Un Juge d’instruction du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) instruit depuis le 16 mai des faits présumés de proxénétisme en bande organisée liés notamment à l’audience dite des «35 quater » (du nom de l’article de l’ordonnance du 2 novembre 1945 régissant le droit les étrangers), sur les étrangers entrés en France en situation irrégulière, dans ce même tribunal. Le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) a déposé, le 20 mars dernier, une plainte contre X avec constitution de partie civile, s’interrogeant sur la présence d’éventuels «rabatteurs » à la sortie de l’audience des «35 quater».
Archives de catégorie : droit des étrangers
Le proxénétisme rôde autour du tribunal
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Des étrangères seraient «recrutées» à leur sortie de Bobigny.
«Manèges pas clairs.» A Bobigny, des militants de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) ont lancé une campagne d’observation aux audiences où se décide la remise en liberté ou le maintien en zone d’attente des étrangers démunis de passeport et de visa, éventuels demandeurs d’asile en France. Au fil des semaines, l’association a enquêté auprès des greffiers, des interprètes, des policiers de la PAF, la police aux frontières. Tous ces interlocuteurs font allusion à des «manèges pas clairs». Dans le public de ces audiences, les militants ont eux-mêmes remarqué la présence d’habitués, africains, au «look particulier» : gourmettes en or, vêtements voyants, pantalons en cuir, cheveux déco lorés. Des hommes décrits comme «arrogants, sûrs d’eux». Jusque-là, rien de grave. Mais les militants ont de bonnes raisons de penser qu’ils pourraient être des «rabatteurs» pour des réseaux de prostitution.
Lors de l’audience du 14 janvier 2001, un policier explique à l’un de ces enquêteurs bénévoles : «Les Africains assis sur les bancs du public sont des proxénètes.» Quelques avocats seraient de mèche. A cette même audience du 14 janvier, l’un d’eux prend violemment à partie une militante en train d’alerter une jeune Sierra-Léonaise sur les risques de prostitution. «Vous n’avez pas le droit de parler à ma cliente… Qui vous a permis ?» Le 19 janvier, un autre témoin entend, dans la salle d’audience, cette conversation téléphonique d’un avocat : «Il y en a une qui est sortie. Dis-moi combien de temps je lui dis de t’attendre… L’autre a été reconnue mineure… Il faudra la récupérer autrement.» Une militante s’étonne : «J’ai vu des individus rôder autour des étrangers. Ils se présentaient comme amis, alors que les étrangers m’ont dit ne pas connaître ces personnes qui restent des heures devant la salle d’audience.» Un autre incrédule : «Des familles d’étrangers sont présentes à la sortie de la salle. Il ne s’agit que d’hommes. S’agit-il vraiment de familles ? Comment comprendre que ceux qui, lors de l’audience, déclaraient n’avoir personne ont trouvé là un cousin, le copain d’un frère ?»
«Bonne escorte». Les cibles : des jeunes femmes, se déclarant majoritairement de Sierra Leone, vulnérables, seules, et bien souvent mineures. Difficile de leur venir en aide. Ainsi, le 26 janvier, des représentants d’associations accompagnent une trentaine d’étrangers relâchés, ils sont suivis par deux personnes se prétendant «cousins». Or, aucun des étrangers ne s’est dit parent des deux individus. Quelques jours plus tard, le 2 février, deux jeunes filles sont emmenées «sous bonne escorte», sous leurs yeux : «Visiblement, elles ne connaissaient pas les hommes qui venaient les chercher mais semblaient prévenues. Equipés de portable, très sûrs d’eux, ils passent de nombreux appels.»
Les témoignages concordent : à leur sortie du palais de justice, les jeunes Africaines remises en liberté sont attendues : une bénévole discute avec deux Sierra-Léonaises, un avocat se rapproche, assure qu’elles vont retrouver le frère de l’une d’elles, en Belgique. En aparté, les deux Africaines avouent qu’elles n’ont pas de famille en Belgique (31 janvier). «Un interprète, un greffier et un policier de la PAF ont affirmé aux observateurs que lorsque les étrangers sont remis en liberté, « des réseaux les attendent à la sortie »», souligne la plainte du Gisti.
Quand elles sont mineures, les jeunes filles sont placées, sur décision du juge des enfants, dans des foyers. Elles fuguent la plupart du temps. Munies de numéros de téléphone portable, dont certains sont bien connus par les éducateurs. 40 % des enfants placés par l’ASE, l’Aide sociale à l’enfance, ont ainsi fugué entre janvier et juillet 2001. Jean-Claude Kross, chef du parquet des mineurs, a lui-même tenté d’enquêter sur ces disparitions massives. «Il y a plusieurs hypothèses : 1, les mineurs placés en foyer s’y sentent comme en prison, ils ne réalisent pas qu’ils sont protégés ; 2, la France n’est pas leur destination ; 3, une partie des jeunes qui veulent rester ont des numéros de téléphone, ils sont probablement pris en charge. Mais par qui ?» C’est précisément ce à quoi devra répondre l’instruction en cours. «Sur les boulevards extérieurs on voit bien des petites Africaines sur le trottoir, souvent très jeunes. Mais l’enquête est difficile, elles ne parlent pas», ajoute le magistrat. Et comment savoir si ces jeunes filles sont celles qui ont été repérées à Bobigny, alors que leurs états civils ont certainement été modifiés ? «C’est une intime conviction. On reste dans le domaine de l’intuitif, pas du démonstratif», explique Jean-Claude Kross.
Sonnettes d’alarme. La plainte du Gisti, rédigée par Me Stéphane Maugendre, est sans ambiguïté : «L’ensemble du monde judiciaire de la Seine-Saint-Denis a connaissance de ces agissements.» De même, «au-delà du monde judiciaire sont informés : la PAF, le ministère de l’Intérieur, autorité de tutelle, les services de police, le conseil général de Seine-Saint-Denis, la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) et le préfet du département». «Toutes les sonnettes d’alarme ont été tirées», assure l’avocat. La plainte du Gisti, que les associations de défense des étrangers suivent de près, a été déposée en mars. Quelques semaines après, le parquet a décidé d’ouvrir une information sur trois jeunes filles disparues. «A l’évidence, le parquet n’avait pas pris la mesure de l’ampleur des éventuels dégâts, analyse Stéphane Maugendre. Quand il est susceptible de se passer des choses comme ça dans l’enceinte du palais de justice, on réagit immédiatement.»
Est-il trop tard? Peut-être. Hélène Gacon, présidente de l’Anafé, constate que «les techniques s’affinent, s’adaptent». Depuis quelques semaines des femmes semblent avoir remplacé les hommes aux habits voyants et s’imposent comme nouvelles intermédiaires à la sortie des audiences de Bobigny.
Enquête sur un présumé réseau de prostitution via le tribunal de Bobigny
AFP, François Ausseill, 31/10/2001
Le tribunal de grande instance de Bobigny servirait-il de plaque tournante à un réseau de prostitution impliquant de jeunes étrangères, africaines et mineures pour la plupart ? Tel est l’objet d’une instruction confiée à un juge depuis le 16 mai a-t-on apprit mercredi de source proche du dossier.
A l’origine de cette enquête, une plainte contre X déposée en mars 2001 par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), s’interrogeant sur la présence d’éventuels « rabatteurs » à la sortie de l’audience dite des 35 quater sur les étrangers arrivés en France en situation irrégulière.
Cette plainte sera suivie un mois et demi plus tard par une ouverture d’information judiciaire du parquet de Bobigny alors que le responsable du parquet des mineurs. Jean-Claude Kross avait, selon le Gisti, alerté le procureur général de la Cour d’appel de Paris et que le tribunal dans son ensemble s’interrogeait depuis plus d’un an sur le devenir des jeunes filles, mineures ou non. passées par l’audience des 35 quater (du nom de l’article de l’ordonnance du 2 novembre 1945 (régissant le droit des étrangers).
Saisi de la plainte avec constitution de partie civile du Gisti et de l’information judiciaire, les deux dossiers ayant été joints depuis, le juge Olivier Géron instruit, avec l’aide des brigades des mineurs de Bobigny et de Paris, des faits présumés de « proxénétisme en bande organisée » et « d’arrestation, enlèvement et séquestration de mineurs de 15 ans »
Chaque jour, dans une nouvelle salle du tribunal de Bobigny, des dizaines d’étrangers arrivés en situation irrégulière à Roissy défilent devant un juge chargé de statuer sur leur maintien en zone d’attente.
Si nombre d’entre eux sont maintenus et renvoyés dans leur pays d’origine, d’autres sont autorisés à entrer sur le territoire, et parmi eux, des jeunes filles, prises en charge dès la sortie de la salle d’audience par des individus que manifestement elles ne connaissent pas.
Ainsi, le Gisti, dont la plainte est le fruit d’une campagne d’observation de l’audience des 35 quater entre le 27 décembre 2000 et le 2 février 2001, note que « selon toutes vraisemblances des rabatteurs récupéraient des jeunes femmes ou filles mineures étrangères pour alimenter un ou des réseaux de prostitution et pour les étrangers majeurs des réseaux de travail clandestin »
« Il semble que ce soit les jeunes femmes de nationalité sierra-léonaise les plus vulnérables puisqu’il a été observé que des hommes qu’allés ne connaissaient pas, venaient visiblement les récupérer », poursuit le Gisti dans sa plainte dont l’AFP a eu copie. Il n’est qu’à fréquenter régulièrement le tribunal de Bobigny pour en effet constater aux abords de la petite salle d’audience, à l’entrée du tribunal la présence régulière d’hommes et de femmes, souvent les mêmes, d’origine africaine, qui entrent en contact avec les jeunes femme» à leur sortie de la salle ou de l’enceinte de tribunal.
Plus troublante est l’attitude de deux ou trois avocats payants spécialisés en droit des étrangers, qui à plusieurs reprises ont empêché des membres d‘associations telles que la Croix-Rouge de s’entretenir avec des jeunes filles qui venaient d’être autorisées à entrer sur le territoire.
Outre ces agissements aux abords et dans le tribunal, l’enquête porte sur les nombreuses fugues de mineures placées dans des foyers de aide sociale à l’enfance (ASE) de la Seine-Saint-Denis, avec en filigrane la même question: ces jeunes filles deviennent-elles des lucioles noires, ces jeunes prostituées d’origine africaine que l’on retrouve sur les boulevards des maréchaux à Paris?
«C’est de la poudre aux yeux»
Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des étrangers, analyse les amendements proposés par le gouvernement dans le projet de loi sur la sécurité quotidienne.
Que vous inspire les mesures du gouvernement?
Cela me choque qu’un gouvernement de gauche propose ce train de mesures. C’est une sorte de condensé Pleven-Peyrefitte-Pasqua, trois anciens ministres de l’Intérieur qui se sont distingués par des textes liberticides. On fait comme il y a quelques années et souvent en matière de terrorisme : on met des moyens judiciaires et juridiques à la disposition des juges, alors que ce sont les moyens matériels qui leur manquent. La législation antiterroriste existe et on a déjà pu en dénoncer les dérives. A l’occasion du procès du réseau Chalabi, notamment. Les avocats ont été contraints de boycotter les audiences, et ils ont calculé qu’au final l’ensemble des prévenus avait fait quatorze ans de détention provisoire pour rien. Ces mesures, pas plus que Vigipirate, n’empêcheront les terroristes de s’organiser. De ce point de vue, c’est de la poudre aux yeux. En revanche, elles vont favoriser des dérives très dangereuses pour les libertés publiques.
Lesquelles ?
Les rédacteurs vont si loin en matière de fouilles de véhicules et de perquisitions qu’ils précisent : si les opérations révèlent autre chose que les infractions visées dans les réquisitions du procureur, ces procédures incidentes ne pourront être frappées de nullité. En clair, le dispositif pourra être utilisé à d’autres fins que la lutte antiterroriste. C’est l’inconscient qui parle ! On couvre par avance toutes les possibilités de dérapage de la police. A la lecture de procès-verbaux, on remarque que certains services de police jouent déjà avec les limites, pour fouiller une voiture par exemple : «Regardant par la vitre du véhicule, voyons un joint de cannabis. Agissons donc en flagrance…» Il s’agit d’une pratique marginale. Mais si on leur donne la possibilité de le faire systématiquement, ils iront plus loin dans leurs pratiques quotidiennes. Les perquisitions sont possibles en enquête préliminaire, avec l’assentiment de la personne ou la présence de deux témoins. Or, je n’ai jamais vu de refus de perquisition en matière de terrorisme, dans aucune procédure. Que vise-t-on exactement ? Quant aux vigiles, ils pourront, demain, procéder à des fouilles et à des palpations de sécurité, avec le consentement de la personne. Qu’est-ce qu’un consentement dans ces conditions ? Que se passe-t-il si la personne n’obtempère pas ? Ces contrôles tomberont sur qui ? Ces dérives existent déjà avec les polices municipales. On ne doit pas donner de tels pouvoirs à des gens qui ne sont pas des policiers.
«C’est de la poudre aux yeux»
INTERVIEW : Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des étrangers, analyse les amendements proposés par le gouvernement dans le projet de loi sur la sécurité quotidienne.
Que vous inspire les mesures du gouvernement?
Cela me choque qu’un gouvernement de gauche propose ce train de mesures. C’est une sorte de condensé Pleven-Peyrefitte-Pasqua, trois anciens ministres de l’Intérieur qui se sont distingués par des textes liberticides. On fait comme il y a quelques années et souvent en matière de terrorisme : on met des moyens judiciaires et juridiques à la disposition des juges, alors que ce sont les moyens matériels qui leur manquent. La législation antiterroriste existe et on a déjà pu en dénoncer les dérives. A l’occasion du procès du réseau Chalabi, notamment. Les avocats ont été contraints de boycotter les audiences, et ils ont calculé qu’au final l’ensemble des prévenus avait fait quatorze ans de détention provisoire pour rien. Ces mesures, pas plus que Vigipirate, n’empêcheront les terroristes de s’organiser. De ce point de vue, c’est de la poudre aux yeux. En revanche, elles vont favoriser des dérives très dangereuses pour les libertés publiques.
Lesquelles ?
Les rédacteurs vont si loin en matière de fouilles de véhicules et de perquisitions qu’ils précisent : si les opérations révèlent autre chose que les infractions visées dans les réquisitions du procureur, ces procédures incidentes ne pourront être frappées de nullité. En clair, le dispositif pourra être utilisé à d’autres fins que la lutte antiterroriste. C’est l’inconscient qui parle ! On couvre par avance toutes les possibilités de dérapage de la police. A la lecture de procès-verbaux, on remarque que certains services de police jouent déjà avec les limites, pour fouiller une voiture par exemple : «Regardant par la vitre du véhicule, voyons un joint de cannabis. Agissons donc en flagrance…» Il s’agit d’une pratique marginale. Mais si on leur donne la possibilité de le faire systématiquement, ils iront plus loin dans leurs pratiques quotidiennes. Les perquisitions sont possibles en enquête préliminaire, avec l’assentiment de la personne ou la présence de deux témoins. Or, je n’ai jamais vu de refus de perquisition en matière de terrorisme, dans aucune procédure. Que vise-t-on exactement ? Quant aux vigiles, ils pourront, demain, procéder à des fouilles et à des palpations de sécurité, avec le consentement de la personne. Qu’est-ce qu’un consentement dans ces conditions ? Que se passe-t-il si la personne n’obtempère pas ? Ces contrôles tomberont sur qui ? Ces dérives existent déjà avec les polices municipales. On ne doit pas donner de tels pouvoirs à des gens qui ne sont pas des policiers.
Jugé pour le meurtre d’un vigile
Hélène Bry, 19/06/2001
IL S’APPELAIT Bienvenu. Un comble d’ironie pour ce Zaïrois sans papiers de 39 ans, mort égorgé sous une fausse identité en défendant le centre commercial de Rosny-sous-Bois contre une bande de jeunes, le 1er juillet 1998. Depuis dix ans qu’il était en France, les différentes demandes d’asile politique et de régularisation de Bienvenu avaient toutes échoué. Alors il avait fini par emprunter l’identité de son frère N’Kombe Makolo, de nationalité française, pour décrocher un emploi. Un emploi de vigile qui allait comme un gant à ce garçon baraqué, ceinture noire de judo et champion du Zaïre dans cette discipline. Aujourd’hui et demain, Fabrice Ozier Lafontaine comparaît devant la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis pour le meurtre de Bienvenu Makolo. Le procès, qui avait débuté en novembre 2000, avait été renvoyé après quelques heures de débats à la suite d’une journée « tribunal mort » des greffiers du tribunal de grande instance de Bobigny. « Je reconnais partiellement les faits », avait juste eu le temps de déclarer l’accusé avant d’être replacé en détention provisoire. « La triste vie et mort d’un sans-papiers » Avant de mourir le 3 juillet 1998 des suites de ses blessures, Bienvenu a pu confier sa version des faits aux enquêteurs. Le jour du drame, il se trouve avec deux collègues près du magasin Darty. Bienvenu repère un groupe de jeunes en train de semer la pagaille. Deux autres vigiles arrivent à la rescousse, mais il décide d’appeler la police. En attendant les renforts, les vigiles tentent de neutraliser le groupe en l’entraînant vers la sortie du centre commercial. Bienvenu a repéré un jeune qui essaie de s’éclipser. Les deux hommes se retrouvent face à face. Le fuyard sort son couteau, menace le vigile d’un « Casse-toi ou je te nique » et porte un premier coup de couteau au front, partiellement esquivé par Bienvenu. Ce dernier n’a, semble-t-il, pas vu arriver le deuxième coup, mortel, qui l’atteindra au cou. Quant à Fabrice Ozier Lafontaine, il indiquera aux enquêteurs que, le soir du drame, tout le monde avait bu dans le groupe de jeunes.
Pour Me Stéphane Maugendre, l’avocat de la famille de Bienvenu, « c’est la triste vie et mort d’un sans-papiers, même après sa mort ». Détail sordide, en effet, l’assurance n’a toujours pas versé à la famille de la victime le capital décès au motif que l’identité de l’assuré ne correspond pas à celle du mort… « Ce qui frappe dans ce procès, ajoute l’avocat, c’est qu’on est à mille lieues de l’image que se fait Monsieur Tout-le-Monde du sans-papiers qui trafique ou qui bidouille ou travaille au noir. Là, on a un sans-papiers qui s’occupe de la sécurité de Monsieur Tout-le-Monde, dans un département comme la Seine-Saint-Denis… et qui le paie de sa vie. »
La mariée était dans l’avion pour l’Algérie.
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Nadia , sans papiers, a été expulsée juste avant ses noces.
Ils devaient se marier hier, à 17 heures, à Laval. Avec 300 invités venus de toute la France, d’Europe et d’Algérie. Mais la veille de leur union en mairie, Malik et Nadia ont été séparés par la police. Nadia, algérienne sans-papiers, est enceinte de trois mois, elle a été expulsée hier. Le mariage a été annulé.
«J’ai flashé.» Malik et Nadia ont fait connaissance dans un café parisien à Nation, à l’automne 2000. Elle, jolie trentenaire algéroise, petite dernière d’une famille nombreuse et prospère, a quitté l’Algérie après le décès de sa mère. Lui, cadre dans une entreprise de traitement des charpentes, est français, travaille en région parisienne. «J’ai flashé, on a parlé. Depuis, c’est la femme de ma vie.» Quelques mois plus tard, le 23 février 2001, ils se marient religieusement, unis par un imam de Corbeil-Essonnes. «C’est ce qui importait le plus, même si ça n’a pas de valeur juridique» , explique Malik, car tous deux sont croyants. Nadia n’arrive pas à régulariser sa situation et n’a nulle envie de retourner dans son pays. Ils sont bien ensemble, font un enfant. Ils veulent aussi officialiser leur union. Ils publient les bans, préparent un contrat de mariage et lancent les invitations. La fête doit se dérouler dans un petit village de Mayenne, à Montigné-le-Brillant.
La veille de la cérémonie, une convocation pour le commissariat arrive chez Marie-Louise, la mère de Malik, où ils sont domiciliés. Nadia se retrouve placée en garde à vue, puis en rétention administrative. La jeune femme, arrivée avec un visa de touriste, est sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière datant d’avril 2000. Son fiancé se démène. Il dépose un recours gracieux auprès du préfet. Entretemps, les procédures de reconduite à la frontière ont avancé à toute vitesse. A midi, mercredi, Malik fait le pied de grue devant la préfecture, Nadia, elle, est emmenée par des policiers de la PAF, la police aux frontières. Direction Roissy, et l’Algérie. A la sortie du commissariat de Laval, la sœur de Malik, Sélia, aperçoit Nadia, arrête la voiture, lui parle un peu. Mais son destin est scellé. A l’aéroport Charles-de-Gaulle, des membres du comité anti-expulsion, alertés, tentent d’intervenir en sa faveur et espèrent que son avion ne partira pas. Ou sans elle. En vain. A 16 h 45, Malik, à Laval, reçoit un coup de téléphone de Nadia : «C’est mon dernier coup de fil, je suis aux portes de l’avion, je vais décoller.» Un employé d’Air Algérie confirme : «On l’a fait passer par les pistes et on lui a demandé si elle acceptait d’embarquer. Elle a répondu : « Je préfère partir plutôt que d’aller en prison ici. »» «Elle a peur pour le bébé», dit Malik.
Situation changée. Cette reconduite peut tout à fait être contestée devant le tribunal administratif, fait savoir Me Stéphane Maugendre avocat et membre du Gisti, le groupe d’information et de soutien des immigrés. Notamment parce qu’elle est enceinte d’un Français qui a déjà reconnu l’enfant : sa situation de fait a donc changé. Et son arrêté de reconduite à la frontière peut être annulé. Aujourd’hui, Malik envisage d’aller épouser Nadia en Algérie.
Les Kurdes au casse-pipe.
L’attribution par le gouvernement de laissez-passer aux 910 naufragés Kurdes n’apparaît aujourd’hui que comme un chant de sirènes pour ces galériens des temps modernes et démontre que la politique d’immigration en Europe est vouée à l’échec. Chant de sirènes, car, à terme, ces enfants, ces femmes et ces hommes risquent de se retrouver comme au premier jour où ils ont posé le pied sur la plage de Fréjus.
L’analyse de ce choix politique ne peut se départir de l’analyse juridique, car, ayant posé le pied sur le sol français, l’administration ne pouvait pas les placer dans une «zone d’attente» créée postérieurement pour les besoins de la cause.
Le gouvernement, les deux pieds sur ce pont juridique pourri et naviguant ainsi vers le naufrage du ridicule, a choisi sa bouée de sauvetage habituelle: le cas par cas comme il l’avait fait pour les régularisations de juin 1997 en leur délivrant des laissez-passer au motif que leur demande d’asile n’était pas manifestement infondée. Là encore, les juristes et praticiens ne s’illusionnent pas. Chacun de ces naufragés se voyait dans l’obligation, dans les huit jours, d’aller auprès de la préfecture de son «choix», pour y faire une demande écrite, motivée et détaillée, en français, sur un formulaire de l’Ofpra (1), en y joignant les preuves de ses craintes pour sa vie ou sa santé et en y indiquant son adresse en France.
Durant ces huit jours, aucune structure suffisante, aucun moyen (interprètes, juristes…) adéquat ne sera mis en place pour leur venir en aide et ceux qui ont voulu, ou voudront, rejoindre un proche dans un autre pays européen pour trouver accueil et soutien ont été, ou seront, ramenés en France.
Sacrifiant ces familles sur l’autel du cas par cas, le gouvernement en a fait des proies pour les requins du trafic humain. Mais, après tout, nous dira-t-on, la loi s’applique! Mais laquelle? Celle que le ministère de l’Intérieur a choisie, dans laquelle il pouvait se parer d’humanité sans faire pour autant un vrai choix politique.
Cette histoire, comme celle du camp de Sangatte ou de la tragique fin de 50 Chinois à Douvres, nous enseigne que la politique de maîtrise des flux migratoires et de la fermeture utopique des frontières induisent: 1) la création de clandestins dont on sait qu’ils seront injectés dans des secteurs industriels et commerciaux demandeurs de main-d’oeuvre à bon marché, favorisant une économie parallèle; 2) l’élaboration de plus en plus sophistiquée de filières de passeurs; 3) par voie de conséquence, des systèmes juridiques et matériels de plus en plus répressifs, de plus en plus coûteux pour l’État, de plus en plus inhumains et dégradants pour ces exilés et donc une politique à son tour de plus en plus orientée à la fermeture. Le serpent de mer se mord la queue.
Le vrai courage politique et humain eût été d’abord de les accueillir au lieu de les parquer. Ensuite, par exemple, de leur délivrer une autorisation de séjour leur permettant de rejoindre leur famille en Europe, de choisir la procédure de demande de titre de séjour la mieux adaptée à leur situation (demande d’asile, de statut de réfugié, de carte de séjour…), de se faire assister par les associations ou des avocats (au lieu de les épuiser en une défense acharnée), d’aller et venir pour préparer cette nouvelle vie dans l’exil.
Que l’on ne nous brandisse pas la menace de l’«appel d’air». Pas plus que le rejet à la mer des boat-people albanais n’empêche l’immigration clandestine d’Albanais en Italie, pas plus l’accueil digne de ces Kurdes ne fera débarquer des hordes sur la Côte d’Azur. Cet autre choix pouvait être aussi l’amorce d’une autre politique migratoire.
(1) Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Le transfuge du 8e bureau.
Préposé pendant des années à l’éloignement des sans-papiers, Daniel Monédière sert désormais de conseil aux étrangers.
Pendant des années, Daniel Monédière, chef du 8e bureau de la direction de la police générale à la préfecture de police de Paris, chargé des «mesures d’éloignement des étrangers», a expulsé les clandestins. Avec application. Il y a trois ans, il quitte momentanément l’administration, monte un petit cabinet de conseil juridique, et depuis… défend ardemment? les étrangers. Drôle de reconversion.
Ce fonctionnaire zélé a longtemps été la bête noire des avocats spécialistes du droit des étrangers. Daniel Monédière débarque à la préfecture de police de Paris en 1988, à presque 40 ans. Auparavant, il a travaillé en mairie et à différents postes de l’administration, où il s’est plutôt ennuyé. Il raconte qu’il a passé le concours de l’ENA, mais a été «fusillé au grand O», le dernier oral: «J’avais pas le style.» Après cinq ans au 9e bureau de la préfecture «Afrique-Maghreb-Europe», il passe chef du 8e bureau, dédié à l’éloignement des étrangers. «Là, on est plus impopulaire.» Le travail lui plaît. «Je me suis bien investi», dit-il aujourd’hui. Il apprécie la simplicité des situations: «Il y a des catégories: « Régulier » ou non, et des critères. S’ils sont irréguliers, les étrangers doivent quitter le territoire.» C’est sa tâche. Et, pour l’accomplir, «il faut un instinct de chasseur». «Je devais résoudre cette question: concrètement, comment fait-on pour faire monter quelqu’un dans l’avion?», résume-t-il. Mais est-ce qu’on est méchant pour autant?» Il s’en défend: «On a pu dire que j’étais investi de la mission de nettoyer la France de ses étrangers, mais non.» Pour Daniel Monédière, le roi du 8e bureau, le chantre de l’action administrative, «l’important, c’est l’efficacité».
Subterfuges. «C’était un obsédé de la statistique, obnubilé par le chiffre de reconduites à la frontière», se souvient l’avocat Simon Foreman. «A la préfecture, on l’avait en face de nous, il ne jouait pas le jeu. Il avait des pratiques pour faire échec au droit de la défense qui nous heurtaient», raconte Me Stéphane Maugendre. Les avocats se souviennent de sa «hargne» à leur égard et lui reprochent d’avoir utilisé n’importe quelle ruse pour faire du chiffre. Il faut dire que Daniel Monédière traîne quelques boulets. En 1995, il passe en correctionnelle en citation directe pour «abus d’autorité». Il avait imaginé un subterfuge pour que les étrangers en instance d’expulsion, placés au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, passent devant le juge de Paris, et non celui de Meaux, dont dépend pourtant le centre, mais où la préfecture n’a pas de permanencier. Pour cela, il avait envoyé une note au commandant du centre de rétention pour demander de conduire les étrangers à l’audience «comme s’ils étaient retenus au dépôt» parisien. Le tribunal correctionnel de Paris avait jugé irrecevables les partie civiles. Mais, à l’audience, Monédière avait passé un sale quart d’heure (Libération du 2 décembre 1995). Les subterfuges de son invention, qui avait été évoqués alors, ont contribué à sa mauvaise réputation: renvoi dans son pays natal d’un Mauricien, père de famille interpellé sur le territoire, placé en centre de rétention, et qu’un juge avait pourtant décidé de libérer. Placement en garde à vue à l’aéroport d’une Ivoirienne, convoquée à la préfecture avec sa fille de quelques mois née en France, et finalement relâchée avec son bébé par un juge. Présentation différée au tribunal des étrangers dont le maintien en centre de rétention a expiré, dans l’espoir de trouver un juge moins laxiste… «Il était connu pour sa mauvaise foi», se souvient-on au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). «Le pire c’est qu’il a imprimé cet état d’esprit à ses subordonnées.» Monédière ou l’archétype du fonctionnement de la préfecture.
Ce même individu est devenu consultant. En 1997, le fonctionnaire se met en disponibilité et ouvre une officine pour «prestations de services et conseils en matière administrative», notamment sur le droit des étrangers. «C’est comme si le procureur devenait avocat de la défense», explique Stéphane Maugendre, en habitué des prétoires. L’année 1997 est celle de la circulaire Chevènement, qui prévoit des critères de régularisation. «Ça tombait bien, il y avait beaucoup de boulot.» Pour son premier client, un chauffeur de taxi qui demande un regroupement familial, Monédière fait «une belle lettre à la préfecture». Aussitôt, raconte-t-il, son ancien adjoint l’appelle: «Mais qu’est-ce que tu fous? Tu es contre nous?» Au sein de la préfecture, une commission de déontologie est saisie. Elle rend un avis favorable à l’exercice de son activité de consultant «sous réserve que l’intéressé s’engage à ne pas avoir d’activités de conseil en droit des étrangers dans le ressort de la préfecture de police de Paris».
Tollé. Daniel Monédière a traité des centaines de dossiers qu’il boucle en puisant dans son expérience au 8e bureau. Ses honoraires moyens s’élèvent, selon lui, à 4 000 francs par dossier. «Je suis content si un client est régularisé», dit-il. Comme pour se défendre, il ajoute aussitôt qu’il ne sautait pas de joie quand, à la préfecture, il renvoyait quelqu’un hors de France. Pourtant, il ne peut s’empêcher de retrouver un agacement très préfectoral: «Mais il n’y a rien de plus frustrant que de se faire annuler un dossier bien ficelé de reconduite à la frontière.» Parfois, le consultant a du mal à oublier le fonctionnaire qu’il était.
Sa nouvelle activité soulève un tollé chez les avocats. Pour certains, elle s’apparente à un «pantouflage» peu compatible avec une fonction publique. Surtout, il s’agit d’une activité de conseil juridique alors que Daniel Monédière n’est pas inscrit au barreau. Et puis, les avocats, qui l’ont toujours connu «acharné», pugnace, huilant inlassablement la machine à expulser les étrangers, trouvent mystérieux qu’il fasse aujourd’hui son possible pour les maintenir sur le territoire. Et se demandent s’il y met le même zèle. La mise en disponibilité de l’administration de Daniel Monédière court jusqu’en 2002.
A peine veuve et déjà menacée de reconduite à la frontière
Sylvia Zappi, 30/06/2000
POUR SOUAD S., une Marocaine sans papiers, la douleur s’est doublée d’un total désarroi, dimanche 25 juin. Son compagnon, un Français qu’elle a connu quelques mois auparavant au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), meurt sous ses yeux. Quelques heures plus tard, la jeune femme se retrouve, en garde à vue puis en rétention, menacée de reconduite à la frontière. Mercredi 28 juin, c’est devant le juge délégué de Bobigny, chargé de statuer sur le maintien en rétention, que la jeune femme va raconter son histoire, la voix cassée par les sanglots.
CENTRE DE RÉTENTION
Ce dimanche soir-là, raconte-t-elle, son compagnon est pris d’un violent malaise, la jeune femme appelle le Service médical d’urgence et de réanimation (SMUR). Les policiers ayant constaté le décès, somment Mme S. de présenter ses papiers. Or la Marocaine n’a plus son passeport de service depuis qu’elle a quitté, en avril, son emploi de « dame d’entretien » au consulat du Maroc de Villemomble (Seine-Saint-Denis). Souad S. est donc conduite au commissariat de Blanc-Mesnil où on lui notifie un arrêté de reconduite à la frontière (APRF), puis transférée pour deux jours en centre de rétention. « Il n’y avait rien dans la situation qui a valu cette dame son interpellation, sauf sa situation irrégulière », s’étonne le président du tribunal se tournant vers le représentant de la préfecture.
Le fonctionnaire tente d’expliquer que la préfecture n’avait pas «tous les éléments». Avant de souffler: « Est-ce que Mme S. présente les garanties suffisantes pour une assignation à résidence ? Je m’en remettrai à votre décision, M. le juge». Le magistrat, Jean-Michel Maton, ne cache pas son exaspération devant tant de désinvolture : Pourquoi n’avez-vous pas fait initialement cette assignation à laquelle vous ne semblez pas vous opposer aujourd’hui ? »
Avocate de la prévenue, Me Christine Delon n’a alors aucun mal à plaider en faveur de cette « situation dramatique ». « Ma cliente pensait que le seul fait d’être mariée à un Français lui donnait le droit de résider. C’était un vrai mariage même s’il n’était que religieux, le défunt étant engagé dans une longue procédure de divorce », explique-t-elle. « Convaincu, le juge Maton rend alors une ordonnance assignant Mme S. à résidence « jusqu’à sa convocation par l’administration pour la reconduite à la frontière ». Il reste maintenant deux mois à Mme S. pour déposer un recours contre l’APRF devant le tribunal administratif de Paris.