Archives de catégorie : Avocat

Pas de papiers mais de lourdes peines.

logo-liberation-311x113  Béatrice Bantman

Quatre Maliens condamnés en appel pour avoir refusé d’être expulsés.

La Ligue des droits de l’homme «très choquée», le Syndicat de la magistrature «indigné», les Verts dénonçant «des peines sans précédent» et le Mrap «une déclaration de guerre contre les sans-papiers et une provocation». La polémique sur les sans-papiers s’est déplacée sur le terrain juridique après les peines très lourdes infligées jeudi par la cour d’appel de Paris à quatre Maliens qui avaient refusé d’embarquer sur un vol Paris-Bamako. L’un d’entre eux, Sirine Diawara, condamné à un an de prison ferme, a été arrêté à l’audience et incarcéré dans l’heure. Et la 12e chambre de la cour d’appel a dû être évacuée devant le raffut provoqué par ce jugement dans le public. Le 28 mars, douze Maliens, qui avaient occupé l’église Saint-Jean-de- Montmartre, étaient expulsés vers Bamako. Par la méthode ultraforte. Plus tard, (Libération du 2 octobre), ils racontaient les coussins placés devant leur bouche pour les empêcher de crier, les coups au ventre et au sexe. D’autres, qui acceptaient de partir, n’auraient pas été autorisés à aller chercher leurs bagages. Des procédés que la Diccilec, l’ex-Police de l’air et des frontières, avait affirmé ne jamais utiliser depuis le scandale belge de Semira Adamu, morte il y a deux mois, étouffée par un coussin dans l’avion qui la ramenait au Niger. Finalement, devant l’indignation des passagers, les douze hommes étaient débarqués de l’avion. En juin, le tribunal correctionnel de Bobigny avait annulé la procédure et relaxé les douze hommes, considérant qu’il n’existait pas de procès-verbal constatant formellement les infractions retenues contre eux. En condamnant quatre de ces hommes à des peines de trois mois à un an de prison ferme et cinq ans d’interdiction du territoire français, la cour d’appel a dépassé les réquisitions de l’avocat général qui, le 29 octobre, réclamait quatre mois de prison et cinq ans d’interdiction du territoire. «Des peines exorbitantes au regard de la jurisprudence», pour leur avocat Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti, et «une logique d’exemplarité où la sévérité le dispute à la démesure», pour le Syndicat de la magistrature. Ils critiquent notamment la prise en compte par la cour d’un rapport des Renseignement généraux établi par un fonctionnaire qui n’a pas assisté aux incidents de l’embarquement, mais a seulement interrogé les policiers chargés de l’expulsion. Ce rapport indique que les prévenus «avaient reçu les conseils détaillés d’associations et de groupuscules d’extrême gauche [« ] de porter des coups aux fonctionnaires d’escorte pour tenter de les blesser». Ce que les douze hommes ont toujours contesté.

L’affaire se situe dans un contexte symbolique qui explique peut-être la lourdeur des peines. Car au lendemain des faits, le 29 mars, un incident similaire s’était reproduit à Roissy. Le ministre de l’Intérieur avait alors dénoncé «l’incivisme fondamental» des organisations de soutien aux sans- papiers. «Ce jugement est un avertissement à ces organisations», estime ainsi Stéphane Maugendre. «Une répression accrue à l’encontre des sans-papiers ne saurait tenir lieu de politique d’immigration», ont indiqué les Verts dans un communiqué.

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Un an de prison ferme pour un sans-papiers ayant refusé d’embarquer

index Philippe Bernard, 

UN AN DE PRISON ferme. Pour s’être rebellé contre sa reconduite à la frontière, Diawara Sirine, un Malien sans papiers de trente ans va passer un an en prison. Son arrestation inattendue, à l’audience de la cour d’appel de Paris, jeudi 26 novembre, a provoqué la stupeur et la colère des militants des comités de soutien présents, qui rapprochent cette décision des récentes déclarations de fermeté de Lionel Jospin.

La salle a du être évacuée. Visiblement, les magistrats de la douzième chambre présidée par Jean Gouyette ont voulu faire un exemple, s’agissant d’une personne sans casier judiciaire et d’un délit pour lequel le « tarif » courant est de trois mois ferme. Trois autres Maliens, qui comparaissaient pour les mêmes faits, ont été respectivement condamnés à six mois pour l’un et trois mois pour les deux autres. Tous sont interdits du territoire français pour cinq ans. En première instance, le 8 juin, tous avaient bénéficié d’une relaxe, le tribunal correctionnel de Bobigny ayant constaté des irrégularités dans les procès verbaux de police. Le parquet avait fait appel et réclamé une peine de quatre mois de prison (Le Monde du 31 octobre).

Les faits remontent au 28 mars, lorsque douze Maliens en situation Irrégulière, avaient été conduits à Roissy vers un avion d’Air-Afrique à destination de Bamako. Dix jours plutôt, il faisaient partie du groupe qui avait occupé l’église Saint-Jean-de-Montmartre (Paris 18 ème) avant d’en être évacués par la police et d’être interpellés.

C’est l’époque où, à l’aérogare de Roissy, un groupe d’extrême-gauche, bientôt rejoint par des syndicats, des militants de gauche et des personnalités, incitait les passagers à refuser de voyager eh compagnie de sans-papiers reconduits. Une escorte de vingt- trois policiers avait été chargée d’accompagner les douze Maliens. « Les étrangers ont été entravés avant de monter dans l’avion pour éviter que des blessures inutiles soient infligées aux escorteurs », indiquent le rapport des Renseignements généraux qui a inspiré la décision des juges.

Selon la police, les douze sans- papiers ont du être portés jusqu’à la cabine puis ont manifesté « bruyamment et violemment » leur refus de partir. Quarante minutes plus tard, rembarquement des passagers ordinaires a compliqué la situation. «Plusieurs d’entre eux ont affirmé leur solidarité avec les reconduits », affirme le rapport.

Le scénario rapporté par les Africains diffère notablement. Ils affirment avoir été entravés aux chevilles et aux poignets, puis attachés aux sièges, une corde passée au niveau du torse s’ajoutant à la ceinture de sécurité. Une situation qui rendait impossible, selon eux, les « coups » dont on les accuse. Ils affirment enfin ne s’être rebellés qu’après y avoir été encouragés par les passagers. D’ailleurs, ils n’ont pas été poursuivis pour rébellion mais seulement pour refus d’embarquer et pour séjour irrégulier, souligne l’un de leurs avocats, Me Stéphane Maugendre. Le rapport des RG, lui, désigne Diawara Sirine comme « l’un des plus violents ». « Il a, avec son corps, porté des coups aux fonctionnaires d’escorte, affirme le document. Il a proféré une kyrielle de propos outrageants et insultants envers l’État français (…). Enfin il a menacé de mort(…)tous les fonction- mires lorsqu’ils seraient arrivés à Bamako ».

Les associations de défense des droits de l’homme ont réagi avec virulence contre la décision de la Cour d’appel de Paris. « Provocation, (…)indissociable de l’option brutale et inhumaine retenue par le premier ministre » », tonne le Mrap. Le syndicat de la magistrature, lui, exprime sa « vive indignation » et dénonce des «peines exorbitantes». La Ligue des droits de l’Homme (LDH) se dit «très choquée » et « inquiète » devant ce «refus complet d’ouverture ». Me Maugendre, l’avocat de Diawara Sirine conclut simplement : « en quinze ans de pratique du droit des étrangers Je n’ai jamais vu ça ».

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Prison ferme pour un refus d’embarquement.

Accueil  Emilie Rive,  27/11/1998

La cour d’appel de Paris a condamné hier un Malien à un an de prison ferme « pour refus d’embarquement ». Une décision « qui dépasse toute mesure par rapport aux faits » dénonce son avocat. Associations et Syndicat de la magistrature protestent.

LA cour d’appel de Paris a condamné, hier matin, quatre Maliens sans-papiers à des peines de trois mois à un an de prison ferme et cinq ans d’interdiction du territoire pour « refus de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière ». Un mandat d’arrêt a été délivré à l’audience à l’encontre de Sirine Diawara, trente ans, condamné à un an de prison ferme, qui a été immédiatement incarcéré.

Les 26 et 28 mars dernier, à l’aéroport de Roissy, une escorte de plusieurs policiers en civil embarquaient, menottes aux poignets et aux pieds et bâillonnés, douze Maliens dans un appareil d’Air Afrique en partance pour Bamako. Un témoin, à l’époque, racontait: « Les CRS se sont mis à trois, parfois à cinq, pour faire monter chaque expulsé. Le bus des passagers est arrivé un quart d’heure seulement avant l’heure d’envol. Ils sont montés, puis descendus après avoir discuté avec le commandant de bord. Les sans-papiers ont été ensuite redescendus et les passagers sont partis avec plus de trois quarts d’heure de retard. » Les passagers avaient été alertés par des tracts distribués par les associations pour les droits de l’homme.

Les douze Maliens avaient été arrêtés lors de l’évacuation, par les forces de police, des églises Notre-Dame-de-la-Gare et Saint-Jean-de-Montmartre, qu’ils occupaient à Paris pour demander leur régularisation. Ils devaient passer en jugement le lendemain des faits, mais Me Maugendre, l’un de leurs avocats, avait demandé le report. Il remarquait que les dossiers instruits comportaient des questions « bizarres »: « On a fait dire aux gens qu’ils n’ont pas subi de violences policières. Comme si on se protégeait à l’avance contre toute poursuite… » « Il y a des dossiers qui seraient régularisables selon la loi Chevènement, poursuivait l’avocat, leur titulaires ayant travaillé dix, douze ans en France, sans interdiction de territoire ni casier judiciaire pour d’autres faits. »

Au procès, en juin, les Maliens avaient contesté avoir résisté à l’embarquement, indiqué qu’ils ne voulaient pas partir sans bagages et protesté contre les méthodes des policiers. Le tribunal correctionnel de Bobigny, le 8 juin, les avait relaxés pour vice de procédure. En appel, l’avocat général avait requis des peines de quatre mois de prison et d’interdiction du territoire.

Hier, deux d’entre eux ont été condamnés à trois mois de prison ferme, les deux autres à six mois et un an de prison ferme. Concernant ces derniers, la cour d’appel a pris en compte une note des renseignement généraux établie par un fonctionnaire qui n’a pas assisté à l’embarquement, mais fut interrogé après coup par les policiers. Elle fait état de « voies de fait, violences et injures à agents de la force publique ». La salle a été évacuée après les protestations du public. « Je suis outré, s’indigne Me Maugendre. C’est une répression sans commune mesure avec les faits et une volonté contraire à tout apaisement sur ce dossier. C’est la première fois en quinze ans que je vois une condamnation aussi sévère. »

Le MRAP parle de « décision inique » et de  » déclaration de guerre juridique contre les sans-papiers et leurs soutiens ». De son côté, le Syndicat de la magistrature exprime sa « plus vive indignation ». Il rappelle que « les faits reprochés aux intéressés ne portaient que sur une situation d’irrégularité sur le sol français (qui ne constituait qu’une contravention jusqu’en 1981) et sur le refus d’embarquer de ces derniers. »

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Prison ferme pour des sans-papiers.

images fig Pierre-Antoine Souchard, 27/11/1998

Le Mrap et les Verts assimilent les peines prononcées à « une provocation »

En quinze ans de barreau, je n’ai Jamais vu ça », commentait hier, abasourdi, Me Stéphane Maugendre, à sa sortie de la 12e chambre de la cour d’appel de Paris.

Son client, Sirine Diawara, 30 ans, un Malien en situation irrégulière, venait d’être condamné pour refus d’embarquement à un an de prison ferme, avec mandat de dépôt à l’audience, et à cinq ans d’inter-diction du territoire français. Trois autres Maliens, poursuivis pour les mêmes charges, étaient condamnés respective¬ment, l’un à six mois de prison et les deux autres à trois mois de prison ferme.

Le 28 mars dernier, douze Maliens, interpellés dix jours plus tôt alors qu’ils occupaient l’église Saint-Jean-de-Mont- martre à Paris (XVIIIe), étaient installés, menottés et ligotés, dans le vol RK 161 d’Air Afrique, au départ de Roissy, à destination de Bamako (Mali).

Devant les méthodes employées par les policiers, une quinzaine de passagers du vol avaient manifesté leur désapprobation et refusé d’embarquer. « Débarqués », les douze Maliens étaient poursuivis pour « refus de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière ».

En première instance, le tribunal correctionnel de Bobigny avait annulé l’ensemble de la procédure et les avait tous relaxés. Le parquet avait immédiatement fait appel. Le 29 octobre, Sirine Diawara, sans avoir reçu de convocation, s’était présenté à l’audience de la cour d’appel. Lors de celle-ci, l’avocat général avait requis à son encontre quatre mois de prison et cinq ans d’interdiction du territoire. Dans l’arrêt rendu hier, les magistrats de la 12e chambre ont expliqué, pour justifier leur lourde sentence, avoir « tenu compte des circonstances dans lesquelles le refus d’embarquement a eu lieu ».

Ces circonstances sont consignées dans un rapport de la 12e section des Renseignements généraux, établi le 28 mars. Concernant Sirine Diawara, on peut y lire : « Il a été un des plus violents. Il a porté des coups aux fonctionnaires d’escorte. Il a proféré une kyrielle de propos outrageants et insultants envers l’État français. Lorsque les passagers sont montés, il a appelé à l’émeute afin qu’ils lui portent assistance pour se libérer. »

Sans précédent

Selon Mes Dominique Noguères et Stéphane Maugendre, le commissaire, auteur de ce rapport, n’était pas présent dans l’avion d’Air Afrique, mais a simplement repris les propos de ses confrères qui auraient exagéré la gravité des faits.

Devant la cour d’appel, M. Diawara a nié avoir porté des coups et précisé qu’il voulait récupérer ses affaires avant d’embarquer.

Les réactions ne se sont guère fait attendre après cet arrêt. « Cette décision s’apparente à une déclaration de guerre juridique contre les sans-papiers et leurs soutiens (…), cette condamnation est une provocation », déclarait, hier après-midi, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap). « La cour d’appel s’est, de toute évidence, inscrite dans une logique d’exemplarité où la sévérité le dispute à la démesure », a jugé le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche). Les Verts ont qualifié les condamnations de « peines sans précédent ». « Une ré pression accrue à l’encontre des sans-papiers ne saurait tenir lieu de politique d’immigration », ont-ils estimé.

De l’aveu même d’un magistrat de la cour d’appel de Paris une peine d’un an de prison as sortie d’un mandat de dépôt à l’audience est « très rare », en ce qui concerne le séjour irrégulier et le refus d’embarquement.

La 12e chambre de la cour d’appel a dû être évacuée à l’annonce de l’arrêt. M. Diawara, immédiatement placé au dépôt du Palais de Justice de Paris, n’a pas été autorisé à rencontrer ses avocats. Ceux-ci ont décidé de se pourvoir en cassation. Ils ont cinq jours pour le faire.

Douze sans-papiers jugés sans témoins et sans vergogne

arton7300 Jean-Marie Horeau, 04/11/1998

Leur expulsion ratée avait provoqué une polémique au sein du gouvernement. Sept mois plus tard, ils sont seuls face à la cour d’appel et à un rapport de police bâclé.

UNE douzaine de jeunes Maliens sans papiers ont comparu le 29 octobre dernier devant la cour d’appel de Paris. Ils étaient accusés de « refus de se soumettre à une mesure de reconduite à la frontière ». En clair, ils auraient résisté aux policiers chargés de les escorter dans l’avion jusqu’à Bamako. Une audience en appa­rence banale, devant le triste décor de la 12* chambre, une des plus sombres et des plus poussiéreuses du Palais.

Mais le procès, cette fois, promettait d’être passionnant, animé et sûrement exemplaire. Car ces expulsés n’étaient pas tout à fait comme les autres. Leur aven­ture avait, voilà sept mois, provoqué une mémorable colère du ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, suivie d’un début de polémique, à l’Assemblée, au sein de la gauche plurielle, et même d’une décla­ration du Premier ministre.

Chevènement en rogne

Le 28 mars 1998, le vol Paris-Bamako était parti sans ces douze expulsés. Des militants d’extrême gauche avaient distri­bué des tracts dans l’aérogare, et plusieurs passagers avaient pris fait et cause pour les Maliens. Après plusieurs heures de négociations, le commandant de bord fai­sait débarquer tout le monde, et l’avion décollait finalement sans les douze « recon­duits ». Le lendemain, le scénario s’était reproduit, et cette fois neuf passagers soli­daires (africains et européens) avaient été débarqués et placés quelques heures en garde à vue.

Deux jours plus tard, Chevènement stig­matisait « l’incivisme fondamental » des organisations de soutien aux sans-papiers, et en particulier de l’association Jeunes contre le racisme en Europe, qu’il quali­fiait d’« organisation trotskiste d’origine britannique ». Puis il menaçait de pour­suites judiciaires les passagers qui s’étaient interposés. Dominique Voynet avait alors déploré les « expressions malheureuses » de son collègue de l’Intérieur. Et, en fin de course, il fallut que Jospin calme le jeu en défendant sa politique de l’immigration, « ferme et équilibrée ».

Justice à la trappe

Mais qu’étaient devenus les pauvres bougres héros involontaires et oubliés de ce tintamarre au sommet ? Ramenés au poste de police de l’aéroport, ils ont été pour­suivis pour refus d’embarquer, séjour irré­gulier en France, et traduits devant le tri­bunal correctionnel de Bobigny, dont dépend Roissy. Tout seuls. Ni les fameux « trotskistes anglais », responsables de tout à en croire Chevènement, ni les passagers « complices » n’ont été inquiétés. Le dos­sier des douze Maliens était si mal ficelé que les juges de Bobigny ont annulé la pro­cédure et relaxé les prévenus. Mais le par­quet a aussitôt fait appel.

Jeudi dernier, devant la cour d’appel de Paris, l’avocat général s’est montré fort cour­roucé. Les premiers juges ont commis une erreur de droit, a-t-il expliqué avant d’exi­ger des condamnations. Pour la plupart, les sans-papiers ont nié avoir résisté dans l’avion. Deux d’entre eux ont reconnu qu’ils ne voulaient pas partir sans leurs bagages. Une revendication, il est vrai, exorbitante… D’autres ont expliqué tant bien que mal qu’ils avaient été embarqués, à tous les sens du terme, dans une tourmente qui les dépas­sait. Et plusieurs ont protesté contre les méthodes employées par les flics de l’escorte : menottes, Scotch, bâillons, le tout agrémenté de quelques coups…

Qui dit la vérité ? Comment les choses se sont-elles passées ? Pourquoi les passagers ont-ils pris à partie les policiers ? Les expul­sés étaient-ils maltraités et bâillonnés, contrairement à ce qu’affirme le ministère de l’Intérieur, qui a fait savoir au « Canard » que l’usage de tout bâillon est strictement interdit ? Grâce aux débats devant la cour d’appel, on allait enfin savoir…

Pour cette affaire qui avait ému les plus hautes autorités de l’État, la justice s’est montrée à la hauteur. Pas un seul témoin n’a été appelé à la barre. L’accusation s’est appuyée sur un rapport de quatre pages, signé par Gilles Beretti, commissaire des RG, qui était responsable des expulsions, mais… n’était pas sur place. Il rapporte ce que ses subordonnés lui ont rapporté. Ces Maliens étaient abominables. Ils crachaient sur les fonctionnaires, les insultaient, les menaçaient. Et, bien qu’entravés, parve­naient à se blesser eux-mêmes.

Comment de tels débordements ont-ils pu leur attirer la sympathie des passagers ?

Mystère : aucun voyageur n’a été interrogé. Pas plus que le personnel de bord.

Certains ont-ils été blessés ? Le méde­cin qui les a examinés après leur débar­quement de l’avion n’a pas été entendu. Aucun rapport médical n’a été versé au dos­sier. Ont-ils oui ou non été bâillonnés ? La question ne sera pas abordée.

Commissaire embrouillé

Faudra-t-il donc se contenter des témoi­gnages des policiers ? Même pas : aucun fonctionnaire présent le jour des faits n’est convoqué. Leur chef n’est pas là. Et aucun n’a été entendu, selon les règles de la pro­cédure, sur un procès-verbal… Plus fort, si l’on ose dire, nul ne sait qui porte les accusations sur tel ou tel prévenu à tra­vers le rapport des RG, unique pièce de l’accusation. Car les noms des policiers escorteurs, en principe chargés chacun d’un expulsé, changent d’une pièce du dossier à l’autre. Selon le précieux rapport du com­missaire des RG, c’est Dupont qui s’occupe de Mamadou. Selon la fiche d’escorte, c’est Durand. Quelle importance ? Il faut savoir qu’un simple PV pour excès de vitesse est annulé s’il n’est pas établi qu’il a été signé par le policier qui a constaté personnelle­ment l’infraction. Mais il ne s’agissait, ce 29 octobre, que de Maliens, sans papiers et sans bagages…

Pas le moins du monde troublé, l’avocat général a demandé des peines de prison. Même tarif pour tout le monde : 4 mois ferme et 5 ans d’interdiction du territoire français. L’arrêt sera rendu le 26 novembre. Ce sera un grand moment de notre histoire judiciaire.

Douze Maliens devant la cour d’appel après une tentative d’expulsion mouvementée

index   Alexandre Garcia,

AU PRINTEMPS, une série de manifestations à l’aéroport de Roissy avaient permis à plusieurs sans-papiers d’échapper à une reconduite à la frontière, des militants associatifs incitant les passagers à s’opposer à leur présence à bord.

Poursuivis pour « refus d’embarquer », douze d’entre eux ont été relaxés, le 8 juin, par le tribunal correctionnel de Bobigny à la suite d’une erreur de procédure. Plus de six mois après les faits, ces Maliens se sont à nouveau retrouvés devant des juges : ulcéré par la relaxe, le parquet, qui a fait appel, a réclamé de nouvelles sanctions, jeudi 29 octobre, devant la cour d’appel de Paris.

M. Diawara, trente ans, répond au juge d’une voix presque inaudible. Le 18 mars, il faisait partie des dizaines de sans-papiers qui ont investi l’église Saint-Jean de Montmartre, à Paris, « non pour chercher des histoires, mais pour régulariser ma situation », précise-t-il. Quand la police intervient, il ne réussit pas à s’échapper. Interpellé avec une centaine d’autres personnes, il est poursuivi pour séjour illégal « Les occupations d’églises sont pain bénit pour le Front national », commente alors le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement

MANIFESTATIONS

A l’aéroport de Roissy, les manifestations se succèdent pourtant pour protester contre les reconduites à la frontière des sans-papiers interpellés dans les églises parisiennes. Des militants d’extrême gauche, des cinéastes et des responsables politiques, syndicaux et associatifs informent les passagers des conditions de retour des expulsés. Le 28 mars, à 17 h 45, M. Diawara est  conduit sur un vol à destination de Bamako, avec onze autres Maliens, solidement encadrés par des poli- tiers. Déshabillé avant d’embarquer, puis ligoté à son siège, il ne s’oppose pas à son éloignement mais il de-mande à récupérer ses bagages.

Dans l’avion, une dizaine de passagers s’en prennent alors aux policiers et refusent de s’asseoir avant le décollage. Débarqués, les douze Maliens sont poursuivis pour refus d’embarquement, avant d’être miraculeusement relaxés : le flagrant délit n’ayant pas fait l’objet d’un procès-verbal, la procédure est frappée de nullité. Le lendemain, M. Chevènement, furieux, fustige des groupes « marxistes-léninistes internationalistes » qui viennent en aide aux sans-papiers, mais aucune poursuite n’est engagée contre les associations qui manifestent dans le hall de l’aéroport

Au même moment, les incidents qui se multiplient à bord des avions Air France obligent la compagnie à revoir à la baisse sa participation aux reconduites à la frontière et sa collaboration avec le ministère de l’intérieur.

Jeudi 29 octobre, devant la cour d’appel de Paris, l’avocat général a réclamé quatre mois d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction du territoire français pour les rescapés du vol RK 161 pour Bamako. « Le gouvernement ne veut pas admettre qu’on puisse s’opposer à la loi, commente Dominique Noguères, avocate des sans-papiers et présidente de la fédération parisienne de la Ligue des droits de l’homme. Mais on ne peut pas accepter au nom de la sécurité de traiter des personnes comme du bétail, de manière injustifiée. »

Arrêt le 26 novembre.

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Les avocats du procès Chalabi ont décidé de ne pas plaider la cause de leurs clients

index Cécile Prieur,

Ils boycottent, depuis le 1er septembre, les audiences, à Fleury-Mérogis

Les avocats des prévenus du réseau Chalabi, un réseau de soutien logistique aux maquis algé­riens, ont décidé de ne pas plaider la cause de leurs clients à l’issue des audiences. Dénonçant 1er septembre les audiences, qui ont lieu dans un ce « procès de masse » « inéquitable » qui ras- gymnase de l’administration pénitentiaire, à semble 138 prévenus, ils boycottent depuis le Fleury-Mérogis (Essonne).

UN MOIS après avoir décidé le boycottage des audiences du procès, dans le gymnase de Fleury-Mérogis, du réseau Chalabi, un réseau de soutien logistique aux maquis algériens, la majorité des avocats des prévenus, réunis en collectif, ont fait part de leur intention de ne pas plaider la cause de leurs clients à l’issue des audiences. Annoncée lors d’une conférence de presse, jeudi 1e octobre, au siège parisien de la Ligue des droits de l’homme, cette décision, rarissime dans les annales judiciaires, devrait contribuer à rendre encore plus surréaliste ce procès hors norme qui compte 138 prévenus.

La cinquantaine d’avocats, qui représentent la majorité des prévenus, ont expliqué avoir pris cette décision après une longue réflexion. « Tout le monde était convaincu que retourner dans cette salle d’audience après l’avoir quittée dès le premier jour n’aurait pas de sens », témoigne Me Agnès Tricoire. « C’est une décision qui est grave, et que nous avons prise à contre-cœur, mais elle est l’aboutissement de la dérive caractérisée de ce procès, renchérit Me Stéphane Maugendre. Notre action est une action de défense, prise en total accord avec nos clients. » Dès l’ouverture du procès, les avocats avaient dénoncé une « justice pénale de masse » incompatible avec le respect du principe de la personnalisation des peines.

CRITIQUES

Accusés de ne pas défendre suffisamment leurs clients, les avocats ont répondu qu’ils ont plaidé, mercredi 30 septembre, lors d’une audience devant la cour d’appel de Pa¬ris consacrée à l’examen des demandes de mises en liberté et de levée de contrôle judiciaire présentées par 38 prévenus. Sept des onze prévenus détenus, qui refusent de ce présenter aux audiences de Fleury-Mérogis, ont alors pris la parole

pour demander la levée des détentions provisoires dans lesquelles ils sont placées depuis 39 ou 46 mois. La cour d’appel de Paris, après en avoir délibéré, a rejeté leurs demandes.

Les avocats qui boycottent le procès du réseau Chalabi ont aussi ré- ‘ pondu aux critiques formulées par le juge parisien Gilbert Thiel, qui a construit, avec Jean-Louis Bruguière, ce dossier. Il avait estimé dans libération du 18 septembre, que leurs demandes d’actes ou d’annulation de procédure avaient été «fort rares » pendant les trois ans d’instruction. « Nous avons pu lire, ces jours derniers, sous la plume de divers magistrats, que notre attitude était in¬compréhensible, écrivent les avocats dans un texte collectif, qu’il était curieux, voire de mauvaise foi, pour la défense d’arguer qu’il lui fallait connaître tout le dossier pour exercer son ministère et qu’il nous suffisait bien, pour défendre nos clients respectifs, de disposer des quelques pièces relatives à son interpellation et à ses interrogatoires. Accepter cela, c’est accepter pour toujours l’institutionnalisation du déséquilibre des armes entre l’accusation et la défense. »

Les avocats se sont par ailleurs félicités du succès de la pétition lancée le 9 septembre. Deux-cent-vingt-sept personnalités, dont les avocats Philippe Lemaire et Thierry Levy ainsi que Marie-Claire Mendès- France ou Gisèle Halimi, se sont ajoutées aux cinquante-quatre qui protestaient contre ce «procès de masse ». Le collectif d’avocats rap-pelle que le boycott n’a qu’un précédent connu : c’était en 1835, sous la Monarchie de Juillet. Le « procès des Républicains » qui réunissaient alors 121 inculpés, avait fait l’objet d’un boycott collectif de la défense avant de se solder par… l’évasion des condamnés.

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Expulsés baillonnés, en France aussi.

logo-liberation-311x113  Béatrice Bantman

Dix jours après la mort d’une Nigériane en Belgique, on s’aperçoit que coups et coussins-bâillons ont été monnaie courante en France.

La Belgique n’a pas le monopole du coussin. La technique de l’«expulsion au coussin», tragiquement dévoilée par la mort, à 20 ans, de Semira Adamu, est également employée en France. Pourtant, après le décès de la jeune Nigériane, la police française chargée des expulsions soutenait mordicus que cette méthode barbare n’avait pas cours chez nous. C’est faux. Le témoignage de douze Maliens, expulsés le 28 mars dernier, dont Libération a eu connaissance, montre que la police a menti.

Parmi ces hommes, dix disent avoir été «étouffés», certains jusqu’à l’évanouissement, avec un oreiller. Les policiers français utilisent non seulement des coussins, mais des bâillons, des coups et, éventuellement, des calmants, contrairement aux affirmations des policiers (Libération du 24 septembre).

Ces témoignages ont été recueillis par l’avocat des Maliens, Stéphane Maugendre, également vice-président du Gisti. Ses douze clients sont aujourd’hui poursuivis pour «refus d’embarquer», parce que, à cause de l’indignation des passagers du vol, l’avion n’a pu décoller qu’après leur débarquement. Témoignages. Même si les hommes, qui doivent repasser en jugement le 29 octobre, ont souhaité conserver l’anonymat, leurs témoignages sont explicites. «On m’a mis un oreiller devant la bouche pour m’empêcher de parler en m’étouffant. Une femme policier et son collègue m’ont frappé le ventre. La femme m’a frappé le sexe à coups de poing», dit un expulsé malien malien placé dans un avion pour Bamako le 28 mars 1997, en compagnie de onze compatriotes et d’une soixantaine de policiers. Son témoignage, comme les autres, a été recueilli en mai dernier par Stéphane Maugendre. Ces récits ne sont donc pas susceptibles d’avoir été influencés par les informations venues de Belgique.

Le jeune homme raconte qu’il est monté dans l’avion menotté et qu’il a été scotché à son siège. Jusqu’ici, son témoignage ne contredit pas les affirmations de la Diccilec, la police de l’air et des frontières, qui avait tenu à rassurer l’opinion publique. Le 23 septembre, à la demande du ministère de l’Intérieur, la Diccilec précisait que ses fonctionnaires avaient pour consigne de «ne pas toucher la bouche» et de n’utiliser ni coussin, ni bâillon, ni calmants. Et que les expulsés récalcitrants avaient uniquement les chevilles et les mains attachées.

«Coussins».

Les récits recueillis par Stéphane Maugendre indiquent que certains fonctionnaires sont allés plus loin: «On m’a battu au ventre. Ils ont serré le cou, ils m’ont fermé le nez et la bouche pour m’étouffer. Ils m’ont mis un oreiller devant la bouche», dit l’un d’eux. «On m’a attaché au siège avec une corde au cou et aux pieds. J’ai été frappé. On m’a mis un oreiller devant la bouche pour m’empêcher de parler», affirme un autre homme, qui précise qu’il vivait en France depuis neuf ans. En montant dans l’avion, il avait dit aux policiers: «J’ai accepté de rentrer chez moi, mais je veux garder ma dignité et partir non menotté.» «Un policier s’est mis sur mes genoux, m’a mis devant la bouche un coussin, et l’autre appuyait très fort. J’ai essayé de demander de moins m’enfoncer l’oreiller et le policier derrière m’a donné une claque sur la joue», raconte un autre. «Ils ont maintenu l’oreiller au point que je perde connaissance», soutient un autre expulsé. Et ainsi de suite.

Interdictions.

L’un des douze témoins a échappé aux sévices: «Parce que j’avais un inspecteur calme, je n’ai pas été attaché, sauf les menottes, ni bâillonné, mais j’ai vu plusieurs de mes compatriotes attachés sur leur siège et bâillonnés.» Les témoignages parlent de coups dans le ventre et le sexe, de cordes au ventre, serrées de plus en plus fort à la moindre parole. Lorsque les hommes demandent à ramener leurs bagages avec eux, on leur refuse. Ce n’est pas un détail. A plusieurs reprises, le gouvernement a promis que les étrangers reconduits à la frontière seraient expulsés «dignement» et qu’on leur éviterait l’humiliation de revenir au pays les mains vides.

Alors que la Diccilec assure que l’administration de calmants aux expulsés est une pratique définitivement prohibée, les récits des jeunes Maliens comportent des détails particulièrement troublants. «J’ai vu les policiers en civil se répartir des sachets contenant des espèces de gélules translucides qui m’ont fait penser qu’on voulait nous droguer», dit un homme. «J’ai refusé de boire de l’eau, de peur qu’elle soit droguée», se souvient un autre. Depuis le saccage d’un avion à l’arrivée à Bamako l’an dernier, le Mali est considéré comme un pays à risques pour les expulsions. On peut toutefois supposer que la technique du coussin n’est pas exclusivement réservée aux ressortissants maliens. En 1991, dans le plus grand secret, un demandeur d’asile tamoul, Arumugam Kanapathipillaï, âgé de 33 ans, était mort à l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois après avoir été entortillé dans une couverture sur un vol Paris-Colombo. Sept ans plus tard, alors que le rapport d’expertise montre que l’homme, qui était cardiaque, est mort d’asphyxie par bâillonnement, l’affaire n’est toujours pas jugée. Devant le magistrat instructeur, des policiers auraient reconnu que le bâillon est utilisé environ une fois sur deux. Et, le 20 septembre, comme le révèle Charlie Hebdo, sept Tamouls expulsés de Roissy ont raconté à leur arrivée qu’une femme avait été traînée par les cheveux et maltraitée. «Afin de l’empêcher de crier, on a mis un pansement adhésif sur sa bouche».

Enquête.

La Diccilec n’a pas souhaité répondre aux accusations des Maliens, et le ministère de l’Intérieur, qui affirmait, lors de la mort de Semira Adamu, que les policiers qui s’aviseraient d’avoir recours au coussin, au bâillon ou aux calmants seraient immédiatement poursuivis, envisage l’ouverture d’une enquête.

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A Roissy, en 1991, une expulsion avait déjà tourné au drame

newlogohumanitefr-20140407-434 Pierre Agudo, 02/10/1998

« LE Canard enchaîné » puis « le Monde » viennent de rappeler que la tragédie de la jeune Nigériane Sémira Adamu étouffée sous un coussin par des gendarmes belges, le 22 septembre, lors d’une tentative de rapatriement forcé, n’est pas la première. En effet « l’Humanité » et d’autres journaux révélaient le 26 août 1991 la mort d’un jeune Sri Lankais d’origine tamoul, Arumum Sivasampu Esan, survenue le 25 août 1991 à 7 h 30 à l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Notre quotidien rapportait à l’époque le communiqué du ministère de l’Intérieur qui imputait ce décès à une « crise cardiaque ». Il s’interrogeait également sur le caractère « musclé » de la tentative d’expulsion dont ce jeune homme avait été victime, la veille à Roissy, lors d’une reconduite à bord d’un DC10 où les policiers tentaient, pour la seconde fois, de le renvoyer pour Colombo via New Delhi.

Seize jours plus tôt, Arumum avait débarqué à Roissy en demandant l’asile pour essayer ensuite de rejoindre son épouse réfugiée en Allemagne. Sa demande ayant été rejetée par le ministère de l’Intérieur dirigé alors par Philippe Marchand, le jeune homme avait été placé en « zone internationale ». Il s’était tellement débattu lors de la première tentative d’embarquement que le commandant de bord avait ordonné son débarquement. Le 24 août, la police avait dépêché deux fonctionnaires pour l’escorter jusqu’à destination. Ils l’avaient installé au fond de l’avion. Selon le rapport du commissaire de la police de l’air et des frontières (PAF, devenue depuis la DICCILEC), on lui avait alors placé une bande Velpeau à hauteur de la bouche. Il était menotté aux poignets (les mains dans le dos), ainsi qu’aux chevilles. Toujours selon le rapport, l’homme se serait débattu. Il était alors attaché à son siège au moyen d’une couverture utilisée comme sangle, « fermement appliquée en haut du thorax ». A l’issue de vingt à trente minutes, durant lesquelles Arumum tenta vainement de lutter contre les policiers, il perdait connaissance et décédait le lendemain à l’hôpital.

A l’époque, Jacques Chirac parlait de « l’overdose des étrangers », évoquant « le bruit et l’odeur », et Edith Cresson, premier ministre, prônait l’utilisation des charters pour renvoyer les étrangers en situation irrégulière. Il n’y avait pas eu d’information judiciaire. Il aura fallu une plainte déposée au nom de la veuve de la victime, du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI) et de l’association France Terre d’asile pour que la justice se mette en marche. Lentement. Ce n’est qu’en 1993 qu’Eric Brendel, le commissaire qui a conduit la tentative de rapatriement, a été mis en examen pour coups mortels, atteinte aux libertés par fonctionnaire public et détention arbitraire, tandis que son subalterne, l’officier de paix Paul Manier, était mis en examem pour le seul premier chef. Les deux fonctionnaires n’ont jamais été suspendus. La reconstitution du drame n’a eu lieu que le 28 avril, presque sept ans après, dans un avion au Bourget. Si les premières expertises insistaient sur la malformation cardiaque de la victime, la reconstitution indique que la compression cervicale « a pu survenir lors des manéuvres de maintien sur le siège effectuées en utilisant une couverture »… Hier, Philippe Marchand a indiqué qu’à l’époque « le ministère n’était pas dans le coup car le rapport parlait de crise cardiaque ».

Les pratiques en cours lors des expulsions ont donné lieu, depuis l’arrivée de Jean-Pierre Chevènement au ministère de l’Intérieur, à des recommandations orales. Tout en permettant aux policiers d’immobiliser la personne expulsée en liant les poignets et les chevilles avec des menottes ou du papier collant, celles-ci leur interdisent de toucher à la bouche. Jean-Pierre Chevènement a également interdit l’administration de calmants. Enfin, depuis la mort de Sémira Adamu, le ministère de l’Intérieur français envisage d’édicter des règles écrites…

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La France aussi expulse durement les sans-papiers Bâillonnés, attachés…

200px-La_Vie propos recueillis par Corine Chabaud, octobre 1998

Elle avait 20 ans et voulait vivre en Belgique. Sémira Àdamu, Nigériane rebelle, est morte le 22 septembre, étouffée avec un coussin par deux gendarmes chargés de son rapatriement. Du coup, le ministre belge de l’intérieur a démissionné. En France, chaque année, 12 000 étrangers en situation irrégulière sont éloignés du territoire. Stéphane Maugendre, avocat et vice-président du Groupe d’information et des immigrés (Gisti), fait le point sur les méthodes françaises d’ex-pulsion de sans-papiers.

« La mort de la jeune Nigériane n est pas étonnante : nous sommes souvent saisis de plaintes pour violences subies dans les pays de l’espace Schengen. Même si ce n est pas systématique, la France use aussi de pratiques violentes. Dans les avions, les sans- papiers sont parfois ligotés. On leur lie les mains avec du Scotch ou des menottes. On leur attache les pieds, parfois fixés à la barre du siège avant. On leur met un bâillon, en principe une bande Velpeau qui les étrangle quand ils bougent trop. Parfois, des policiers escortent les récalcitrants avec des mitraillettes ou des chiens. La technique du coussin ou de la couverture sur la tête est aussi pratiquée. Nous n’avons pas de preuve mais on nous a signalé des cas de personnes endormies avec des piqûres ou des médicaments administres de farce »

« Notre législation est sévère : pour un refus d’embarquer; les personnes en situation irrégulière risquent trois ans de prison. Pour inciter au départ des sans-papiers, la France a réactualisé récemment un système d’aide au retour, qui reste in-efficace. Les expulsions ne sont pas toujours faites dans le respect de la dignité humaine et coûtent cher, car deux policiers raccompagnent la  personne dans son  pays ».