Archives de catégorie : violences policières

Le Sri-Lankais était mort étouffé durant son expulsion

logoParisien-292x75 Geoffroy Tomasovitch, 21/05/1999

Deux fonctionnaires poursuivis pour « homicide involontaire »

Le 22 septembre 1998 en Belgique, la mort d’une Nigériane de 20 ans, étouffée sous un coussin manipulé par des gendarmes lors d’une tentative d’expulsion, avait soulevé l’indignation générale. Sept ans plus tôt en France, la mort d’Arumugam Kanapatipillaï était passée presque inaperçue. Ce Sri-Lankais de 32 ans avait succombé à un arrêt cardio-respiratoire suite à un embarquement forcé à Roissy (Val-d’Oise). Hier, les deux policiers chargés de l’escorter le 24 août 1991 ont été jugés pour « homicide involontaire » en correctionnelle à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Le 9 août 1991, Arumugam dé-barque à Roissy. Ce fils de paysans a fui le Sri Lanka, où son appartenance au parti séparatiste tamoul des Tigres met sa vie en danger. Il espère rejoindre sa femme en Allemagne. Le Tamoul formule sa demande* l’asile politique en France. Refus. Le 17, il doit être expulsé vers Colombo. Il résiste et la tentative d’embarquement échoue. En prenant en charge le Tamoul sept jours plus tard, les deux fonctionnaires de la police de l’air et des frontières (PAF), commissaire et brigadier à l’époque, savent qu’ils reconduisent un « refoulé » capable de se rebeller. Arumugam s’asseoit dans l’appareil, les pieds entravés, les mains menottées dans le dos. Une bande Velpeau l’empêche de crier.

Jugement le 24 juin

«Je lui ai proposé d’ôter le bâillon à condition qu’il se tienne tranquille », se souvient le commissaire Eric B. Mais très vite, le Tamoul s’agite. « J’ai attrapé une couverture. On l’a utilisée comme une sangle au niveau du thorax pour le maintenir sur son siège », poursuit Eric B. La lutte, avec des pauses, durera un gros quart d’heure. Brutalement, l’homme ne se débat plus. Il décédera le lendemain à l’hôpital. « Asphyxie du cerveau », dira l’autopsie, qui relèvera aussi une compression cervicale et une faiblesse cardiaque. « Ce n’est pas un accident, accuse la veuve en es. Mon mari a été tué. Il ne voulait pas partir. ». Sa petite fille n’a jamais connu son père. Me Piquois, son avocat, enfonce le clou : « Sans ce bâillon fou et cette couverture, cet homme serait encore en vie ! » Symbole « inhumain et dégradant » aux yeux des associations de défense des droits de l’homme et des étrangers parties civiles, le bâillon n’était autorisé par aucune loi en 1991. Son usage était malgré tout fréquent. « Il sert aussi à montrer notre détermination aux expulsés », admet le commissaire. Mais lui et son collègue affirment n’avoir à aucun moment obstrué le nez du Tamoul ou exercer de pression sur son cou. Alors, pourquoi ce décès ? « Un en-semble de choses y a concouru, estime le procureur Garrigues. Le stress du refoulé, sa faiblesse cardiaque, son agitation. Il faut le com-prendre, il ne voulait pas retourner mourir dans son pays. » Puis, il relève la maladresse des policiers — dont l’avocat a plaidé la relaxe — et leur imprudence d’avoir voulu à tout prix éviter un nouveau refus d’embarquer. Il n’a requis aucune peine. Jugement le 24 juin.

Expulseurs assassins

Pajol, mai 1999

Le 24 août 1991, Arumugam Kanapathipillai, demandeur d’asile tamoul était assassiné par des policiers de la PAF (Police de l’Air et des Frontières) lors de la deuxième tentative d’expulsion vers le Sri Lanka. Arrivé à l’aéroport de Roissy le 9 août et maintenu en zone internationale, son admission sur le territoire avait été refusée par le Ministère de l’intérieur alors que sa femme et sa fille étaient réfugiée en Allemagne.

Menotté aux poignets et aux chevilles, bâillonné par une bande velpeau et sanglé au siège par la ceinture de sécurité du Boeing 747 UTA, il avait tenté d’échapper au renvoi vers la mort dans un ultime sursaut. Profitant du retrait momentané de son bâillon il s’était mis à se débattre et à crier: « No Sri Lanka, no Sri Lanka! », pour attirer l’attention des passagers. Le commissaire Brendel et l’officier Manier, escortant le condamné, « n’ont fait qu’appliquer les instructions » et essayèrent de réprimer ses cris en le maîtrisant et l’étouffant à l’aide d’une couverture. Après 20 minutes d’effort pour se dégager, son coeur s’arrêta et Arumugam perdit connaissance.

Réanimé sur place il mourut le lendemain matin à l’hôpital.

Huit ans après les faits les policiers sont passés en procès devant la 12eme chambre du tribunal de Nanterre le 20 mai 1999. Lors de l’audience ils purent justifier de manière odieuse leur acte en expliquant qu’ils « n’avaient pas commis de faute » et qu’il « fallait exécuter une mission ».

Le procureur a conclu son réquisitoire en réclamant une condamnation
accompagnée d’une dispense de peine. Verdict le 24 juin.

Arumugan est donc le triste prédécesseur de Semira Adamu, nigériane de vingt ans assassinée lors de son expulsion de Belgique, le 22 septembre 1998 et deMarcus O., nigérian lui aussi, étouffé le ler mai 1999 lors de son expulsion d’Autriche; victimes de l’Europe forteresse.

Pour que de tels meurtres ne se reproduisent plus,

OUVERTURE DES FRONTIERES,

LIBERTE DE CIRCULATION !

⇒ Voir l’article

Des sans-papiers sous le couperet.

logo_site Christophe Kanteheff, 28/01/1999

Pour avoir refusé d’être expulsés, dix Maliens risquent des peines exorbitantes au regard de la jurisprudence.

Les dix Maliens qui passent I jeudi 28 devant la douzième chambre de la cour d’appel de Paris connaîtront-ils le même sort que leur compatriote Diawara Siriné. Celui-ci, jugé à part, en novembre dernier en compagnie d’un co-prévenu, s’est vu infliger par la même juridiction un an de prison ferme pour avoir refusé d’embarquer sur un vol Paris-Bamako. Ayant accepté volontairement de comparaître et s’étant rendu au délibéré alors que rien ne l’y obligeait, il fut arrêté et incarcéré sur le champ. Tous sont impliqués dans la même affaire qui a pour point de départ le 28 mats 1998.

Prison ferme

Ce jour-là, douze Maliens, qui ont participé une semaine auparavant à l’occupation d’une église du XVIII ème arrondissement, sont emmenés à Roissy.  Là, des militants des JRH les fameux « trotskistes anglais » dénoncés dès le lendemain par Jean-Pierre Chevènement exhortent les passagers à ne pas accepter de voyager aux côtés d’hommes entravés. Dans l’avion, les Maliens sont pieds et poings menottés et, selon eux, bâillonnés et attachés aux fauteuils. Ce sont les réactions des passagers, disent-ils, qui les ont encourages à se rebeller.

En première instance, au mois de juin, le tribunal correctionnel de Bobigny les relaxe tous, fait rarissime pour des étrangers en situation irrégulière. Il conclut à la nullité de la procédure pour absence de procès-verbal constatant les délits qui leur sont reprochés, celui de rébellion notamment. Mais, à la surprise générale, le procureur de la République lait appel et requiert quatre mois de prison ferme.

Comme on l’a vu, le président de la cour d’appel, Gérard Gouyette, a trouvé cette peine trop laxiste. Pour motiver la culpabilité de Diawara, il s’est appuyé sur un rapport des RG rédigé par un commissaire qui n’était pas à Roissy. Celui-ci prétend que les policiers de l’escorte qui n’ont pas été appelés à témoigner directement, attestent que les Maliens ont insulte l’État français et ses représentants, et ont poussé les passagers à l’émeute. Ce rapport est jugé sans « valeur probante » par le Syndicat de la magistrature, Me Stéphane Maugendre a retrouve des passagers et produira jeudi aux débats leur témoignage écrit, montrant que la réalité fut tout autre. Face à un président qui a motivé le mandât de dépôt à l’audience contre Diawara par un article de la Déclaration des droits de l’homme, aucun argument rationnel ne devra être épargné.

Le sans-papier restera en prison

images fig Pierre-Antoine Souchard, 16/01/1999

Sirine Diawara, malien, s’était opposé à son expulsion.

Sirine Diawara restera en prison. Sa demande de remise en liberté, formulée jeudi par ses avocats, a été rejetée hier par la 12e chambre de la cour d’appel de Paris. Au motif, entre autres, qu’elle constituerait un trouble à l’ordre public.

La condamnation, le 26 novembre, de ce Malien en situation irrégulière à un an d’emprisonnement par.cette même chambre pour refus d’embarquer, avait provoqué de vives réactions de la part des associations de soutien aux sans- papiers et de certains syndicats de magistrat.

Jeudi, à l’audience, ses deux avocats, Mes Dominique Noguères et Stéphane Maugendre, avaient pourtant pris soin de dédramatiser le débat. A l’appui de cette demande de remise en liberté, ils présentaient des garanties de représentation financière et d’hébergement. Celle-ci avait fait défaut à Sirine Diawara qui s’était vu infliger un mandat de dépôt lors de la première audience.

Un professeur de la faculté de droit de Paris s’engageait par écrit à héberger gratuite-ment le Malien en situation irrégulière.

Désapprobation

Une somme de 7 000 francs, recueillie auprès de différentes personnalités comme Serge Blisko, vice-président de l’Assemblée nationale, ou du cinéaste Bertrand Tavernier, était consignée sur un compte. En début d’audience, les deux avocats ont demandé la présence d’un interprète afin que leur client « puisse s’exprimer pleinement et librement ». Requête refusée peu après que le président leur ait demandé : « Est-ce qu’il était accompagné d’un interprète lorsqu’il achetait des oranges ou du pain ? »

Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) a fait savoir que cette décision « est révélatrice du sens que le gouvernement désire donner à sa politique d’immigration : le déni du droit de vivre dignement ».

Sirine Diawara avait été interpellé après l’expulsion de l’église des Abbesses en mars 98. Conduit dix jours plus tard à l’aéroport de Roissy, il était installé, en compagnie d’une dizaine d’autres Maliens, dans| un vol d’Air Afrique à destination de Bamako (Mali). Une| quinzaine de passagers de ce vol avait manifesté leur désapprobation face aux méthodes! employées par les policiers. « Débarqués », les Maliens! étaient poursuivis pour refus! d’embarquer. Le tribunal correctionnel de Bobigny les avait relaxés, mais le parquet avait fait appel de cette décision.

Prison ferme pour un refus d’embarquement.

Accueil  Emilie Rive,  27/11/1998

La cour d’appel de Paris a condamné hier un Malien à un an de prison ferme « pour refus d’embarquement ». Une décision « qui dépasse toute mesure par rapport aux faits » dénonce son avocat. Associations et Syndicat de la magistrature protestent.

LA cour d’appel de Paris a condamné, hier matin, quatre Maliens sans-papiers à des peines de trois mois à un an de prison ferme et cinq ans d’interdiction du territoire pour « refus de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière ». Un mandat d’arrêt a été délivré à l’audience à l’encontre de Sirine Diawara, trente ans, condamné à un an de prison ferme, qui a été immédiatement incarcéré.

Les 26 et 28 mars dernier, à l’aéroport de Roissy, une escorte de plusieurs policiers en civil embarquaient, menottes aux poignets et aux pieds et bâillonnés, douze Maliens dans un appareil d’Air Afrique en partance pour Bamako. Un témoin, à l’époque, racontait: « Les CRS se sont mis à trois, parfois à cinq, pour faire monter chaque expulsé. Le bus des passagers est arrivé un quart d’heure seulement avant l’heure d’envol. Ils sont montés, puis descendus après avoir discuté avec le commandant de bord. Les sans-papiers ont été ensuite redescendus et les passagers sont partis avec plus de trois quarts d’heure de retard. » Les passagers avaient été alertés par des tracts distribués par les associations pour les droits de l’homme.

Les douze Maliens avaient été arrêtés lors de l’évacuation, par les forces de police, des églises Notre-Dame-de-la-Gare et Saint-Jean-de-Montmartre, qu’ils occupaient à Paris pour demander leur régularisation. Ils devaient passer en jugement le lendemain des faits, mais Me Maugendre, l’un de leurs avocats, avait demandé le report. Il remarquait que les dossiers instruits comportaient des questions « bizarres »: « On a fait dire aux gens qu’ils n’ont pas subi de violences policières. Comme si on se protégeait à l’avance contre toute poursuite… » « Il y a des dossiers qui seraient régularisables selon la loi Chevènement, poursuivait l’avocat, leur titulaires ayant travaillé dix, douze ans en France, sans interdiction de territoire ni casier judiciaire pour d’autres faits. »

Au procès, en juin, les Maliens avaient contesté avoir résisté à l’embarquement, indiqué qu’ils ne voulaient pas partir sans bagages et protesté contre les méthodes des policiers. Le tribunal correctionnel de Bobigny, le 8 juin, les avait relaxés pour vice de procédure. En appel, l’avocat général avait requis des peines de quatre mois de prison et d’interdiction du territoire.

Hier, deux d’entre eux ont été condamnés à trois mois de prison ferme, les deux autres à six mois et un an de prison ferme. Concernant ces derniers, la cour d’appel a pris en compte une note des renseignement généraux établie par un fonctionnaire qui n’a pas assisté à l’embarquement, mais fut interrogé après coup par les policiers. Elle fait état de « voies de fait, violences et injures à agents de la force publique ». La salle a été évacuée après les protestations du public. « Je suis outré, s’indigne Me Maugendre. C’est une répression sans commune mesure avec les faits et une volonté contraire à tout apaisement sur ce dossier. C’est la première fois en quinze ans que je vois une condamnation aussi sévère. »

Le MRAP parle de « décision inique » et de  » déclaration de guerre juridique contre les sans-papiers et leurs soutiens ». De son côté, le Syndicat de la magistrature exprime sa « plus vive indignation ». Il rappelle que « les faits reprochés aux intéressés ne portaient que sur une situation d’irrégularité sur le sol français (qui ne constituait qu’une contravention jusqu’en 1981) et sur le refus d’embarquer de ces derniers. »

⇒ Voir l’article

Prison ferme pour des sans-papiers.

images fig Pierre-Antoine Souchard, 27/11/1998

Le Mrap et les Verts assimilent les peines prononcées à « une provocation »

En quinze ans de barreau, je n’ai Jamais vu ça », commentait hier, abasourdi, Me Stéphane Maugendre, à sa sortie de la 12e chambre de la cour d’appel de Paris.

Son client, Sirine Diawara, 30 ans, un Malien en situation irrégulière, venait d’être condamné pour refus d’embarquement à un an de prison ferme, avec mandat de dépôt à l’audience, et à cinq ans d’inter-diction du territoire français. Trois autres Maliens, poursuivis pour les mêmes charges, étaient condamnés respective¬ment, l’un à six mois de prison et les deux autres à trois mois de prison ferme.

Le 28 mars dernier, douze Maliens, interpellés dix jours plus tôt alors qu’ils occupaient l’église Saint-Jean-de-Mont- martre à Paris (XVIIIe), étaient installés, menottés et ligotés, dans le vol RK 161 d’Air Afrique, au départ de Roissy, à destination de Bamako (Mali).

Devant les méthodes employées par les policiers, une quinzaine de passagers du vol avaient manifesté leur désapprobation et refusé d’embarquer. « Débarqués », les douze Maliens étaient poursuivis pour « refus de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière ».

En première instance, le tribunal correctionnel de Bobigny avait annulé l’ensemble de la procédure et les avait tous relaxés. Le parquet avait immédiatement fait appel. Le 29 octobre, Sirine Diawara, sans avoir reçu de convocation, s’était présenté à l’audience de la cour d’appel. Lors de celle-ci, l’avocat général avait requis à son encontre quatre mois de prison et cinq ans d’interdiction du territoire. Dans l’arrêt rendu hier, les magistrats de la 12e chambre ont expliqué, pour justifier leur lourde sentence, avoir « tenu compte des circonstances dans lesquelles le refus d’embarquement a eu lieu ».

Ces circonstances sont consignées dans un rapport de la 12e section des Renseignements généraux, établi le 28 mars. Concernant Sirine Diawara, on peut y lire : « Il a été un des plus violents. Il a porté des coups aux fonctionnaires d’escorte. Il a proféré une kyrielle de propos outrageants et insultants envers l’État français. Lorsque les passagers sont montés, il a appelé à l’émeute afin qu’ils lui portent assistance pour se libérer. »

Sans précédent

Selon Mes Dominique Noguères et Stéphane Maugendre, le commissaire, auteur de ce rapport, n’était pas présent dans l’avion d’Air Afrique, mais a simplement repris les propos de ses confrères qui auraient exagéré la gravité des faits.

Devant la cour d’appel, M. Diawara a nié avoir porté des coups et précisé qu’il voulait récupérer ses affaires avant d’embarquer.

Les réactions ne se sont guère fait attendre après cet arrêt. « Cette décision s’apparente à une déclaration de guerre juridique contre les sans-papiers et leurs soutiens (…), cette condamnation est une provocation », déclarait, hier après-midi, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap). « La cour d’appel s’est, de toute évidence, inscrite dans une logique d’exemplarité où la sévérité le dispute à la démesure », a jugé le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche). Les Verts ont qualifié les condamnations de « peines sans précédent ». « Une ré pression accrue à l’encontre des sans-papiers ne saurait tenir lieu de politique d’immigration », ont-ils estimé.

De l’aveu même d’un magistrat de la cour d’appel de Paris une peine d’un an de prison as sortie d’un mandat de dépôt à l’audience est « très rare », en ce qui concerne le séjour irrégulier et le refus d’embarquement.

La 12e chambre de la cour d’appel a dû être évacuée à l’annonce de l’arrêt. M. Diawara, immédiatement placé au dépôt du Palais de Justice de Paris, n’a pas été autorisé à rencontrer ses avocats. Ceux-ci ont décidé de se pourvoir en cassation. Ils ont cinq jours pour le faire.

Douze sans-papiers jugés sans témoins et sans vergogne

arton7300 Jean-Marie Horeau, 04/11/1998

Leur expulsion ratée avait provoqué une polémique au sein du gouvernement. Sept mois plus tard, ils sont seuls face à la cour d’appel et à un rapport de police bâclé.

UNE douzaine de jeunes Maliens sans papiers ont comparu le 29 octobre dernier devant la cour d’appel de Paris. Ils étaient accusés de « refus de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière ». En clair, ils auraient résisté aux policiers chargés de les escorter dans l’avion jusqu’à Bamako. Une audience en appa­rence banale, devant le triste décor de la 12* chambre, une des plus sombres et des plus poussiéreuses du Palais.

Mais le procès, cette fois, promettait d’être passionnant, animé et sûrement exemplaire. Car ces expulsés n’étaient pas tout à fait comme les autres. Leur aven­ture avait, voilà sept mois, provoqué une mémorable colère du ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, suivie d’un début de polémique, à l’Assemblée, au sein de la gauche plurielle, et même d’une décla­ration du Premier ministre.

Chevènement en rogne

Le 28 mars 1998, le vol Paris-Bamako était parti sans ces douze expulsés. Des militants d’extrême gauche avaient distri­bué des tracts dans l’aérogare, et plusieurs passagers avaient pris fait et cause pour les Maliens. Après plusieurs heures de négociations, le commandant de bord fai­sait débarquer tout le monde, et l’avion décollait finalement sans les douze « recon­duits ». Le lendemain, le scénario s’était reproduit, et cette fois neuf passagers soli­daires (africains et européens) avaient été débarqués et placés quelques heures en garde à vue.

Deux jours plus tard, Chevènement stig­matisait « l’incivisme fondamental » des organisations de soutien aux sans-papiers, et en particulier de l’association Jeunes contre le racisme en Europe, qu’il quali­fiait d’« organisation trotskiste d’origine britannique ». Puis il menaçait de pour­suites judiciaires les passagers qui s’étaient interposés. Dominique Voynet avait alors déploré les « expressions malheureuses » de son collègue de l’Intérieur. Et, en fin de course, il fallut que Jospin calme le jeu en défendant sa politique de l’immigration, « ferme et équilibrée ».

Justice à la trappe

Mais qu’étaient devenus les pauvres bougres héros involontaires et oubliés de ce tintamarre au sommet ? Ramenés au poste de police de l’aéroport, ils ont été pour­suivis pour refus d’embarquer, séjour irré­gulier en France, et traduits devant le tri­bunal correctionnel de Bobigny, dont dépend Roissy. Tout seuls. Ni les fameux « trotskistes anglais », responsables de tout à en croire Chevènement, ni les passagers « complices » n’ont été inquiétés. Le dos­sier des douze Maliens était si mal ficelé que les juges de Bobigny ont annulé la pro­cédure et relaxé les prévenus. Mais le par­quet a aussitôt fait appel.

Jeudi dernier, devant la cour d’appel de Paris, l’avocat général s’est montré fort cour­roucé. Les premiers juges ont commis une erreur de droit, a-t-il expliqué avant d’exi­ger des condamnations. Pour la plupart, les sans-papiers ont nié avoir résisté dans l’avion. Deux d’entre eux ont reconnu qu’ils ne voulaient pas partir sans leurs bagages. Une revendication, il est vrai, exorbitante… D’autres ont expliqué tant bien que mal qu’ils avaient été embarqués, à tous les sens du terme, dans une tourmente qui les dépas­sait. Et plusieurs ont protesté contre les méthodes employées par les flics de l’escorte : menottes, Scotch, bâillons, le tout agrémenté de quelques coups…

Qui dit la vérité ? Comment les choses se sont-elles passées ? Pourquoi les passagers ont-ils pris à partie les policiers ? Les expul­sés étaient-ils maltraités et bâillonnés, contrairement à ce qu’affirme le ministère de l’Intérieur, qui a fait savoir au « Canard » que l’usage de tout bâillon est strictement interdit ? Grâce aux débats devant la cour d’appel, on allait enfin savoir…

Pour cette affaire qui avait ému les plus hautes autorités de l’État, la justice s’est montrée à la hauteur. Pas un seul témoin n’a été appelé à la barre. L’accusation s’est appuyée sur un rapport de quatre pages, signé par Gilles Beretti, commissaire des RG, qui était responsable des expulsions, mais… n’était pas sur place. Il rapporte ce que ses subordonnés lui ont rapporté. Ces Maliens étaient abominables. Ils crachaient sur les fonctionnaires, les insultaient, les menaçaient. Et, bien qu’entravés, parve­naient à se blesser eux-mêmes.

Comment de tels débordements ont-ils pu leur attirer la sympathie des passagers ?

Mystère : aucun voyageur n’a été interrogé. Pas plus que le personnel de bord.

Certains ont-ils été blessés ? Le méde­cin qui les a examinés après leur débar­quement de l’avion n’a pas été entendu. Aucun rapport médical n’a été versé au dos­sier. Ont-ils oui ou non été bâillonnés ? La question ne sera pas abordée.

Commissaire embrouillé

Faudra-t-il donc se contenter des témoi­gnages des policiers ? Même pas : aucun fonctionnaire présent le jour des faits n’est convoqué. Leur chef n’est pas là. Et aucun n’a été entendu, selon les règles de la pro­cédure, sur un procès-verbal… Plus fort, si l’on ose dire, nul ne sait qui porte les accusations sur tel ou tel prévenu à tra­vers le rapport des RG, unique pièce de l’accusation. Car les noms des policiers escorteurs, en principe chargés chacun d’un expulsé, changent d’une pièce du dossier à l’autre. Selon le précieux rapport du com­missaire des RG, c’est Dupont qui s’occupe de Mamadou. Selon la fiche d’escorte, c’est Durand. Quelle importance ? Il faut savoir qu’un simple PV pour excès de vitesse est annulé s’il n’est pas établi qu’il a été signé par le policier qui a constaté personnelle­ment l’infraction. Mais il ne s’agissait, ce 29 octobre, que de Maliens, sans papiers et sans bagages…

Pas le moins du monde troublé, l’avocat général a demandé des peines de prison. Même tarif pour tout le monde : 4 mois ferme et 5 ans d’interdiction du territoire français. L’arrêt sera rendu le 26 novembre. Ce sera un grand moment de notre histoire judiciaire.

Expulsés baillonnés, en France aussi.

logo-liberation-311x113  Béatrice Bantman

Dix jours après la mort d’une Nigériane en Belgique, on s’aperçoit que coups et coussins-bâillons ont été monnaie courante en France.

La Belgique n’a pas le monopole du coussin. La technique de l’«expulsion au coussin», tragiquement dévoilée par la mort, à 20 ans, de Semira Adamu, est également employée en France. Pourtant, après le décès de la jeune Nigériane, la police française chargée des expulsions soutenait mordicus que cette méthode barbare n’avait pas cours chez nous. C’est faux. Le témoignage de douze Maliens, expulsés le 28 mars dernier, dont Libération a eu connaissance, montre que la police a menti.

Parmi ces hommes, dix disent avoir été «étouffés», certains jusqu’à l’évanouissement, avec un oreiller. Les policiers français utilisent non seulement des coussins, mais des bâillons, des coups et, éventuellement, des calmants, contrairement aux affirmations des policiers (Libération du 24 septembre).

Ces témoignages ont été recueillis par l’avocat des Maliens, Stéphane Maugendre, également vice-président du Gisti. Ses douze clients sont aujourd’hui poursuivis pour «refus d’embarquer», parce que, à cause de l’indignation des passagers du vol, l’avion n’a pu décoller qu’après leur débarquement. Témoignages. Même si les hommes, qui doivent repasser en jugement le 29 octobre, ont souhaité conserver l’anonymat, leurs témoignages sont explicites. «On m’a mis un oreiller devant la bouche pour m’empêcher de parler en m’étouffant. Une femme policier et son collègue m’ont frappé le ventre. La femme m’a frappé le sexe à coups de poing», dit un expulsé malien malien placé dans un avion pour Bamako le 28 mars 1997, en compagnie de onze compatriotes et d’une soixantaine de policiers. Son témoignage, comme les autres, a été recueilli en mai dernier par Stéphane Maugendre. Ces récits ne sont donc pas susceptibles d’avoir été influencés par les informations venues de Belgique.

Le jeune homme raconte qu’il est monté dans l’avion menotté et qu’il a été scotché à son siège. Jusqu’ici, son témoignage ne contredit pas les affirmations de la Diccilec, la police de l’air et des frontières, qui avait tenu à rassurer l’opinion publique. Le 23 septembre, à la demande du ministère de l’Intérieur, la Diccilec précisait que ses fonctionnaires avaient pour consigne de «ne pas toucher la bouche» et de n’utiliser ni coussin, ni bâillon, ni calmants. Et que les expulsés récalcitrants avaient uniquement les chevilles et les mains attachées.

«Coussins».

Les récits recueillis par Stéphane Maugendre indiquent que certains fonctionnaires sont allés plus loin: «On m’a battu au ventre. Ils ont serré le cou, ils m’ont fermé le nez et la bouche pour m’étouffer. Ils m’ont mis un oreiller devant la bouche», dit l’un d’eux. «On m’a attaché au siège avec une corde au cou et aux pieds. J’ai été frappé. On m’a mis un oreiller devant la bouche pour m’empêcher de parler», affirme un autre homme, qui précise qu’il vivait en France depuis neuf ans. En montant dans l’avion, il avait dit aux policiers: «J’ai accepté de rentrer chez moi, mais je veux garder ma dignité et partir non menotté.» «Un policier s’est mis sur mes genoux, m’a mis devant la bouche un coussin, et l’autre appuyait très fort. J’ai essayé de demander de moins m’enfoncer l’oreiller et le policier derrière m’a donné une claque sur la joue», raconte un autre. «Ils ont maintenu l’oreiller au point que je perde connaissance», soutient un autre expulsé. Et ainsi de suite.

Interdictions.

L’un des douze témoins a échappé aux sévices: «Parce que j’avais un inspecteur calme, je n’ai pas été attaché, sauf les menottes, ni bâillonné, mais j’ai vu plusieurs de mes compatriotes attachés sur leur siège et bâillonnés.» Les témoignages parlent de coups dans le ventre et le sexe, de cordes au ventre, serrées de plus en plus fort à la moindre parole. Lorsque les hommes demandent à ramener leurs bagages avec eux, on leur refuse. Ce n’est pas un détail. A plusieurs reprises, le gouvernement a promis que les étrangers reconduits à la frontière seraient expulsés «dignement» et qu’on leur éviterait l’humiliation de revenir au pays les mains vides.

Alors que la Diccilec assure que l’administration de calmants aux expulsés est une pratique définitivement prohibée, les récits des jeunes Maliens comportent des détails particulièrement troublants. «J’ai vu les policiers en civil se répartir des sachets contenant des espèces de gélules translucides qui m’ont fait penser qu’on voulait nous droguer», dit un homme. «J’ai refusé de boire de l’eau, de peur qu’elle soit droguée», se souvient un autre. Depuis le saccage d’un avion à l’arrivée à Bamako l’an dernier, le Mali est considéré comme un pays à risques pour les expulsions. On peut toutefois supposer que la technique du coussin n’est pas exclusivement réservée aux ressortissants maliens. En 1991, dans le plus grand secret, un demandeur d’asile tamoul, Arumugam Kanapathipillaï, âgé de 33 ans, était mort à l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois après avoir été entortillé dans une couverture sur un vol Paris-Colombo. Sept ans plus tard, alors que le rapport d’expertise montre que l’homme, qui était cardiaque, est mort d’asphyxie par bâillonnement, l’affaire n’est toujours pas jugée. Devant le magistrat instructeur, des policiers auraient reconnu que le bâillon est utilisé environ une fois sur deux. Et, le 20 septembre, comme le révèle Charlie Hebdo, sept Tamouls expulsés de Roissy ont raconté à leur arrivée qu’une femme avait été traînée par les cheveux et maltraitée. «Afin de l’empêcher de crier, on a mis un pansement adhésif sur sa bouche».

Enquête.

La Diccilec n’a pas souhaité répondre aux accusations des Maliens, et le ministère de l’Intérieur, qui affirmait, lors de la mort de Semira Adamu, que les policiers qui s’aviseraient d’avoir recours au coussin, au bâillon ou aux calmants seraient immédiatement poursuivis, envisage l’ouverture d’une enquête.

⇒ Voir l’article

A Roissy, en 1991, une expulsion avait déjà tourné au drame

newlogohumanitefr-20140407-434 Pierre Agudo, 02/10/1998

« LE Canard enchaîné » puis « le Monde » viennent de rappeler que la tragédie de la jeune Nigériane Sémira Adamu étouffée sous un coussin par des gendarmes belges, le 22 septembre, lors d’une tentative de rapatriement forcé, n’est pas la première. En effet « l’Humanité » et d’autres journaux révélaient le 26 août 1991 la mort d’un jeune Sri Lankais d’origine tamoul, Arumum Sivasampu Esan, survenue le 25 août 1991 à 7 h 30 à l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Notre quotidien rapportait à l’époque le communiqué du ministère de l’Intérieur qui imputait ce décès à une « crise cardiaque ». Il s’interrogeait également sur le caractère « musclé » de la tentative d’expulsion dont ce jeune homme avait été victime, la veille à Roissy, lors d’une reconduite à bord d’un DC10 où les policiers tentaient, pour la seconde fois, de le renvoyer pour Colombo via New Delhi.

Seize jours plus tôt, Arumum avait débarqué à Roissy en demandant l’asile pour essayer ensuite de rejoindre son épouse réfugiée en Allemagne. Sa demande ayant été rejetée par le ministère de l’Intérieur dirigé alors par Philippe Marchand, le jeune homme avait été placé en « zone internationale ». Il s’était tellement débattu lors de la première tentative d’embarquement que le commandant de bord avait ordonné son débarquement. Le 24 août, la police avait dépêché deux fonctionnaires pour l’escorter jusqu’à destination. Ils l’avaient installé au fond de l’avion. Selon le rapport du commissaire de la police de l’air et des frontières (PAF, devenue depuis la DICCILEC), on lui avait alors placé une bande Velpeau à hauteur de la bouche. Il était menotté aux poignets (les mains dans le dos), ainsi qu’aux chevilles. Toujours selon le rapport, l’homme se serait débattu. Il était alors attaché à son siège au moyen d’une couverture utilisée comme sangle, « fermement appliquée en haut du thorax ». A l’issue de vingt à trente minutes, durant lesquelles Arumum tenta vainement de lutter contre les policiers, il perdait connaissance et décédait le lendemain à l’hôpital.

A l’époque, Jacques Chirac parlait de « l’overdose des étrangers », évoquant « le bruit et l’odeur », et Edith Cresson, premier ministre, prônait l’utilisation des charters pour renvoyer les étrangers en situation irrégulière. Il n’y avait pas eu d’information judiciaire. Il aura fallu une plainte déposée au nom de la veuve de la victime, du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI) et de l’association France Terre d’asile pour que la justice se mette en marche. Lentement. Ce n’est qu’en 1993 qu’Eric Brendel, le commissaire qui a conduit la tentative de rapatriement, a été mis en examen pour coups mortels, atteinte aux libertés par fonctionnaire public et détention arbitraire, tandis que son subalterne, l’officier de paix Paul Manier, était mis en examem pour le seul premier chef. Les deux fonctionnaires n’ont jamais été suspendus. La reconstitution du drame n’a eu lieu que le 28 avril, presque sept ans après, dans un avion au Bourget. Si les premières expertises insistaient sur la malformation cardiaque de la victime, la reconstitution indique que la compression cervicale « a pu survenir lors des manéuvres de maintien sur le siège effectuées en utilisant une couverture »… Hier, Philippe Marchand a indiqué qu’à l’époque « le ministère n’était pas dans le coup car le rapport parlait de crise cardiaque ».

Les pratiques en cours lors des expulsions ont donné lieu, depuis l’arrivée de Jean-Pierre Chevènement au ministère de l’Intérieur, à des recommandations orales. Tout en permettant aux policiers d’immobiliser la personne expulsée en liant les poignets et les chevilles avec des menottes ou du papier collant, celles-ci leur interdisent de toucher à la bouche. Jean-Pierre Chevènement a également interdit l’administration de calmants. Enfin, depuis la mort de Sémira Adamu, le ministère de l’Intérieur français envisage d’édicter des règles écrites…

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La France aussi expulse durement les sans-papiers Bâillonnés, attachés…

200px-La_Vie propos recueillis par Corine Chabaud, octobre 1998

Elle avait 20 ans et voulait vivre en Belgique. Sémira Àdamu, Nigériane rebelle, est morte le 22 septembre, étouffée avec un coussin par deux gendarmes chargés de son rapatriement. Du coup, le ministre belge de l’intérieur a démissionné. En France, chaque année, 12 000 étrangers en situation irrégulière sont éloignés du territoire. Stéphane Maugendre, avocat et vice-président du Groupe d’information et des immigrés (Gisti), fait le point sur les méthodes françaises d’ex-pulsion de sans-papiers.

« La mort de la jeune Nigériane n est pas étonnante : nous sommes souvent saisis de plaintes pour violences subies dans les pays de l’espace Schengen. Même si ce n est pas systématique, la France use aussi de pratiques violentes. Dans les avions, les sans- papiers sont parfois ligotés. On leur lie les mains avec du Scotch ou des menottes. On leur attache les pieds, parfois fixés à la barre du siège avant. On leur met un bâillon, en principe une bande Velpeau qui les étrangle quand ils bougent trop. Parfois, des policiers escortent les récalcitrants avec des mitraillettes ou des chiens. La technique du coussin ou de la couverture sur la tête est aussi pratiquée. Nous n’avons pas de preuve mais on nous a signalé des cas de personnes endormies avec des piqûres ou des médicaments administres de farce »

« Notre législation est sévère : pour un refus d’embarquer; les personnes en situation irrégulière risquent trois ans de prison. Pour inciter au départ des sans-papiers, la France a réactualisé récemment un système d’aide au retour, qui reste in-efficace. Les expulsions ne sont pas toujours faites dans le respect de la dignité humaine et coûtent cher, car deux policiers raccompagnent la  personne dans son  pays ».