La régularisation «au mérite» existe-t-elle ?

  Sylvain Mouillard

Armando est menuisier, meilleur apprenti de France dans sa discipline. Linda, elle, a été couronnée dans la catégorie «pressing». Nura est le père d’un champion d’échecs. Mohamed et Mohssen ont sauvé plusieurs personnes dans l’incendie d’un immeuble d’Aubervilliers. Leur point commun ? Ils étaient sans-papiers et ont reçu un titre de séjour pour leurs états de service, ou ceux de leurs proches. Dans un autre registre, Lassana Bathily, qui a caché plusieurs personnes dans l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes lors de la prise d’otages meurtrière d’Amedy Coulibaly, a obtenu la nationalité française. Est-ce à dire qu’il existe une «régularisation au mérite» ? Le point sur la situation.

Qui est Armando Curri ?
Ce jeune Albanais de 19 ans a reçu ce mercredi matin sa médaille de meilleur apprenti menuisier de France sous les ors du Sénat, alors que cette cérémonie lui avait été dans un premier temps refusée en raison de sa situation irrégulière. Mais devant la mobilisation de ses formateurs et l’écho médiatique suscité par cette affaire, le préfet de la Loire, où réside Armando, a abrogé mardi l’Obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui le frappait depuis octobre pour lui délivrer une autorisation provisoire de séjour de trois mois. Ce délai lui permettra de poursuivre ses démarches pour régulariser sa situation. Dans un communiqué, le préfet souligne les «capacités d’intégration dont ce jeune homme a fait preuve à travers l’exemplarité de son parcours dans le domaine de l’apprentissage au plus haut niveau».

Arrivé en France à l’âge de 16 ans, le jeune Albanais bénéficiait du statut de «mineur étranger isolé». D’abord pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) du département de la Loire, il s’est retrouvé dépourvu à sa majorité, quand les autorités ont refusé de lui accorder un titre de séjour. «Il l’avait sollicité au titre de la « vie privée et familiale ». Or, il n’a pas d’attaches en France, sa famille est restée en Albanie», se justifie aujourd’hui la préfecture de la Loire.

Pour la sénatrice Cécile Cukierman (Communiste, républicain et citoyen, CRC), la circulaire Valls du 28 novembre 2012 offrait un cadre pour délivrer une carte de séjour temporaire au jeune homme, qui satisfaisait aux deux critères requis : être pris en charge par l’ASE entre l’âge de 16 et de 18 ans et être engagé «dans une formation professionnelle qualifiante». «Malheureusement, des jeunes présents en France depuis deux ans ou plus à la scolarité assidue, et qui sont déboutés, il y en a beaucoup. Tout cela reste à la discrétion des préfectures», appuie Cécile Cukierman. Finalement, Armando devrait s’en sortir grâce à une autre disposition de la circulaire : «l’admission au titre de motifs exceptionnels».

Quels sont ces motifs exceptionnels ?

«Sauf menace à l’ordre public», un étranger en situation irrégulière pourra obtenir des papiers s’il justifie «d’un talent exceptionnel ou de services rendus à la collectivité (par exemple dans les domaines culturel, sportif, associatif, civique ou économique)». Des conditions parfaitement remplies par Armando, Linda, Mohamed et les autres. Mais comme on peut le lire sur le site du ministère de l’Intérieur, il s’agit de «régularisations au cas par cas».

Autre limite de cette disposition : tirée d’une circulaire, elle n’a aucun pouvoir d’obligation pour les préfectures. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Conseil d’Etat le 4 février : «Il est loisible au ministre de l’Intérieur, chargé de mettre en œuvre la politique du gouvernement en matière d’immigration et d’asile […] d’énoncer des orientations générales destinées à éclairer les préfets dans l’exercice de leur pouvoir de prendre des mesures de régularisation, sans les priver de leur pouvoir d’appréciation.»

Au final, les régularisations pour «talent exceptionnel» ou «service rendu à la collectivité» sont rarissimes. Les derniers chiffres de la Direction générale des étrangers en France (DGEF) font état de 14 cas en 2013, et d’une estimation identique pour 2014.

La situation est-elle satisfaisante ?

Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), est mesuré : «Il est de tradition républicaine de remercier les gens qui rendent des services à la nation. Ce pouvoir d’appréciation vers le haut des préfets, c’est plutôt bien.» Il estime néanmoins que l’exemple d’Armando «montre que plein de gens, qui travaillent, paient des impôts, mériteraient tout autant d’être régularisés». «Le problème, c’est que le pouvoir d’appréciation vers le bas des préfets n’est pas contrôlé», ajoute-t-il.

Il regrette que pour un dossier aussi important que la régularisation des sans-papiers, les autorités privilégient les circulaires à la loi, qui, elle, est contraignante : «On crée des zones de non-droit. C’est un choix politique délibéré, et on voit que la gauche reste dans le droit fil de ce que faisait Sarkozy.»

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