Archives de catégorie : violences policières

Quand des policiers français expulsent « à la belge »

arton7300 Jean-Marie Horeau, 30/09/1998

Un immigré est mort étouffé sur son siégé, à Roissy. Dans l’indifférence générale, la justice enquête activement depuis sept ans.

LA dernière histoire belge ne fait rire personne. La mort d’une jeune réfugiée nigériane, étouffée par les gendarmes chargés de la maintenir de force sur le siège d’un avion en partance pour Lagos, a provoqué un début de crise poli¬tique à Bruxelles. Le ministre de l’Intérieur a démissionné, tandis que 5 000 personnes ont manifesté le 26 septembre sur le parvis de la cathédrale où était célébré un office à la mémoire de la jeune Samira Adamu.

La presse française a abondamment relaté le drame et les circonstances atroces dans lesquelles la victime est morte, alors que la gendarmerie filmait placidement la scène afin de montrer aux futures escortes l’art et la manière de faire tenir tranquilles les expulsés récalcitrants. Efficacité garantie. Mais il ne faudrait pas que les exploits de la gendarmerie belge fassent oublier les talents de certains membres des forces de l’ordre françaises. Non seulement notre police est capable de faire aussi bien, mais elle agit dans la discrétion.

Commissaire diligent

Le 28 avril dernier, dans un avion stationné sur l’aéroport du Bourget, a eu lieu la reconstitution de la mort d’un sans-papiers. Sous la direction de Corinne Buytet, juge d’instruction à Nanterre, deux policiers, dont un commissaire, ont refait, devant les experts, les gestes qui avaient abouti à la mort d’Arumum Fiva, un Tamoul qui s’était vu refuser l’entrée en France au titre de réfugié. C’était le 24 août 1991, c’est-à-dire il y a plus de sept ans. L’instruction est toujours en cours, menée, on le voit, au pas de charge.

La méthode Velpeau

Ce jour-là, à l’aéroport de Roissy, Arumum est embarqué de force dans un vol UTA à destination de Colombo. Il est accompagné par deux fonctionnaires de la police de l’air et des frontières, dont un commissaire, Eric Brendel. Arrivé deux semaines plus tôt, le Tamoul n’a pas quitté la zone de l’aéroport. Sa demande de statut de réfugié, transmise par fax, a été rejetée — en moins de vingt-quatre heures – par le ministère de l’Intérieur. Pourtant, son épouse avait obtenu le statut de réfugiée en Allemagne, et il espérait la rejoindre.

Le 17 août, une première tentative d’expulsion échoue. Arumum se débat, hurle tant et si bien qu’il est débarqué. Le 24 août, nouvel embarquement. Cette fois, le jeune Tamoul est bien menotté. Et surtout le commissaire Brendel lui a confectionné un bâillon avec une bande Velpeau, qui sert habituellement à panser les blessures. Selon plusieurs témoins, cette bande est croisée sur la nuque et passée ensuite autour du cou. Une nouvelle fois, Arumum se débat et se met à hurler.

Les deux policiers, selon le récit du commissaire, utilisent alors une couverture « comme une sangle » et appuient « de toute leur force sur le haut de son corps pour s opposer à ses secousses ». La scène dure près d’une demi-heure.

Jusqu’à ce que le réfugié se calme tout à fait. « Constatant que son regard était vague, rapporte le commissaire, je pen¬sais qu’il ne s’agissait pas d’une simulation, mais d’une perte réelle de connaissance. » Une infirmière et un médecin, présents à bord, interviennent et pratiquent un massage -cardiaque. Il faudra des ciseaux pour couper la bande Velpeau, tellement celle-ci est serrée. Le commissaire Brendel affirme qu’il l’avait enlevée bien avant le malaise. Version contredite par plu¬sieurs témoins. Et, curieusement, on ne retrouvera jamais cette pièce à conviction…

Magistrats indolents

Évacué par le Samu, Arumum ne reprendra jamais connaissance. Il est mort, selon la toute dernière expertise, rendue en mai dernier, à cause du traitement qu’il a subi lorsqu’il s’étranglait en se débattant, et aussi en raison d’une faiblesse cardiaque.

A la suite d’une plainte de la famille, une instruction a été ouverte. Les deux policiers ont été mis en examen, mais n’ont pas été suspendus un seul jour, et ne sont toujours pas jugés. Le ministre de l’Intérieur (à l’époque Philippe Marchand) n’a pas démissionné. La presse, à la seule exception, sauf erreur, de « L’Express », n’a pas évoqué ce fait divers. Il n’y a eu aucune manifestation, aucune cérémonie, aucune protestation.
Ils sont vraiment fous, ces Belges…

Sans-papiers : Chevènement gronde

images fig Christophe Doré et Eric Pelletier, 01/04/1998

Les seize étrangers, soutenus le week-end dernier par des passagers empêchant leur départ, ont été libérés lundi

Toutes les mesures ont été prises « pour identifier les fauteurs de troubles dont je n’ai pas besoin de souligner l’incivisme fondamental », a grondé hier Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, devant l’Assemblée nationale.

Les faits à l’origine de son intervention remontent à ce week-end où des passagers, incités par des tracts d’associations de soutien, ont refusé d’embarquer sur des avions à destination du Mali et du Bénin avec des expulsés à bord. Les avocats des sans-papiers ont mis en avant l’opposition des passagers pour disculper leurs clients de toute opposition personnelle à l’embarquement, ce qui a entraîné leur remise en liberté.

Selon quatre témoignages, les sans-papiers étaient menottés, les jambes et la bouche scotchées, accompagnés de policiers qui les auraient insultés, traités de « sales Noirs » et frappés. Ces étrangers avalent été interpellés pendant l’évacuation des églises Notre- Dame-de-la-Gare et Saint-Jean de Montmartre et avalent été installés à bord avant les passagers.

Plus de 30 000 expulsions

« Ceux qui les soutiennent contribuent à bafouer les lois », a ajouté Jean-Pierre Chevènement, précisant que des délits ont été commis « pas seulement par les distributeurs de tracts, mais aussi par un certain nombre de passagers qui se sont interposés et qui ont empêché le décollage de l’appareil ». Le ministre de l’Intérieur a souhaité leur Inscription au fichier de l’espace Schengen, et leur interdiction de séjour dans les autres pays de l’espace.

Ces menaces ne surprennent pas les militants des collectifs qui s’opposent aux expulsions dans l’aérogare 2-A de Roissy depuis deux semaines.  » Nous avons ouvert une brèche, les centres de rétention sont pleins et le gouvernement ne peut pas organiser des charters sans se discréditer. Alors Chévènement cherche à briser le mouvement avant que notre action n’ait un trop large écho », confie l’un d’entre eux.

Le député Vert, Noël Mamère, est intervenu en leur faveur affirment qu’« on ne peut pas Indéfiniment faire croire que ceux qui sont pour que la gauche soit un peu plus humaine, un peu plus solidaire, un peu plus fraternelle (…) sont des trotskistes ou des serveurs de soupe du Front national ».

Selon nos informations, que le ministère de l’Intérieur a refusé de commenter, près de 400 reconduites à la frontière sont effectuées chaque mois sur des lignes régulières depuis l’aéroport de Roissy. Environ 15 % des sans-papiers s’opposent à l’embarquement. Certains arguent du fait qu’ils ne peuvent pas partir sans bagages. Cette « soustraction à l’exécution d’un arrêté ou d’une mesure de reconduite à la frontière » constitue une infraction dont les auteurs sont systématiquement présentés au parquet de Bobigny (Seine- Saint-Denis) et font l’objet d’une mesure de comparution Immédiate. Ce qui a été le cas pour sept sans-papiers, lundi, exposés à des peines de prison ferme accompagnées d’une nouvelle interdiction du territoire français.

Pour une Journée ordinaire, comme celle de mercredi dernier, treize sans-papiers ont été expulsés depuis Roissy : Maliens mais aussi Roumains ou Égyptiens. « Ces reconduites nécessitent des sauf-conduits, notamment de la part du consulat du Mail. Les obtenir ne va pas sans mal », note un fonctionnaire. Les pilotes, de leur côté, peuvent refuser de décoller s’ils considèrent qu’un mouvement d’humeur à l’Intérieur de l’appareil nuit à la sécurité du vol. Un scénario qui se produit plusieurs fois par semaine.

Dans de telles conditions, les expulsions des 30 053 sans-papiers dont les dossiers ont déjà été rejetés dans le cadre de la circulaire Chevènement – le chiffre ne sera définitif que le 30 avril prochain – risquent d’être particulièrement difficiles. De mai 1995 à février 1997, sous le ministère Debré, seulement 23 000 expulsions ont été réalisées.

Ambiance d’espoir dans les prétoires

logo-liberation-311x113  B.Bantman , H.Beaudouin et B.Fromentin , 12/06/1997

Lyon, Paris: la justice examinait hier deux cas de sans-papiers.

La gauche régularise, les procès continuent. Deux audiences qui se sont déroulées hier, l’une à Paris devant la cour d’appel, l’autre au tribunal administratif de Lyon donnent un avant-goût des difficultés de la méthode choisie par le gouvernement: la régularisation «au cas par cas». Au risque de l’arbitraire.

Paris, 14 heures, 10e chambre de la cour d’appel. Chinois, Africains, militants et sympathisants emplissent la minuscule salle d’audience où comparaît El Hadj Momar Diop, un Sénégalais arrêté pendant une manifestation au Stade de France à Saint-Denis le 14 mai. Au lendemain de l’annonce de la régularisation prochaine de milliers de sans-papiers, tous veulent voir si les juges seront sensibles au climat de clémence ambiante. Procès test: Diop, en France depuis vingt-trois ans et père d’une petite fille née en France, entre désormais dans la catégorie des «régularisables». Momar Diop a été condamné en première instance à Bobigny à quatre mois de prison pour séjour irrégulier et violence à agent, alors qu’une cassette vidéo tournée pendant la manifestation montre que c’est au contraire lui qui a été frappé (Libération du 26 mai). Le juge avait demandé son maintien en détention, décision attaquée hier par les avocats, avant que la cour d’appel ne tranche sur le fond du jugement le 7 juillet.

L’Intransigeance de Madjiguène Cissé.

En prison, Momar Diop n’est pas abandonné. Un député européen, des cinéastes ont alimenté son compte en banque, et un universitaire s’est engagé à l’héberger. Ils seront déçus, comme tous ceux qui attendaient de la justice un signe de détente: Momar Diop restera en prison. Dans les couloirs, les petits groupes de sans-papiers parlent régularisation. Les discussions sont pratiques parfois, politiques le plus souvent. Dois-je prendre un avocat? «Comment faire passer mon dossier?» demande une femme. Peut-on croire la gauche? Comment faire confiance aux préfectures? Madjiguène Cissé, porte-parole de Saint-Bernard, est la plus intransigeante. «Vous verrez quand les sans-papiers iront dans les préfectures pour se faire régulariser et se retrouveront avec des menottes aux poignets», prévient-elle. Beaucoup sont d’accord avec elle. Mais nombreux sont aussi ceux qui disent qu’il faut s’engouffrer dans la brèche ouverte par la gauche. D’autres se désolent que les deux porte-parole historiques des sans-papiers, elle et Ababacar Diop, ne soient plus sur la même ligne. Quand on lui dit qu’il faut se féliciter et aller plus loin, elle refuse le compromis. D’autres, enfin, tentent de réconcilier les deux bords. «D’accord sur le fond, dit l’avocate Dominique Noguères. Les imprécisions sont inquiétantes. Mais il faut rester diplomate. »

Résident depuis trente ans.

Quelques heures plus tôt, à 450 kilomètres de là, le tribunal administratif de Lyon examinait la situation de Saadi Aït-Hellal, qu’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière doit renvoyer en Algérie. Fils de mineur, Saadi, 41 ans, a un accent ardéchois prononcé et la nationalité algérienne. Hier, il est arrivé par car de Largentière (Ardèche) avec son épouse et leurs enfants, sans oublier une cinquantaine de jeunes, retraités, profs et militants d’associations des droits de l’homme. Le 26 avril, les mêmes avaient manifesté devant la préfecture de l’Ardèche sous une pancarte: «Saadi n’est pas un clando. » Deux jours plus tard, le 28 avril, Saadi Aït-Hellal obtenait un sursis à exécution, le temps que le tribunal administratif puisse se pencher sur son cas. Saadi vit en France depuis trente ans, mais il retourne régulièrement dans sa Kabylie natale. «J’ai longtemps pensé qu’aller de l’Ardèche à l’Algérie, c’était pas plus compliqué que d’aller de l’Ardèche à Lyon», dit-il. Son père, aujourd’hui âgé de 80 ans, était arrivé dans le Nord en 1947 pour travailler dans les mines. De là, il était parti en 1966 à Largentière, où l’on embauchait des mineurs expérimentés. Il fait alors venir d’Algérie sa femme et ses cinq enfants.

Saadi a alors 8 ans. Il fait ses études secondaires, décroche deux CAP, puis des boulots. Depuis 1982, il est titulaire d’une carte de séjour de dix ans, qu’il affirme avoir perdue au début de l’année 1992. Immobilisé trois mois en Algérie l’été dernier, il rentre en France avec son passeport algérien. Et il est interpellé au guichet de la préfecture de l’Ardèche où il tentait d’obtenir le renouvellement de son titre de 1982. Est-ce le signe que le message lancé mardi de Matignon sur les régularisations «au cas par cas» a mieux été reçu à Lyon qu’à Paris? Hier, le commissaire du gouvernement a souligné les inconséquences de la préfecture de l’Ardèche, «ou la notion de fraude est invoquée trop fréquemment dans ce type de dossier». Le tribunal administratif lyonnais s’est donné trois semaines pour rendre sa décision qui, selon le représentant de l’État, pourrait «faire un pas par rapport à la jurisprudence en vigueur».

«Bienveillance inattendue».

Enfin, pour Agnès Kinge Gin, jeune Camerounaise élève de terminale dans un lycée professionnel de Roubaix, ce pas semble déjà avoir été franchi. Menacée d’expulsion à quelques jours des premières épreuves du baccalauréat (Libération du 28 mai), elle a dès jeudi dernier obtenu l’assurance de pouvoir au moins passer l’examen. «L’arrêté de reconduite à la frontière ne sera pas exécuté», a promis le préfet du Nord. «On peut considérer que le nouveau contexte politique n’y est pour rien, ironise un professeur qui, avec ses collègues, s’est démené pour que la jeune lycéenne ne soit pas expulsée. Mais on a cru percevoir une bienveillance inattendue auprès de la préfecture. » Le matin même, Lionel Jospin présentait ses ministres au président de la République.

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Des images pour sauver Diop

AVT_Telerama_6680 Sophie Cachon, 04/06/1997

« Les policiers ont à respecter la loi républicaine. Ils ne l’ont pas fait, des images vidéo le prouvent », dit maître Maugendre, avocat de El Hadj Momar Diop, sans- papiers d’origine sénégalaise (à ne pas confondre avec Ababacar Diop, porte-parole des sans-papiers), jugé et condamné le 16 mai dernier à quatre mois de prison ferme et dix ans d’interdiction du territoire.

C’est lors d’une manifestation des sans-papiers au Stade de France, le 14 mai, que El Hadj Momar Diop a été interpellé. Deux versions des faits s’opposent : le sans-papiers dit avoir été frappé par les policiers, qui eux, affirment le contraire. Or, ce jour-là, les médias étaient présents. L’altercation entre les manifestants et la police a été enregistrée par au moins quatre caméras.

Jugé deux jours plus tard, Momar Diop a été reconnu coupable (coups et blessures, rébellion, séjour irrégulier) et condamné malgré des zones d’ombre dans les déclarations des policiers et des convergences évidentes dans celles des témoins. Car les preuves vidéo n’étaient pas là : quand on juge quel¬qu’un deux jours après les faits (en comparution im¬médiate), il n’est pas facile de récolter les documents (photos, cassettes), souvent dispersés dans la confusion, ou confisqués par la police. Momar Diop, qui a fait appel, est détenu à Fleury-Mérogis. «J’ai en ma possession une cassette vidéo qui montre que les violences policières sont patentes, et j’en attends une seconde», déclare l’avocat. Les sans-papiers, eux, lancent un appel pour la libération de Momar Diop. Le poids des images pèsera-t-il dans la balance d’une justice peut-être trop expéditive ?

Appel pour la libération de El Hadj Momar Diop.

Image_3_reasonably_small-du_400x400 04/06/1997

Nous soussignés .

Indignés par la violence exercés contre El Hadj Momar Diop et les insultes racistes qu’il a dû subir, alors qu’il manifestait pacifiquement, le mercredi 14 mai 1997, devant le grand Stade de France pour la régularisation des sans-papiers,

Scandalisés par la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Bobigny le 16 mai, et qui l’envoie en prison pour 4 mois, avec interdiction du territoire français pour 10 ans,

Nous demandons la libération immédiate de El Hadj Momar Diop et sa régularisation.

Pour que la justice ne devienne pas une annexe du ministère de l’Intérieur.

Quand la justice s’éveillera.

arton7300 Frédéric Pagès, 28/05/1997

Paquebot de béton et de verre, le palais de justice de Bobigny (Seine-Saint-Denis) est surchauffé ce vendredi après-midi. En comparution immédiate, la 17e chambre juge Momar Diop, membre du collectif des sans-papiers.

Extrait : MALGRÉ l’ambiance électrique, un des juges assesseurs roupille, paupières closes et bouche ouverte. Dans le box, Momar Diop, citoyen sénégalais, explique qu’il s’est fait tabasser par l’officier de police Fattore lors d’une manifestation de sans-papiers au Stade de France, à Saint-Denis. Mais les policiers ont une autre version : « L’accusé s’est blessé lui-même en se jetant contre la portière de notre voiture » (1). Pour un peu, on poursuivrait Diop pour dégradation de matériel… Après une délibération d’une demi-heure, le président Lévy revient avec ses deux assesseurs pour annoncer le verdict : « Quatre mois de prison ferme et 10 ans d’interdiction du territoire. » Soudain, le juge dormeur se réveille et tire le président par la manche. Conciliabules embarrassés.., « Six mois de prison » rectifie le président. Les avocats de la défense bondissent : « La sentence prononcée en premier est la seule légale ». Et c’est ainsi que Diop décroche un rabais de deux mois de taule… Mais la peine reste lourde, et dans la salle les amis des sans-papiers sont furieux : « Tribunal raciste! », hurlent-ils.

« Saisissez-vous de ces personnes. Elles seront poursuivies pour insulte à magistrat! », crie le président Lévy aux policiers.

Bousculade…Une voix dans le public apostrophe l’assesseur hibernateur : « Vous avez dormi tout le temps et vous osez condamner un homme ! »

La salle évacuée, le tribunal retrouve son allure de croisière, sans contestataires, avec seulement dix personnes dans les travées du public. ….

(1) Tournées durant cette manifestation, des bandes vidéo mon­trent des manifestants pacifiques et des forces de l’ordre très énervées, en particulier contre les porteurs de caméras. Un photographe de l’AP a été molesté.

Le DAL et les sans-papiers manifestent, la police matraque.

logo-liberation-311x113  B. Bantman et D. Simonnot

Quatre cassettes accablantes ont été tournées les 14 et 18 mai. Elles montrent les provocations des forces de l’ordre.

La police prise en flagrant délit de mensonge par des images vidéo?

Le visionnage de cassettes vidéo risque d’entraîner une volte-face judiciaire. L’une a été tournée le 14 mai, lors de la dispersion des sans-papiers venus manifester devant le Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Trois autres lors de l’évacuation, le 18 mai à Paris, d’un immeuble du Crédit Lyonnais occupé par des militants de Droit au logement. Dans les deux cas, les cassettes récusent sans ambiguïté les dires des policiers, qui ont justifié le caractère musclé de ces interventions par des provocations des manifestants.

Traîné à terre et roué de coups. Dans le premier cas, le sort d’un Africain sans papiers est en jeu. Le 18 mai, quatre jours après la manifestation, El Hadj Momar Diop a été condamné à quatre mois de prison ferme et dix ans d’interdiction du territoire pour violence à agent par le tribunal correctionnel de Bobigny. A son procès, Momar Diop a nié l’accusation, affirmant au contraire avoir été victime de violences policières. Plusieurs témoins ont confirmé ses dires, assurant avoir vu l’Africain poussé vers une voiture de police, traîné à terre et roué de coups. Mais les policiers entendus ont fait bloc pour se poser en victimes. L’un d’entre eux, Mario Fattore, a affirmé avoir reçu un coup de poing au visage «d’un individu de race noire» puis un coup de tête qui lui a blessé le nez et l’arcade sourcilière. Une déclaration en partie infirmée à l’audience par un certificat médical faisant bien état d’une déviation de la cloison nasale, mais précisant que le traumatisme est ancien. Cela n’a pas empêché le tribunal de condamner Momar Diop. Arrivé du Sénégal il y a plus de vingt ans, il a fait des études d’anglais en France et pourrait faire partie des immigrés dont la loi Debré prévoit la régularisation, selon son avocat Stéphane Maugendre. L’Inspection générale des services (la police des polices) a été saisie. Elle devrait disposer d’un élément édifiant avec les images tournées par un homme qui préfère rester anonyme, se souvenant peut-être du sort réservé à un photographe de l’agence Associated Press qui, sur le stade, s’est fait confisquer sa pellicule par la police. Plainte pour faux témoignage. L’homme a filmé l’interpellation de Momar Diop alors qu’il quittait tranquillement le lieu de la manifestation. Sa cassette montre Mario Fattore l’agrippant par le bras. L’Africain ne bronche pas. On le voit seulement tenter de se dégager, sans violence, tandis qu’un policier tente de détourner l’objectif de la caméra. Finalement, on voit le sans-papiers projeté à terre par les forces de l’ordre, en accord avec les déclarations de plusieurs témoins qui ont vu Momar Diop recevoir une pluie de coups. Une plainte pour faux témoignage devrait donc être déposée cette semaine.

Dans le cas des militants de Droit au logement, trois cassettes vidéo, l’une d’un amateur et deux de France 2, contredisent la version policière donnée le 18 mai, après l’occupation par le Dal d’un immeuble du Crédit Lyonnais, dans le XVIe arrondissement. Au soir de l’évacuation, trois personnes ont été mises en examen pour «rébellion en réunion, avec arme». En l’occurrence, une hampe de drapeau avec laquelle les trois manifestants auraient chargé les CRS. Or les films montrent, au contraire et très clairement, la violence de l’intervention des policiers, sans qu’à aucun moment n’apparaisse la hampe. On voit d’abord les familles et les militants se presser vers l’entrée de l’immeuble. Garé devant les grilles, le camion loué par Emmaüs déverse des sacs de couchage et des matelas qu’on se passe de main en main. Quelqu’un crie «du calme, ne vous bousculez pas!». Puis «vite, rentrez, ils arrivent!». Les grilles se referment. Reste à l’extérieur une petite centaine de manifestants. Aux policiers, ils montrent leurs mains nues, avancent les paumes en l’air, tentent de repousser la charge. Boucliers en avant, matraques levées, les policiers cognent. Un homme est traîné, à terre, battu par trois CRS. «Au secours!», crie une femme. L’homme est emmené. Il sera l’un des trois mis en examen. «Honte à eux.» Dans un coin, le long de l’immeuble, un jeune homme est menotté et maintenu contre le mur par deux policiers. Il vacille sur ses jambes, tourne son visage. Il est en sang et hurle. De douleur ou de peur? Il est embarqué, tombe. On voit un policier en civil intervenir, calmer ses collègues et même les engueuler. Une dizaine de CRS l’entourent, masquant la scène à la caméra. «Honte à eux!», crient les manifestants. Le jeune homme, embarqué, sera le deuxième mis en examen.

Hier, Me François Breteau, avocat du Dal, annonçait qu’il allait verser ces trois films au dossier de Marie-Paule Moracchini, la juge d’instruction chargée de l’affaire. «Nous allons d’abord demander un non-lieu et ensuite porter plainte pour dénonciation calomnieuse et faux témoignages», dit l’avocat. Ces films ne font que confirmer ce que tout observateur présent sur les lieux avait pu constater.

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Des images vidéo attestent des violences policières contre les sans-papiers et le DAL

index, N. Herzberg et L. Riberolles, 25/05/1997

Extrait : Les cassettes contredisent les versions données par les forces de l’ordre . Deux cassettes vidéo tournées la semaine dernière, lors de la dispersion des sans-papiers qui manifestaient devant le Stade de France, à Saint-Denis, et lors de l’évacuation d’un immeuble parisien occupé par des militants de Droit au logement, prouvent que des violences ont été commises par les policiers. Ces images contredisent la version des forces de l’ordre, qui accusaient les manifestants de provocations.

LES ACCUSATIONS de violences policières portées la semaine dernière par plusieurs associations viennent de gagner un sérieux crédit (Le Monde du 23 mai). Deux cassettes vidéo confirment en effet que, lors de la dispersion des sans-papiers qui manifestaient devant le Stade de France, à Saint-Denis, mercredi 14 mai, comme au cours de l’évacuation d’un immeuble du Crédit lyonnais occupé par des militants de Droit au logement (DAL) place d’Iéna, dans le 16e arrondissement de Paris, la version des forces de l’ordre n’est pas conforme à la réalité. Ces images, que nous avons pu visionner, remettent en question les plaintes des policiers consignées sur procès-verbaux ou leurs témoignages devant le tribunal.

Tourné par une personne qui souhaite pour l’heure garder l’anonymat, le film, réalisé devant le Stade de France lors de la manifestation des sans-papiers, présente les premiers instants de l’opération policière. On y voit les unités de sécurité publique se munir de leur tenue d’intervention avant de s’approcher des manifestants, sous l’oeil du commissaire qui a ordonné l’évacuation. Plusieurs policiers en civil des brigades anti-criminalité (BAC) de Seine-Saint-Denis les accompagnent. Un groupe de manifestants, au milieu desquels se trouvent des enfants, quitte paisiblement les lieux à la demande des policiers, qui canalisent leur départ.

Alors qu’un Africain de grande taille El Hadj Moumar Diop passe près de lui sans le toucher, un policier le pousse sans ménagement avec un tonfa, un bâton de maintien de l’ordre d’origine japonaise utilisé dans la police française. Ce geste que rien ne semble justifier apparaît comme une provocation. Le policier attrape alors El Hadj Moumar Diop par le bras, puis se tourne de façon menaçante vers la caméra afin d’empêcher la personne qui a saisi la scène de continuer à filmer. L’image revient. Le policier tient à nouveau par le bras Moumar Diop, qui essaie de se dégager en douceur. Il l’attrape à nouveau, aidé par…

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Une manifestation nocturne en faveur des sans-papiers

index 24/05/1997

ENVIRON 700 personnes ont participé, jeudi 22 mai a Paris, une manifestation nocturne en faveur des sans-papiers qui avait tir baptisée « Paris s’illumine » par ses organisateurs. De l’église Saint-germains- des-Prés à la place de la Bastille, les manifestants ont tenté de montrer que, « malgré les mois passés, malgré les agressions policières, la flamme de (leur) lutte brille encore », résumait l’un de leurs délégués. Deux heures durant, les sans-papiers et leurs soutiens (LDH, Ras le Front, Droit devant, SUD…) ont crié leurs revendications, protégeant de la pluie battante les bougies, lanternes multicolores, flambeaux de jardin, torches électrique et autres feux de Bengale dont ils s’étalent munis pour l’occasion.

Outre la demande de régularisation, qui constitue leur principal objectif, les manifestants ont réclamé la libération d’El Hadj Momar Diop, délégué du troisième collectif de sans papiers, condamné a quatre mois de prison et dix ans d’interdiction du territoire pour «violences sur agent de la force publique », à la suite de l’occupation, le mercredi 14 mai, du Stade de France à Saint-Denis (Le Monde du 23 mai).

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Désordres policiers

index édito, 23/05/1997

UN photographe de presse et un journaliste qui affirment avoir été matraqués par des policiers, avant que le premier se voie confisquer des films. Un cameraman, au même moment, empêché de filmer, les conditions d’intervention des forces de l’ordre, le 14 mai, au Stade de France, occupé par deux cents étrangers sans papiers, sont vivement contestées. Violences, passage à tabac, « Injures racistes », selon plusieurs témoins, auraient accompagné cette évacuation musclée. Une nouvelle fois, en quelques mois, se trouve mise en cause la façon dont sont conduites des opérations de maintien de l’ordre,

Cela avait déjà été le cas à Marseille, le 11 mars, à l’issue d’une importante manifestation contre le Front national, la po¬lice était alors violemment inter¬venue, utilisant matraques et grenades lacrymogènes pour disperser le cortège. Les affrontements avalent duré deux heures. Plus de deux cents plaintes de particuliers ont par la suite été déposées, un comité de soutien aux manifestants dénonçant la mise en place par la police, ce soir-là, « d’une souricière, d’une nasse à manifestants ». Devant l’émoi provoqué dans la ville, une enquête était confiée à l’Inspection générale de la police nationale, chargée d’établir d’« éventuelles responsabilités policières ». Sans attendre ses résultats, le préfet délégué pour la sécurité et la défense, Michel Sappin, devait reconnaître, le 29 avril, « une erreur opérationnelle de commandement » dans la façon dont avait été encadrée la manifestation.

Une polémique semblable a suivi la manifestation qui s’est tenue à Strasbourg au moment du congrès du front national, le 29 mars, les forces de l’ordre sont, cette fols, mises en cause pour avoir levé trop tôt certain dispositifs de sécurité, la nuit s’étant achevée par de violents incidents provoqués en centre-ville par quelques dizaines de mystérieux casseurs.

Cette multiplication d’incidents, ces accusations répétées de violences policières – des militants de Droit au logement ont également protesté contre la façon dont ils ont été évacués, dimanche 18 mai, d’un Immeuble occupé à Paris – laissent planer de graves soupçons sur des opérations conduites sous la responsabilité des préfets et des directeurs départementaux de la sécurité publique. Jean-louis Debré, ministre de l’Intérieur, toujours prompt à soutenir sans réserve ses fonctionnaires, n’a pas eu un mot pour rappeler les exigences des lois de la République, ni même pour réaffirmer que les opérations de maintien de l’ordre ne sauraient supporter un manque de rigueur et de professionnalisme.

Les années 70 avaient été rythmées de ces débordements policiers empreints de violence. A l’époque, le ministre de l’intérieur Raymond Marcellin s’était forgé en la matière une solide réputation. Il serait déplorable qu’un tel climat puisse renaître, alors même qu’en haut lieu on redoute la multiplication des conflits sociaux.

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