Archives de catégorie : droit des étrangers

Pourquoi l’immigration est-elle devenue un sujet policier ?

Extrait du numéro 84, avril 2015 de la revue Causes Communes de la Cimade

Confrontées à la police dans leur parcours migratoire et en France, les personnes étrangères sont souvent les victimes d’une politique discriminatoire. La police joue un rôle incontournable dans la politique migratoire, quelle est sa responsabilité? Pourquoi des dérapages existent-ils et en quelles proportions?

Débat autour de ces questions à la bibliothèque Robert Desnos de Montreuil, entre Gaëtan Alibert, policier gardien de la paix, SUD Intérieur (Union syndicale Solidaires), Emmanuel Blanchard, maître de conférence à l’université de Versailles-Saint-Quentin et chercheur au Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales), Stéphane Maugendre, avocat au barreau de Seine-Saint-Denis et président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s), Denis Perais, préfecture de la Seine-Maritime, SUD Intérieur.

Dominique Chivot : Que prévoit la loi à propos des contrôles d’identité ? Qui peut-on contrôler ?

Stéphane Maugendre : Les contrôles d’identité doivent être faits quand il y a présomption d’infraction ou sur réquisition du procureur de la République pour une période et un endroit donnés, en raison de troubles à l’ordre public.

Emmanuel Blanchard : Ils renvoient au rôle historique de la police, créée pour identifier l’extranéité, non pas au sens juridique du terme (entre Français et étrangers) mais pour faire en sorte que des personnes qui ne se connaissent pas obéissent à des règles partagées. L’identification est donc au cœur du travail policier, mais le cadre juridique est très lâche, c’est pourquoi il y a tant de débats. Ce sont les contrôles d’identité qui cristallisent les frictions entre police et population.

Dominique Chivot : Les contrôles des étrangers sont-ils efficaces ? À quoi servent-ils ?

Gaëtan Alibert : Oui, dans la mesure où c’est le moyen le plus simple pour trouver les personnes sans titre de séjour : cela découle en fait de la pression mise sur les policiers pour atteindre les objectifs chiffrés donnés par l’administration, ce qu’on appelle la politique du chiffre. Il y a certes des services spécialisés qui ont d’autres méthodes, mais pour les patrouilles classiques –îlotage, police secours, brigade anti-criminalité– qui n’ont pas forcément connaissance des réseaux de passeurs, c’est leur connaissance du terrain qui les pousse à des contrôles d’identité dans tel ou tel quartier où il y a forcément plus de chances de trouver des gens en ILE (infraction à la législation des étrangers). La lutte contre les réseaux mafieux de passeurs passe par des investigations beaucoup plus longues et moins médiatisées. C’est elle pourtant qui doit être efficace, et non les contrôles d’identité qui ne servent qu’à faire du chiffre.

Denis Perais : S’il existe toujours une politique du chiffre, cela se fait aujourd’hui de façon assez sournoise. Les notes de service se contentent de dire «ces opérations se doivent d’être irréprochables aux yeux de nos directions zonales et centrales» sans donner de chiffre. L’injonction est beaucoup plus subtile, afin d’éviter ce qui pourrait faire scandale. Mais on mobilise beaucoup d’agents de la force publique pour ces contrôles, alors qu’on en mobilise beaucoup moins pour contrôler les fraudes, par exemple au code du travail. Les procédures d’urgence concernant les obligations de quitter le territoire français (OQTF) prennent une place prépondérante au détriment des autres missions. Cette pratique est particulièrement mise en évidence devant les tribunaux administratifs. Cela découle d’un choix politique en amont, dont la police est l’instrument visible. Depuis le milieu des années 1970, le choix politique est de faire de l’immigration un problème.

Emmanuel Blanchard : On peut élargir à la question: à quoi ça sert de vouloir contrôler les frontières? Aujourd’hui on assiste à un spectacle du contrôle des frontières, parce qu’un État qui s’est démis d’une partie de sa souveraineté, notamment en matière économique, s’il ne veut pas s’affaisser et se délégitimer totalement, doit montrer qu’il est actif sur d’autres domaines, comme la criminalité de rue ou les frontières. Alors même qu’elles sont de plus en plus effacées pour une partie de la population, il s’agit de montrer qu’on est capable de les contrôler. Sans ce spectacle, il n’y a plus d’État. La construction du mur est l’incarnation de ce spectacle. Mur qui va être contourné, mais il y a une mise en scène de la capacité d’agir, sans véritable débouché.

Dominique Chivot : Que pensez-vous des dérapages, comment les expliquez-vous ?

Gaëtan Alibert : C’est une toute petite partie. Mais c’est sur elle que se cristallisent les débats. Il y a de multiples raisons, dont certaines beaucoup plus profondes que les comportements individuels: la politique du chiffre, la façon dont on voit notre jeunesse, la manière dont on voit les étrangers, la manière dont les politiques instrumentalisent tout cela, etc. Les policiers appliquent une politique qui conduit à ce que certains contrôles se passent mal. Un sociologue comme Laurent Mucchielli parle d’engrenage: dans les quartiers populaires, les policiers sont dans un engrenage de violences symboliques, verbales ou physiques. Au bout d’un moment les situations sont explosives. Il faut bien sûr sanctionner des comportements, mais ce qu’il faut sanctionner avant tout, ce sont ces politiques sécuritaires liberticides qui opposent les gens, et dont les policiers, comme les migrants, comme les jeunes des quartiers populaires, sont prisonniers.

Stéphane Maugendre : La dérive du contrôle résulte non seulement des ordres du ministère de l’intérieur, mais aussi de la complicité de la justice: lorsqu’un procureur de la République demande aux services de police des contrôles systématiques devant le tribunal administratif et derrière la Cour nationale du droit d’asile, à l’heure des audiences où des étrangers viennent contester leur OQTF, on va bien évidemment faire du chiffre ! Mais lorsqu’on demande au parquet de bien vouloir nous donner les statistiques, le nombre de réquisitions données aux services de police, nous n’avons jamais aucune réponse.

Denis Perais : Le terme de «dérapage» ou de «bavure» laisse penser que c’est à la marge, alors que c’est le système qui génère les violences et les légitime.

Dominique Chivot : Les policiers français sont-ils suffisamment formés?

Gaëtan Alibert : La formation initiale dure un peu moins d’un an, avec seulement quelques cours, de quelques heures sur ces sujets, elle est donc forcément incomplète. La formation continue est difficilement possible et concentrée sur des aspects techniques et pas du tout sociologiques. Le constat est fait depuis très longtemps par l’ensemble des syndicats, il est partagé, y compris par le ministère.

Emmanuel Blanchard : Des enquêtes comparent les représentations des policiers avant qu’ils entrent sur le terrain et après quelques années de pratique. En gros, avant d’entrer dans la police, ces policiers sont représentatifs de la population française, avec ni plus ni moins de préjugés sur les étrangers. Mais ils en ont de plus en plus au fur et à mesure de la pratique professionnelle. Cela peut s’expliquer par le fait d’envoyer les jeunes gardiens de la paix sur des territoires dont ils n’ont aucune connaissance. Et s’il n’y a pas le travail de déconstruction sociologique, pour essayer de comprendre ce que sont ces territoires, les personnes qui y habitent, comment passer de la perception à l’analyse, cela génère des formes de préjugés racistes.

Gaëtan Alibert : C’est vrai aussi des jeunes gardiens de la paix eux-mêmes issus de minorités ethniques. Il n’y a pas que le policier blanc qui contrôle au faciès. On est dans une relation assez complexe à l ’autre.

Dominique Chivot : Quel est le rapport de forces entre la police et la justice ? Ou entre la police et les autres services du ministère de l’intérieur ?

Stéphane Maugendre : Depuis que la législation a changé, le fait d’être en situation irrégulière n’est plus un délit et ne peut donc pas motiver une garde à vue. Mais pendant une période, la police a continué à mettre en garde à vue les étrangers en situation irrégulière, en rajoutant un petit délit d’outrage, de jet de pierre, des petites choses… pour ne pas avoir à utiliser la procédure de vérification d’identité, qui ne permet de garder la personne que pendant quatre heures. Puis la loi Valls a fait passer ce temps de retenue judiciaire, d’abord à 10 heures, puis à 12 puis finalement 16 heures. De fait, on a finalement recréé une espèce de garde à vue pour étrangers. Sous la pression des policiers. Autre exemple du rapport entre police et immigration, significatif des dérives actuelles : la création d’une annexe du tribunal de grande instance de Meaux au Mesnil-Amelot, jouxtant le centre de rétention et construit avec les deniers du ministère de l’intérieur.

Emmanuel Blanchard : Selon les pays, la question de l’immigration est partagée entre différents ministères: intérieur, travail, affaires sociales, justice et affaires étrangères. Les équilibres sont variables, mais en France, la part de l’intérieur a toujours été bien plus importante. Les derniers changements sont liés à la création du ministère de l’immigration et de l’identité nationale qui a rapatrié les directions des autres ministères cités. Puis, avec la dissolution de ce ministère, tout est resté sous la tutelle de l’intérieur y compris l’asile et les visas.

Stéphane Maugendre : Avec le changement de majorité, on aurait pu s’attendre à un détricotage de cette opération menée par Nicolas Sarkozy en 2007.

Dominique Chivot : Y a-t-il des sanctions en cas de dérapage ?

Gaëtan Alibert : L’administration policière est celle qui est le plus contrôlée et où il y a le plus de sanctions prononcées. On compte en moyenne, ces dernières années, 2 500 policiers sanctionnés. Certains sont sanctionnés, parfois très durement, sur des faits peu importants, tandis qu’il y a des faits très graves et connus de la hiérarchie, qui ne sont pas sanctionnés. Cela dépend de ce qui s’ébruite : si on n’a pas pu empêcher la diffusion de l’information, on fait du fonctionnaire le bouc émissaire.

Stéphane Maugendre : Sur le plan pénal, j’ai eu à traiter trois affaires de décès lors de reconduites à la frontière. Résultats : une relaxe (après huit ans d’instruction), un non lieu et une condamnation à trois mois avec sursis pour homicide involontaire (après six ans d’instruction). Une quatrième instruction est en cours. Sur d’autres cas de violences policières, si l’IGPN ou l’IGS n’interviennent pas immédiatement, l’instruction dure des années et des années. Autre difficulté : la frilosité des juges d’instruction, qui ne veulent pas se mettre à dos les services de police dont ils peuvent ultérieurement avoir besoin pour d’autres affaires.

Débat animé par Dominique Chivot et retranscrit par Françoise Ballanger

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La nationalité au mérite, mode d’emploi ?

DÉCRYPTAGE

Armando est menuisier, meilleur apprenti de France dans sa discipline. Nura est le père d’un champion d’échecs. Mohamed et Mohssen ont sauvé plusieurs personnes dans l’incendie d’un immeuble d’Aubervilliers. Leur point commun ? Ils étaient sans-papiers et ont reçu un titre de séjour pour leurs états de service, ou ceux de leurs proches. Existe-t-il une «régularisation au mérite» ?

Etat des usages en vigueur.

Qui est Armando Curri ?

Cet Albanais de 19 ans a reçu mercredi sa médaille de meilleur apprenti menuisier de France au Sénat, alors que cette cérémonie lui avait été refusée dans un premier temps, en raison de sa situation irrégulière. Mais devant la mobilisation de ses formateurs et l’écho médiatique suscité par l’affaire, le préfet de la Loire, où réside Armando, a abrogé l’obligation de quitter le territoire français qui le frappait depuis octobre pour lui délivrer une autorisation provisoire de séjour de trois mois. Ce délai lui permettra de poursuivre ses démarches afin de régulariser sa situation. Il devrait bénéficier d’une disposition de la circulaire Valls de 2012, portant sur «l’admission au titre de motifs exceptionnels».

Quels sont ces motifs ?

Un étranger en situation irrégulière peut obtenir des papiers s’il justifie «d’un talent exceptionnel ou de services rendus à la collectivité (par exemple dans les domaines culturel, sportif, associatif, civique ou économique)». La circulaire n’a aucun pouvoir d’obligation pour les préfectures. Au final, ce type de régularisation est rarissime : 14 cas en 2013, autant en 2014.

Faut-il aller plus loin ?

Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés salue cette «tradition républicaine» et ce «pouvoir d’appréciation vers le haut des préfets». Mais il estime que l’exemple d’Armando «montre que plein de gens qui travaillent, paient des impôts, mériteraient tout autant d’être régularisés». Il regrette que pour la régularisation des sans-papiers, les autorités privilégient les circulaires à la loi, qui, elle, est contraignante.

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La régularisation «au mérite» existe-t-elle ?

  Sylvain Mouillard

Armando est menuisier, meilleur apprenti de France dans sa discipline. Linda, elle, a été couronnée dans la catégorie «pressing». Nura est le père d’un champion d’échecs. Mohamed et Mohssen ont sauvé plusieurs personnes dans l’incendie d’un immeuble d’Aubervilliers. Leur point commun ? Ils étaient sans-papiers et ont reçu un titre de séjour pour leurs états de service, ou ceux de leurs proches. Dans un autre registre, Lassana Bathily, qui a caché plusieurs personnes dans l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes lors de la prise d’otages meurtrière d’Amedy Coulibaly, a obtenu la nationalité française. Est-ce à dire qu’il existe une «régularisation au mérite» ? Le point sur la situation.

Qui est Armando Curri ?
Ce jeune Albanais de 19 ans a reçu ce mercredi matin sa médaille de meilleur apprenti menuisier de France sous les ors du Sénat, alors que cette cérémonie lui avait été dans un premier temps refusée en raison de sa situation irrégulière. Mais devant la mobilisation de ses formateurs et l’écho médiatique suscité par cette affaire, le préfet de la Loire, où réside Armando, a abrogé mardi l’Obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui le frappait depuis octobre pour lui délivrer une autorisation provisoire de séjour de trois mois. Ce délai lui permettra de poursuivre ses démarches pour régulariser sa situation. Dans un communiqué, le préfet souligne les «capacités d’intégration dont ce jeune homme a fait preuve à travers l’exemplarité de son parcours dans le domaine de l’apprentissage au plus haut niveau».

Arrivé en France à l’âge de 16 ans, le jeune Albanais bénéficiait du statut de «mineur étranger isolé». D’abord pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) du département de la Loire, il s’est retrouvé dépourvu à sa majorité, quand les autorités ont refusé de lui accorder un titre de séjour. «Il l’avait sollicité au titre de la « vie privée et familiale ». Or, il n’a pas d’attaches en France, sa famille est restée en Albanie», se justifie aujourd’hui la préfecture de la Loire.

Pour la sénatrice Cécile Cukierman (Communiste, républicain et citoyen, CRC), la circulaire Valls du 28 novembre 2012 offrait un cadre pour délivrer une carte de séjour temporaire au jeune homme, qui satisfaisait aux deux critères requis : être pris en charge par l’ASE entre l’âge de 16 et de 18 ans et être engagé «dans une formation professionnelle qualifiante». «Malheureusement, des jeunes présents en France depuis deux ans ou plus à la scolarité assidue, et qui sont déboutés, il y en a beaucoup. Tout cela reste à la discrétion des préfectures», appuie Cécile Cukierman. Finalement, Armando devrait s’en sortir grâce à une autre disposition de la circulaire : «l’admission au titre de motifs exceptionnels».

Quels sont ces motifs exceptionnels ?

«Sauf menace à l’ordre public», un étranger en situation irrégulière pourra obtenir des papiers s’il justifie «d’un talent exceptionnel ou de services rendus à la collectivité (par exemple dans les domaines culturel, sportif, associatif, civique ou économique)». Des conditions parfaitement remplies par Armando, Linda, Mohamed et les autres. Mais comme on peut le lire sur le site du ministère de l’Intérieur, il s’agit de «régularisations au cas par cas».

Autre limite de cette disposition : tirée d’une circulaire, elle n’a aucun pouvoir d’obligation pour les préfectures. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Conseil d’Etat le 4 février : «Il est loisible au ministre de l’Intérieur, chargé de mettre en œuvre la politique du gouvernement en matière d’immigration et d’asile […] d’énoncer des orientations générales destinées à éclairer les préfets dans l’exercice de leur pouvoir de prendre des mesures de régularisation, sans les priver de leur pouvoir d’appréciation.»

Au final, les régularisations pour «talent exceptionnel» ou «service rendu à la collectivité» sont rarissimes. Les derniers chiffres de la Direction générale des étrangers en France (DGEF) font état de 14 cas en 2013, et d’une estimation identique pour 2014.

La situation est-elle satisfaisante ?

Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), est mesuré : «Il est de tradition républicaine de remercier les gens qui rendent des services à la nation. Ce pouvoir d’appréciation vers le haut des préfets, c’est plutôt bien.» Il estime néanmoins que l’exemple d’Armando «montre que plein de gens, qui travaillent, paient des impôts, mériteraient tout autant d’être régularisés». «Le problème, c’est que le pouvoir d’appréciation vers le bas des préfets n’est pas contrôlé», ajoute-t-il.

Il regrette que pour un dossier aussi important que la régularisation des sans-papiers, les autorités privilégient les circulaires à la loi, qui, elle, est contraignante : «On crée des zones de non-droit. C’est un choix politique délibéré, et on voit que la gauche reste dans le droit fil de ce que faisait Sarkozy.»

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Stéphane Tiki : comment un sans-papiers peut accéder à la tête des jeunes UMP

Anne-Charlotte Dusseaulx, 11/02/2015

DECRYPTAGE – Etudiant à La Sorbonne, « auto-entrepreneur », en cours de naturalisation, à la tête des jeunes UMP… Retour sur le parcours de Stéphane Tiki, président des Jeunes populaires dont Le Canard Enchainé a révélé qu’il serait en fait sans-papiers.

Stéphane Tiki s’est « mis en congé » de la présidence des Jeunes populaires. Né au Cameroun, il avait été désigné à ce poste mi-décembre. Celui qui est militant UMP depuis la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 est arrivé en France il y a dix ans. Le Canard Enchaîné a révélé mercredi qu’il serait sans-papiers. Selon Le Monde, Stéphane Tiki n’aurait en fait plus de titre de séjour en règle. Ce dernier affirme toutefois avoir fait une demande de naturalisation. Retour sur le parcours de ce jeune homme de 27 ans, très impliqué dans l’UMP parisienne et qui envisageait de se présenter à des élections locales.

Peut-on être sans-papiers et étudier à La Sorbonne?

Sur son site Internet, Stéphane Tiki explique avoir eu son baccalauréat « au lycée français du Cameroun » et affirme avoir étudié par la suite à La Sorbonne, en filière économie/gestion. « Il s’est fait connaître en dirigeant la section UMP de la Sorbonne », écrivait Metronews en décembre dernier. Peu après son arrivée en France, le militant avait obtenu un visa d’étudiant, précise Le Monde.

Plusieurs types de visa étudiant existent. Celui intitulé « visa long séjour pour études » est accordé « aux étudiants étrangers désirant poursuivre leur scolarité dans un établissement d’enseignement supérieur public ou privé pour une durée supérieure à six mois ». « Il permet à son détenteur de solliciter dans les deux mois suivant son arrivée en France, un titre de séjour d’un an renouvelable à la préfecture de son lieu de domicile », peut-on lire sur le site du ministère des Affaires étrangères.

« Il a visiblement eu au moins un titre de séjour en qualité d’étudiant », d’un an renouvelable, explique au JDD.fr Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Ce dernier ajoute que « dans l’esprit de la loi », un tel étudiant « a vocation à retourner dans son pays d’origine ».

Peut-il demander la nationalité française?

En réponse aux révélations du Canard Enchaîné, Stéphane Tiki affirme sur sa page Facebook avoir fait une demande de naturalisation « qui est en cours ».  Or, pour pouvoir faire une demande de naturalisation, un titre de séjour est nécessaire, selon la notice d’information sur la demande d’acquisition de la nationalité française publiée sur le site de l’administration française. Parmi les documents à fournir : « une photocopie recto-verso de votre titre de séjour en cours de validité ».

Sur Twitter, l’avocat-blogueur Maître Eolas s’est également interrogé mardi sur cette demande de naturalisation :

« Nul ne peut être naturalisé s’il n’est pas en situation régulière », précise Stéphane Maugendre du Gisti. « Je pense sincèrement qu’il a fait sa demande de naturalisation alors qu’il avait un titre de séjour », poursuit-il. De toute façon, « cela n’aurait pas pu être autrement », car dans le cas contraire, son dossier n’aurait pas été accepté. Entre temps, son titre de séjour n’a peut-être pas été renouvelé.

Mais la demande de naturalisation ne permet pas, elle, « de séjourner régulièrement » dans l’Hexagone. « Elle ne se substitue pas à un titre de séjour ». Stéphane Maugendre veut toutefois rester prudent : « On peut supputer des choses, mais nous n’avons pas le dossier entre les mains. » « Quand a-t-il fait cette demande? Cela ne se traite pas en un an, mais en deux, trois, voire quatre ans parfois », s’interroge également cet avocat spécialiste du droit des étrangers.

Selon Europe 1, la dernière demande de naturalisation de Stéphane Tiki remonte à 2009 et elle a été rejetée. « Depuis, plus rien. Aucune trace au sein de l’administration d’une nouvelle demande de sa part », précise la radio.

Un sans-papiers peut-il être auto-entrepreneur?

« Aujourd’hui, je suis auto-entrepreneur. C’est important d’être autonome. D’ailleurs, je ne serai pas rémunéré pour présider les Jeunes populaires », expliquait Stéphane Tiki en décembre dernier à Metronews. Dans sa bio Twitter, il se définit également comme « auto entrepreneur ».

Pour autant, est-il possible d’avoir officiellement ce statut tout en étant sans papiers ? Selon le site de l’Agence pour la création d’entreprises (ACPE), « une personne de nationalité étrangère qui réside régulièrement en France peut devenir auto entrepreneur ». Mais, « à condition de détenir un titre de séjour permettant l’exercice d’une activité non salariée en France, ou de relever de l’un des cas de dispense (ressortissants européens par exemple) ».

Président des Jeunes populaires, peut-il se présenter à des élections?

En tant qu’étranger, Stéphane Tiki pouvait être président du mouvement des Jeunes Populaires. Par contre, le fait d’être sans papier – outre le décalage avec la ligne très ferme de l’UMP sur les questions d’immigration et de clandestinité – lui interdit de se présenter à des élections. Or, c’était apparemment l’un de ses objectifs. Le Canard Enchaîné affirme mercredi qu’il avait annoncé à son mouvement « sa volonté d’être candidat, en décembre, aux élections régionales ».

En novembre dernier, dans un reportage de France 3 Ile-de-France, Stéphane Tiki déclarait : « Ce ne sont pas les élections qui manquent. On a les régionales l’année prochaine, les municipales en 2020, donc on verra. Pour l’instant, je vais continuer à soutenir mon président », Nicolas Sarkozy. S’il veut participer, il faudra donc que sa demande de naturalisation ait été acceptée.

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Devenir français, un parcours du combattant

Accueil Emilien Urbach, 20/01/2015

Les acquisitions de nationalité ont augmenté de 11 % en 2014… après avoir été divisées par deux entre 2010 et 2012 ! Les associations dénoncent des critères injustes.
Hasard du calendrier, le ministère de l’Intérieur a publié, jeudi dernier, les chiffres de l’immigration pour l’année 2014. Notamment ceux des naturalisations, dont va bénéficier aujourd’hui Lassana Bathily, héros de la prise d’otages du 9 janvier. Les acquisitions de nationalité ont augmenté de 10,9 % l’an dernier, avec 77 335 nouveaux Français. Un rebond salutaire mais très modeste lorsqu’on sait que ces mêmes naturalisations avaient été quasiment divisées par deux entre 2010 et 2012… « On ne peut que se satisfaire de ce qui arrive à Lassana Bathily, commente Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des étrangers et président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Mais on crée de la confusion en donnant ces chiffres au même moment. Il y a quelque chose de nauséabond à relier les récents événements aux débats sur l’immigration. L’accès à la nationalité reste un réel parcours du combattant. »

Est citoyen français celui qui naît sur le territoire national de parents français ou de parents étrangers, si l’un des deux est né en France. Dans le cas contraire, le jeune né sur le territoire doit faire une demande de nationalité entre 13 et 18 ans. Pour les étrangers qui ne sont pas nés en France, la nationalité s’acquière par naturalisation. Soit par le mariage soit par demande à la préfecture, en justifiant, dans les deux cas, de plusieurs critères de bonne « assimilation » à la société française. En janvier 2012, Claude Guéant fanfaronnait sur une baisse de 30 % des naturalisés. Il venait de durcir ces critères en instaurant un délit de séjour irrégulier et en ajoutant aux compétences linguistiques, que la loi exigeait déjà, l’obligation de connaître l’histoire, la culture et la société françaises, et d’adhérer aux valeurs de la République. Les préfets devenant seuls juges de la qualité de cette assimilation.

En octobre 2012, une circulaire édictée par le nouveau gouvernement était censée traduire une conception plus ouverte de la naturalisation. Mais le Gisti reste déçu. Le texte spécifie, notamment, que « le recours récurrent aux systèmes d’assistance, ou de longues ou fréquentes périodes d’inactivité » traduisent un défaut d’assimilation justifiant l’ajournement. De quoi continuer à rendre la naturalisation inaccessible aux étrangers peu qualifiés ou précaires. Et d’en faire une faveur accordée au mérite et non le droit d’appartenir à la communauté nationale pour quiconque y participe depuis plusieurs années.

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Un discours de Hollande…en attendant des actes

Accueil Émilien Urbach, 15/12/2014

34234.HRLe président inaugure aujourd’hui le musée de l’Histoire de l’immigration. La politique migratoire du gouvernement Valls, qui ne rompt pas avec le sarkozysme, est critiquée à gauche.

Plus de deux ans après son élection, le chef de l’État prononcera, dans la journée, son premier discours sur l’immigration. Taclant Nicolas Sarkozy, il inaugurera par ailleurs la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Ce musée voulu par Jacques Chirac, en 2003, avait ouvert ses portes au public en octobre 2007. Nicolas Sarkozy avait refusé de se rendre à l’événement après que huit des douze membres du comité scientifique du musée eurent démissionné pour marquer leur indignation face à la création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Ce choix symbolique de François Hollande provoquera sans doute de la discorde à droite, mais ne suffira certainement pas à calmer la déception de la gauche qui, en matière d’immigration, espérait une rupture nette avec les années Sarkozy-Besson-Guéant.

« Le fantasme de l’invasion »

Si la réforme de l’asile qui sera adoptée mardi par les députés comporte, malgré le manque de moyens, de vraies avancées, le projet de loi sur l’immigration, présenté en juillet en Conseil des ministres et qui devrait bientôt être débattu à l’Assemblée, lui, ne rompt pas avec les logiques sarkozystes. Les associations de défense des étrangers sont extrêmement critiques sur ce dossier. « La gauche de 2014 n’a pas l’intelligence et le courage de celle des années 1980 qui avait accordé aux immigrés la carte de résident valable dix ans, dénonce le président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Stéphane Maugendre. Les politiques migratoires actuelles sont basées sur le fantasme de l’invasion. On est dans la continuité des gouvernements précédents. » L’avocat pointe les aspects indignes d’une réelle politique de gauche. Comme, par exemple, la durée de rétention administrative maintenue à quarante-cinq jours ; la création de salles d’audience, dans les zones d’attente, instituant une justice spécifique aux étrangers ; ou encore le pourcentage d’expulsions sans l’intervention d’un juge, qui était de 54 %, en 2013. Viennent s’y ajouter les discours stigmatisants de Manuel Valls à l’encontre des Roms, la construction par Bernard Cazeneuve, à Calais, d’une barrière, qualifiée de « mur de la honte » par les associations, ou encore la promotion de l’opération « Triton », menée par Frontex, l’agence européenne de contrôle aux frontières, qui vient par ailleurs, de nommer son nouveau directeur exécutif. L’heureux élu n’étant autre que Fabrice Leggeri, sous-directeur de la lutte contre l’immigration irrégulière au ministère de l’Intérieur… français ! Il reste que l’inauguration du musée constitue, selon l’historien Benjamin Stora, « un geste symbolique fort ».

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«De la circulaire ou de la libre circulation ?»

« De la circulaire ou de la libre circulation » entretien in les mauvais traitements in N° 26 de la revue penser/rêver, Les mauvais traitements, édition de l’Olivier, automne 2014.

ENTRETIEN AVEC STÉPHANE MAUGENDRE[1]

Michel Gribinski : Stéphane, tu es avocat au barreau de Bobigny (Seine-Saint-Denis), et tu es le président du Gisti depuis un peu plus de quatre ans. Le groupe a été créé en 1971. Gisti veut dire « groupe d’information et de soutien des immigré(e)s ». Le « t » est resté, mais pas le « travailleurs », devenu, je suppose, trop restrictif…

Stéphane Maugendre : C’est un choix qui date d’une quinzaine d’années. On a considéré que « travailleurs immigrés » ne regroupait pas,toutes les personnes dont on s’occupait.

Michel Gribinski : À l’époque de la création du Gisti, les intellectuels s’engageaient ; dans un article de l’historien Philippe Arrières [2], il est rappelé que, au début des années 1970, Michel Foucault, Jean-Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet créent le GIP, groupe d’infor­mation sur les prisons, qui accueillait ce que Foucault appelait des « intellectuels spécifiques » des intellectuels qui – au contraire de la définition que Sartre en donne – s’occupaient de ce qui les regardait, de ce sur quoi ils avaient des choses à dire, spécifiques. On se souvient d’Édith Rose, ou peut-être l’a-t-on oubliée, qui était la psychiatre du centre pénitentiaire de Toul, où les mutineries de prisonniers se succédaient, et qui avait raconté ce qui se passait dans les prisons en utilisant son « savoir » et son « pouvoir », comme on disait à l’époque. Non pas au service de l’« ordre établi » mais pour le « mettre en question » (le vocabulaire, lui aussi, spécifique, parle de la période). À la suite du Gip sont venus le Gis, groupe d’information sur la santé (qui militait en faveur de la légalisation de l’avortement) et le Gia, groupe d’information sur les asiles. Le Gisti, ai-je compris, a été créé si ce n’est dans cette filiation, du moins dans une proximité avec le Gip, dans le but non de répondre au cas par cas à des problèmes de personnes mais de tenter de modifier lé droit là où on pensait qu’il fallait le faire. D’où mes premières questions : est-ce toujours le cas ? Le Gisti cherche-t-il toujours à modifier le droit, a-t-il toujours pour but de faire rendre par les tribunaux de « grands arrêts Gisti » ? Dirais-tu qu’il y a encore des « intellectuels spécifiques » au Gisti, et, de toi, que tu en es un ?

Michela Gribinski : La définition du Gisti, qu’on trouve en ligne[3], aide à compléter la question : « Le Gisti, pour mettre son savoir à la disposition de ceux qui en ont besoin, tient des permanences juri­diques gratuites, édite des publications et organise des formations. » Il y a, programmatiquement, une articulation entre le traitement intellectuel des phénomènes et le besoin – moral, social, juridique – que d’aucuns en ont.

Stéphane Maugendre : Je reviens d’abord sur la création du Gisti : une filiation existe avec le gip , puisque, parmi les fondateurs, il y avait un visi­teur de prisons, le père jésuite André Legouy, engagé auprès des nationalistes algériens. C’était aussi une réunion d’Énarques d’après 1968, qui avaient la volonté politique de continuer à faire quelque chose, de curés (en exercices ou défroqués) comme Bernard Retten- bach, dominicain, devenu par la suite avocat, de gauchistes, de gens qui avaient fortement milité contre la guerre d’Algérie. Donc un mélange, dans une création totalement clandestine au début. Encore maintenant, nous nous appelons par nos prénoms… Bien que nous communiquions nos noms, parce que nous travaillons dans la trans­parence et qu’il n’y a plus de craintes à avoir -quoique certains magistrats administratifs demandent encore à ce que leurs noms n’apparaissent pas. Parmi les énarques, Jean-Marc Sauvé- actuel­lement vice-président du Conseil d’État – et le couple Moreau (Yan nick et Gérard[4])- Il y avait aussi Simone Pacot et Jean-Jacques de Félice, avocats, Louis Joinet, l’un des fondateurs du Syndicat de la magistrature, Madeleine Babinet, assistante sociale au SSAE.

L’idée était, d’un côté, d’analyser techniquement et politiquement le droit, puisque le droit est politique, et, dé l’autre, de le mettre à la hauteur des gens qui ont besoin.

Michel Gribinski : C’est un principe de fonctionnement du Gisti ?

Stéphane Maugendre : Ni l’idée ni le fonctionnement n’ont fondamentalement changé, même si nous nous posons régulièrement la question de l’équilibre entre le technique et le politique.

Je disais que le droit est politique. Nous restons attachés à cette idée et donc à la réflexion politique du droit. C’est-à-dire que le droit n’est pas neutre : quand la droite est au gouvernement, elle crée du droit répressif, et quand c’est la gauche – mais pas actuellement -, du droit moins répressif. Et cela joue. Il y a donc des périodes où l’on est plus politique et d’autres où l’on est plus juridique, mais c’est un couple que l’on respecte. Aujourd’hui, parmi tous ceux qui nous ont soutenus pendant les dix dernières années, un certain nombre de gens trouve que l’on est trop critique à l’égard de la gauche.

De même nous tenons beaucoup à notre indépendance, notam­ment vis-à-vis des institutions. Indépendance politique vis-à-vis des partis, mais aussi financière, puisque le Gisti s’autofinance à plus de 50 % grâce à ses formations (auprès des travailleurs sociaux, dans les prisons, auprès d’autres associations, d’avocats, etc.) et ses publications. Tout en respectant l’idée de mettre notre savoir à la disposition de ceux qui en ont besoin.

Ce qui a le plus changé, c’est la transparence. Nous sommes dans la transparence la plus totale, et plus dans la semi-clandestinité – nous publions nos bilans, ils sont téléchargeables sur le site[5], la Cour des comptes est venue nous contrôler et son rapport a été publié.

Michel Gribinski : Vous avez une fonction d’observatoire ?

Stéphane Maugendre. : Le Gisti est devenu l’association incontournable sur l’ana­lyse juridique des textes qui touchent les étrangers.

Michel Gribinski : Une Cour dès comptes des textes ?

Stéphane Maugendre : Je n’irais pas jusque-là. Mais dès qu’il y a un projet de loi, ou un groupe de réflexion sur le droit des étrangers, on est invité, même par la droite (hors FN, évidemment).

Si l’association est extrêmement respectée, elle fait aussi l’objet d’attaques violentes. Je me souviens que Chevènement, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, nous avait traités de « trotskistes anglais » (!), et que Besson, au moment du débat sur le « délit de solidarité » avait affirmé que la crédibilité du Gisti était proche de zéro, et qu’on ferait mieux de prendre des vacances[6].

On nous considère par ailleurs comme de doux rêveurs puisque nous sommes pour la liberté de circulation. C’est une des évolu­tions politiques du Gisti : depuis plusieurs années, nous travaillons avec des économistes, des démographes et des sociologues sur ce sujet[7].

Je reprends tes questions. Y a-t-il encore de « grands arrêts » ? Oui. On vient encore d’en obtenir un, le 19 novembre 2013, sur la question des enseignants étrangers, puisqu’il a été sursis à l’exé­cution de certains articles d’un décret du 23 août 2013, qui empê­chaient les ressortissants extracommunautaires de se présenter aux concours relatifs à l’enseignement privé sous contrat.

Le 15 novembre 2008, lors d’un colloque que nous avions organisé à la Maison du barreau de Paris, « Défendre la cause des étrangers en justice[8] », auquel étaient invités tous les présidents de tribunaux et de cours, judiciaires ou administratifs, le président de la section du contentieux du Conseil d’État a indiqué que, dans ce que l’on appelle les « grands arrêts » du Conseil d’État, il n’y avait qu’un seul requérant dont le nom apparaissait deux fois : le Gisti.

Michel Gribinski : Vous êtes une institution.

Stéphane Maugendre ; Dans le sens où le Gisti est devenu une référence, et que tous les juristes disent que nous sommes devenus indispensables, y compris lorsqu’on nous demande d’aller au contentieux, c’est-à-dire devant les tribunaux.

Ce que je viens d’exposer du Gisti me permet de répondre qu’il y a encore des « intellectuels spécifiques » au Gisti. En ce qui me concerne, je ne sais pas.

Michel Gribinski : Justement : que se passe-t-il dans la tête d’un avocat – et d’un intellectuel – pour qu’il décide de franchir le pas, d’aller au-delà de ce que son travail quotidien implique – être au service du droit, défendre le droit -, pour, ce droit, essayer de le modifier. Comment l’avocat passe-t-il de l’usage des ressorts ordinaires de la loi à sa réforme active ?

Stéphane Maugendre : il y a une histoire personnelle, évidemment. Fils de soixante- huitards, j’ai fait mes premières armes d’élève-avocat avec Henri Leclerc, dans un cabinet militant, le cabinet Ornano. Ma mère et une de ses amies, Madeleine Terrasson, une associée de Leclerc, étaient membres du Gisti. Voilà. Je suis au Gisti parce que je suis avocat, et je suis avocat parce que je suis au Gisti. Et il y a un choix politique, celui d’avoir installé mon cabinet en Seine-Saint-Denis, il y a vingt- cinq ans, quand peu d’avocats faisaient du droit des étrangers. Avant, c’était l’histoire familiale, et là il y a eu un choix politique personnel.

Pourquoi est-ce toujours présent ? Je pense qu’il y a quand même une certaine jouissance à cette activité, il ne faut pas le nier. Quand on arrive à faire plier ou condamner le ministère de l’Intérieur pour le forcer à proposer une loi au Parlement de manière à éviter que des étrangers soient confrontés à des zones de non-droit[9], ou, comme, en ce moment, à propos des tribunaux qui se montent sur les tarmacs, on arrive à modifier ce qui se passe[10], il y a une jouissance, on ne peut pas l’ignorer. Il y a aussi la défense des principes. À chaque fois que le droit recule pour une catégorie de personnes, derrière, c’est pour tout le monde qu’il recule. Un exemple, qui ne concerne pas le droit des étran­gers mais les contrôles routiers. Avant, il fallait que ce soit le procureur de la République qui dise aux services de police : « Vous allez procéder à des contrôles routiers à tel endroit sur telle période. » Maintenant, il n’y a plus besoin de ça. Donc il n’y a plus aucun contrôle du procureur de la République sur les services de police. C’est peut-être nécessaire pour la délinquance routière, mais c’est une régression du droit.

Aujourd’hui, créer des tribunaux, spécifiques pour des étrangers, à la sortie de l’avion, ou – ce qui arrive tous les jours – voir des gens jugés par téléconférence, sans être présents à leur procès, sans être aux côtés de leur avocat, c’est une régression. Cela a peut-être des avantages, mais c’est une régression : des juges vont juger une image. Comment s’empêcher de lutter contre ?

Miguel de Azambuja : L’institutionnalisation du Gisti et le fait que le groupe soit devenu actuellement incontournable étant donné qu’il travaille « sous les projecteurs » soulèvent-il des problèmes que la version clandestine des premiers temps cherchait à éviter ? Autre­ment dit, la sortie de la clandestinité a-t-elle aussi ses handicaps ?

Stéphane Maugendre : Le handicap, c’est que l’on est beaucoup sollicité : comme l’association est toute petite, elle n’a pas assez de bras et de cerveaux pour répondre à toutes les sollicitations. Mais c’est aussi un choix que d’être une petite association – deux cents à trois cents membres selon les années, admis avec précaution, parce qu’on n’a pas envie que les Renseignements généraux y mettent leur nez, ou que des avocats y viennent pour le logo.

Michela Gribinski : C’est votre côté « trotskistes anglais », le club fermé ?

Stéphane Maugendre : C’est surtout le fait d’être une « institution »… Cela nous oblige à plus de rigueur, parce qu’on nous surveille davantage, et que le droit des étrangers se complexifie.

Michela Gribinski : Dans l’argument du numéro, nous avons essayé de mettre en avant les rapports entre le « maltraité » et le « mal traité ». Tu as publié dans Médiapart, le 27 novembre dernier, une [11] tribune cosignée avec Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature, intitulée « Migrants morts en Méditerranée. Le parquet de Paris à la dérive », qui se clôt sur la considération suivante : « Chaque minute compte pour sauver des vies. Chaque jour compte pour comprendre pourquoi certaines ne l’ont pas été et comment elles pourraient l’être à l’avenir. » En différant l’ouverture de l’enquête sur la question particulière de soixante-douze migrants, qui fuient la guerre en Libye dans l’espoir de rejoindre l’Italie à bord d’une embarcation depuis Tripoli, et qui meurent parce que rien n’est fait pour les secourir, en particulier de la part des militaires français qui patrouillent pourtant dans les parages, le parquet de Paris semble s’employer à ne pas comprendre : c’est un déni de savoir ?

Stéphane Maugendre : Je vais être honnête : ce n’est pas moi qui ai écrit le papier mais deux membres du Gisti, l’une est professeur de droit, et l’autre avocat général à la cour d’appel de Paris. Je n’ai rien à redire au texte, je pense seulement qu’il aurait été plus normal que les signa­taires soient effectivement les personnes qui l’ont rédigé – bien que signer fasse partie du rôle de président (il en est allé de même pour une tribune dans Libération sur la xénophobie du: PS [12]).

La question de ce dossier est compliquée. On est en pleine guerre de Libye. On a I’otan, les États-Unis, la France, l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique, qui envoient des centaines de bateaux et d’avions, pour bombarder le pays et s’assurer que des armes n’y entrent pas, vérifier qu’il n’y a pas – Kadhafi l’avait pro­mis – de gens qui quittent la Libye pour envahir l’Europe. Jamais sur cette mer il n’y a eu autant de bateaux et de radars. Un gros Zodiac part avec quatre-vingt-dix personnes à son bord, dont des bébés et des femmes enceintes. Il est photographié, à un moment où il file vers Lampedusa, par un avion militaire français. Le Zodiac tombe en panne. Il y a un téléphone portable sur le bateau, on appelle un prêtre à Rome. Le prêtre prévient les garde-côtes italiens. Un premier [13] appel de détresse est lancé sur toute la région, et un hélicoptère vient survoler l’embarcation. Il repart, revient, lui ou un autre, donne des bouteilles d’eau et ne revient pas. Quelques jours plus tard, alors que le Zodiac est à la dérive, que des gens sont morts, ont bu de l’eau salée, sont tombés à l’eau dans la nuit, un navire militaire, dont on ne connaît pas la nationalité, fait le tour de l’embarcation (les sur­vivants racontent que des gens ont même pris des photos). On sait qu’avant que le navire militaire ne fasse ce tour, il y a eu un second appel de détresse – émis toutes les quatre heures sur, grosso modo, toute la Méditerranée. Rien n’a été fait pour sauver les gens à bord.

Nous ne mettons pas en cause tel bateau de l’armée française ni ne disons que le bateau qui est venu aux abords du Zodiac sans intervenir était un bateau français. Nous mettons en cause l’armée française parce qu’elle n’a pas détourné ses navires pour sauver ces migrants. Comment dire ? Si la voisine du premier crie au secours, et que tu l’entends du cinquième, tu ne te dis pas : « Bon, le voisin du second va aller voir. » Tu descends.

C’est ça la question. Donc nous déposons une première plainte – cinq professeurs de droit y ont travaillé, des experts ont travaillé, et fait travailler d’autres experts, notamment celui qui avait calculé la dérive de l’avion du vol Paris-Rio (grâce à qui ont été retrouvées les fameuses boîtes noires) pour qu’il reconstitue la dérive du Zodiac et les positions des bateaux qui étaient autour, etc. Ce n’est pas juste une plainte de dénonciation des « méchants », c’est un très très gros et consistant dossier.

La plainte est déposée[13], le procureur de la République étudie évi­demment le dossier, sollicite le ministère de la Défense – deux fois -, dont la réponse est : la France n’était pas là. Elle était ailleurs, autre part en Méditerranée. Donc le procureur de la République classe sans suite. Là, c’est le deuxième coup, on a la possibilité de déposer plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruc­tion. Sauf que, pour que le juge d’instruction puisse démarrer, il faut qu’il y ait un réquisitoire du procureur de la République. Le même. Il connaît le dossier, il l’a étudié. Et la question est que, depuis tous ces mois, il ne réagit pas. Une plainte vient d’être déposée en Belgique. Une autre en Espagne. Deux en Italie. Dans les pays anglo-saxons, il y a eu des demandes de communication de documents. La question n’est pas d’accuser l’armée française, mais de savoir ce qui s’est passé.

Michela Gribinski : De comprendre. Comment expliques-tu que le procureur attende, étant donné que l’affaire, telle que tu la décris, semble absolument linéaire ?

Stéphane Maugendre : Un argument – non convaincant – serait de dire qu’il n’y a qu’un seul « procureur de la République » pour toutes les affaires militaires. Mais c’est en fait une « affaire sensible » et, comme pour toutes les affaires sensibles, il y a la peur, les peurs, y compris celle de savoir – au détriment de la conservation des preuves et des informations. Dans le dossier en question, des choses publiées sur Internet, des reportages, carnets de bord, blogs, etc., disparaissent. Entre le moment où l’on dépose la plainte auprès du procureur de la République et le moment où le dossier arrive au juge d’instruction[14], il y a déjà deux ou trois liens qui sont « corrompus ».

Michel Gribinski : En t’écoutant parler des soixante-douze personnes qui ont péri en mer dans ces conditions, quelque chose me frappe, à l’inverse de ton propos : il me semble magnifique, du point de vue du droit, que, au début du XXIème siècle, l’on s’occupe ainsi de leur disparition et du déni – du délit – d’humanité dont, au bout du compte, elles sont mortes. J’allais te questionner au moment où tu rappelais les pays, les instances qui ont déposé des plaintes. Je trouve cela étonnant, optimiste, après le naufrage – l’expression est bienvenue – des Lumières, après qu’au siècle dernier le droit a été si souvent et explicitement bafoué.

Stéphane Maugendre : Je ne s’en rend pas bien compte, mais il y a quand même un réseau de gens…

Michel Gribinski : Je t’interromps pour compléter ce que j’essaie de dire. Une autre question va avec ce que nous évoquons, qui est le droit de se déplacer. L’émotion suscitée par cette affaire, et qui a pris des proportions internationales, n’est-elle pas soulevée aussi par l’atteinte portée à la liberté de se déplacer ? Un droit fondamental.

Stéphane Maugendre : Eh bien non, justement ! Il faut lire le livre[15] publié par les « gauchistes extrêmement dangereux » de l’institution appelée Unesco. C’est un travail sur la question de la liberté de circulation. La liberté de circuler, c’est en fait la liberté d’aller et venir. Or on a le droit de quitter son pays – c’est un droit fondamental -, mais on n’a pas le droit d’aller là où l’on veut. Finalement, ce droit-là n’est pas complet – il y a des juristes qui analysent cela. Le Gisti estime que le dossier des soixante-douze est emblématique des politiques de fermeture des frontières mises en place en Europe, On en arrive à négliger la vie des gens, à faire que la Méditerranée soit non plus le cimetière mais le charnier de l’Europe. On parle de quinze mille noyés, et on ne parle pas des familles qui cherchent ces noyés depuis des années. Plus les frontières seront fermées, plus il y aura de morts, en Méditerranée, mais aussi dans le désert. Les « remparts » ne sont plus à nos frontières, mais déjà depuis des années en Libye, en Algérie, en Tunisie, où l’on enferme des gens dans des camps pour les empêcher de venir en Europe, Ce dossier est la démonstration que l’on vit quelque chose de complètement fou autour de la question de la fermeture des frontières, et que Ton est prêt à laisser mourir des femmes, des enfants, des personnes, sans qu’on sache très bien pourquoi. L’argent sans doute. Il faut lire Xénophobie Business[16].

Quand, au Gisti, on apprend cela, ces morts, on fait un commu­niqué de presse, assez violent, où l’on dit qu’on va déposer plainte contre tout le monde [17]. En l’occurrence, le communiqué de presse a eu un effet dans le monde entier, des gens sont venus nous dire qu’en effet il fallait déposer plainte : des professeurs de droit qu’on ne connaissait pas, des étudiants anglais, des experts, etc. C’est comme ça que ça se passe. On déclenche quelque chose.

Michel Gribinski  : Mais quelque chose continue de me manquer dans un tel déclenchement : je ne crois pas que ce soit la sentimentalité qui joue – les bébés et les femmes enceintes, d’autres événements et des représentations où tout, en effet, peut faire appel à l’émotion et donner l’envie de « porter » plainte comme on porte un poids ou une pancarte. Mais ce n’est pas cela, le moteur. Plutôt l’évidence du déni de la liberté de circuler ?

Stéphane Maugendre : Le Gisti, avec Migreurop [18], dénonce l’état de fait de telles morts depuis de nombreuses années, mais ici il y a des survivants, des survivants qui racontent – c’est donc un cas emblématique.

Miguel de Azambuja : C’est le traitement des déchets. Les déchets ne peuvent plus être des déchets parce que des survivants racontent. Sinon, tout le monde contribue au traitement des…

Stéphane Maugendre : Mais on a des témoins. Cela s’ajoute aux circonstances – la guerre, et le fait que c’était la deuxième fois que certains tra­versaient la Méditerranée. Empêcher la liberté de circulation amène des choses comme ça.

Michel Gribinski : Le mot déchet est très fort…

Stéphane Maugendre : On a la Méditerranée pour ça, et des gens crispés sur la fermeture des frontières. La liberté de circulation, on la vit depuis environ soixante ans. La création de l’Europe s’est faite à cinq ou sept, je ne sais plus[19], et on est vingt-huit. Avec des positions de Mitterrand contré l’entrée de la Grèce, ou du Portugal (un écho anticipé de l’invasion par le fameux « plombier polonais »), etc. Une crispation des politiques européennes. Quand on rencontre des députés et qu’on leur dit : « Je ne vous demande pas d’adhérer à la liberté de circulation, mais d’organiser à l’Assemblée nationale une commission pour savoir au moins ce que les gens qui ont réfléchi là-dessus ont dit et pensé, pour connaître ce qui se dit et s’étudie en Europe, en Afrique, aux USA… » – « Impossible » est la réponse…

Michela Gribinski : Je reviens à ma marotte, la question du « désir de ne pas comprendre ». Objurgation d’autant plus intéressante à observer qu’elle s’accompagne, on pourrait dire systématiquement, de l’appel au «jugement » des acteurs. Ici encore un exemple spectaculairement parlant, rapporté, sur le site du Gisti, dans un texte cosigné par Resf et intitulé « La circulaire Valls, un an et tant d’actes odieux après[20] ». Ladite circulaire Valls du 28 novembre 2012 « relative aux condi­tions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile », qui se donne pour objectif de « clarifier » et d’uniformiser les « conditions de régularisation des familles sans papiers, des tra­vailleurs et des jeunes majeurs scolarisés », se contente de renvoyer in fine chacun des individus censés l’appliquer, en l’occurrence policiers et préfets, à son propre « discernement ». Ce qui revient à la meilleure façon de ne pas statuer – ou à l’effort pour rendre l’autre fou.

Stéphane Maugendre : Un rapide cours de droit. Il y a la Constitution, la loi, les décrets, les arrêtés et puis les circulaires. Jusqu’aux arrêtés, c’est du droit qui s’impose à tous. Une circulaire, ça ne s’impose pas. Ce n’est pas du droit, c’est de P infra-droit. Si le préfet ne respecte pas la circulaire Valls, le tribunal administratif ne sanctionnera pas le préfet. Régir le droit des personnes, régulariser la situation des gens, leur permettre de passer de la clandestinité à la vie civile, par une circulaire, ça, c’est de la maltraitance.

Miguel de Azambuja : Cela laisse à qui va juger toutes les marges; de manœuvre. La circulaire : le lieu où la loi en tant que telle n’existe pas, sinon dans le jugement de celui qui l’applique.

Stéphane Maugendre : Exactement. Liberté totale d’appréciation. Dans ce gouvernement comme dans les précédents, on fait des choix : pour certaines choses, on procédera par circulaires. Dans d’autres domaines, on fera voter des lois. Ce n’est pas un défaut de vision, au contraire, c’est en quelque sorte très bien vu, et ce sont des choix politiques. On va soi-disant abolir le délit de solidarité pour faire plaisir par exemple à Emmaüs, c’est un acte politique bien posé et on sait à qui on s’adresse. Mais on va faire une circulaire pour la régularisation. C’est tout à fait calculé.

De la même manière, sur la question des naturalisations. Mais là où il sait très bien ce qu’il fait, c’est que l’acte vraiment fort en réalité serait de modifier, même a minime la loi sur les naturalisations (or, « ce n’est pas le moment », etc. : c’est toujours le même discours).

Je prends l’exemple des Roms, ou. le placement en rétention des familles. Il ne s’agit pas de lois mais de circulaires : la première affirme qu’il faut un traitement humain et social, le relogement, etc,, de ces personnes, la deuxième interdit, en principe, de mettre des familles en rétention administrative. Ces circulaires permettent, en réalité, de maltraiter les gens.

Michel Gribinski : En disant que le droit est politique, est-ce que le gisu ne fabrique pas davantage d’injustice, en légitimant le principe de la modification politique du droit ? Ne faudrait-il pas œuvrer pour séparer le droit du politique ?

Stéphane Maugendre : Impossible : qui vote la loi ? Les députés – donc les poli­tiques. Et quand on étudie l’évolution du droit… Par exemple, la « préférence nationale », La préférence nationale existe en droit des étrangers. C’est inscrit dans la loi, depuis très longtemps, mais évi­demment pas comme ça. Tu veux engager un étudiant étranger, qu’il quitte son statut d’étudiant pour celui de salarié. Avant de t’autoriser à l’engager, ou avant de lui donner sa carte de séjour, on va vérifier si, pour le poste que tu offres, il y a trop de demandeurs d’emploi français ou pas. Si tu veux faire venir un travailleur étranger, avant de lui donner son visa, on va étudier la situation du marché. Danièle Lochak[22] décrit très bien ce glissement du discours.

Miguel de Azambuja : Cela ne s’appelle pas « préférence nationale », mais c’est une discrimination au nom de la nationalité ?

Stéphane Maugendre : C’est plus nuancé que ça, mais ça n’est pas loin : on; va vérifier le nombre de chômeurs inscrits, y compris étrangers, et le nombre d’offres d’emploi. Le droit est fait par les politiques, il est la retranscription d’un discours.

Michel Gribinski : Au Gisti vous luttez donc contre la transformation poli­tique de l’étranger en déchet, dans les faits ou les discours.

Stéphane Maugendre : Nous luttons en discours, en fait et en droit: Nous en sommes même, au sein du Gisti, à nous retrouver « défavorables » au droit de vote des étrangers aux seules élections locales, s’ils n’ont pas le droit d’y être éligibles. Ce serait un « mauvais traitement » que de créer des demi-citoyens. Cela dit, nous avons participé aux campagnes en faveur de ce droit de vote, parce que cela nous sem­blait quand même une avancée.

Michela Gribinski : On serait face à deux procédés : faire du déchet, du « moins, que rien » et de l’allégé, de la « demi-portion ». Une extemaiité radicale et des demi-mesures à l’infini.

Miguel de Azambuja : On va t?amputer pour t’intégrer.

Michela Gribinski : Ou te gommer.

Stéphane Maugendre : Déchets ; ceux qui ne sont pas en France et veulent y venir ou qui y sont mais clandestinement. Demi- : ceux qui sont là. Dans le cas de la politique dite d’« immigration choisie », mise en place sous Sarkozy (Avec d’autres associations, le Gisti a créé, à ce propos, un collectif : l’ucij – Unies contre l’immigration jetable. Logo : une poubelle), parmi ceux qui ne sont pas là (ou sont clandestins), on éjecte qui Ton estime inutile à l’économie : par exemple, les membres de familles consommatrices d’allocations familiales ou de logements (les critères de tri sont politiques) ; pour les autres, ceux qui sont là, on ampute les droits au séjour.

Tant que l’on verra l’immigration comme un danger, on ne pourra que se crisper, et aller vers la généralisation de la maltraitance. Valls satisfait la vox populi quand il tient, sur France Inter, ses propos sur les Roms — au sujet de leur prétendue « non-intégration culturelle ».

À ce sujet, nous avons choisi, pour la couverture du numéro de Plein Droit sur les Roms[23], un renard avec une poule dans la gueule, afin de dénoncer et la fausseté* des images qui stigmatisent et la fausseté du danger. La France a connu un temps où tous les délinquants étaient italiens. Chaque vague d’immigration apporte son lot de peurs.

Je pense à une maltraitance « circulaire » particulière : les queues dans les préfectures. La gauche au pouvoir invente, dans les débuts des années 1980, la carte de séjour de dix ans, avec comme prin­cipe l’idée que la stabilité de la vie facilitera l’intégration. À force de rogner, la carte de dix ans est devenue une carte… d’un an. Aujourd’hui, les conjoints étrangers de Français ne touchent pas de carte de dix ans. Bref, on retourne désormais dans les préfectures tous les ans, et souvent deux ou trois fois. Le manque de gens pour traiter les dossiers, le soupçon que les actes d’état civil présentés sont faux, même s’ils ont déjà été acceptés quinze fois, la queue elle-même qui est naturellement extrêmement longue, etc,, tout cela fait que les gens doivent revenir plusieurs fois. Donc la queue augmente. Et quand la carte est obtenue, elle a déjà deux ou trois mois d’existence.

À Bobigny, la queue commence vers minuit ou une heure du matin. Quand il a fait tellement froid, il y a quelques années, les gens avaient apporté de la paille. Et des jeunes femmes, notamment gha­néennes, se proposaient, aussi, de réchauffer ceux qui attendaient…

Des gens, quand ils sont hospitalisés, viennent sur des brancards faire la queue. Une décision politique qui vise à réduire des droits amène peu à peu à des choses d’un autre monde.

Miguel de Azambuja : Ces queues immenses ont également quelque chose de « circulaire » : soit on ne voit pas les étrangers du tout, soit on-les voit trop. L’étranger trop vu, avec son côté excédentaire, n’est accepté que s’il devient transparent, s’il gomme les signés de l’excès et tout ce qui est dit « inassimilable » : c’est l’intégration à la française.

Stéphane Maugendre : Le pouvoir ne veut pas simplifier la question – par exemple en permettant des démarches par Internet – parce que tous ces étrangers produisent de faux actes d’état civil. Un rapport du Sénat est ici intéressant : il met des pourcentages sur les nationalités, décerne des bons et des mauvais points à l’authenticité moyenne des actes en fonction du pays. Aucun acte d’état civil comorien ne doit être accepté. On ne sait pas d’où ça vient. Oh n’a jamais compris sur quoi reposait cette étude. La note est presque pire pour les Zaïrois. La validité des actes d’état civil est devenue une bataille juridique. On les remet systématiquement en cause.

*

Michel Gribinski : Qui est l’ennemi ?

Stéphane Maugendre : L’autre, l’étranger.

Michel Gribinski : Je veux dire : qui est l’ennemi pour le Gisti. Qui sont vos ennemis ? [24]

Stéphane Maugendre : On n’est pas sur ce terrain. Dans nos communiqués dé presse, nous essayons la plupart du temps de ne pas nommer, de ne pas dénoncer nommément. Une fois, c’est vrai, on a fait un communiqué intitulé « Besson ment »… Et nous ne luttons pas contre des gens. Nous luttons pour. Au Gisti, pour que le droit s’améliore, et moi, dans ma robe, pour que les droits de mon client s’améliorent.

Michela Gribinski : Alors la question n’est peut-être pas « Qui est ton ennemi ? » ou « Qui sont vos ennemis ? » mais « Qui est l’ennemi ? ».

Stéphane Maugendre : La loi. L’ennemi, c’est peut-être la loi. Telle qu’elle est à un moment donné, quand elle n’est pas bonne, ou qu’elle est absente. L’absence de loi, ou de droit aussi.

Miguel de Azambuja : L’ennemi est à l’intérieur. C’est la zone de non-droit dans le droit.

Stéphane Maugendre : Oui, ou du mauvais droit. À l’époque de Pasqua, je me souviens avoir assigné le ministère de l’Intérieur parce que les étrangers qui arrivaient en France à Roissy pouvaient être stoppés ~ « Vous n’avez pas le droit d’entrer » – par la simple volonté de la police de l’air et des frontières. Les gens erraient dans la zone internationale, là où il y avait les boutiques free tax, mais ne pou­vaient pas entrer. À un certain moment, on leur disait : « Il y a un avion, vous pouvez repartir. » Mais il n’y avait pas de droit. Donc on a assigné le ministère de l’Intérieur pendant des mois et des mois, et cela a poussé à ce qu’il y ait une loi qui encadre ça. Nous luttons maintenant pour qu’elle change, mais elle existe. Donc l’ennemi, c’est soit le non-droit (ou le mauvais droit) dans le droit, soit l’absence de droit. Lorsqu’on fait des « mémoires » devant le Conseil constitutionnel, quand la loi est déférée à sa censure, on vient dénoncer ce qui ne va pas, dans le droit.

D’un point de vue politique, l’ennemi, c’est la bêtise. Mais ça…

Stéphane Maugendre

[1]   Ont participé à l’entretien Miguel de Azambuja, Michel Gribinski et Michela Gribinski.

[2]   P. Artiéres, « 1972 : naissance de l’intellectuel spécifique », Plein Droit n° 53-54, la revue du Gisti, Immigration. Trente ans de combats par le droit, juin 2002 .

[3] Le Gisti ?

[4] Sur les débuts du gisti, nous renvoyons à un échange entre Gérard Moreau, Bruno Erhmann et André Legouy, paru en 2002 dans le numéro 53-54 de Plein Droit, la revue du Gisti, ainsi qu’à l’étude de Liora Israël, « Faire émerger le droit des étrangers en le contestant, ou l’histoire paradoxale des premières années du gisti ». On consultera également la page Wikipédia du gisti

[5] Bilan d’activité du Gisti

[6]   Les délits de la solidarité

[7]   « . Liberté de circulation : un droit, quelles politiques ? » janvier 2011, 164 pages, Collection Penser l’immigration autrement, Gisti

[8]   On trouvera les actes de ce colloque dans Défendre la cause des étrangers en justice (Dalloz/Gisti, 2009) et sur Youtube

[9]   Cf. B. Philippe, «L' »amendement Marchand” à nouveau devant les parlemen­taires. Des demandeurs d’asile contestent la “zone Internationale” prévue par le ministère de l’Intérieur », Le Monde du 21 janvier 1992. Voir aussi D. Llger, « De l’affaire du dépôt et de quelques autres »

[10] Voir F. Johannès, « Christiane Taubira gèle l’ouverture du tribunal des étrangers à Roissy», Le Monde du 18 décembre 2013

[11] Migrants morts en Méditerranée : le parquet de Paris à la dérive.

[12] S. Maugendre, « Au Parti socialiste, un zeste de xénophobie ? », Libération du 18 janvier 2013

[13] Pour lire la plainte : http://www.fidh.org/IMG/pdf/plainte.pdf

[14] Depuis que cet entretien a eu lieu, la plainte auprès du Juge d’instruction a fait l’objet d’un non-lieu « ab Initio ». Cf. F. Johannès, « Drame de l’Immigra­tion : colère d’associations après un non-lieu qui blanchit l’armée », Le Monde du 7 décembre 2013,

[15] A. Pécoud, P. de Guchteneire, Migrations sons frontières. Essais sur la libre circu­lation des personnes, Éditions UNESCO, 2007

[16] C. Rodier, Xénophobie business. À quoi servent les contrôles: migratoires ?, La Découverte, 2012.

[17]  Le gisti va déposer plainte contre I’otan, l’Union européenne et les pays de la coalition en opération en Libye

[18] Migreurop réunit quarante-cinq associations dans un réseau européen et africain de militants et chercheurs dont l’objectif est de faire connaître ia généralisation de l’enfermement des étrangers et la multiplication des camps et de lutter contre un tel dispositif au cœur de la politique d’externalisation de l’Union européenne (www.migreurop.org).

[19] À partir du début des années 1950, la Communauté européenne du charbon et de l’acier unit progressivement les pays européens sur le plan économique et politique afin de garantir une paix durable. Les six pays fondateurs de cette Communauté sont Ea Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas.

[20]  La circulaire Valls un an et tant d’actes odieux après

[22] Professeur émérite de droit public à l’université Paris Ouest-Nanterre La Défense, docteur en droit avec une thèse sur Le Râle politique du juge adminis­tratif français, agrégée des facultés de droit, cofondatrice du credof (Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux), directrice de l’École doctorale de sciences juridiques et politiques de Paris X jusqu’à sa retraite universitaire, présidente du gisti de 1985 à 2000, Danièle Lochak, dont la mère est originaire d’Istanbul et le père de Bessarabie, devient française en 1947 par l’effet collectif de la naturalisation de ses parents (extrait de sa biographie sur Wikipédia, ndr).

[23] Voir le n° 99 de décembre 2013 de la revue du gisti, Plein Droit, « « Rom”, n. et adj. : infra-étranger »

Un avocat du GISTI

index 3 23/08/2014

Afflux croissant des migrants en provenance d’Italie

la-croix-logo Jean-Baptiste François, 05/08/2014

Depuis trois mois, le passage des migrants par l’Italie n’est plus enregistré par l’administration transalpine. Ce pays s’estime trop esseulé au sein de l’UE pour faire face aux arrivées de candidats à l’exil. De ce fait, la France ne peut plus renvoyer en Italie ceux qui font sur son sol une demande d’asile.

GIOVANNI ISOLINO/AFP
GIOVANNI ISOLINO/AFP

En l’absence de gestion coordonnée des flux migratoires européens, et après maints appels à l’aide restés sans réponse de la part des autres pays de l’UE, l’Italie semble s’être résignée à relâcher ses efforts pour endiguer les arrivées plus nombreuses dans l’espace Schengen. Un renoncement dont la France mesure maintenant les effets.

Une note de la police aux frontières (PAF) du 9 juillet, dévoilée mardi 5 août par Le Figaro , évaluait que 61 591 migrants ont débarqué en Italie au premier semestre 2014, essentiellement des Érythréens (30 %) et des Syriens (17 %), soit presque huit fois plus que sur la même période en 2013 (7 913 migrants).

D’après le document, le nombre d’interpellations d’étrangers en situation irrégulière par les autorités françaises n’a eu de cesse d’augmenter depuis avril, avec 1 845 contrôles en mai (+ 165 % en un mois), puis 2 628 (+ 43 %) en juin.

l’Europe peine à prendre des mesures communes

Mais les personnes arrêtées ne peuvent être refoulées vers l’Italie. Si leur itinéraire ne fait guère de doute, « l’absence de document d’identité ou d’éléments objectifs justifiant la provenance d’Italie rend la sollicitation auprès de ce pays d’une admission effective impossible », note le rapport.

En effet, en vertu du règlement de Dublin de 1990, les demandes d’asile doivent être effectuées uniquement dans le pays d’entrée. C’est en principe l’inscription sur le fichier Eurodac qui fait foi. Mais les prises d’empreinte par les autorités Italiennes ne seraient plus systématiques.

« Il y a bien une stratégie cohérente et consciente des Italiens de ne pas enregistrer tous les migrants, ce qui montre hélas combien l’Europe est en panne sur la construction d’une politique commune », commente Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile.
Un précédent lors des révolutions arabes en 2010

Ce relâchement des services des étrangers italiens a déjà eu des précédents, notamment au moment de la révolution en Tunisie de 2010. À l’époque, l’administration italienne avait massivement délivré des titres de séjour de trois mois aux clandestins, leur permettant ainsi de circuler librement en France ou ailleurs dans l’espace Schengen.

Le préfet des Alpes-Maritimes, Adolphe Colrat, explique à La Croix avoir bénéficié d’un renfort policier conséquent. « Nous nous efforçons de contrarier au mieux ce flux » déclare le haut fonctionnaire faisant état de l’interpellation de 36 passeurs qui tirent profit de la détresse des réfugiés.

« Cela dit, on peut considérer que nous nous trouvons face à un phénomène qui se situe à l’échelle de la solidarité européenne, et pas au seul niveau franco-italien », commente-t-il.

La France, « pays de transit »

Le président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Stéphane Maugendre, se méfie des conclusions qui pourraient être tirées de cette note de la PAF. « J’espère qu’il ne s’agira pas de renforcer de nouveau les moyens Frontex », l’agence européenne de lutte contre l’immigration clandestine. « Cet organisme n’a jamais arrêté personne. Il fait prendre aux migrants toujours plus de risques en mer », poursuit-il.

L’entourage du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve confirme à La Croix qu’il y a effectivement un « afflux récent de migrants » en provenance de l’Italie. « Cela explique notamment l’augmentation du nombre de personnes en transit à Calais », commente-t-on.

Sur cette route migratoire, « la France est un pays de transit. D’ailleurs, la demande d’asile a baissé au premier semestre 2014 », poursuit cette même source. L’Allemagne, la Suède ou l’Angleterre figureraient en revanche parmi les destinations privilégiées.

Deux fois plus d’autorisations provisoires que l’an dernier

Contacté, l’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) confirme l’absence de hausse manifeste des demandes mais cela est probablement une question de temps. Certains migrants seraient de plus en plus nombreux à tenter leur chance en France.

« En juillet, nous avons doublé le nombre d’autorisations provisoires de séjour délivrées en préfecture, par rapport à la même période l’année dernière », constate Véronique Devise, présidente départementale du Secours catholique. « Certains migrants savent qu’ils ne pourront être immédiatement renvoyés aux frontières italiennes. Ils n’hésitent donc plus à s’inscrire chez nous », poursuit-elle.

À Calais, la situation s’est considérablement tendue. La zone portuaire de la ville est devenue le terrain d’affrontements entre groupes de Soudanais et d’Érythréens ces deux derniers jours. Malgré l’envoi d’une quarantaine de CRS en renfort dès dimanche soir, ces heurts ont fait au total près de 70 blessés, dont l’un a dû être héliporté dans un état grave à l’hôpital de Lille, dans la nuit de lundi à mardi.

⇒ Voir l’article

Ça ne change pas. L’étranger est suspect

images Céline Rastello,  23/07/2014

L’Intérieur a présenté deux projets de loi concernant le droit d’asile et l’immigration. L’avis de Stéphane Maugendre, président du Gisti et avocat spécialisé en droit des étrangers.

AFP/ Joël Saget
AFP/ Joël Saget

Deux projets de loi concernant le droit d’asile et l’immigration ont été présentés mercredi 23 juillet en Conseil des ministres. Aux manettes, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. La France « doit demeurer » une « terre d’immigration et une terre d’asile », assure-t-il à « Libération », « les pays refermés sur eux-mêmes sont condamnés au déclin ».

Stéphane Maugendre, avocat spécialisé en droit des étrangers et président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), commente les principaux points des projets de loi.

1. Raccourcissement des délais de traitement

L’idée : Ramener de deux ans ou plus à 9 mois en moyenne, en 2017, le délai de traitement des demandes d’asile. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui statue sur le bien fondé des demandes, pourra placer en « procédure accélérée » les dossiers qui lui paraissent abusifs, et qui devront être jugés par un juge unique dans le délai d’un mois.

Stéphane Maugendre : « L’idée est de réduire de façon globale la durée des demandes, mais en instituant un certain nombre de procédures accélérées pour un certain nombre de cas. Et qui dit procédure accélérée dit une étude du dossier, pas forcément en faveur du demandeur d’asile, comme souvent lors de procédures accélérées. Au risque que son dossier ne soit pas étudié de façon sereine et équitable. La collégialité amène le débat. Le juge unique n’est pas une avancée. Plutôt une régression. »

2. Création d’un titre de séjour pluriannuel

L’idée : L’obligation de renouveler son titre de séjour chaque année crée d’interminables files d’attente en préfecture. 99% des demandes de renouvellement étant acceptées, l’Intérieur veut proposer, sous conditions, une carte de séjour allant de deux à quatre ans après le premier titre d’un an.

Stéphane Maugendre : « Quand on regarde dans le détail, tous les étrangers ne seront pas concernés et le nombre de personnes éligibles à cette carte est considéré de façon extrêmement restrictive. Nous avons lancé la campagne ‘Rendez-nous la carte de résident’ qui avait été adoptée à l’unanimité en 1984 et permet aux gens d’être réellement sécurisés dans leur parcours. Pourquoi n’y revient-on pas ? La mesure annoncée est issue d’une proposition du rapport de Matthias Fekl de mai 2013 qui fait un constat accablant sur la carte d’un an (forte précarisation, difficulté à trouver un emploi stable, préoccupation du renouvellement de la carte plus importante que la participation à la vie de la cité…)
Si on veut effectivement sécuriser le parcours des étrangers et augmenter leurs possibilités d’intégration, il faut proposer une carte de 10 ans, et pas de 4.

C’est en outre à l’appréciation du préfet, donc avec un risque d’arbitraire. Cette carte pluriannuelle semble davantage avoir été créée pour désengorger les préfectures et renforcer le pouvoir de contrôle des préfets. »

3. Création d’un « passeport talents »

L’idée : La France attire peu de professionnels qualifiés parmi les 200.000 étrangers hors Union européenne qu’elle accueille légalement chaque année. Le gouvernement propose donc de créer un nouveau titre de séjour, le « passeport talents », valable quatre ans, qui permettra aux profils qualifiés et à certains étudiants de s’installer plus facilement en France.

Stéphane Maugendre : « C’est à la marge. Tellement peu de cartes comme celles-ci sont accordées… »

4. Création de nouveaux droits

L’idée : Permettre aux demandeurs d’asile d’être assistés par un avocat.

Stéphane Maugendre : « Avant, le demandeur d’asile, même s’il pouvait demander conseil à un avocat, n’était pas assisté devant l’Ofpra ou même lors de sa demande d’asile. C’est une bonne chose, mais cela fait partie des retranscriptions communautaires (trois directives européennes). On ne pouvait donc pas faire autrement. »

5. Mise en place d’un « hébergement directif »

L’idée : Imposer aux demandeurs d’asile qui se concentrent actuellement en Ile-de-France d’être répartis sur l’ensemble du territoire. Et de se voir, en cas de refus, supprimer leurs allocations mensuelles (300 euros). Une personne ne pourrait quitter son lieu d’hébergement plus de 48h sans autorisation du préfet. Au risque de voir sa demande close par l’Ofpra.

Stéphane Maugendre : « Les projets de loi parlent de ‘cantonnement’. J’appelle cela une assignation à résidence. En empêchant une personne de quitter son lieu d’hébergement, on l’empêche de se regrouper auprès d’éventuels membres de sa famille, sa communauté ou son parti politique. C’est tout de même une drôle de manière d’appréhender les demandeurs d’asile ! Pas sûr, d’ailleurs, que cela passe d’un point de vue constitutionnel.
Les demandeurs d’asile se trouvent principalement en Ile-de-France car l’Ofpra et la CNDA (Cour nationale du droit d’asile, qui a le rôle d’instance de recours en cas de rejet par l’Ofpra) s’y trouvent aussi.

Parce ce qu’on ne peut pas ‘faire face’ on veut répartir les forces sur toute la France ? Pourquoi ne pas plutôt les concentrer ? »

D’une manière générale, Stéphane Maugendre estime « qu’on est encore une fois dans la continuité des précédentes législations. L’étranger est toujours suspect de quelque chose : d’une fraude, du fait de s’installer où il ne doit pas, de faire trop de recours… Ça ne change pas ». Il s’insurge également contre une autre volonté du gouvernement : celle consistant à réduire les délais de recours des étrangers se voyant refuser leur titre de séjour et se voyant notifier une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). « Particulièrement scandaleux » selon le président du Gisti, qui insiste sur la « complexité » de la procédure et les éventuelles difficultés rencontrées pour rassembler les différents documents, trouver un interprète,… Une mesure destinée, selon lui, à « désengorger les juridictions administratives. »

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Avocat