Soupçons de proxénétisme autour du tribunal

 Julien Constant et Pascale Egré, 01/11/2001

LP/Philippe de Poulpiquet
LP/Philippe de Poulpiquet

SIMPLE RUMEUR pour certains, solide soupçon pour d’autres, l’information courait les couloirs du palais de justice de Bobigny depuis près de deux ans : l’audience dite du 35 quater, où comparaissent les étrangers en situation irrégulière interceptés à l’aéroport de Roissy et en demande d’admission sur le territoire, servirait de plaque tournante à un réseau de prostitution impliquant des jeunes filles, africaines et mineures pour la plupart, avec la complicité éventuelle d’une poignée d’avocats (« le Parisien » du 4 avril 2001) .

Secret de polichinelle mais bien gardé «pour ne pas nuire à l’enquête», la nouvelle d’une instruction lancée le 16 mai dernier par le juge Olivier Géron pour des faits présumés de « proxénétisme en bande organisée » et « d’arrestation, enlèvement et séquestration de mineurs de 15 ans », a éclaté hier au grand jour. Ce alors même que, de source proche du dossier, les investigations menées depuis cinq mois et demi par les brigades des mineurs de Paris et de Bobigny, notamment sur les liens éventuels entre trois avocats et des « proxénètes » présumés, n’ont rien donné.

Des « rabatteurs » aux audiences

« Cette « révélation » est une façon d’enterrer un dossier encombrant, tardivement et visiblement mal engagé », tempêtait hier un magistrat de Bobigny. « D’évidence, l’institution judiciaire n’a pas pris la mesure de sa responsabilité et n’a pas mis tous les moyens en œuvre pour vérifier des rumeurs de faits d’une extrême gravité », estime pour sa part Stéphane Maugendre, avocat du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). C’est au nom de cette association qu’une plainte contre X s’interrogeant sur la présence de « rabatteurs » au tribunal avait été déposée en mars dernier, un mois et demi avant que le parquet n’ouvre à son tour une information judiciaire et que les deux dossiers ne soient joints. Bien auparavant, le procureur du parquet des mineurs, Jean-Claude Kross, avait alerté le procureur général de la cour d’appel de Paris et l’ensemble du tribunal et tenté, sans résultats, sa propre enquête.

« Ici les étrangères valent de l’or »

Au final, et faute de preuves, restent les observations effectuées, depuis des mois, par les magistrats, les policiers de la PAF, les interprètes, les avocats et les militants des associations de défense des droits des étrangers. « Manèges pas clairs », présence « d’hommes extérieurs abordant les jeunes Africaines libérées », « disparition des mineures placées en foyer au bout de quelques jours ». Autant de constats confirmés hier par de nombreux interlocuteurs au tribunal de Bobigny, où semble régner un certain malaise. « On en parle évidemment Nous savons qu’il existe des filières où ces petites jeunes filles sont exploitées par des proxénètes mais nous n’avons pas de preuve », déplore ainsi Nicole Bilger, qui présidait l’audience d’hier. La magistrate a elle aussi observé de curieux comportements autour de son audience. « Un soir j’ai entendu un avocat se faire menacer par des voyous mécontents de voir que leurs clientes seraient reconduites à la frontière et régulièrement, je vois des gens qui regardent par la fenêtre comme pour guetter la sortie de ces filles », raconte-t-elle. « Ici les étrangères valent de l’or, assène un policier de la PAF, certains de mes collègues ont déjà dénoncé ce qui se passe. Nous avons tous remarqué ces types louches qui rôdent autour d’elles. » Dans la salle, entourées par des policiers, se pressent vingt-cinq personnes d’origine africaine. Joy Mozes, 18 ans, s’assied à côté de son avocate. Originaire de Sierra-Leone, cette jolie jeune femme ressemble à une enfant. La police de l’air et des frontières (PAF) l’a interpellée samedi à Roissy sans papiers ni billet d’avion. « Tout ce qu’on sait d’elle c’est que le vol qui l’a amenée venait de Bamako (Mali). » Quelques minutes de plaidoirie plus tard, le tribunal décide d’annuler son maintien en zone d’attente, annulant une procédure non respectée faute d’interprète lors de l’arrestation. La jeune fille sera remise en liberté. Pour quel avenir et avec quelles protections ?

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