est très violent, assure-t-il, pourtant, mon client n’est pas coutumier du fait.» Christius possède un casier judiciaire vierge. Il ne figure même pas au Stic, ce fichier informatisé du ministère de l’Intérieur, regroupant des informations sur les auteurs d’infractions interpellés par la police. Le 6 avril, il a été mis en examen avec sept autres jeunes pour tentative de meurtre. Deux jours après les faits, alors que l’hystérie médiatique battait son plein autour de conflits supposés entre bandes rivales, Claude Capillon, le maire UMP de Rosny-sous-Bois, s’était étonné «de voir mêler à cet acte odieux des jeunes qui n’ont jamais posé de problème ni au sein de la commune ni dans leurs établissements scolaires respectifs».

Correction. Elève en deuxième année de bac pro électrotechnique, Christius envisageait d’entamer un BTS à la rentrée prochaine. Dans son suivi socio-éducatif, sa scolarité est décrite comme «plutôt positive.» Il est précisé que «Christius n’a jamais redoublé. En troisième, il a obtenu l’orientation qu’il souhaitait. Il reconnaît qu’il doit travailler davantage, car ses résultats sont jugés moyens, notamment dans les matières théoriques. Toutefois, c’est un jeune qui se projette dans l’avenir». Un de ses professeurs, qui a requis l’anonymat «pour ne pas interférer dans une histoire qui [le]dépasse», pense que «Christius s’est égaré. Pour l’avoir plusieurs fois par semaine en cours, je peux affirmer qu’il n’est pas particulièrement compliqué à gérer. Ce n’est pas le genre à traîner dans une bande. En revanche, je sais que dans sa famille, ce sont les aînés qui s’occupent des plus jeunes. En tant que grand frère, il a dû se sentir investi d’un devoir de correction du mec de sa petite sœur. D’autant que dans la cité, ça devait parler. Ne rien faire c’était sûrement s’exposer aux railleries de ses potes. Il a sûrement dû agir ainsi pour obtenir la reconnaissance du groupe.»

A la maison, c’est vrai, ce sont Stéphie et Christius qui s’occupent le plus souvent de Gernina. Les parents, cadre administratif et aide-soignante, font beaucoup d’heures pour joindre les deux bouts. Toutefois, on apprend du dossier socio-éducatif «qu’ils établissent des règles strictes : lorsqu’il a école le lendemain, Christius doit rentrer à 20 heures au plus tard, ce qu’il respecte. L’ambiance familiale paraît sereine. Les enfants semblent ne manquer de rien et ont chacun leur chambre».

Celle de Christius, perquisitionnée par les enquêteurs, est truffée de maillots de foot. En bonne place, celui de la république démocratique du Congo, pays d’où sont originaires ses parents, installés en France depuis de nombreuses années. Aucune arme. Pas de drogue. Un tableau qui tempère les mots employés par Sylvie Moisson, la procureure de Bobigny, qui a qualifié Christius de «leader d’une expédition punitive froide, visant à tuer». En privé, une source policière proche du dossier soupçonne le parquet d’avoir quelque peu surjoué : «Dans cette affaire, il y a tout ! Le 93, la violence gratuite, la place de la femme dans les cités, les bandes. Idéologiquement, demandez-vous à qui cela profite. Attention, ce que je dis n’enlève rien à la gravité et à l’idiotie de l’agression dont les auteurs devront répondre. Mais si la même histoire était survenue à Châlons-sur-Marne, en aurait-on autant parlé ?

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