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Deux policiers jugés après un décès lors d’une reconduite à la frontière

index Nicolas Weill, 24/05/1999

POUR la première fois, des policiers ont comparu, jeudi 20 mai, pour répondre du décès d’un étranger au cours d’une tentative d’éloignement forcé du territoire. Poursuivis pour homicide involontaire devant le tribunal correctionnel de Nanterre, le commissaire principal Eric Brendel et le lieutenant jean-Paul Manier étaient en service, le 24 août 1991, à l’aéroport de Roissy pour procéder à la reconduite à la frontière d’Arumugan Kanapathillai, un Sri-Lankais Ide trente-trois ans arrivé en France sans visa, le 9 août, sous le nom d’Arumum. Le lendemain, l’homme décédait à l’hôpital des suites d’un malaise survenu dans l’avion, alors que les policiers tentaient de le renvoyer vers Colombo.

Sur la victime elle-même, l’audience en apprendra bien peu, huit ans après les faits. Tout au plus sa veuve, mère d’une petite fille d’une dizaine d’années, elle- même déboutée du droit d’asile en Allemagne, viendra évoquer l’appartenance de son mari au parti des Tigres tamouls, son enlèvement et la terreur que lui inspirait l’idée d’un retour au Sri Lanka, synonyme, selon lui, de mort (Le  Monde du 2 octobre 1998).

Mais, bien plus que le décès d’un homme, le procès, dans lequel plusieurs associations de défense des droits des étrangers étaient parties civiles, a mis en cause les pratiques « musclées » de reconduite à la frontière.

Les débats ont été l’occasion de décrire en détails les conditions dans lesquelles s’effectuent ces éloignements quand ceux-ci sont soumis à une logique administrative de rendement Le 24 août 1991, après une première tentative avortée d’embarquement, Arumum, menotté par derrière, puis aux pieds et bâillonné avec une bande Velpeau, est installé avec les deux policiers de son escorte au fond de l’appareil UTA à destination de Colombo. C’est alors que les deux policiers tentent de le maîtriser et de l’empêcher de crier qu’il se débat et est pris d’un malaise.

Pourquoi un bâillon? Cette question hantera le procès comme elle a hanté l’instruction. Une bataille d’experts et plusieurs autopsies n’ont pas permis d’établir que cet accessoire, dont aucun texte n’a jamais autorisé l’usage, ait pu causé la mort d’Arumum, qui souffrait de faiblesse cardiaque.

«L’aspect psychologique est important, a expliqué Eric Brendel à la barre, pour tenter de justifier l’usage du bâillon. C’est le moyen de montrer au réembarqué, souvent réticent, que la police est prête à assurer le départ » Les deux policiers ont évoqué les conditions de plus en plus difficiles de ces opérations. Avocat des prévenus, Me Binet a mis en cause la fréquence des blessures et des morsures subies par les policiers de la part de « réembarqués » tentant leur va-tout pour rester sur le territoire français, ou paniqués à l’idée de retourner dans une région où ils estiment leur vie en danger.

DÉSHUMANISATION

« Nous n’avons rien fait de plus qu’à l’ordinaire, se justifie Eric Brendel. Notre situation était difficile : si nous restions cois, il n’y avait plus d’escorte. Il fallait exécuter une mission, un point c’est tout. » « C’était soit cela soit une admission sur le territoire qui mettait en route une pompe aspirante, et ça n’était pas notre vocation », appuie M. Lallemand, un témoin, officier de police qui servait en 1991 sous les ordres d’Eric Brendel.

Me Gilles Piquois, défenseur de la veuve du Sri-Lankais, a dénoncé la déshumanisation du processus de reconduite : « C’est de la violence inhumaine qui n’a rien de psychologique. Les reconduits ne sont pas des délinquants, a-t-il souligné. Nous sommes en présence de fonctionnaires qui n’ont pas respecté les textes. Il est naturel qu’un officier de police dise non à des ordres illégaux. »

Il demandera une « rente d’éducation » pour la fille de la veuve d’Arumum. Le premier substitut Hervé Garrigues a terminé son réquisitoire en laissant ouverte la possibilité de la relaxe. « Mais si le tribunal condamne, ajoute-t-il, je ne serai pas choqué si les prévenus sont dispensés de peine. »

Jugement le 24 juin.

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Le Sri-Lankais était mort étouffé durant son expulsion

logoParisien-292x75 Geoffroy Tomasovitch, 21/05/1999

Deux fonctionnaires poursuivis pour « homicide involontaire »

Le 22 septembre 1998 en Belgique, la mort d’une Nigériane de 20 ans, étouffée sous un coussin manipulé par des gendarmes lors d’une tentative d’expulsion, avait soulevé l’indignation générale. Sept ans plus tôt en France, la mort d’Arumugam Kanapatipillaï était passée presque inaperçue. Ce Sri-Lankais de 32 ans avait succombé à un arrêt cardio-respiratoire suite à un embarquement forcé à Roissy (Val-d’Oise). Hier, les deux policiers chargés de l’escorter le 24 août 1991 ont été jugés pour « homicide involontaire » en correctionnelle à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Le 9 août 1991, Arumugam dé-barque à Roissy. Ce fils de paysans a fui le Sri Lanka, où son appartenance au parti séparatiste tamoul des Tigres met sa vie en danger. Il espère rejoindre sa femme en Allemagne. Le Tamoul formule sa demande* l’asile politique en France. Refus. Le 17, il doit être expulsé vers Colombo. Il résiste et la tentative d’embarquement échoue. En prenant en charge le Tamoul sept jours plus tard, les deux fonctionnaires de la police de l’air et des frontières (PAF), commissaire et brigadier à l’époque, savent qu’ils reconduisent un « refoulé » capable de se rebeller. Arumugam s’asseoit dans l’appareil, les pieds entravés, les mains menottées dans le dos. Une bande Velpeau l’empêche de crier.

Jugement le 24 juin

«Je lui ai proposé d’ôter le bâillon à condition qu’il se tienne tranquille », se souvient le commissaire Eric B. Mais très vite, le Tamoul s’agite. « J’ai attrapé une couverture. On l’a utilisée comme une sangle au niveau du thorax pour le maintenir sur son siège », poursuit Eric B. La lutte, avec des pauses, durera un gros quart d’heure. Brutalement, l’homme ne se débat plus. Il décédera le lendemain à l’hôpital. « Asphyxie du cerveau », dira l’autopsie, qui relèvera aussi une compression cervicale et une faiblesse cardiaque. « Ce n’est pas un accident, accuse la veuve en es. Mon mari a été tué. Il ne voulait pas partir. ». Sa petite fille n’a jamais connu son père. Me Piquois, son avocat, enfonce le clou : « Sans ce bâillon fou et cette couverture, cet homme serait encore en vie ! » Symbole « inhumain et dégradant » aux yeux des associations de défense des droits de l’homme et des étrangers parties civiles, le bâillon n’était autorisé par aucune loi en 1991. Son usage était malgré tout fréquent. « Il sert aussi à montrer notre détermination aux expulsés », admet le commissaire. Mais lui et son collègue affirment n’avoir à aucun moment obstrué le nez du Tamoul ou exercer de pression sur son cou. Alors, pourquoi ce décès ? « Un en-semble de choses y a concouru, estime le procureur Garrigues. Le stress du refoulé, sa faiblesse cardiaque, son agitation. Il faut le com-prendre, il ne voulait pas retourner mourir dans son pays. » Puis, il relève la maladresse des policiers — dont l’avocat a plaidé la relaxe — et leur imprudence d’avoir voulu à tout prix éviter un nouveau refus d’embarquer. Il n’a requis aucune peine. Jugement le 24 juin.

Expulseurs assassins

Pajol, mai 1999

Le 24 août 1991, Arumugam Kanapathipillai, demandeur d’asile tamoul était assassiné par des policiers de la PAF (Police de l’Air et des Frontières) lors de la deuxième tentative d’expulsion vers le Sri Lanka. Arrivé à l’aéroport de Roissy le 9 août et maintenu en zone internationale, son admission sur le territoire avait été refusée par le Ministère de l’intérieur alors que sa femme et sa fille étaient réfugiée en Allemagne.

Menotté aux poignets et aux chevilles, bâillonné par une bande velpeau et sanglé au siège par la ceinture de sécurité du Boeing 747 UTA, il avait tenté d’échapper au renvoi vers la mort dans un ultime sursaut. Profitant du retrait momentané de son bâillon il s’était mis à se débattre et à crier: « No Sri Lanka, no Sri Lanka! », pour attirer l’attention des passagers. Le commissaire Brendel et l’officier Manier, escortant le condamné, « n’ont fait qu’appliquer les instructions » et essayèrent de réprimer ses cris en le maîtrisant et l’étouffant à l’aide d’une couverture. Après 20 minutes d’effort pour se dégager, son coeur s’arrêta et Arumugam perdit connaissance.

Réanimé sur place il mourut le lendemain matin à l’hôpital.

Huit ans après les faits les policiers sont passés en procès devant la 12eme chambre du tribunal de Nanterre le 20 mai 1999. Lors de l’audience ils purent justifier de manière odieuse leur acte en expliquant qu’ils « n’avaient pas commis de faute » et qu’il « fallait exécuter une mission ».

Le procureur a conclu son réquisitoire en réclamant une condamnation
accompagnée d’une dispense de peine. Verdict le 24 juin.

Arumugan est donc le triste prédécesseur de Semira Adamu, nigériane de vingt ans assassinée lors de son expulsion de Belgique, le 22 septembre 1998 et deMarcus O., nigérian lui aussi, étouffé le ler mai 1999 lors de son expulsion d’Autriche; victimes de l’Europe forteresse.

Pour que de tels meurtres ne se reproduisent plus,

OUVERTURE DES FRONTIERES,

LIBERTE DE CIRCULATION !

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Prison pour les sans-papiers rebelles de Roissy

logo-liberation-311x113  Béatrice Bantman,

Pour les sans-papiers et leurs supporters, cette décision avait valeur de test. Hier, neuf Maliens, qui s’étaient soustraits à une mesure de reconduite à la frontière le 28 mars 1998 à l’aéroport de Roissy, ont été condamnés par la cour d’appel de Paris à des peines de deux à six mois d’emprisonnement et, pour six d’entre eux, à une interdiction du territoire français comprise entre trois et cinq ans. L’arrêt n’a surpris personne: en novembre, un autre Malien, Cheikne Diawara, embarqué sur le même vol, avait été condamné à un an de prison ferme. L’histoire de ce vol Paris-Bamako n’est pas très claire. Le 18 mars 1998, onze Maliens sont interpellés lors d’une occupation de l’église Saint-Jean de Montmartre par un groupe de sans- papiers. A l’époque, cette occupation, destinée à attirer l’attention sur la régularisation très problématique des sans-papiers célibataires en vertu de la circulaire Chevènement promulguée l’été précédent, est loin de faire l’unanimité au sein des collectifs.

Parmi les sans-papiers entraînés dans l’aventure, figurent en effet des Africains, vivant en paix depuis de longues années dans des foyers du 18e arrondissement parisien. Donc théoriquement régularisables. Mais exposés à une reconduite en cas de «rencontre» avec la police. Ce sera le cas.

Pugilat. Parmi les occupants, onze Maliens sont arrêtés, placés en rétention et reconduits à la frontière. Une reconduite qui tourne au pugilat entre policiers et sans-papiers. Et à la controverse. Selon les sans-papiers et quelques témoins, passagers payants sur ce vol, les policiers emploient la force, quelques coups bas et des coussins sur le visage des reconduits, pour les contraindre au calme. Selon Stéphane Maugendre, avocat des Maliens et vice-président du Gisti (Groupement d’information et de soutien aux travailleurs immigrés), les passagers auraient alors pris le parti des sans-papiers, rapidement débarqués du vol, le pilote ne voulant pas décoller dans ces conditions. Un rapport des Renseignements généraux fait, au contraire, état de la résistance musclée des Maliens. C’est ce rapport, basé sur des témoignages indirects, qui a été pris en considération par l’accusation depuis le début de l’affaire.

Le 8 juin 1998, le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint- Denis), estimant que ce rapport ne prouve rien, relaxe les Maliens. Le 26 novembre, à la surprise générale, l’un d’entre eux, Cheikne Diawara, est condamné en appel à un an de prison ferme et cinq ans d’interdiction du territoire pour refus d’embarquer. Il s’est pourvu en cassation.

Mouvement effiloché. La condamnation de ses neuf camarades était donc attendue sans illusions, ce 18 mars. Ce troisième anniversaire de l’occupation de l’église Saint-Ambroise et le début du mouvement des sans-papiers a confirmé l’effilochement de ce mouvement, qui n’arrive pas à surmonter ses divisions internes et le manque d’appuis extérieurs. Parmi ces derniers, le Parti communiste, qui a saisi l’occasion pour développer son programme sur l’immigration: respect du droit d’asile, droit de vote aux élections locales et européennes pour les immigrés en France depuis plus de cinq ans, suppression de la double peine et arrêt des expulsions.

Sur le parvis de l’église Saint- Ambroise, les représentants du PCF ont été pris à partie par des anciens de Saint-Bernard. «Nous n’acceptons pas que vous parliez à notre place», leur ont-ils lancé, rappelant aux communistes qu’ils ont longtemps traités les sans-papiers de «manipulés» par l’extrême gauche. Un nouvel éclat qui laisse mal augurer de la manifestation «unitaire» et européenne de soutien aux sans- papiers, le 27 mars à Paris.

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Le meurtrier a-t-il vu mourir sa victime ?

logoParisien-292x75 Sébastien Blanc, 10/02/1999

La cour d’assises de la Seine-Saint-Denis évoque actuellement la spécialité de Laurent  Cazorla et de sa bande : le vol au  domicile d’homosexuels (« le Parisien » d’hier). Les jurés se penchent plus précisément sur le soir où cet homme de 31 ans s’est rendu chez Pierre-Olivier Mazeau, un cuisinier habitant Noisy-le-Grand, que l’on retrouvera mort allongé sur son lit en mars 1995. Également dans le box, Pascale Leprêtre, 35 ans, est jugée pour complicité.

Deux jours de débats, un acteur  principal qui reconnaît les faits, mais une question, capitale, qui reste en suspens : l’intention homicide était- elle là ? Cazorla affirme n’être venu que pour voler, selon un procédé déjà rodé : lui et ses compères contactaient leur future victime par le biais de réseaux téléphoniques de rencontres. Une fois décroché un rendez- vous, une « chèvre » tentait de faire absorber un mélange à base de sédatif à l’homosexuel en quête d’aventure. Cazorla, quand il jouait ce rôle, se munissait d’une petite fiole contenant le produit ou préparait à l’avance des pièges à déguster. « Je lui disais, explique Cazorla, j’ai un fantasme, c’est de te faire manger de la crème Mont-Blanc à la petite cuillère. Quand ça ne marchait pas, je glissais le produit dans son verre » « Combien de temps fallait-il pour endormir votre victime ? », lui demande le président « Environ une heure et demie », répond sans hésiter l’accusé.

Des fils électriques dans le bac de douche

Une fois dans les bras de Morphée, la victime adepte des services de type 36 65 avait son logement pillé par la « chèvre » et ses complices. Ce scénario était celui prévu dans le cas de Pierre-Olivier Mazeau. Arrivé chez lui, Laurent Cazorla commence par le faire boire en instillant à petites doses, quand il a le dos tourné, du contenu de sa fiole. «Je lui ai demandé s’il était ouvert à tous les plans, raconte-t-il. Il a accepté que je l’attache. » Pieds et mains lié, Mazeau s’endort Cazorla et sa complice commencent à fouiller l’appartement. Mais, à un moment, on frappe à la porte. Cazorla plaque la tête de la victime contre un oreiller pour l’empêcher de crier. On le retrouvera mort par asphyxie. « Je l’ai juste maintenu sans chercher à l’étouffer », se défend Cazorla pour qui Mazeau ne décédera qu’après leur départ. Une possibilité que ne peut exclure le médecin expert Pierre-Olivier Mazeau a-t-il été torturé ? Sans que le mot soit prononcé, cette question s’est posée lors de l’instruction. De nombreux fils électriques coupés, retrouvés trempant dans le bac de douche rempli d’eau, ont fait penser le pire aux enquêteurs. Une lésion sur l’avant-bras de Mazeau a été analysée par un expert qui a déclaré hier : « Cette lésion est compatible avec une brûlure électrique. » Le médecin légiste a aussi relevé des griffures sur le dos de la victime Selon les accusés, ces marques ont pu être provoquées par le chien de race boxer de Pascale Leprêtre qui aurait sauté sur le dos du cuisinier alors que les deux malfaiteurs raflaient ses objets personnels.

Maître Stéphane Maugendre, avocat des parties civiles, a fini hier sa plaidoirie par ces mots : « La famille de Pierre-Olivier Mazeau n’a qu’une certitude, c’est que les accusés ont laissé leur frère pour mort II aurait eu 47 ans aujourd’hui. » Verdict attendu aujourd’hui.

Des sans-papiers sous le couperet.

logo_site Christophe Kanteheff, 28/01/1999

Pour avoir refusé d’être expulsés, dix Maliens risquent des peines exorbitantes au regard de la jurisprudence.

Les dix Maliens qui passent I jeudi 28 devant la douzième chambre de la cour d’appel de Paris connaîtront-ils le même sort que leur compatriote Diawara Siriné. Celui-ci, jugé à part, en novembre dernier en compagnie d’un co-prévenu, s’est vu infliger par la même juridiction un an de prison ferme pour avoir refusé d’embarquer sur un vol Paris-Bamako. Ayant accepté volontairement de comparaître et s’étant rendu au délibéré alors que rien ne l’y obligeait, il fut arrêté et incarcéré sur le champ. Tous sont impliqués dans la même affaire qui a pour point de départ le 28 mats 1998.

Prison ferme

Ce jour-là, douze Maliens, qui ont participé une semaine auparavant à l’occupation d’une église du XVIII ème arrondissement, sont emmenés à Roissy.  Là, des militants des JRH les fameux « trotskistes anglais » dénoncés dès le lendemain par Jean-Pierre Chevènement exhortent les passagers à ne pas accepter de voyager aux côtés d’hommes entravés. Dans l’avion, les Maliens sont pieds et poings menottés et, selon eux, bâillonnés et attachés aux fauteuils. Ce sont les réactions des passagers, disent-ils, qui les ont encourages à se rebeller.

En première instance, au mois de juin, le tribunal correctionnel de Bobigny les relaxe tous, fait rarissime pour des étrangers en situation irrégulière. Il conclut à la nullité de la procédure pour absence de procès-verbal constatant les délits qui leur sont reprochés, celui de rébellion notamment. Mais, à la surprise générale, le procureur de la République lait appel et requiert quatre mois de prison ferme.

Comme on l’a vu, le président de la cour d’appel, Gérard Gouyette, a trouvé cette peine trop laxiste. Pour motiver la culpabilité de Diawara, il s’est appuyé sur un rapport des RG rédigé par un commissaire qui n’était pas à Roissy. Celui-ci prétend que les policiers de l’escorte qui n’ont pas été appelés à témoigner directement, attestent que les Maliens ont insulte l’État français et ses représentants, et ont poussé les passagers à l’émeute. Ce rapport est jugé sans « valeur probante » par le Syndicat de la magistrature, Me Stéphane Maugendre a retrouve des passagers et produira jeudi aux débats leur témoignage écrit, montrant que la réalité fut tout autre. Face à un président qui a motivé le mandât de dépôt à l’audience contre Diawara par un article de la Déclaration des droits de l’homme, aucun argument rationnel ne devra être épargné.

Un tiers des prévenus du procès Chalabi relaxés.

logo-liberation-311x113  Marc Pivois

Un jugement en forme de camouflet. Après plus de quatre mois d’un procès controversé, la faiblesse des peines infligées est un nouveau désaveu pour le juge anti-terroriste Bruguière.

Après une petite gifle, une grande claque. Un jour après la publication du rapport sévère établi par la Fédération internationale des droits de l’homme (Libération du 21 janvier), le prononcé du jugement du procès Chalabi a clos, vendredi, une semaine plutôt rude pour la 14e section antiterroriste du parquet de Paris, et pour les magistrats instructeurs qui y sont associés. A commencer par leur médiatique patron, le juge Jean-Louis Bruguière.

31 relaxes totales. Les trois «chefs» présumés des réseaux islamistes, Mohamed Chalabi, Mohamed Kerrouche et Mourad Tacine, ont certes écopé de huit ans d’emprisonnement et d’une interdiction définitive du territoire français. Des peines assez proches des dix ans réclamés par le ministère public. Mais, en prononçant 51 relaxes sur le délit principal d’«association de malfaiteurs ayant pour objet de préparer un acte terroriste», le tribunal présidé par Bruno Steinmann s’est démarqué de l’accusation. Et surtout du travail effectué par les juges d’instruction. Sur les 138 prévenus, 31 ont bénéficié d’une relaxe totale. C’est le cas par exemple de M. A., contre lequel le procureur Bernard Fos avait requis deux ans de prison ferme, et qui avait effectué dix mois de détention préventive.

Vingt prévenus n’ont été condamnés, à des peines légères, que sur des infractions à la législation sur les étrangers ou pour recel de documents falsifiés. Pour la plupart, ces peines couvrent la détention provisoire déjà effectuée. Exemple: Nordine B., contre lequel le parquet avait requis dix mois, n’a été condamné qu’à quatre mois. Sur les 87 prévenus ayant été reconnus coupables d’association de malfaiteurs, 39 sont condamnés à des peines inférieures à deux ans. En revanche, le tribunal a compensé la raideur de ce désaveu en suivant d’assez près les réquisitions concernant les prévenus toujours en détention. En plus de celles des trois «chefs», les peines des prévenus détenus depuis leur arrestation, entre 1994 et 1995, vont de quatre à six ans.

Vendredi, le gymnase des gardiens de la prison de Fleury-Mérogis, qui a abrité ce procès hors norme, avait retrouvé l’effervescence des premiers jours d’audience, en septembre. Comme ils l’ont fait depuis le début, les détenus ont refusé de se lever à l’entrée des juges. Le seul incident de cette ultime journée d’un procès qui aura connu quelques péripéties. Avec, notamment, au début des audiences, le spectaculaire départ de la majorité des avocats, qui craignait un procès et un jugement «de masse».

Quand, le 27 février 1993, le ministre de l’Intérieur prononce l’interdiction de la Fraternité algérienne en France (FAF), vitrine légale du FIS, les renseignements généraux et la brigade criminelle de Paris ne perdent pas de vue ses sympathisants. Dans leur collimateur, une association installée à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). L’AEMF (Association éducative des musulmans de France) est officiellement une école coranique. Mais dans son local sont regroupés de nombreuses armes, des munitions et des explosifs destinés à être acheminés clandestinement en Algérie. Une autre adresse est pointée rue Bichat à Paris. Les enquêteurs établissent une liste de 100 personnes où se retrouvent les animateurs de l’AEMF, leurs connaissances et les connaissances de leurs connaissances. Le 8 novembre 1994, une rafle est lancée en Ile-de-France; 85 personnes sont interpellées. Parmi elles, Mourad Tacine, Nourredine Dridi et, surtout, Mohamed Chalabi.

Dossiers vides en attente. Le 20 juin 1995, nouveau coup de filet. Cette fois, 113 personnes sont arrêtées tandis que plusieurs mandats d’arrêt internationaux sont lancés. Le 2 avril 1996, Mohamed Kerrouche est arrêté en Grande-Bretagne. Lui, c’est une autre pointure. Pendant des mois, le juge Bruguière va travailler presque seul sur le dossier. Quand le juge Thiel arrive en renfort, certains mis en examen attendent en détention depuis un an que leur dossier, parfois vide, soit examiné. Une centaine de non-lieux sont délivrés, 138 personnes seront renvoyées devant le tribunal.

Au fil des audiences, le malaise s’installe. S’il est certain qu’une partie des prévenus s’était bien engagée dans le soutien logistique aux maquis algériens, les preuves retenues contre beaucoup apparaissent dérisoires. Telle femme est accusée d’avoir reçu un coup de téléphone suspect, telle autre de posséder une photo de baptême où apparaît une personne qui pourrait avoir des liens avec le GIA, tel restaurateur reçoit régulièrement des clients louches. Au point que la vraie question de ce procès devenait: que fait devant le tribunal un bon tiers des prévenus. Hier, le président Steinmann a donné une réponse claire: rien.

«Le président a été aussi loin qu’il a pu pour sauver un dossier pourri», indiquait Dominique Tricaud, du comité des avocats ayant boycotté le procès. Notre collectif va maintenant demander des comptes au juge Bruguière sur les mois de prison effectués pour rien par nos clients.» Selon le comité, tous les prévenus relaxés devraient saisir la commission d’indemnisation ad hoc.

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Le sans-papier restera en prison

images fig Pierre-Antoine Souchard, 16/01/1999

Sirine Diawara, malien, s’était opposé à son expulsion.

Sirine Diawara restera en prison. Sa demande de remise en liberté, formulée jeudi par ses avocats, a été rejetée hier par la 12e chambre de la cour d’appel de Paris. Au motif, entre autres, qu’elle constituerait un trouble à l’ordre public.

La condamnation, le 26 novembre, de ce Malien en situation irrégulière à un an d’emprisonnement par.cette même chambre pour refus d’embarquer, avait provoqué de vives réactions de la part des associations de soutien aux sans- papiers et de certains syndicats de magistrat.

Jeudi, à l’audience, ses deux avocats, Mes Dominique Noguères et Stéphane Maugendre, avaient pourtant pris soin de dédramatiser le débat. A l’appui de cette demande de remise en liberté, ils présentaient des garanties de représentation financière et d’hébergement. Celle-ci avait fait défaut à Sirine Diawara qui s’était vu infliger un mandat de dépôt lors de la première audience.

Un professeur de la faculté de droit de Paris s’engageait par écrit à héberger gratuite-ment le Malien en situation irrégulière.

Désapprobation

Une somme de 7 000 francs, recueillie auprès de différentes personnalités comme Serge Blisko, vice-président de l’Assemblée nationale, ou du cinéaste Bertrand Tavernier, était consignée sur un compte. En début d’audience, les deux avocats ont demandé la présence d’un interprète afin que leur client « puisse s’exprimer pleinement et librement ». Requête refusée peu après que le président leur ait demandé : « Est-ce qu’il était accompagné d’un interprète lorsqu’il achetait des oranges ou du pain ? »

Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) a fait savoir que cette décision « est révélatrice du sens que le gouvernement désire donner à sa politique d’immigration : le déni du droit de vivre dignement ».

Sirine Diawara avait été interpellé après l’expulsion de l’église des Abbesses en mars 98. Conduit dix jours plus tard à l’aéroport de Roissy, il était installé, en compagnie d’une dizaine d’autres Maliens, dans| un vol d’Air Afrique à destination de Bamako (Mali). Une| quinzaine de passagers de ce vol avait manifesté leur désapprobation face aux méthodes! employées par les policiers. « Débarqués », les Maliens! étaient poursuivis pour refus! d’embarquer. Le tribunal correctionnel de Bobigny les avait relaxés, mais le parquet avait fait appel de cette décision.

La mobilisation s’étend pour Diawara Cheikne.

logo-liberation-311x113  Béatrice Bantman

 Tandis que Diawara Cheikne, condamné à un an de prison pour refus d’embarquer, purge sa peine à Fleury-Mérogis, la liste des signataires qui demandent sa libération s’allonge (lire Libération du 18 décembre). «Cette affaire constitue un déni de justice», estiment-ils, constatant que le jeune Malien, débarqué le 28 mars d’un vol d’Air Afrique avec onze compatriotes à cause des protestations des passagers, n’avait manifesté aucune résistance.

Les signataires de la pétition et les avocats de Diawara rappellent que la procédure, annulée en première instance et poursuivie sur appel du parquet, ne s’appuie sur aucun témoignage direct, mais uniquement sur un rapport des Renseignements généraux «bourré de contradictions». Diawara Cheikne, ajoutent-ils, n’est pas un délinquant: il vivait en France depuis une dizaine d’années dans un foyer d’immigrés lorsqu’il a été arrêté, alors qu’il participait à l’occupation par les sans-papiers de l’église Saint-Jean-de-Montmartre.

Parmi les 450 signataires figurent aussi bien des élus Verts et communistes, comme Jean-Luc Bennahmias, secrétaire national des Verts, ou Patrick Braouezec, maire (PCF) de Saint-Denis, que des cinéastes, comme Bertrand Tavernier, Tony Marshall et Romain Goupil. La pétition est également signée par Henri Leclerc, président de la Ligue des droits de l’homme, par Joseph Rossignol, maire (PS) de Limeil-Brévannes, par Alain Krivine et le philosophe Daniel Bensaïd, par des enseignants et médecins. Et par de nombreuses personnalités: anciens médiateurs de Saint-Bernard (Monique Chemillier-Gendreau, Raymond et Lucie Aubrac, Jean-Pierre Vernant), Yves Cochet (vice-président de l’Assemblée nationale), le dessinateur Siné, des syndicalistes et les présidents du Gisti, de SOS-Racisme, de la Fasti, ainsi que la chanteuse Catherine Ribeiro et le biologiste Jacques Testard. Un pourvoi en cassation a été déposé par Stéphane Maugendre (vice-président du Gisti) et Dominique Noguères (Ligue des droits de l’homme), les avocats de Diawara. Et une demande de remise en liberté sera faite en janvier.

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Appel. Liberté pour Diawara Cheikné.

Le 28 mars, douze Maliens, installés de force dans un avion d’Air Afrique, avaient dû être débarqués, les passagers ayant vivement manifesté leur hostilité à cette expulsion. Inculpés pour refus d’embarquement (alors qu’ils n’opposaient aucune résistance), ils avaient été libérés en juin, pour vice de procédure, par le tribunal de Bobigny. Le procureur de la République avait fait appel pour deux d’entre eux le jeudi 29 octobre, réclamant de nouvelles sanctions. L’arrêt vient d’être rendu, et le juge a frappé très fort, allant au-delà des réquisitions du procureur. Alors que celui-ci n’avait demandé que (!) quatre mois d’emprisonnement, le verdict est tombé, plongeant les avocats de la défense et les associations de soutien dans la plus grande stupéfaction. Diawara Cheikné est condamné à un an de prison ferme et cinq ans d’interdiction du territoire. Plus grave, il a été directement arrêté à l’audience et transféré à la prison de Fleury-Mérogis. Deux rescapés d’un autre vol (celui du dimanche 29 mars) ont été condamnés à trois mois de prison ferme et trois ans d’ITF. Lors du jugement en appel, aucun témoin n’a été entendu, et le verdict ne s’appuie que sur les rapports des renseignements généraux, bourrés de contradictions qui avaient été relevées par les avocats de la défense, Mes Maugendre et Noguères.

Cette affaire est un déni de justice scandaleux. Nous ne pouvons pas accepter que Diawara Cheikné moisisse un an en prison parce qu’il a été débarqué d’un avion à la suite d’un mouvement de protestation de passagers. Il n’est ni un délinquant, ni un criminel. C’est un travailleur vivant en France depuis des années, poussé hors de son pays par la misère et désireux simplement, comme des milliers d’autres, de régulariser sa situation. Nous vous appelons à vous joindre à une campagne nationale pour exiger sa libération, un nouveau jugement en cassation dans les plus brefs délais et l’arrêt des poursuites en appel dans cette affaire.

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Avocat