Archives de catégorie : droit des étrangers

Les avocats dénoncent la «démagogie sécuritaire»

logo-liberation-311x113  Dominique Simonnot

«Dysfonctionnement». «L’exploitation à des fins politiques de la Justice constitue un grave dysfonctionnement de nature à nuire à la sérénité et à l’indépendance des juridictions», estiment les avocats qui «déplorent des commentaires des plus hauts représentants de la République empiétant ainsi sur le pouvoir des juges en violation de la séparation des pouvoirs». Ils défendent par ailleurs les avancées de la loi sur la présomption d’innocence. Et, en réponse aux policiers qui cognent à tour de bras sur «la loi Guigou, loi des voyous», et ont mis en place un réseau de surveillance des décisions de justice, les signataires demandent «au ministre de l’Intérieur de prendre les mesures qui s’imposent pour faire cesser l’ingérence de certains policiers» dans la justice.

En colère, les avocats rappellent que «les violences policières continuent de détruire le lien social dans les banlieues et que les parquets ne contrôlent pas assez les forces de l’ordre dont les violences demeurent en général impunies». Et soulignent que «le nombre d’affaires impliquant les forces de l’ordre comme auteurs de violences ou d’injures ne paraît pas avoir diminué».

Dans un second texte, les avocats prennent la défense de Jean-Paul Laurans, le président de la chambre de l’instruction parisienne. C’est lui qui avait remis en liberté, il y a un an, Jean-Claude Bonnal dit «le Chinois», depuis suspecté de six meurtres (lire ci-contre). De là s’en était suivie la polémique qui continue d’enfler. Des hommes politiques et non des moindres ­ Jospin, Forni… ­ avaient alors parlé d’une «dramatique erreur» et la ministre de la Justice s’était même vantée d’avoir «saqué» le juge qui postulait à un changement de poste. Les soussignés affirment donc leur «volonté de voir cesser ces attaques injustifiées à l’égard du président Laurans, demandent aux représentants de l’Etat de cesser de créer et d’alimenter une campagne de mise à mort de l’instruction judiciaire».

Motivés. Partie d’une trentaine d’avocats très motivés, l’initiative mêle toutes les cha pel les. Des ténors pénalistes ­ Françoise Cotta, Pierre Haïk, Jean-Yves Leborgne, Lef Forster, Hervé Témime ­ de plus jeunes talents ­ Claire Doubliez, Auda Catala, Christian Saint-Palais ­ ou des spécialistes du droit des étrangers ­ Stéphane Maugendre, Eric Plouvier. Les textes continuent de circuler par e-mail et fax. «On s’est dit qu’on ne pouvait plus continuer à se regarder dans le miroir sans rien faire. Il faut que les avocats qui sont proches de la réalité des tribunaux contrecarrent cette démagogie sécuritaire!», explique Eric Plouvier. «La gauche et la droite rivalisent d’indignité dans le débat sur la justice. Cela donne vraiment envie de monter au feu», reprend Hervé Témime. Un avocat s’amuse: «Regardez les signataires, c’est la preuve qu’on est loin de la bande de gauchistes.».

⇒ Voir l’article

Les avocats dénoncent la «démagogie sécuritaire»

logo-liberation-311x113   Dominique Simonnot
«Dysfonctionnement». «L’exploitation à des fins politiques de la Justice constitue un grave dysfonctionnement de nature à nuire à la sérénité et à l’indépendance des juridictions», estiment les avocats qui «déplorent des commentaires des plus hauts représentants de la République empiétant ainsi sur le pouvoir des juges en violation de la séparation des pouvoirs». Ils défendent par ailleurs les avancées de la loi sur la présomption d’innocence. Et, en réponse aux policiers qui cognent à tour de bras sur «la loi Guigou, loi des voyous», et ont mis en place un réseau de surveillance des décisions de justice, les signataires demandent «au ministre de l’Intérieur de prendre les mesures qui s’imposent pour faire cesser l’ingérence de certains policiers» dans la justice.
En colère, les avocats rappellent que «les violences policières continuent de détruire le lien social dans les banlieues et que les parquets ne contrôlent pas assez les forces de l’ordre dont les violences demeurent en général impunies». Et soulignent que «le nombre d’affaires impliquant les forces de l’ordre comme auteurs de violences ou d’injures ne paraît pas avoir diminué».
Dans un second texte, les avocats prennent la défense de Jean-Paul Laurans, le président de la chambre de l’instruction parisienne. C’est lui qui avait remis en liberté, il y a un an, Jean-Claude Bonnal dit «le Chinois», depuis suspecté de six meurtres. De là s’en était suivie la polémique qui continue d’enfler. Des hommes politiques et non des moindres ­ Jospin, Forni… ­ avaient alors parlé d’une «dramatique erreur» et la ministre de la Justice s’était même vantée d’avoir «saqué» le juge qui postulait à un changement de poste. Les soussignés affirment donc leur «volonté de voir cesser ces attaques injustifiées à l’égard du président Laurans, demandent aux représentants de l’Etat de cesser de créer et d’alimenter une campagne de mise à mort de l’instruction judiciaire».
Motivés. Partie d’une trentaine d’avocats très motivés, l’initiative mêle toutes les cha pel les. Des ténors pénalistes ­ Françoise Cotta, Pierre Haïk, Jean-Yves Leborgne, Lef Forster, Hervé Témime ­ de plus jeunes talents ­ Claire Doubliez, Auda Catala, Christian Saint-Palais ­ ou des spécialistes du droit des étrangers ­ Stéphane Maugendre, Eric Plouvier. Les textes continuent de circuler par e-mail et fax. «On s’est dit qu’on ne pouvait plus continuer à se regarder dans le miroir sans rien faire. Il faut que les avocats qui sont proches de la réalité des tribunaux contrecarrent cette démagogie sécuritaire!», explique Eric Plouvier. «La gauche et la droite rivalisent d’indignité dans le débat sur la justice. Cela donne vraiment envie de monter au feu», reprend Hervé Témime. Un avocat s’amuse: «Regardez les signataires, c’est la preuve qu’on est loin de la bande de gauchistes.».

Les rôdeurs de Bobigny

images Elsa Vigoureux, Décembre 2001

Dans les salles d’audience où sont jugés les sans-papiers qui arrivent à Roissy, les proxénètes repèrent leurs jeunes proies

Elles ne sont pas venues pour se plaindre, plutôt pour se battre. Rose, Victoria et Grâce ont poussé la porte d’un commissariat parisien et ont confié ce qui leur semblait l’essentiel. Pas leurs vies. Mais des histoires d’argent qui ont abouti à la mise en examen d’un couple de Ghanéens, pour « proxénétisme aggravé, falsification de documents administratifs, association de malfaiteurs, et séjour irrégulier ». Un homme de 40 ans et une femme de 30 ans tranquillement installés dans le Val-d’Oise, et pour qui les trois jeunes filles âgées de 20 à 22 ans vendaient leurs corps sur les Maréchaux. La vérité, c’est qu’elles en avaient assez de se sentir flouées, de reverser une partie trop élevée de leurs gains. Et le loyer qu’elles payaient tous les mois. C’est surtout pour ça qu’elles sont allées voir la police. Devant les enquêteurs, elles se sont prétendues sierra-léonaises pour deux d’entre elles, la troisième assurant être de nationalité nigériane. Et elles ont même présenté des papiers. Mais sans photos.

Une histoire banale et vite conclue, si l’on occulte les rumeurs qui bourdonnent dans les couloirs du tribunal de grande instance de Bobigny depuis deux ans. Le Gisti (Groupe [d’information et de Soutien aux Immigrés) a même déposé une plainte, en mars 2001, pour que la lumière soit faite sur ces « rabatteurs qui récupéreraient des jeunes femmes ou filles mineures étrangères pour alimenter un ou des réseaux de prostitution », et ce à l’intérieur même du tribunal. Comme Rose, Victoria et Grâce, des Sierra-Léonaises pour la plupart, toutes arrivées et placées en zone d’attente à Roissy. Là où, depuis quatre ans justement, le nombre de mineurs africains en situation irrégulière a triplé. Lesquels défilent ensuite à la chaîne devant des juges, à l’audience dite des « 35 quater », du nom de l’article visant les étrangers arrivés en France en situation irrégulière. En 1996, les magistrats rendaient 50O décisions en trois mois. Pour le troisième trimestre 2001, 2 500 cas ont été traités.

Quarante-cinq dossiers par jour, s’exclame juge. Si vous prenez dix minutes par personne, vous finissez votre boulot à 21 heures. Et dix minutes pour écouter l’histoire d’une vie difficile, c’est impossible. Alors on se limite à l’examen des questions de procédure. » Et les gamins sont libérés ou placés dans les foyers de ’Aide sociale à l’Enfance (ASE). Les premiers disparaissent dans la nature dès leur sortie du tribunal, tandis que 40% des seconds fuguent au bout de quelques jours. Toujours après avoir passé quelques coups de fil, parfois jusqu’aux Pays-Bas ou en Allemagne Et tout le monde connaît le « manège », au tribunal. Des greffières, des interprètes, des magistrats, des avocats, des responsables d’associations ont dénoncé ces hommes qui rôdent, et quittent souvent les lieux entourés de plusieurs jeunes filles. Ainsi, en juin 1999 déjà, le parquet des mineurs de Bobigny lançait une enquête préliminaire afin d’éclaircir la disparition de deux mineures africaines qui ont composé le même numéro de téléphone avant de fuir leur foyer d’accueil. Même scénario, moins d’un an plus tard : trois mineures se sont évaporées, nouvelle enquête. Les recherches restent vaines. Il aurait fallu le feu vert du parquet pour déployer les grands moyens, mettre en place des filatures, des écoutes téléphoniques, voire ouvrir une information judiciaire. Oser, quoi.

« Depuis la fin de l’année 1999, des proxénètes se baladent dans le tribunal pour recruter la misère du monde, au vu et au su de tous, et on attend mai 2001 pour faire quelque chose regrette Me Stéphane Maugendre, l’avocat du Gisti. Comment comprendre que la plainte soit restée six semaines sur le bureau de Jean-Paul Simonnot, procureur de la République de Bobigny, avant que ne soit ouverte une information ? Le procureur s’insurge : « il est inadmissible de penser que le parquet n’a pas rempli sa tâche. » Et répète : « Cette affaire ne pourrait aboutir que dans la mesure où des jeunes filles viendraient se confier. » Attendre donc, plutôt qu’oser.

Attendre que le hasard conduise Rose, Victoria et Grâce devant la juge Marie-Paule Moracchini, à Paris. Qu’aussitôt un employé du palais de justice fasse le rapprochement et qu’il parle de l’affaire de Bobigny. Parce que les trois jeunes filles, recrutées dès leur pays d’origine par leurs proxénètes, ont atterri à Roissy. Que deux d’entre elles ont été jugées au « 35 quater », en Seine-Saint-Denis. Elles n’ont eu qu’à traverser la passerelle bleue à la sortie du tribunal. C’était prévu comme ça, on les attendait de l’autre côté pour leur nouvelle vie. Quant à la troisième, elle a rejoint ses amies en contactant un couple de Ghanéens, après un séjour à l’hôpital. La magistrate parisienne s’est dessaisie rapidement au profit du juge Olivier Géron, qui instruit l’enquête à la suite de la plainte du Gisti, à Bobigny. La réalité de ces trois filles vient enfin heurter les rumeurs qui peinent à éclore à Bobigny. « Le fin mot est politique », confie un proche du dossier. On ne veut pas s’occuper de ces filles-là. Tout simplementI parce que ce sont des étrangères dont personne n’a rien à faire. Qu’importe qu’elles se prostituent la nuit. Le jour, elles n’ont pas de statut.

Justice très limite

Image_3_reasonably_small-du_400x400, 27/11/2001

Contre la double peine, colère des jeunes des cités

Frédéric Sautereau/L’œil public
Frédéric Sautereau/L’œil public

Dans la salle confinée d’un cinéma parisien, tous écoutent le réalisateur Bertrand Tavernier venu présenter son dernier film. Histoires de vies brisées, poignant documentaire, raconte l’histoire de dix grévistes de la faim, victimes de la double peine à Lyon en 1998.

Ambiance studieuse.

Quinze associations ont invité le cinéaste à inaugurer leur campagne contre ta double peine, une pratique du bannissement : l’expulsion qui s’ajoute à la prison pour des délinquants étrangers. Cette pratique aurait touché 17 000 personnes depuis vingt ans en France. Soudain, du fond de la salle gronde une rumeur inat­tendue, vite mise en voix par Azouz, membre du MIB (Mouvement de l’im­migration et des banlieues), tonitruant porte-parole d’une colère gonflée par des années de lutte ignorée. « Le droit des étrangers est issu dune lecture policière et néo­coloniale du fait migratoire. Le combat contre la double peine est une cause politique et non pas une affaire humanitaire. ”

Silence gêné. Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’Homme, se lève, visiblement exaspéré par cette prise de parole intempestive. Y aurait-t-il plusieurs luttes contre la double peine ? Impertur­bable, Azouz poursuit, raide et sec. S’emporte et fait gémir son micro tant il martèle fort.

Laid, Algérien de 23 ans qui vit à Sarcelles depuis l’âge de 5 ans, tout juste sorti de la prison de la Santé, est à cet instant précis sur le point de se faire expulser vers son pays d’origine. Trois jours que le MIB ma­nifeste en vain. Le nom de Laid résonne dans la salle, suivi de ceux d’Abdelkrim des Mureaux, de Malik de Fontenay-sous-Bois, de Mohamed de Neuilly-sur-Marne. Soudain, la cam­pagne militante contre la double peine prend un autre visage, et devient le portrait à vif d’une jeunesse des cités meurtrie par l’in­capacité de l’État français à s’adresser à elle. « Depuis trois, quatre ans, on assiste à un rajeunissement des personnes touchées par la double peine. ” Le lende­main, depuis la permanence d’une association munici­pale à Sarcelles, Saadia Sahali, du MIB, s’inquiète. « A Sarcelles, ils sont de plus en plus jeunes, entre 20 et 25 ans, pour beaucoup de nouveaux cas, poursuit-elle. Ce rajeu­nissement des « double peine » est lié au rajeunissement de la délinquance, elle-même liée à des phénomènes de déscolari­sation, de problèmes fami­liaux, au taux de chômage des jeunes d ‘origine maghré­bine. .. En France, aujourd’hui, 200 000 mineurs sont engagés dans une procédure judiciaire. Résultat : pour des gamins de 18 ans condamnés à une première peine de deux, trois ans, c’est d’office l’expul­sion à la fin de leur incarcé­ration. ”

Un avis partagé par Sté­phane Maugendre, avocat et membre du Gisti (Groupe d’information et.de soutien des immigrés) et auteur il y a quelques années du pre­mier article de droit consacré à l’interdiction du terri­toire fiançais (ITF) « Depuis 1994 et le nouveau code pénal, l’interdiction du territoire français concerne plus de 270 délits ».

Bouda : la vie de fantôme

images Elsa Vigoureux, 22/11/2001

Élevé en France mais de nationalité tunisienne, le jeune homme, condamné pour trafic de stupéfiants, n’a plus le droit de vivre sur le territoire français

Jean-Michel Delage
Jean-Michel Delage

Il n’est plus personne. Sa vie est devenue un silence où Bouda, l’artiste, le danseur de hip-hop reconnu, noie toute cette colère qui lui brûle l’intérieur, et ces larmes sèches qui remontent de son ventre vers son cœur. Ahmed M’Hemdi de son vrai nom est enfermé à double tour dans un épais silence. Pour des erreurs de jeunesse, Ahmed M’Hemdi paie au-delà de la prison. Il est condamné à n’être plus rien, à vivre dans la clandestinité. La justice lui a réservé un traitement d’étranger, elle l’a interdit du territoire français.

Parce qu’à 17 ans Bouda traînait dans son quartier, la cité Maurice-Thorez à Dugny, en Seine-Saint-Denis. Petit fumeur de joints, juste le soir au début « Et puis tu rentres dans le cercle vicieux de la défonce. » En dépannant un pote d’un morceau, en vendant par-ci par-là. Voilà, Bouda avait trouvé une source de revenus facile, de l’argent qui rentrait vite et en quantité satisfaisante. Et un jour de juin 1991 la police le cueille dans l’appartement d’une copine où Bouda stockait le shit. Serré, embarqué. Jugé : trois ans de prison dont deux ferme. Le jeune homme atterrit à Fleury-Mérogis, dans le quartier des jeunes délinquants, « là où les matons vous dressent ». Quand il sort, dix-huit mois plus tard, Bouda s’accroche à la légalité, remonte la pente ai devenant coursier puis en nettoyant les avions au Bourget. 6 000 francs par mois, c’était ce que peut gagner n’importe quel dealer en une matinée. En 1993, il reprend ses activités illicites.

Il vend du shit et de la cocaïne. Un semblant de belle vie, « parce que j’avais de la merde dans les yeux. C’est du vide, en fait» l’argent sale, ça brule les doigts, c’est tout ce que ça fait ». Bouda vit la nuit, grille ses billets dans des restaus, des boîtes. « Ça s’appelle péter plus haut que son cul… Au bout, y a un cercueil qui t’attend »

En décembre 1993, la police remet la main sur Bouda et trouve 5 grammes de cocaïne dans ses poches. Cette fois, il est condamne à quatre ans de prison ferme, plus deux ans pour une affaire de vol qu’il n’avait pas commis mais qu’il endosse afin de protéger le véritable auteur des faits. Et surtout le juge lui notifie une interdiction du territoire français (ITF) pendant cinq ans, à titre complémentaire. C’est la double peine. Ça ne suffit pas, il en faut une troisième.

En plus de cette décision judiciaire, le ministère de l’Intérieur assène la punition administrative : un arrêté ministériel d’expulsion (AME) est pris à l’encontre du jeune homme, considéré comme dangereux pour la société. Le jour de sa libération, des gendarmes le conduisent donc directement à l’aéroport Bouda s’envole pour la Tunisie, pays de ses parents, qu’il n’a jamais connu puisqu’il est arrivé en France à l’âge de 4 mois. Il débarque, hagard, ne parle même pas l’arabe. Pendant neuf mois, j’ai vécu la galère, découvert la misère, erré. Sa mère fait régulièrement le voyage en avion, apporte de l’argent, des vêtements à son fils coupé de la famille. J’avais payé mes conneries, mais ça ne suffisait pas. La double peine, c’est ça: être jeté comme un vulgaire déchet. Et la vérité, c’est que c’est une peine, plus une autre, plus toutes celles que vous infligez à vos proches. Un bannissement »

Avant que sa carte de résident français n’expire, Bouda prend le bateau, le 21 septembre 1997. Il n’en peut plus, il rentre chez lui, là où il a grandi, là où il a été à l’école. En France. Sa vie de fantôme commence. Il se cache chez une amie à Dugny. Et se réveille tous les matins « la peur au ventre ». Plus de papiers, pas de numéro de Sécurité sociale, rien. Juste le nom de son frère pour mieux mentir, au cas où il serait soumis à un contrôle d’identité. Et la honte de cette étiquette de délinquant qui colle à sa véritable identité. Il répète : « Je m’en veux, je m’en veux… Mais je ne peux pas revenir en arrière. » Alors il se punit. C’est sa quatrième peine à lui : interdit de penser à demain, de croire à l’amour, au projet d’être père un jour. « Je ne suis personne, je n’ai pas accès a ce genre d’idées. Je me contente de survivre. » Aujourd’hui il a 30 ans. Ses parents sont français, comme trois de leurs cinq enfants. Bouda n’est rien pour la société. Juste un enfant de Dugny qui a commencé à danser avec les collectifs mythiques du mouvement hip-hop, les Paris City Breakers et Aktuel Force. Et qu’on a même vu dans la célèbre émission « H. I. P H. Q. P » de Sidney sur TF1. Il répète actuellement un spectacle à La Courneuve, mais a refusé le premier rôle pour un long-métrage…parce qu’il n’a pas de papiers.

En octobre 2000, Me Stéphane Maugendre et Marie Mathiaud (avocats) ont déposé une demande d’assignation à résidence en préalable à l’abrogation de l’AME. Le ministère refusée : « En raison de la gravité des faits que M. M’Hemdi a commis et de son retour sur le territoire français où il se maintient en situation irrégulière depuis 1997, son expulsion constitue toujours actuellement une nécessité impérieuse pour la sécurité publique ». Ses avocats ont contesté cette décision devant le tribunal administratif. La procédure est toujours en cours. Et Bouda purge sa peine de vie.

Des associations partent en campagne contre la double peine

index Sylvia Zappi

Chaque année, l’expulsion s’ajoute à la prison pour des milliers de délinquants étrangers dont toutes les attaches familiales sont en France. Une quinzaine d’organisations réclament la fin de tels « bannissements » au moment où sort le film de Bertrand Tavernier,  « Histoires de vies brisées ».

ILS S’APPELLENT Laïd, Abdelkrim, Malik ou Mohamed, habitent Sarcelles, Les Mureaux, Fontenay-sous-Bois ou Neuilly-sur-Marne. Tous, anciens détenus étrangers ayant purgé leur peine de prison, sont aujourd’hui menacés d’une seconde peine, l’expulsion. Une « double peine » contre laquelle le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) ne cesse d’organiser des manifestations. Souvent dans l’indifférence générale.

Pour briser ce silence, une quinzaine d’associations de défense des étrangers, d’organisations caritatives et de syndicats lancent, mardi 20 novembre, une campagne nationale. Intitulé « Une peine, point barre », ce mouvement, à l’initiative de la Cimade, démarre le jour de la sortie du film de Bertrand Tavernier, Histoires de vies brisées, qui retrace l’histoire des dix grévistes de la faim victimes de la double peine, à Lyon en avril 1998. L’objectif est de tenter de reproduire le mouvement de solidarité qui s’était manifesté en mai 1997 après l’appel des cinéastes en faveur des sans-papiers.

Chaque année, plusieurs milliers de personnes, de nationalité étrangère mais dont l’essentiel de la vie est en France, sont contraintes de quitter le territoire français pour rejoindre leur pays d’origine. Selon une étude de Jean Saglio, directeur de recherches en sociologie au CNRS, ce sont majoritairement des hommes d’âge mûr, originaires d’un pays du Maghreb (à 75 %), qui ont passé la plus grande partie de leur vie en France. Ces « bannis » sont mariés ou vivent en concubinage (68 %) et ont très souvent des enfants (62 %). En 2000, 6 405 doubles peines ont ainsi été pronon­cées et 2 638 exécutées. Les person­nes effectivement expulsées seraient au nombre de 17 000 depuis vingt ans, selon Michael Faure ( Voyage au pays de la double peine, éditions L’esprit frappeur).

L’interdiction du territoire fran­çais (ITF), peine complémentaire à la prison, prononcée par les juges à l’encontre des étrangers, s’est bana­lisée, aboutissant, en 2000, à l’éloi­gnement forcé de 2 212 personnes. Plus de 200 crimes ou délits peu­vent être sanctionnés par une ITF, selon le code pénal. « Les juges en ont fait un usage immodéré. Qu ‘ils aient en face d’eux de simples délin­quants, des petits trafiquants ou des étrangers en situation irrégulière, ils appliquent quasi systématiquement l’ITF», dénonce Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme. S’ajoutent aux ITF judi­ciaires les décisions d’expulsion pri­ses par arrêté du ministre de l’inté­rieur : 426 personnes ont ainsi été expulsées en 2000 par mesure d’«ordre public», principalement des auteurs de délits liés au trafic de stupéfiants.

Depuis plus de vingt ans, les asso­ciations réclament la fin de l’éloi­gnement forcé des jeunes délin­quants étrangers. Des grèves de la faim sont venues régulièrement rappeler les drames Individuels et familiaux que constituent ces ban­nissements. La France a été condamnée plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme pour non-respect dé la « vie privée et familiale ». En novembre 1998, dans un rapport remis à Elisabeth Guigou, alors ministre de la justice, la magistrate Christine Chanet avait préconisé « l’interdiction abso­lue » des TF à l’encontre des étran­gers ayant vécu et ayant été scolari­sés en France depuis au moins l’âge de six ans. Un an plus tard, la garde des sceaux avait adressé une circulaire aux parquets, leur deman­dant de mieux prendre en compte « l’intégration personnelle et fami­liale » des personnes avant de pro­noncer une ITF. Le conseil ministé­riel semble être resté lettre morte.

Le nombre de peines complé­mentaires prononcées serait même en hausse depuis les attentats du 11 septembre, selon certains avo­cats. «L’accélération est très nette. Le recours était déjà bien ancré mais ça s’est durci », témoigne Domini­que Noguères, avocate à Paris, jus­qu’alors, de nombreuses décisions n’étaient pas appliquées (59 % de non-exécutions en 2000) : les auto­rités toléraient la présence de ces étrangers tant qu’ils ne commet­taient pas de nouvelle infraction. «On a décidé d’exécuter les interdic­tions du territoire qui dormaient », prétend Me Irène Terrel. Au ministè­re de l’intérieur, on dément : « fl n y a pas de différence notable avec l’année dernière », assure-t-on au cabinet de Daniel Vaillant.

« RIEN NE BOUGE »

Dénonçant le fait que « rien ne bouge », les associations ont déci­dé d’organiser une campagne de longue haleine afin de rouvrir le débat. Dans une plate-forme com­mune, elles réclament une série de mesures urgentes. Tout d’abord, la « suspension de toutes les mesures d’éloignement » prises à l’encontre des catégories protégées. Selon l’article 25 de la loi sur l’immigra­tion, sont inexpulsables les person­nes entrées en France avant l’âge de dix ans, ou qui y résidaient depuis plus quinze ans, les conjoints de Français ou parents d’enfants français. Mais le juge peut passer outre en motivant sa décision. Les associations récla­ment une «protection absolue» pour ces étrangers.

Les expulsions doivent devenir « exceptionnelles », demande aussi le collectif, jusqu’à présent, le ministère de l’intérieur pouvait invoquer la menace à l’ordre public pour expulser tout étranger condamné; l’avis de la commis­sion des expulsions n’était que consultatif. La plate-forme exige, que les décisions soient réellement motivées et que l’avis de la commission lie le ministère de l’intérieur.

Enfin, elle réclame un débat par­lementaire devant « déboucher sur la suppression de la peine d’interdic­tion du territoire français » du code pénal. « Il faut que te juge judiciaire cesse d’avoir ce pouvoir exorbitant de décider la mort civile et le bannis­sement», estime Stéphane Maugendre (avocat), secrétaire général du Grou­pe d’information de soutien aux immigrés (Gisti).

Les associations ont prévu un véritable « plan de guerre » : débats autour du film de Bertrand Tavernier, tracts, affiches. Le 1“ décembre, un appel d’associations ainsi qu’une pétition nationa­le à l’initiative de personnalités! seront publiés. Les parlementaires et candidats aux élections seront sommés de prendre position. Enfin, à l’automne, lors de la ren­trée parlementaire, les associa­tions organiseront un grand rassemblement pour réclamer la fin du bannissement.

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Des rabatteurs au tribunal de Bobigny

logoParisien-292x75 G.T, 15/11/2001

DE FUTURES prostituées sont-elles recrutées aux abords du palais de justice de Bobigny ? Révélée au printemps dernier par « le Parisien » et « Aujourd’hui en France », la présence de rabatteurs à la sortie du tribunal de grande instance de Seine-Saint-Denis est bien plus qu’une simple rumeur. Connues depuis longtemps, mais jamais révélées au grand jour, les approches des supposés proxénètes intéressent désormais ta justice. Un magistrat instructeur enquête sur des faits présumés de « proxénétisme en bande organisée » et d’arrestation, enlèvement et séquestration de mineurs de 15 ans ».

Pourquoi Bobigny ? C’est là que les mineurs étrangers sont présentés à la justice, après leur transit par la zone d’attente de Roissy (Val-d’Oise). Dans la majorité des cas, ils quittent libres le palais, orientés vers un juge des enfants. Dehors, les fameux, rabatteurs les guettent. Ce « recrutement » pourrait expliquer l’apparition de prostituées mineures, souvent des Africaines, sur les trottoirs parisiens.

Étrange manège

Des associations d’aide aux étrangers ont ainsi remarqué la présence d’individus extérieurs au tribunal qui abordent les adolescentes. Certains personnels du palais (greffiers, juges, interprètes…) ont également noté cet étrange manège, qui n’a pas échappé non plus à des avocats et des policiers. « Tout le monde a connaissance de ces agissements et personne ne bouge », déplorait début novembre Stéphane Maugendre, avocat du Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti), organisme qui a porté plainte. Aujourd’hui, cette indifférence n’est plus de mise.

Soupçons de proxénétisme autour du tribunal

 Julien Constant et Pascale Egré, 01/11/2001

LP/Philippe de Poulpiquet
LP/Philippe de Poulpiquet

SIMPLE RUMEUR pour certains, solide soupçon pour d’autres, l’information courait les couloirs du palais de justice de Bobigny depuis près de deux ans : l’audience dite du 35 quater, où comparaissent les étrangers en situation irrégulière interceptés à l’aéroport de Roissy et en demande d’admission sur le territoire, servirait de plaque tournante à un réseau de prostitution impliquant des jeunes filles, africaines et mineures pour la plupart, avec la complicité éventuelle d’une poignée d’avocats (« le Parisien » du 4 avril 2001) .

Secret de polichinelle mais bien gardé «pour ne pas nuire à l’enquête», la nouvelle d’une instruction lancée le 16 mai dernier par le juge Olivier Géron pour des faits présumés de « proxénétisme en bande organisée » et « d’arrestation, enlèvement et séquestration de mineurs de 15 ans », a éclaté hier au grand jour. Ce alors même que, de source proche du dossier, les investigations menées depuis cinq mois et demi par les brigades des mineurs de Paris et de Bobigny, notamment sur les liens éventuels entre trois avocats et des « proxénètes » présumés, n’ont rien donné.

Des « rabatteurs » aux audiences

« Cette « révélation » est une façon d’enterrer un dossier encombrant, tardivement et visiblement mal engagé », tempêtait hier un magistrat de Bobigny. « D’évidence, l’institution judiciaire n’a pas pris la mesure de sa responsabilité et n’a pas mis tous les moyens en œuvre pour vérifier des rumeurs de faits d’une extrême gravité », estime pour sa part Stéphane Maugendre, avocat du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). C’est au nom de cette association qu’une plainte contre X s’interrogeant sur la présence de « rabatteurs » au tribunal avait été déposée en mars dernier, un mois et demi avant que le parquet n’ouvre à son tour une information judiciaire et que les deux dossiers ne soient joints. Bien auparavant, le procureur du parquet des mineurs, Jean-Claude Kross, avait alerté le procureur général de la cour d’appel de Paris et l’ensemble du tribunal et tenté, sans résultats, sa propre enquête.

« Ici les étrangères valent de l’or »

Au final, et faute de preuves, restent les observations effectuées, depuis des mois, par les magistrats, les policiers de la PAF, les interprètes, les avocats et les militants des associations de défense des droits des étrangers. « Manèges pas clairs », présence « d’hommes extérieurs abordant les jeunes Africaines libérées », « disparition des mineures placées en foyer au bout de quelques jours ». Autant de constats confirmés hier par de nombreux interlocuteurs au tribunal de Bobigny, où semble régner un certain malaise. « On en parle évidemment Nous savons qu’il existe des filières où ces petites jeunes filles sont exploitées par des proxénètes mais nous n’avons pas de preuve », déplore ainsi Nicole Bilger, qui présidait l’audience d’hier. La magistrate a elle aussi observé de curieux comportements autour de son audience. « Un soir j’ai entendu un avocat se faire menacer par des voyous mécontents de voir que leurs clientes seraient reconduites à la frontière et régulièrement, je vois des gens qui regardent par la fenêtre comme pour guetter la sortie de ces filles », raconte-t-elle. « Ici les étrangères valent de l’or, assène un policier de la PAF, certains de mes collègues ont déjà dénoncé ce qui se passe. Nous avons tous remarqué ces types louches qui rôdent autour d’elles. » Dans la salle, entourées par des policiers, se pressent vingt-cinq personnes d’origine africaine. Joy Mozes, 18 ans, s’assied à côté de son avocate. Originaire de Sierra-Leone, cette jolie jeune femme ressemble à une enfant. La police de l’air et des frontières (PAF) l’a interpellée samedi à Roissy sans papiers ni billet d’avion. « Tout ce qu’on sait d’elle c’est que le vol qui l’a amenée venait de Bamako (Mali). » Quelques minutes de plaidoirie plus tard, le tribunal décide d’annuler son maintien en zone d’attente, annulant une procédure non respectée faute d’interprète lors de l’arrestation. La jeune fille sera remise en liberté. Pour quel avenir et avec quelles protections ?

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Des rabatteurs devant le tribunal de Bobigny ?

images Lisa Vaturi, 01/11/2001

Des mineures africaines, prises en main dès la sortie de l’audience, se retrouvent sur les trottoirs de Paris.

Comment expliquer la recrudescence de jeunes prostituées africaines, se disant pour la plupart sierra-léonaises, sur les boulevards des Maréchaux, à Paris ? En Seine-Saint-Denis, deux phénomènes font craindre un trafic de mineures.

Depuis deux ans environ, des dizaines d’adolescentes sierra-léonaises, arrivées seules sur le territoire français via l’aéroport de Roissy et placées dans des familles d’accueil, sont déclarées en fugue. Ont-elles rejoint un réseau de prostitution ? Le premier substitut au parquet des mineurs, Jean-Claude Kross, a bien essayé d’y voir plus clair : les jeunes disparues laissent souvent derrière elles des numéros de téléphone, mais aucune n’a été retrouvée. Une information judiciaire a été ouverte.

Par ailleurs, plusieurs témoignages (de greffiers, de policiers…) font état d’un troublant manège qui se déroule… devant le tribunal de Bobigny. C’est là que les mineurs étrangers, après leur passage par la zone d’attente de Roissy, sont présentés à la justice. Le plus souvent, ils sont ensuite orientés vers un juge pour enfants mais sont libres de leurs mouvements. Or, selon l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), des jeunes femmes de nationalité sierra-léonaise seraient récupérées à la sortie du tribunal par des hommes « qu’elles ne connaissent pas ».

« L’ensemble des autorités judiciaires du département, le ministère de l’Intérieur, tout le monde a connaissance de ces agissements et personne ne bouge ! », s’indigne maître Stéphane Maugendre, l’avocat du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Le 16 mars, le Gisti a porté plainte avec constitution de partie civile pour « proxénétisme ». Dans les couloirs du tribunal, on s’interroge même sur le rôle de certains avocats dans cette affaire.

Un réseau de prostitution agirait à la sortie du tribunal de Bobigny

index 01/11/2001

UNE INFORMATION judiciaire a été ouverte, le 16 mai, au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), qui soupçonne l’existence, autour du tribunal, d’un réseau de prostitution recrutant des jeunes étrangères en situation irrégulière. L’affaire, révélée par Libération du mercredi 31 octobre, a été confiée aux brigades des mineurs de Paris et de Bobigny.

Le Gisti appuie sa plainte sur une campagne d’observation d’audiences qui décident du maintien ou non des étrangers en situation irrégulière en zone d’attente, réalisée entre le 27 décembre 2000 et le 2 février 2001. Plusieurs observateurs ont indiqué avoir remarqué des Africains sur les bancs du public qui se faisaient passer pour des proches des jeunes filles jugées. Le Gisti affirme que, «selon toutes vraisemblances, des rabatteurs récupéraient des jeunes femmes ou filles mineures étrangères pour alimenter un ou des réseaux de prostitution et pour les étrangers majeurs des réseaux de travail clandestin ».

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