Regroupement familial : la nouvelle donne

images fig Marie-Amélie Lombard, 10/11/1994

Les immigrés devront se plier à des régies plus strictes

Fondé sur le principe constitutionnel du droit à une « vie familiale normale » pour les Immigrés, le regroupement familial existe depuis vingt ans en France. Il permet au conjoint et aux enfants mineurs d’un étranger séjournant régulièrement an France de le rejoindre. Quelque 32 000 personnes bénéficiant chaque année de cette procédure qui a été modifiée par la loi du 24 août 1993. Le décret d’application et Isa deux arrêtés ministériels introduisant ces changements sont parus ce matin au Journal officiel. Voici ces nouvelles dispositions et leurs conséquences pour la première source (en nombre) d’immigration légale en France.

Ce jour-là, une dizaine de dossiers de regroupement familial devaient passer « à la signature « , une « fournée » relativement normale pour la préfecture des Hauts-de-Seine. Au sommet de la pile, on découvrait le cas d’une Haïtienne,  « ouvrière nettoyeuse », arrivée en France en 1987, voulant faire venir son fils de sept ans. La dernière chemise cartonnée concernait un Marocain de 48 ans, ouvrier du bâtiment, qui souhaitait que sa femme le rejoigne: Autant d’histoires différentes que de dossiers.

Délai minimal

« Les gens ayant vraiment la volonté de s’installer en France y mettent le temps, mais finissent par y arriver ». Ce constat, fait car Jean-Pierre Troussard, directeur de la réglementation est. à ce titre, chargé du regroupement, familial à la préfecture des Hauts- de-Seine, ne fait pas l’unanimité. Ainsi, Me Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit de l’immigration estime-t-il que « la politique actuelle tend à multiplier les obstacles au regroupement familial, poussant les candidats A opter pour la clandestinité. » Jusqu’à présent, trois conditions étalent nécessaires – et, en principe, suffisantes – pour prétendre au regroupement : être en situation régulière en France sur les plans du séjour et du travail depuis au moins un an, disposer de ressources suffisantes et stables (le Smic) pour subvenir aux besoins de sa famille, disposer d’un logement (la superficie exigée dépend de la taille de la famille). La demande de regroupement devait être faite alors que la famille ne se trouvait pas encore en France.

Désormais, le délai minimal de résidence en France est porté à deux ans. Un allongement qui, de l’avis général, ne change rien sur le fond, les immigrés ne demandant le regroupement qu’après plusieurs années passées ici. Trois conditions supplémentaires sont également exigées. Le regroupement doit, sauf exception, être sollicité pour l’ensemble de la famille. « Nous cherchons ainsi à éviter qu’un père fasse venir ses aînés, dans l’Idée de leur trouver un emploi, et laisse sa femme et ses plus Jeunes enfants au pays », explique Gérard Moreau. directeur de la population au ministère des Affaires sociales.

Autre condition nouvelle, la non-polygamie. Une règle claire en théorie: « le bénéfice du regroupement familial ne peut être accordé à un autre conjoint » que celui résidant sur le territoire – mais pouvant être difficile à appliquer. Peu fréquente chez les Maghrébins, la polygamie concernerait « quelques milliers de personnes de l’Afrique sub-saharienne », principalement les Maliens et les Sénégalais.

La dernière condition concerne l’avis du maire (celui du lieu de résidence de l’intéressé), qui doit désormais être pris par les autorités préfectorales mais ne les Iie pas. Cette nouveauté, vieille revendication des élus municipaux, risque de provoquer de multiples conflits entre préfecture et mairies concernées par le regroupement familial et, donc, par une immigration nouvelle.

En principe, précise la circulaire d’application, « le maire doit formuler son avis sur les conditions de ressources et de logement du demandeur». Mais, comme ailleurs, la préfecture des Hauts-de-Seine s’attend à recevoir des avis plus « politiques que techniques » et a devoir arbitrer des situations délicates. Jusqu’à présent, le regroupement familial était un droit pour les personnes remplissant les conditions requises. Entre-t-on aujourd’hui dans le domaine de l’opportunité, les autorités bénéficiant alors d’un pouvoir d’appréciation?  La question est aujourd’hui débattue.

« Les maires feront des choix électoraux », anticipe Me Stéphane Maugendre, tout en estimant qu’aujourd’hui déjà des obstacles déguisés existent dans certaines municipalités. Ainsi, en serait-il des communes qui évitent la construction de logements sociaux de plus de trois pièces, s’« épargnant » ainsi les familles immigrées, a priori nombreuses.

« Devant le fait accompli »

Un de mes clients, Malien, en France depuis quinze ans, voudrait faire venir ses enfants. Il vit actuellement dans un deux pièces. Quand II fait une demande d’appartement plus grand, l’office HLM lui répond : « On verra lorsque vos enfants seront là. » Du coup, Il ne dispose pas d’un logement suffisent pour faire sa demande de regroupement  ».

La fermeté adoptée par les autorités se manifeste également par «des refus systématique», selon Me Maugendre, d’admettre au regroupement des familles déjà présentes sur le territoire. Position défendue à la préfecture des Hauts-de- Seine par Jean-Pierre Troussard : « Nous voulons éviter d’être mis devant le fait accompli, les femmes et enfants présents illégalement sur le territoire n’étant que très rarement expulsés. »

Aujourd’hui, les Marocains arrivent en tête des demandes de regroupement familial, suivis par les Turcs. Souvent, les étrangers attendent plusieurs dizaines d’années avant de se lancer dans la procédure. Tel cet Algérien de 59 ans, chauffeur-livreur, qui demande à ce que sa femme le rejoigne dans son logement de 36 mètres carrés. « Sans doute a-t-il un projet de retraite ici.  A priori, le dossier ne pose pas de problèmes » Commente Jean-Pierre Troussard

La maîtrise de l’immigration

En revanche, le dossier de ce Tunisien de 51 ans, travaillant dans l’automobile et souhaitant la venue de son fils est accompagné d’un avis défavorable : « Logement de 37 mètres carrés non conforme et de grande vétusté, ne convenant pas à un adolescent (pièces sombres, sales, peinture à refaire, humidité, w.-c. extérieur pas de douche ».

Sans compter les « refus au guichet » pour dossiers manifestement Infondés ou incomplets, environ un tiers des de mandes sont rejetées. Pour le premier semestre 1994, la direction de la population a constaté une baisse des demandes de 25 %.

Une diminution qui pourrai bien s’expliquer par « l’effet rigueur » de la loi de 1993 celle-ci ayant parfois été comprise, dans las banlieues comme un arrêt définitif mis à la procédure. Instauré pour faciliter l’intégration des immigrés et éviter les ghettos de « célibataires » forcés envoyant tout leur pécule au pays, le regroupement familial hésite aujourd’hui entre sa fonction première et celle d’instrument servant à la maitrise de l’immigration.