Guillaume Guguen, 28/11/2012
La circulaire sur les étrangers en situation irrégulière présentée mercredi par le ministre de l’Intérieur assouplit les conditions de régularisation mais n’entraînera pas de hausse des titres de séjour. Au grand dam des associations.
Il aura fallu des semaines de consultations avec la société civile et un arbitrage entre le gouvernement et l’Élysée avant que le ministre français de l’Intérieur, Manuel Valls, ne présente, mercredi 28 novembre, au Conseil des ministres la très attendue circulaire sur la régularisation des sans-papiers. Projet destiné à mettre fin aux attributions arbitraires de titres de séjour dans les préfectures, le texte s’attache à clarifier les « critères » de régularisation pour les étrangers en situation irrégulière (voir encadré).
À en croire la place Beauvau, la nouvelle disposition ne prévoit pas, d’ »augmenter le nombre de régularisations », aujourd’hui estimées à 30 000 par an. Comme François Hollande l’avait indiqué durant sa campagne, et Manuel Valls l’avait ensuite martelé, la nouvelle circulaire n’entraînera pas de hausse massive des régularisations comme en 1981 (131 000 étrangers régularisés) ou même en 1997 (80 000). Sur ce point, le ministre de l’Intérieur « ne fait pas mieux que ses prédécesseurs Guéant, Hortefeux ou encore Besson », se désole Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), interrogé par France 24.
Avant sa présentation, Manuel Valls s’était donc employé à déminer le terrain en évoquant, à l’AFP, une circulaire « exigeante » mais « juste » car, expliquait-il, « les critères permettent un même traitement sur tout le territoire ». « Les conditions retenues pour la régularisation des familles ne sont pas exigeantes, elles sont sévères, tranche à France 24 Pierre Henry, directeur de l’association France Terre d’asile. Et elles vont laisser un certain nombre de personnes sur le bas-côté. »
« Moins généreux que Nicolas Sarkozy »
Principale cause des réserves formulées par les organisations de défense des « sans-papiers » : le volet « famille », qui prévoit d’attribuer un titre de séjour aux parents présents depuis au moins cinq ans sur le territoire français et ayant un enfant scolarisé depuis au moins trois ans. Durée de scolarisation que les associations souhaitent voir réduite à deux années. « Les conditions exigées par Manuel Valls sont moins généreuses que celles retenues en 2006 par Nicolas Sarkozy », précise Pierre Henry.
Cette année-là, celui qui n’était pas encore président de la République avait ouvert la régularisation aux parents présents depuis deux ans avec un enfant scolarisé pendant un an. Mais, assaillies par les requêtes (près de 33 000 demandes au niveau national), les préfectures avaient cessé, après 7 000 régularisations, de prendre en compte tout dossier déposé.
Autre motif de déception : l’attribution de papiers aux jeunes de 18 ans en mesure de prouver deux ans de scolarisation « assidue et sérieuse » en France. Une disposition qui enterre la perspective réclamée par le Réseau éducation sans frontières (RESF) d’une régularisation de tous les lycéens clandestins. « La circulaire reflète le manque de courage d’un gouvernement coincé entre les fortes attentes de son électorat et d’une partie de ses élus, d’un côté, et la peur d’être traité de laxiste par la droite, de l’autre », a estimé à l’AFP le porte-parole de l’association, Richard Moyon.
« Usine à gaz »
En dépit de ces points d’achoppement, l’ensemble des associations a salué l’instauration de critères allant dans le sens d’une homogénéisation des procédures de régularisation sur l’ensemble du territoire français. « Le fait que soient énoncées des règles de droit en la matière est une bonne chose », se félicite Pierre Henry pour qui la politique de concertation menée par le gouvernement socialiste constitue une « rupture franche avec ce qui se faisait avant, c’est-à-dire rien, fermeture totale. »
Mais le directeur de France Terre d’asile de nuancer : « Le véritable rendez-vous est dans six mois, lorsqu’on pourra voir si la circulaire est bien appliquée dans les préfectures, dont on sait que certaines souffrent d’un manque d’effectifs ». Même son de cloche à la CGT. « Au final, « c’est moins confus qu’avant, mais c’est encore trop compliqué. On se méfie terriblement de l’effectivité de la circulaire. Comment sera-t-elle appliquée en préfecture ? » s’interroge Francine Blanche, secrétaire confédérale du syndicat.
Plus sévère, le Gisti, par la voix de son président, dénonce des lourdeurs administratives « qui font penser à une usine à gaz ». « Il semble bien difficile pour un clandestin de faire la preuve de ses cinq années de présence en France. Ces critères demeurent subjectifs et rouvrent la voie à l’arbitraire », regrette Stéphane Maugendre.
Outre le contenu de la nouvelle disposition, la méthode elle-même fait l’objet de critiques. « On fait le droit des étrangers par des circulaires, ce n’est pas du droit, ce ne sont que des instructions, tempête le président du Gisti. Dans le droit, une circulaire n’est pas imposable à l’administration, son application n’est pas contrôlée par un juge administratif. En clair, personne ne viendra taper sur les doigts d’un préfet qui ne la fera pas appliquer. »
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Les principaux critères de la circulaire Valls
Pour prétendre à une régularisation, les étrangers en situation irrégulière devront remplir un certain nombre de critères.
Pour les parents : Cinq ans de présence en France et un enfant scolarisé depuis au moins trois ans, y compris en école maternelle
-Actuellement : À part une parenthèse de deux mois en 2006, durant laquelle des parents ayant résidé deux ans en France et avec au moins un an de scolarisation d'un enfant pouvaient demander la régularisation, il n'y avait pas ces dernières années de règles claires sur le sujet.
Pour le conjoint d’un étranger en situation régulière : Cinq ans de présence en France ; 18 mois de vie commune ; conditions de ressources suffisantes
-Actuellement : Une circulaire de 2005 imposait cinq ans de vie commune.
Pour un salarié : Cinq ans de présence en France ; ancienneté dans le travail de 8 mois sur les deux dernières années ou 30 mois sur les cinq dernières années ; contrat de travail ou promesse d'embauche.
-Actuellement : plusieurs circulaires avaient été rédigées entre 2008 et 2010 sur le sujet, suite à une importante mobilisation de "travailleurs sans-papiers". Elles ouvraient la porte à une régularisation après cinq ans de présence et au moins 12 mois chez le même employeur. Elles étaient très inégalement appliquées.
Pour un jeune de 18 ans : Être arrivé en France avant ses 16 ans sauf si tous les proches sont en situation régulière ; parcours scolaire "assidu et sérieux" ; attaches sur le sol français.
AFP