Archives de catégorie : Avocat

Des proxénètes africains recrutaient au tribunal

logo metro 13/12/2002

Dix membres présumés d’un réseau de proxénétisme employant de très jeunes Africaines, prises en charge à l’occasion de leur passage au tribunal de grande instance de Bobigny, comparaîtront en 2003 devant le tribunal correctionnel.

Le juge d’instruction de Bobigny, Olivier Géron, en charge du dossier à la suite d’une plainte déposée en mars 2001 par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), a rendu son ordonnance de renvoi devant le tribunal le 21 novembre. Dans sa plainte, le Gisti s’interrogeait sur l’éventuelle présence de “rabatteurs” à la sortie de l’audience dite des “35 quater » sur les étrangers arrivés en France en situation irrégulière.

De fait, l’enquête devait confirmer ce que nombre d’avocats ou de magistrats avaient constaté des personnes extérieures au tribunal venaient régulièrement fréquenter les audiences des « 35 quater » et prenaient contact avec les étrangères libérées. Dix personnes, essentiellement des Nigérians, des Ghanéens et de soit-disant Sierra-Léonais, sont ainsi soupçonnés d’avoir organisé la venue en France de jeunes Africaines et de les avoir contraintes à se prostituer sur les boulevards des Maréchaux parisiens. L’enquête avait connu un coup d’accélérateur en novembre 2001, grâce au témoignage de trois prostituées affirmant avoir été recrutées en Afrique par une certaine “Edith », qui avait pris en charge toutes les formalités nécessaires à leur arrivée.

Selon leur témoignage, elle retrouveront la même Edith, aujourd’hui en fuite, à la sortie de l’audience des « 35 quater », qui les confie à un couple chargé de leur hébergement. Très vite, on leur fait comprendre les termes de leur implacable contrat : constamment menacées de mort, elles devront se prostituer pour rembourser la somme de 50 000 euros.

Les associations veulent retirer aux juges un pouvoir « exorbitant »

index Sylvia Zappi,  29/11/2002

Elles militent pour le retrait du code pénal de l’interdiction du territoire.

FAUT-IL supprimer l’interdiction du territoire du code pénal et laisser au seul ministère de l’intérieur l’arme de l’expulsion ? Alors que la question de la double peine surgit une nouvelle fois dans le débat politique, la réflexion des associations de défense des étrangers semble désormais prendre une tournure paradoxale : après des années de lutte contre l’emprise de la police sur la situation des étrangers en France, elles souhaitent aujourd’hui retirer à l’autorité judiciaire un pouvoir de décision pour le.confier à nouveau – mais dans certaines limites – au ministère de l’intérieur.

La double peine – condamnation complémentaire qui conduit un délinquant étranger, une fois pur­gée sa peine de prison, à être expul­sé du territoire – a été introduite dans le droit français sous forme peine d’interdiction du territoi­re français par la loi du 31 décem­bre 1970 dite « loi Chalandon » ; texte qui visait exclusivement les étrangers condamnés pour certai­nes infractions graves à la législa­tion des stupéfiants. Le champ de la loi a été progressivement étendu aux délits liés au séjour, puis à plus de 220 incriminations (atteintes aux biens et aux personnes, à la nation, à l’Etat, à la paix publi­que…).

« DÉRIVE JUDICIAIRE »

La loi Sapin avait tenté, en 1991, de donner un coup d’arrêt à cette montée en puissance en instaurant des catégories d’étrangers à l’en­contre desquels une interdiction du territoire ne pouvait être pro­noncée en raison de leurs liens avec la France. Mais, en 1993, Char­les Pasqua, alors ministre de l’inté­rieur, avait modifié la loi en don­nant la possibilité d’expulser qui­conque à la seule condition de motiver la décision. L’«urgence absolue » ou l’« ordre public » ont ainsi été couramment invoqués et les expulsions se sont multipliées.

Arrivé au ministère de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement avait refusé d’abroger ces dispositions, se contentant d’ajouter que la déci­sion d’expulsion devait être prise au regard de la situation familiale.

La peine accessoire, a priori d’ex­ception, était devenue une peine courante. «Les magistrats en ont fait une peine principale qui s’est lar­gement répandue. Certaines cours, comme celle de Lyon, le font systéma­tiquement », dénonce Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme. « Cette peine de ban­nissement est un pouvoir énorme lais­sé aux juges. C’est une peine indi­gne », renchérit Stéphane Maugendre (avocat), vice-président du Groupe d’in­formation et de soutien des immi­grés (Gisti). Pour remédier à ce qu’elles qualifient de « dérive judi­ciaire », les associations vou­draient en fait supprimer l’interdic­tion du territoire de l’arsenal juridi­que. Mais elles estiment que le ministère de l’intérieur ne devrait pas, de son côté, pouvoir décider à sa guise d’expulsions administrati­ves. En guise de « garde-fous », elles proposent – comme le député (UMP) Etienne Pinte – que le minis­tère ne puisse expulser sans un avis conforme de la commission d’ex­pulsion et que les recours aient un effet suspensif.

« Il faut que l’expulsion redevien­ne une exception, explique M. Maugendre. Il ne doit plus y avoir de pei­ne discriminatoire fondée simple­ment sur la nationalité et qui sanc­tionne la délinquance des étrangers de manière spécifique. « 

⇒ Voir l’article

La gauche doublée par la droite.

   Charlotte Rotman

 L’opposition dépassée sur sa gauche… par la droite ? Aujourd’hui, les députés examineront, lors d’une niche parlementaire, une proposition de loi déposée par le groupe PS pour réformer la double peine. Une occasion pour les socialistes de se positionner sur cette question délaissée par le gouvernement Jospin. Mais au même moment, un autre projet (non finalisé), rédigé par le député UMP Etienne Pinte, ose aller beaucoup plus loin. C’est déjà l’élu de Versailles qui avait relancé le sujet en octobre en s’adressant à Nicolas Sarkozy, jusqu’à inciter le ministre de l’Intérieur à mettre en place un groupe de travail susceptible de préparer une réforme.

«Bannis». Dans l’exposé des motifs du texte PS discuté aujourd’hui, le ton est pourtant ferme : l’interdiction du territoire est «assimilable à un véritable bannissement, car l’histoire personnelle de l’étranger est souvent indissociable de la France». La double peine est présentée comme une «discrimination», une «anomalie». «Outre son caractère inhumain, la mesure d’éloignement est souvent inopérante et contre-productive», peut-on lire. Ou encore, un peu plus loin : «La pratique incontrôlée de la double peine fabrique des bannis.»

Hier, le député de Paris, Christophe Caresche, rapporteur du texte, enfonçait le clou : «Nous avons voulu assurer la protection des étrangers ayant un lien avec la France. Leur expulsion est une peine disproportionnée.» Son texte propose d’élargir la protection contre l’éloignement du territoire français aux pacsés. Il laisse cependant la porte ouverte à des exceptions : l’expulsion serait possible «en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou d’actes de terrorisme». Le patron de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Michel Tubiana, note «des avancées, mais insuffisantes». Membre du Gisti, Stéphane Maugendre y voit, lui, un «projet a minima». Et lui préfère le «projet a maxima» d’Etienne Pinte.

Dans son texte, non rendu public mais dont Libération a pris connaissance, le député UMP des Yvelines va beaucoup plus loin que la gauche. Même s’il ne s’agit que d’un «projet de proposition de loi», Etienne Pinte souhaite rendre impossible l’expulsion de tous les étrangers appartenant à des catégories protégées. Contrairement aux socialistes, Pinte ne retient aucune dérogation. Il entend même donner une dimension rétroactive à sa réforme en proposant d’instaurer un «droit au retour» pour des étrangers protégés déjà expulsés. De même, un avis défavorable émis par la commission d’expulsion censée étudier chaque cas serait forcément suivi d’effet.

Droit au travail. Pinte prévoit également de prolonger l’assignation à résidence jusqu’à l’expiration des recours contre les expulsions. Elle ne pourrait cependant excéder trois ans. Au-delà, un permis de séjour serait automatiquement accordé avec droit au travail garanti. Ces propositions collent aux revendications du collectif d’associations «Une peine point barre».

«La gauche a fait son texte dans son coin, Pinte a tenu compte de nos observations», constate Bernard Bolze, animateur d’Une peine, point barre. «J’aurais souhaité que cette proposition de loi soit elle aussi déposée pour que nous ayons à l’Assemblée une discussion groupée, se justifiait hier Christophe Caresche. Etienne Pinte ne l’a pas voulu.»

L’exercice n’aurait pourtant pas vraiment souri aux socialistes. D’autant qu’ils ne se sont vraiment préoccupés de la double peine qu’une fois revenus dans l’opposition. «Je reconnais bien volontiers qu’on aurait dû le faire avant», endosse Christophe Caresche, qui assure même qu’il fera aujourd’hui à l’Assemblée un «acte de contrition». Au pouvoir, les socialistes s’étaient contentés de créer une commission et d’envoyer une circulaire aux parquets. Et Lionel Jospin n’avait osé évoquer une réforme de la double peine qu’in extremis, trois jours avant son naufrage lors du premier tour de l’élection présidentielle. «A l’époque, l’opposition de droite était très agressive sur le sujet, se défend Caresche. Aujourd’hui, du côté de la majorité, les choses bougent…»

«Précipitation». Le PS en a pris prétexte pour se mouvoir à son tour. Certains militants associatifs redoutent d’ailleurs que cette «précipitation» ne court-circuite les velléités ­ inespérées ­ de réformes engagées à droite. «Le PS a perdu la main, ce n’est pas en battant les cartes très vite qu’il va réussir à se rattraper», estimait le cinéaste Bertrand Tavernier, à l’issue d’une rencontre avec Nicolas Sarkozy vendredi dernier. «Ce serait déshonorant pour le PS d’utiliser la double peine pour une manœuvre politicienne.»

«Ce n’est pas un piège, se défend Caresche. Déposer ce texte, c’est mettre les choses sur la table et voir comment on peut les faire avancer. On peut dégager un consensus, comme pour la loi sur l’IVG» votée en 1974 grâce à la gauche sous un gouvernement de droite.

Outre le calendrier, les associations regrettent de ne pas avoir été assez sollicitées. La LDH et des représentants du Gisti et de la Cimade ont certes été auditionnés. Mais après coup. «On y travaille depuis un an, on a des idées à faire passer, même si je suis content que le débat vienne, j’aurais aimé qu’on soit consultés, déplore Stéphane Maugendre. Là, tout a été précipité.» «Cela s’est décidé vite, grâce à une niche parlementaire», répond Christophe Caresche. «Le PS ne nous a invités que parce que nous avons fait savoir notre mécontentement, nuance Bernard Bolze. Quant à la proposition PS, c’est Etienne Pinte qui me l’a envoyée…» Les socialistes ont beau faire de réels efforts pour s’emparer de questions qu’ils avaient négligées par le passé, l’électron libre Pinte a décidément bien souvent une longueur d’avance sur eux.

⇒ Voir l’article

Les enfants de la double peine

images Isabelle Monnin, 31/10/2002

En ajoutant l’expulsion à la prison, on contraint les délinquants étrangers à la clandestinité et on fait souffrir tous ceux qui leur sont chers.

Florence Guillemain
Florence Guillemain

Lætitia a beau tourner les choses dans sa tête, ça ne colle pas. Cette vie, cette destinée n’est pas pour elle, elle en est sûre. « Ça ne lui correspond pas. « Ça », c’est avoir 23 ans et croire que plus rien n’est possible. « Ça », c’est en vouloir au monde entier de ce que l’on est et, surtout, de ce que l’on n’est pas. « Ça », c’est être une fille de double-peine. Fille de banni.

La moitié des gens frappés par la double peine ont des enfants. Étrangers, oui ; condamnés, oui ; mais surtout parents (et pères, dans 98% des cas). Alors que la Convention européenne des Droits de l’Homme impose le respect de la vie familiale, alors que l’article 25 de l’ordonnance de 1945 sur le droit des étrangers protège de l’expulsion les parents d’enfants français, les tribunaux et le ministère de l’Intérieur prennent chaque année des mesures d’éloignement du territoire par milliers. Car la loi, dans son article 26, l’autorise en cas de « trouble à l’ordre public », sans qu’elle définisse celui-ci. C’est cela, la double peine : quand un délinquant est étranger, le juge ou le préfet peu¬vent assortir la peine de prison d’une interdiction du territoire et d’une expulsion. Même si, comme le père de Laetitia, on est né en France, dans une famille installée ici depuis 1945, et qu’on ne connaît rien de « son » pays. Le coût à payer pour un délit n’est pas le même selon que l’on est français ou étranger. Près de 20 000 personnes ont ainsi été expulsées de¬puis quinze ans. Certaines sont restées dans ce pays d’exil, souvent inconnu ; la plupart reviennent clandestinement en France et deviennent des sans-papiers dans leur pays. En ajoutant les proches de ces condamnés, on estime que 200 000 personnes subissent plus ou moins directement les conséquences de cette mesure. Après l’incarcération, l’éloignement d’un être aimé. Fratries, familles et couples en sortent souvent explosés. Des « dommages collatéraux » qui poussent certains politiques et associatifs à demander la suppression de « cette peine de vie », comme l’appelle l’avocat Stéphane Maugendre.

Elle est en colère, terriblement, Laetitia. De cette histoire qu’on lui a collée sur le dos parce que son père, né en France mais de nationalité algérienne, a glissé dans la délinquance. Son premier parloir de prison, elle l’a connu à 8 mois. Pendant dix ans, elle y est allée toutes les semaines voir son père Mohamed. » J’étais habituée, je retrouvais des copines et les surveillants nous connaissaient. » Ce n’est pas que ça lui plaisait, mais c’était comme ça. Et puis son père est sorti. Et puis il a replongé, « parce que la réinsertion, c’est de la merde ». Elle avait 11 ans. Elle se souvient très bien de l’arrestation. Sous ses yeux, « le père frappé, la grand-mère insultée, la famille humiliée ». Il reprend deux ans. Et ce qui était normal pour Laetitia devient inacceptable. Elle est en sixième. Plutôt bonne élève jusque-là, elle lâche. « Ils ont voulu me faire redoubler, je n’ai plus rien fait, je ne supportais pas qu’on me donne des ordres. C’est le début de l’errance scolaire, le début des conflits avec sa mère, dépassée. En fait, le début du n’importe quoi.

L’été de ses 14 ans, elle part en vacances en Tunisie. Un coup de téléphone de Martine, sa mère. « Ton père a été expulsé en Algérie. «Ça m’a fait mal, dit Laetitia, je n’ai pas compris. Mais en même temps, ils m’avaient fait prendre l’habitude de vivre sans lui. La différence, c’est qu’on ne savait pas pour combien de temps il était parti. » Le premier exil de Mohamed dure deux mois. Le retour, forcément clandestin, signe le départ d’une nouvelle vie pour la famille. Dans l’ombre. Pendant cinq ans, Mohamed, si costaud, si fier, ne quitte guère l’appartement. Il a trop peur d’être expulsé au premier contrôle de police. C’est Laetitia qui avec sa mère gère. Tous les midi, alors qu’elle aurait aimé déjeuner à la cantine avec ses copains, elle doit rentrer à la maison, apporter une baguette pour son père, partager son repas. » Ça me saoulait, mais en même temps j’étais tellement frère de lui, tellement bien avec lui. Je l’aime plus que tout. » A Martine la crise d’ado, à Mohamed les câlins de la petite fille qu’il n’a pas connue quand il était en prison : la famille tente de se reconstruire sur les ruines, dormant chez les uns, chez les autres, vivotant, survivant. En 1998, Mohamed va acheter des cigarettes. Comme dans les mauvais films, il se fait arrêter au bureau de tabac et conduire à Marseille. Bateau, Algérie, rebelote. Martine part le chercher. La galère reprend. Il travaille au noir. Sa mère est déprimée. L’angoisse est là, tout le temps. Laetitia baisse les bras. « Je voulais être avocate, mais je suis tombée dans l’engrenage. Je n ’ai rien demandé à personne, pourquoi me fait-on subir ça ? » Alors elle cherche du boulot, mais ne reste jamais.
« Je ne supporte pas qu’on me commande. Je ne suis pas une rebelle à la base, mais on m’a poussée à devenir comme ça. » Mine boudeuse, la jolie Laetitia fait penser à Adjani jeune. A ces filles qui claquent la porte pour aller pleurer sans que personne le sache. Depuis quelque temps déjà, elle multiplie les crises d’angoisse et de spasmophilie, assure que « dès lundi » elle prend sa vie en main, mais va se consoler dans les bras des voyous du quartier qu’elle visite à leur tour en prison, leur faisant la morale : « La prison, j’ai donné. Ce n’est pas une tradition familiale ! » Elle aussi a déjà été condamnée. Une grosse amende pour outrage à policiers : « Dès que je vois un habit bleu, ça part en sucette. » Difficile d’entendre la parole des juges quand on se sent victime d’une injustice. Difficile de se mesurer à l’autorité du père quand celui-ci est proscrit.

Jean-Michel Delage
Jean-Michel Delage

Hosni a la quinzaine très sage. Fils d’un double-peine originaire de Tunisie, que sait-il de ce pays sinon qu’on y passe d’agréables vacances ? Rien. Samir, son père, ne lui a rien dit de la période coloniale, rien des conditions dans lesquelles il est arrivé. « C’est l’histoire de mes parents, pas tellement la mienne », dit-il en fronçant les sourcils. D ne parle pas beaucoup, d’ailleurs il ne parle « jamais à personne » de la double peine de son père. Colère rentrée ? Honte ? Ras le bol de ces trucs d’adultes ?

Hosni ne laisse rien paraître. Comme s’il se te-nait à carreau. Comme s’il avait compris qu’à lui, pourtant français, on demandera toujours plus. Je dois être irréprochable, souffle-t-il. Pour l’honneur de mon père. » Alors il travaille bien à l’école, ne rate jamais les félicitations, se tient bien, et ne manque jamais d’accompagner son père quand celui-ci a une course à faire : « Quand on est avec des gosses, on se fait moins contrôler par la police », explique son père Samir, tout en préparant la pizza que les policiers du quartier viennent chercher tous les soirs dans son restaurant…

Le traumatisme de l’incarcération d’un parent n’est pas facile à assumer pour ses enfants. Mais un père banni, un père menacé d’être envoyé « là-bas », dans un autre pays que le sien, c’est incompréhensible. Parce qu’on avait fini par oublier qu’il n’était pas français, ce père grandi auprès de frères et sœurs parfois français, éduqué à l’école de la République, enfant de France. Parce qu’on n’aurait pas pu imaginer qu’un jour ce serait la nationalité officielle qui ferait foi. On n’aurait pas pu croire que fauter n’était permis qu’aux français de papiers ».

C’est ce qui a été le plus difficile à accepter pour Moussah, ce Lyonnais de 50 ans qui n’était jamais allé en Algérie bien qu’il en ait la nationalité : qu’on le désigne comme étranger aux yeux de ses enfants. « Mon grand-père a été résistant, j’ai toujours élevé mes enfants dans les valeurs de la République. Pour eux, l’Algérie représentait les Maghrébins, avec ce qu’on en dit ici. Ça m’a fait mal d’être montré comme différent.

Ils avaient presque oublié qu’ils étaient étrangers, ancrés comme ils l’étaient dans la société française et ses fractures. Or c’est bien cette question de nationalité, la plupart du temps due au hasard ou au choix des parents, qui est au cœur même de la double peine. Et de celle, solitaire, de Benoît. Il a 28 ans aujourd’hui. C’est un graffeur reconnu qui préfère qu’on masque son vrai prénom. Long-temps il a vécu sans père, sans une histoire à coller sur ses origines. Sa mère restait muette. Jusqu’au jour où à 20 ans Benoît l’a mise au pied du mur : « Tu me dis tout ou nous ne nous revoyons jamais. » Elle a alors commencé à raconter. Assez rapidement elle a parlé de la prison. Mais restait une chose plus difficile à dire, pour elle. Au bout de trois heures, elle a lâché le morceau. « Voilà : un Algérien, qui a été incarcéré quand tu avais un an, puis expulsé en Algérie, puis qui est revenu, mais je n’ai jamais voulu qu’il te revoie. » Elle avait peur du racisme, ne voulait pas qu’il soit dit que son Benoît était le fils d’un Arabe. Lui a immédiatement traversé la France pour retrouver ce père inconnu.

Ila rencontré un homme abîmé, RMIste, solitaire, qui traîne sa vie. Un genre d’autiste. Qui répète que la vie est mal faite, qui n’assume pas ce qui est arrivé. Cassé, le père. Mais surtout Benoît a trouvé une famille, avec sa culture, sa chaleur, ses histoires et ses blessures. Des gens qui vivent en cité. Tout ce que sa mère avait voulu lui éviter lui revient en pleine figure : un cousin mort en prison, un autre d’overdose, la galère et les embrouilles pour tous. De ça, il nourrit son art. Régulièrement il va là-bas goûter à cette drôle de vie de famille, tenter de comprendre comment elle fonctionne et essayer en « militant familial » de désamorcer les microbombes qui couvent dans le quartier : « C’est ailleurs, ce n’est pas chez moi, et en même temps ce sont les miens. J’ai les éléments de l’histoire. C’est comme si ma tête se refermait enfin. »

Tellement d’espoir…

Florence Guillemain
Florence Guillemain

Un peu d’optimisme, beaucoup de vigilance. C’est le message qu’ont voulu lancer samedi les participants à un meeting réunissant 3 500 personnes au Zénith de Paris en clôture de la campagne « Une peine, point barre » lancée il y a un an. La veille, Nicolas Sarkozy avait en effet ouvert des perspectives quant à la suppression de cette mesure en déclarant à France- Inter, à propos du cas de Chérif Bouchelaleg, père de six enfants nés en France : « Il est difficile, y compris pour des gens qui ont un passé judiciaire chargé, d’aller les mettre dehors alors qu’ils ont six enfants, qu’ils ont quitté l’Algérie en l’espèce à l’âge de 3 ans et qu’ils ont créé des liens dans notre pays.Le débat sur la double peine est ouvert ». De quoi satisfaire Etienne Pinte, maire UMP de Versailles, un des artisans (avec François Bayrou, de l’UDF, et Jack Lang pour le PS) de cette ouverture : « Ma ligne de conduite est claine : on ne sépare pas les parents de leurs enfants. Que quelqu’un qui commet un délit soit puni est normal. Mais une fois sa peine purgée, on ne va pas lui infliger une peine supplémentaire au prétexte qu ’il est étranger. Est-ce qu’on enverrait un Français à Cayenne. C’est une forme moderne du bagne, c’est impensable. » Un impensable qui, en attendant une éventuelle modification législative, est prononcé tous les jours dans les tribunaux et dans les préfectures de France.

L’interdiction du territoire français ou la citoyenneté bannie

Par Stéphane Maugendre*

À mon père.

LA DOUBLE PEINE, c’est le fait de sanctionner, soit administrativement par un arrêté ministériel d’expulsion (AME), soit judiciairement par une interdiction du territoire français (ITF), une personne de nationalité étrangère, à l’issue de sa peine de prison, à ne plus résider sur le territoire français, soit pour un temps déterminé soit définitivement. Cette froide définition, qui pourrait apparaître comme anodine au détour d’un traité de droit, recouvre, depuis plu­sieurs années, une réalité particulièrement odieuse que les films de Valérie Casalta, Jean-Pierre Thorn ou Bertrand Tavernier illustrent parfaitement.[2]

Partant de ce constat, de cette réalité vécue par des milliers de personnes [3] issues de la première, deuxiè­me, voire de la troisième génération et leurs familles, il convient de revenir à l’analyse juridique de l’ITF. Celle-ci montre que nous sommes face à une vérita­ble rupture d’égalité au regard de la loi pénale, du juge et de la peine et que cette rupture ne peut conduire qu’à l’abandon de la notion de citoyenneté par la République.

Un peu d’histoire permet de comprendre la mon­tée en puissance de cette peine dans l’arsenal répressif depuis ces dernières années et de ne pas oublier que si c’est la droite qui a enclenché ce pro­cessus, c’est la gauche qui l’a dynamisé. Cette peine apparaît à la fin du XIXe siècle [4], mais c’est surtout la loi du 31 décembre 1970, dite loi Chalandon, qui crée le premier essor de l’interdiction du territoire puis qu’elle peut être prononcée contre tout étranger condamné pour usage ou trafic de stupéfiants.[5] Ce sont ensuite les lois des 29 octobre 1981, 3 janvier 1985 et 9 septembre 1986 modifiant l’ordonnance du 2 novembre 1945, relatives à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire français, qui, non seu­lement créent les délits liés à l’entrée sur le territoi­re national et le séjour, mais qui en plus accroissent considérablement les possibilités de prononcer des ITF relativement à ces délits.

La loi du 31 décembre 1991, dite loi Sapin, cons­titue un coup d’arrêt à cette montée en puissance puisqu’elle instaure des catégories d’étrangers pro­tégés contre l’interdiction du territoire français. L’article 131-30 du nouveau Code pénal reprend en grande partie cette protection, mais ce nouveau code augmente démesurément le nombre d’infractions pour lesquelles un étranger peut voir prononcer contre lui une interdiction du territoire français, actuellement plus de deux cents crimes et délits peu­vent être sanctionnés par cette peine.[6]

Tandis que la loi du 24 août 1993, dite loi Pasqua (modifiant l’article 131-30 du nouveau Code pénal avant même qu’il n’entre en vigueur), supprime les catégories d’étrangers protégés contre l’interdiction du territoire français et édicte des normes draconiennes pour l’effacement de cette peine la loi du 24 avril 1997, dite loi Debré, renforce le régime d’exécution de l’ITF. La loi du 11 mai 1998 dite loi Chevènement (ou Réséda), non seulement ne revient pas sur les lois Pasqua mais ne modifie qu’à peine l’article 131-30 du Code pénal.[7] Ce rappel historique ne peut aller sans la connaissance du régime juri­dique de cette peine qui est particulièrement com­plexe et méconnue.[8]

Le Code pénal nous enseigne que l’ITF est une peine complémentaire. Cependant, cette étiquette juridique, collée par le législateur pour les besoins de la cause – en bref du discours « immigrés = délin­quants » -, entre en contradiction avec les principes fondateurs du droit et de la procédure pénale. À pro­pos de ce discours, remarquons que les crimes et délits sanctionnés à titre complémentaire de l’ITF ne touchent jamais la délinquance en col blanc. Ainsi, le plus gros escroc du monde ne pourra se voir judi­ciairement interdit du territoire français. Est-ce à dire qu’il y a de « mauvais » délinquants étrangers auxquels on réserve une peine supplémentaire et de « bons » délinquants étrangers qui en sont dispenses? Considère-t-on ainsi que ces derniers, compte tenu de leur délit, sont mieux intégrés et donc non éloignables du territoire français ou plutôt que les étrangers ne peuvent commettre que terrorisme ou atteintes aux personnes? La preuve est faite que cette peine est bien attachée à un discours fantas­magorique.

1/ Contradiction avec le principe de non-discrimination

Toute peine n’existe qu’à raison de l’infraction à sanctionner et de la personnalité du délinquant. À aucun moment ne doit être pris en considération, le sexe, la religion, l’appartenance politique ou syndi­cale, l’origine régionale, ethnique au risque de dis­crimination, de rupture d’égalité devant la loi. Or l’ITF, unique cas du Code pénal, écartant toute réfé­rence à l’acte répréhensible ou au principe de la per­sonnalisation des peines, n’a pour seul fondement que l’extranéité du délinquant. Il convient de s’arrê­ter quelques instants sur cette affirmation, car les tenants du maintien de cette peine la contredisent.

D’abord, ils soutiennent qu’il est inexact d’affir­mer qu’il y a égalité devant la loi pénale, puisque le mineur délinquant pourra voir sa peine divisée par deux en application de l’excuse de minorité ou le fou pourra être partiellement ou complètement considé­ré comme pénalement irresponsable. L’argument ne tient pas car, d’une part, dans ces exemples, la mino­ration de la peine ou de la responsabilité existe au regard d’un élément de la personnalité du délinquant – l’âge ou l’état psychiatrique – et, d’autre part, c’est dans le sens de l’atténuation de la peine et non dans celui de son aggravation que le législateur guide le juge.

Toujours dans la même veine, les partisans de la double peine affirment la normalité de la discrimina­tion au motif que les étrangers échappent à l’appli­cation de certaines peines, telles que l’interdiction de voter. Faux, hors les cas où l’application de l’ITF exclut le prononcé de certaines peines (voir infra), il n’existe aucune peine non applicable aux étrangers. Concernant le droit de vote, l’argument est falla­cieux puisque les étrangers n’ont pas le droit de vote, d’une part, et que, d’autre part, celui-ci n’est qu’une composante des droits civiques que les étran­gers peuvent se voir interdire.

Enfin, ces mêmes tenants du maintien de la dou­ble peine clament l’indispensable nécessité de faire application du principe de réalité, celui de la lutte contre la délinquance des étrangers. Là encore, l’argument ne tient pas car on ne peut :

  • ni ériger le principe de réalité en un principe de droit pénal. D’abord parce que cette réalité est tou­jours celle du discours politicien fluctuant au gré des élections ou des pressions. Ensuite, parce que cela se fait toujours au détriment de la sécurité juridique. Comme si aujourd’hui, sous prétexte d’évocation quotidienne de la mise à feu de voitures, il était créé un délit spécifique, alors que le délit de destruction de bien appartenant à autrui par substance incen­diaire remplit parfaitement sa fonction;
  • ni affirmer qu’il y a une réalité d’une délin­quance des étrangers, les chiffres prouvent le contraire, ou poser le principe selon lequel la délin­quance des Français serait différente de celle des étrangers. On pourrait alors poser, pour les besoins de la cause, qu’il y aimait une délinquance spécifique aux Bretons différente de celle des Alsaciens, ou que celle des Wallons différerait de celle des Flamands, à raison d’un lieu de naissance. On ne peut donc éri­ger en un type la délinquance des étrangers -alors qu’il existe bien un type de délinquance «routière» ou «économique»-, ni dire que l’extranéité fait par­tie intégrante de l’acte délinquant.

2/ Une peine qui rompt avec le principe de l’amendement

Un des principes fondamentaux de la peine d’em­prisonnement est l’amendement voire la réinsertion sociale du condamné. En clair, pendant que le condamné purge sa peine et donc paye sa dette à la société, il s’amende afin qu’à l’issue de celle-ci il regagne les rangs de la société. Or la peine d’ITF annule ce but puisque, au bout de l’exécution de la peine ferme, il y a une exclusion de la famille, du tra­vail, de la société, en bref de tout. L’étranger frappé d’une ITF est donc réputé ne pas être amendable. En outre, traditionnellement, les étrangers condamnés à une ITF ne voient jamais leur peine amnistiée [9] ce qui représente une rupture d’égalité quant au princi­pe du droit à l’oubli.

3/ Rupture d’égalité face à la décision du juge et au prononcé de la peine

Toujours parce que l’homme n’est pas, par essen­ce, récidivant, le législateur s’efforce d’inventer des peines qui, pour des faits mineurs, empêcheront le délinquant de se retrouver en prison afin d’éviter une désocialisation totale, par exemple le travail d’intérêt général (TIG), qui consiste à travailler pour la com­munauté, l’ajournement de peine, qui permet, notam­ment, au condamné d’indemniser une victime dans un délai maximal d’une année et d’obtenir une dispense de peine, le jour-amende, qui oblige le condamné à payer une amende et, à défaut de paiement, à exécu­ter une peine ferme. Ou pour les délits plus impor­tants le sursis mis à l’épreuve avec obligation de tra­vailler, de se soigner ou d’indemniser la victime, la semi-liberté qui permet au condamné de travailler ou de suivre une formation tout en exécutant sa peine d’emprisonnement en allant coucher le soir en pri­son, ou encore le fractionnement de la peine, qui per­met au condamné d’exécuter sa peine de prison aux périodes ne l’empêchant pas de travailler.

Pour l’étranger condamné à une ITF, ces peines dites « alternatives à l’emprisonnement » sont exclues. En effet, ces peines sont juridiquement et pratiquement incompatibles avec le principe même de. l’exclusion du territoire et, par voie de conséquence, le juge pénal, qui envisage de prononcer une ITF, s’empêche de prononcer une telle peine alternative. On arrive parfois à des aberrations. Par exemple, une victime n’aura aucune chance d’obtenir une indemni­sation de la part de son agresseur si celui-ci est condamné à une ITF. Ainsi, par effet pervers, le sys­tème se retourne contre lui-même puisque, d’une part, l’étranger échappera à l’obligation d’indemniser une victime mais que, d’autre part, celle-ci se trouve­ra face à une rupture d’égalité au regard de son droit à la réparation de son préjudice. Il s’agit là d’un dou­ble sacrifice fait sur l’autel du principe de réalité.

4/ Rupture de l’égalité quant à l’exécu­tion ou à l’application des peines

La peine d’ITF empêche tous les aménagements de l’exécution d’une peine de prison qui sont ouverts aux autres condamnés comme les permissions de sortie, qui permettent aux condamnés en fin de peine de préparer leurs retours à la vie sociale ou profes­sionnelle ; les semi-libertés (voir supra) et les libéra­tions conditionnelles  [10]. D’autres véritables outils de lutte contre la récidive et d’aide à la réinsertion sociale et professionnelle, les stages de formation et le travail carcéral ne peuvent être effectués par les « double peine » puisque réputés en situation irrégu­lière ils n’y ont pas accès.

5/ Rupture d’égalité face à l’individua­lisation des peines

L’ITF est une peine complémentaire, c’est-à-dire qu’elle peut être prononcée en complément d’une peine d’emprisonnement ou à titre de peine principa­le, ce qui signifie qu’elle peut être prononcée à la place d’une peine d’emprisonnement. [11] La philosophie des peines complémentaires, c’est l’affinement de la personnalisation des peines, ainsi, d’une part, elles sanctionnent le délinquant au regard de ce qui l’a amené à commettre l’infraction et, d’autre part, elles accompagnent le condamné au sortir du tribu­nal ou de la prison. Ainsi, un délinquant routier alcoolique pourra voir son permis de conduire suspendu, ou un acte d’incivilité réprimé par une interdiction des droits civiques, civils et de famille. Ces peines empêchent le délinquant, dans un domai­ne très précis, très ciblé, d’avoir une activité civile, civique, sociale ou familiale. Tel n’est pas le cas de l’ITF puisque celle-ci a un caractère de généralité et empêche toute activité privée, sociale et familiale. Cette généralité est encore aggravée par le fait que cette peine peut être prononcée à titre définitif.

Le droit pénal prévoit, toujours dans l’optique de cette philosophie, que l’aménagement ou le relève­ment des peines complémentaires peuvent être solli­cités auprès du juge ou du tribunal qui a prononcé ces peines. Toutefois, pour l’ITF, cela s’avère quasi­ment impossible par l’application combinée de plu­sieurs textes[12]. Ainsi, l’ITF devient la seule peine véritablement absolue et perpétuelle (dans les cas où elle est prononcée à titre définitif) dans l’arsenal pénal de notre droit. Elle entre intrinsèquement en conflit avec les fondements des peines complémen­taires dont elle n’a ni la philosophie ni le régime.

L’analyse du droit et de son application fait appa­raître que le législateur a créé un monstre juridique – une peine à vie à la fois discriminatoire, crimino­gène, inhumaine et archaïque [13] [14] – et permet de com­prendre, par un autre biais, l’horreur vécue par les«double peine», sortes de morts vivants civils. Cette analyse juridique permet aussi de se poser la question de savoir comment les proches, c’est-à-dire les amis de lycée, les copains du boulot, les voisins ou collègues du quartier, les parents ou collatéraux, les conjoints, les enfants ou petits-enfants, appréhen­dent la loi de leur pays, les décisions judiciaires ren­dues au nom du peuple français, les prisons de la République.

Un petit-fils de « double peine » peut-il se consi­dérer comme un citoyen d’un pays qui a fait exploser sa famille et expulser son grand-père? Derrière la question de la double peine, c’est donc la question de la citoyenneté qui se pose pour des centaines de milliers de personnes aujourd’hui mais aussi pour les générations futures.

* Stéphane Maugendre est avocat, il est vice-président du Gisti.

[2] .Double peine, les exclus de la loi, réalisé par Valérie Casalta, mai 2001 (durée : une heure) ; Histoires de vies brisées (les * double peine » de Lyon), réalisé par Bertrand Tavernier, novembre 2001 (durée : 1 h 50), Pierre Grise Distribution ; On n’est pas des marques de vélos (portrait d’un danseur de hip-hop, victime de la double peine), réalisé par Jean-Pierre Thorn, coproduction Arte-Mat Film.

[3]   Selon le rapport parlementaire Sauvaigo-Philibert du 9 avril 1996 sur l’immigration clandestine et le séjour irrégulier, 5500 ITF ont été prononcées en 1987, 6700 en 1988, 7200 en 1989, 8600 en 1990, 8700 en 1991,10800 en 1992,10200 en 1993, 10800 en 1994 et 7900 en 1995. Selon le rapport de la commis­sion dite Chanet (Commission de réflexion sur les peines d’inter­diction du territoire, mise en place par madame Guigou, ministre de la Justice, le 8 juillet 1998, à la suite de la grève de la faim des « double peine » de Lyon), 14290 peines d’ITF ont été prononcées en 1996 et 11997 en 1997.

[4]  Elle apparaît pour la première fois dans la loi du 8 août 1893, relative au séjour des étrangers en France, et ensuite dans les lois du 12 février 1924 et du 18 août 1936, relatives à l’atteinte au crédit de l’État ou de la nation, celle du 10 janvier 1936, relative au maintien ou la reconstitution de groupe de combat ou de milice privée et au port d’arme prohibé lors de manifestation.

[5]  Loi relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxico­manie et à la répression du trafic et de l’usage illicite des substances vénéneuses.

[6]  Loi du 22 juillet 1992 portant refonte des dispositions du Code pénal.

[7]  L’interdiction du territoire français (ITF) dans le Code pénal

Loi renforçant la lutte contre le travail clandes­tin et la lutte contre l’organisation de l’entrée et du séjour irrégulier d’étrangers en France. L’article 131-30 du Code pénal est aujourd’hui rédi­gé de la façon suivante : « Lorsqu’elle est prévue par la loi, la peine d’interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étran­ger coupable d’un crime ou d’un délit.

L’interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprison­nement ou de réclusion.

Lorsque l’interdiction du territoire accompagne une peine privative de liberté sans sursis, son appli­cation est suspendue pendant le délai d’exécution de la peine. Elle reprend, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin.

Le tribunal ne peut prononcer que par une déci­sion spécialement motivée au regard de la gravité de l’infraction et de la situation personnelle et fami­liale de l’étranger condamné l’interdiction du terri­toire français, lorsque est en cause:

  1. Un condamné étranger père ou mère d’un enfant français résidant en France, à condition qu’il exerce, même partiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfant ou qu’il subvienne effective­ment à ses besoins;
  2. Un condamné étranger marié depuis au moins un an avec un conjoint de nationalité française, à condition que ce mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné sa condamnation, que la communauté de vie n’ait pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;
  3. Un condamné étranger qui justifie qu’il réside habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de dix ans;
  4. Un condamné étranger qui justifie qu’il réside habituellement en France depuis plus de quinze ans ;
  5. Un condamné étranger titulaire d’une rente d’accident de travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’in­capacité permanente est égal ou supérieur à 20 %;
  6. Un condamné étranger résidant habituelle­ment en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une excep­tionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse bénéfi­cier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. »

Il convient de relever qu’il existe des infractions pour lesquelles l’obligation de motivation de l’arti­cle 131-30 n’est pas applicable et que les seuls béné­ficiaires d’une protection absolue contre l’ITF sont les mineurs, article 20-4 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

[8] Il existe très peu d’articles de doctrine juridique sur cette peine.Le premier a paru dans le dictionnaire permanent du droit des étrangers. Depuis cette publication, il convient de relever la contribution de Didier Liger, avocat au barreau de Versailles et membre du Syndicat des Avocats de France, au colloque de Lille du 17 mars 2001, et le numéro spécial de la revue Plein Droit du Gisti sur la double peine.

[9] Alors que l’article 133-9 du Code pénal dispose : « L’amnistie efface les condamnations prononcées. Elle entraîne, sans qu’elle puisse donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines. Elle rétablit l’auteur ou le complice de l’infraction dans le bénéfice du sursis qui avait pu lui être accordé lors d’une condamna­tion antérieure », l’interdiction du territoire français a été exclue de toutes les lois d’amnistie.

10 L’article 729-2 du Code de procédure pénale subordonne la libération conditionnelle de l’étranger objet d’une mesure d’éloi­gnement à la condition que celle-ci soit exécutée. De plus, la libération conditionnelle peut être décidée sans le consentement de l’étranger.

11. Art.131-10 du Code pénal: « Lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs peines complémentaires qui, frappant les personnes physiques, empor­tent interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit, injonction de soins ou obligation de faire, immobilisation ou confis­cation d’un objet, fermeture d’un établissement ou affichage de la décision prononcée ou diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication audiovisuelle. » Art.131-11 du Code Pénal « Lorsqu’un délit est puni d’une ou de plusieurs des peines complémentaires mentionnées à l’article 131-10, la juridiction peut ne prononcer que la peine complémentaire ou l’une ou plusieurs des peines complémen­taires encourues à titre de peine principale. »

Ainsi existent par exemple : l’interdiction d’émettre des chèques, l’interdiction d’utiliser des cartes de paiement, la confiscation, le travail d’intérêt général, les jours-amende, l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, l’interdiction d’exercer une fonction publique ou d’exercer une activité professionnelle ou sociale, l’interdiction de séjour, la fermeture d’un établissement, l’exclu­sion des marchés publics, l’affichage ou la diffusion de la condam­nation prononcée, la suspension ou l’annulation du permis de conduire ou de chasse…

‘ 12. Articles 132-21 du Code pénal, 702-1 et 703 du Code de procé­dure pénale et surtout 28 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 (qui interdit de faire droit à une requête en relèvement d’ITF si le condamné étranger ne réside pas hors de France, sauf s’il est détenu ou assigné à résidence).

[13] Peine archaïque car elle réunit les effets de la mort civile (peine abolie en 1954 qui consistait à réputer les condamnés morts au regard du droit, bien qu’ils fussent physiquement en vie. Il en résultait pour eux la perte de la personnalité juridique et une incapacité générale de jouissance) et de celle du bannis­sement (peine criminelle, infamante, politique, consistant dans la simple expulsion du condamné, quelle que soit sa nationa­lité – française ou étrangère – du territoire de la République, peine ayant disparu depuis des lustres de notre droit positif).

Un mariage qui tourne au pugilat

logo_jdd_fr1 Alexandre Duyck, 22/09/2002

R.Quadrini/KR Images
R.Quadrini/KR Images

A VALENCE, le maire dicte sa loi. Il y a une semaine, Patrick Labaune a refusé d’unir deux citoyens maro­cains, Hamid Bennaghmouch et Malika El Al ami. La rai­son ? Lui ne dispose pas d’un titre de séjour en bonne et due forme. « Dois-je marier quel­qu’un qui est un hors-la-loi ? Ma réponse est non », expli­quait hier au JDD le maire (UMP) de Valence. « Cette position constitue une voie de fait répréhensible civilement et pénalement ! » rétorquait Me Maugendre (avocat), vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). «Selon la loi, toute personne vivant en France a le droit de se marier, qu’elle soit en situation régulière ou non.»

Samedi dernier, pourtant, les deux fiancés se sont pré­sentés comme convenu en mairie. Prétextant un malaise (« j’ai des certificats médicaux »), le maire quitte alors précipitamment l’hôtel de ville. La cérémonie est annu­lée. Soutenus par la préfecture de la Drôme, qui s’oppose au maire de Valence, Hamid et Malika se réinscrivent pour le samedi suivant. Hier donc, la jeune femme, accompagnée de 300 personnes venues la défendre, se présente à nou­veau devant la mairie.

Il y a là de très nombreux policiers. Présent, le premier adjoint s’est résigné à unir le couple. Il porte autour du cou une pancarte « 1er adjoint démissionnaire ». Jeudi soir, en signe de protestation, Patrick Labaune et toute son équipe ont en effet affirmé qu’ils allaient abandonner leurs fonctions. La mariée est là aussi, mais pas son fiancé. Vêtue de noir et portant un petit bouquet de fleurs à la main, elle lit un petit texte, puis lance : « Maintenant, allons chercher mon mari ! »

Les choses s’enveniment dans un restaurant situé dans une petite rue proche. Persua­dés d’y trouver le mari, sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière, poli­ciers en civil et CRS bous­culent violemment les pro­ches du couple, mais aussi les journalistes présents : blessé aux côtes par des coups de matraque, un reporter de France-Bleue Drôme finira aux urgences. Un autre du Dauphiné libéré reçoit un violent coup au thorax, tandis que deux photographes eux aussi molestés, voient leur matériel détérioré par les CRS.

un homme au visage masqué  s’avance. Le fiancé ? Non. Mais une curieuse mise en scène, montée par une association de soutien qui s’affronte au maire de longue date… Persuadé d’être arrêté s’il, s’était rendu à son mariage, Hamid Bennaghmouch est en fait resté caché.

« Je me sens humilié. Je ne comprends pas, confiait-il hier après-midi au JDD. Ni le substitut du procureur ni la préfecture ne se sont opposés  au mariage. Le maire est-il raciste ? »

Poursuivi en 1995 pour avoir rédigé un tract ano­nyme où il laissait entendre que son adversaire d’alors aux législatives soutenait le FIS algérien, Patrick Labaune, qui risque de nouvelles poursuites pour s’être opposé au mariage, se défend de l’accusation de racisme.

L’avocat d’Hamid est persuadé que « le maire a voulu faire un, coup politique » et tient à ajouter : « Malika n’étant pas française, mon client n’a aucun intérêt légal à l’épouser. Ce mariage ne lui aurait pas donné de droits supplémentaires »

Jugement des sans-papiers de l’université en novembre

 logoParisien-292x75 Julien Constant, 02/07/2002

C’EST LA MONTAGNE qui accouche d’une souris. Le procès de quatre des étudiants sans papiers qui avaient occupé avec une centaine de leurs camarades un amphithéâtre de l’université Paris-VIII pendant deux mois l’hiver 2000 a été renvoyé hier au 15 novembre par le tribunal correctionnel de Bobigny. Ces quatre jeunes Tunisiens ont également été libérés du contrôle judiciaire auquel ils étaient astreints depuis près de deux ans. Sur les marches du palais de justice, Soutien, 21 ans, Wadji, 24 ans, Mabrouk, 24 ans, et Abdelmedjid, 24 ans, entourés d’un comité de soutien fort de quinze étudiants de l’université, écoutent avec intérêt les explications de leur défenseur, Stéphane Maugendre. « Ceux qui le souhaitent peuvent partir en vacances », explique-t-il à ses clients, encore tout émus par la solennité du tribunal. Cet épisode judiciaire n’est qu’une péripétie de plus dans une affaire qui s’est peu à peu dégonflée. Ce 24 février 2000, les étudiants sans papiers s’insurgent contre l’université et occupent l’amphithéâtre 10. Plaintes retirées « L’administration était en train de lister les étudiants sans papiers pour les signaler comme des clandestins à la préfecture », raconte l’un d’eux. Au cours de ces semaines d’occupation, une bagarre éclate entre partisans des sans papiers et un autre groupe favorable à la direction de la fac. Un étudiant « pro-présidence », seule partie civile dans cette affaire, reçoit des coups de poing. Il reconnaîtra ses agresseurs sur une photo publiée dans « le Parisien », ce qui vaudra à trois de ces garçons d’être renvoyés devant le tribunal correctionnel. Mais, à l’origine, les quatre étudiants étaient mis en examen pour avoir séquestré le président de l’université. Il a retiré sa plainte. Également pour avoir volé des tableaux accrochés aux murs qui en fait avaient été mis à l’abri par l’université. Ils étaient enfin soupçonnés d’avoir frappé un agent administratif qui a, lui aussi, interrompu ses poursuites au cours de l’instruction. Comble de l’absurdité, les quatre étudiants en troisième cycle sont tous quatre accusés de vivre sans papiers en France. « Or, l’un d’entre eux est déjà régularisé ; deux autres vont bientôt l’être et pour le dernier, toujours étudiant, nous avons bon espoir », souligne Me Maugendre. Lors de la prochaine audience, le tribunal prévoit trois heures de débats et la projection d’un film de la bagarre où, selon l’avocat, ses clients apparaissent comme étrangers aux affrontements.

Les associations en attendent davantage sur la double peine

index Sylvia Zappi

UN PAS EN AVANT, mais trop timide encore. Ainsi les associations ont-elles jugé les déclarations de Lionel Jospin sur la « double peine ». Le candidat socialiste avait déclaré, mardi 9 avril, dans le mensuel Pote à Pote, qu’il était favorable à la suppression, dans « certaines situations », de la double peine qui ajoute l’expulsion du territoire à la condamnation pénale frappant un étranger (Le Monde du 10 avril). Après des mois de blocage, l’avancée paraît pourtant réelle dans l’esprit du candidat.

Lionel Jospin a toujours été extrêmement réticent sur la réforme de la double peine, déjà promise par François Mitterrand en 1981. En avril 1998, lors d’une longue grève de la faim de dix étrangers frappés de double peine, le premier ministre avait longtemps refusé tout réexamen de leur situation, malgré les exhortations de Jean-Pierre Chevènement. En novembre 1998, le rapport Chanet avait préconisé l’« interdiction absolue » des interdictions du territoire français (ITF), mais le gouvernement avait refusé de réformer la loi.

Depuis, la suppression de la double peine est devenue une revendication emblématique dans les banlieues. A chaque rencontre avec des associations de quartier, le sujet revient Ce sont en effet des dizai­nes de milliers de familles qui sont touchées par cette mesure de ban­nissement visant l’un des leurs, On estime que, chaque année, plus de 17 000 peines complémentaires d’ITF sont prononcées. Plusieurs centaines de décisions d’expulsion par ait sont par ailleurs prises par le ministère de l’Intérieur.

Le 21 novembre 2001, une quin­zaine d’associations avaient lancé une « campagne nationale contre la double peine», réclamant son abrogation pure et simple. Au même moment sortait le film de Bertrand Tavernier, « Histoires de vies brisées », qui relate la grève de la faim de dix étrangers victimes de la double peine. Les soirées de projection font salle comble depuis des mois. Le cas de Bouda, jeune danseur de hip-hop tuni­sien, sous la menace d’une expul­sion, mobilisait plusieurs artistes, dont les cinéastes Jean-Jacques Beineix et Jean-Pierre Thorn, la chorégraphe Maguy Marin et le « hip-hopeur » Sidney.

Quelques voix se sont aussi éle­vées au sein du PS, puis dans l’équi­pe de campagne de M. Jospin, pour faire valoir que le candidat ris­quait de se couper de la « gauche morale », sensible aux sujets liés à l’immigration. Le PS avait compris l’urgence d’évoquer ce thème en inscrivant la suppression de la dou­ble peine dans son programme pour 2002. Après avoir refusé de l’intégrer dans son propre projet, M. Jospin vient de la reprendre « mot pour mot », comme le souli­gne l’un des responsables de la campagne. « C’est la première fois qu’il le dit expressément et s’engage sur la question », s’est félicitée Ade­line Hazan, secrétaire nationale du PS pour les questions de société.

Après la promesse d’instaurer le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections municipales, c’est le deuxième engagement de M. Jospin qui rejoint les revendications des asso­ciations. Celles-ci le jugent pour­tant trop timide. « C’est un tout petit pas. Pourquoi limiter la protec­tion contre la double peine à certains ? Il faut supprimer cette peine discriminatoire : c’est la seule qui soit prononcée au regard de l’extranéité du délinquant », estime l’avo­cat Stéphane Maugendre, du Grou­pe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Plus critique, Abdelaziz Gharbi, du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), affiche son scepticisme : «Il la rejoue un peu facile. Ça sonne faux. Il est prêt à tout pour être élu ! »«On ne peut que se réjouir que Lionel Jospin découvre au bout de cinq ans que c’est une entra­ve aux droits de l’homme,tempère le pasteur Jean Costil, de la Cimade. Mais il faut qu’il s’engage plus en décrétant, en tant que premier ministre, un moratoire sur toutes les expul­sions déjà prononcées. »

⇒ Voir l’article

La future mariée avait été violée lors de son voyage

logoParisien-292x75 Julien Constant, 06/04/2002

C’EST UNE HISTOIRE horrible. Jacek Obreski, 26 ans, et Sylwester Zborowski, 28 ans, ont comparu lors du premier jour de leur procès, hier, devant la cour d’assises de Bobigny. Ils sont soupçonnés, avec trois autres hommes d’origine polonaise qui ont pris la fuite, d’avoir violé Katarzyna, 22 ans, en juin 1999, dans le huis clos d’un appartement de Vitry-sur-Seine (Val de Marne).

Katarzyna est venue spécialement de pologne, où elle vit avec son mari , et sa petite fille, pour livrer aux jurés un émouvant témoignage. Cette grande femme, les mains crispées sur la barre des témoins, raconte en pleurs la nuit de son calvaire. A l’époque, la jeune fille est encore vierge et elle doit se marier au mois de septembre. Elle est en voyage en France pour enterrer sa vie de jeune fille. A Aulnay-sous-Bois, elle est invitée dans une soirée polonaise donnée par une voisine de l’immeuble où elle est accueillie. Embarquée par Jacek et un complice pour voir la tour Eiffel et acheter des cigarettes, elle est promenée une partie de la nuit dans toute la région parisienne avant d’être contrainte de monter chez Sylwester à Vitry-sur-Seine.

« Ils n’ont pas eu pitié de moi »

« Dans cet appartement, nous avons bu et mangé durant près d’une heure. Jacek et Sylwester devaient me reconduire, mais avant de partir, je suis allée dans la salle de bain. Jacek a tapé à la porte. Il est entré et m’a embrassée et m’a dit qu’il voulait avoir une relation sexuelle avec moi. Et si je n’étais pas d’accord ce serait avec tout le monde. », raconte-t-elle assistée d’un interprète. Devant le refus de la jeune fille, Jacek entraîne sa victime dans le salon et aidé de Sylwester, il déchire ses vêtements. Les deux hommes la forcent à retourner dans la salle de bain et la violent tour à tour. Son calvaire dure plusieurs heures et entre chaque agression, les hommes forcent la jeune fille à prendre une douche. «Je les suppliais, je criais, je pleurais. Je leur ai dit que j’étais vierge et que j’allais me marier, mais ils n’ont pas eu pitié de moi », soupire-t-elle.

Les deux accusés, carrures athlétiques et cheveux courts, ne reconnaissent pas les viols. Jacek Obreski a déclaré que Kataizyna lui avait fait une fellation, mais qu’elle était consentante. «Je n’ai été témoin d’aucun viol car j’étais parti acheter de l’alcool durant une partie de la nuit », précise de son côté Sylwester Zborowski, propriétaire du studio. Le verdict sera rendu mardi soir.

Lionel Jospin a déçu la gauche associative.

index Sylvia Zappi,  02/04/2002

LE MOMENT serait venu. Après des mois de refus d’endosser une vieille revendication de la gauche, le droit de vote des étrangers aux élections locales, Lionel Jospin s’est laissé convaincre par le PS qu’il y avait urgence à inscrire cette proposition dans son programme présidentiel. A entendre les hiérarques socialistes quelques minutes avant le discours de Lionel Jospin présentant son programme, lundi 18 mars à l’Atelier, son QG de campagne, le candidat socialiste aurait opéré une mini-révolution « après une âpre bataille ».

« Je proposerai le droit de vote des étrangers, régu­lièrement installés sur notre sol depuis cinq ans aux élections locales », expliquait M. Jospin.

L’effort risque de ne pas suffire à amener ceux qu’on a appelés la « gauche morale » à soutenir le candidat socialiste. Cette gauche morale, essen­tiellement constituée de responsables associatifs, d’artistes, de jeunes cinéastes de la nouvelle vague, s’était mobilisée en 1996 contre la loi Debré, en signant massivement l’ « Appel à la désobéissance civile », se retrouvant aux côtés des sans-papiers occupant l’église Saint- Bernard. Les mêmes avaient interpellé les partis de la gauche plurielle dans un appel « Nous sommes la gauche » avant de contribuer largement à sa victoire lors des législatives de juin 1997. Cinq ans plus tard, la plupart des personnalités qui avaient soutenu les sans-papiers boudent le comité de soutien de Lionel Jospin. Les cinéastes de la nou­velle vague en sont même remarquablement absents.

LES SANS-PAPIERS

« Déception » et « désillusion ». Les deux mots  résument l’état d’esprit de cette gauche associa­tive investie sur les questions d’immigration. Les uns assument ouvertement un vote radical au premier tour ou une abstention. Les autres disent ne pas savoir et franchement hésiter. « Je me sens tout à fait volé », dit l’anthropologue Emmanuel Terray. « Ça ne passe plus », confirme Stéphane Maugendre, vice-président du Groupe d’informa­tion et de soutien aux immigrés (Gisti). « Ce gou­vernement n’a pas fait pire que les autres mais n’a pas changé de cap dans le traitement policier de l’immigration. Au fond, les socialistes sont passés à côté du débat politique permettant d’insuffler une autre logique», résume Michel Tubiana, prési­dent de la Ligue des droits de l’homme. Pour ces militants, les renoncements et les silences du gou­vernement comme du PS – ou ce qu’ils perçoi­vent comme tels ont creusé le fossé qui sépare désormais la gauche morale de la gauche au pouvoir

Deux grandes questions ont marqué à leurs yeux les reculs de la gauche. La première fut les sans-papiers. Si le candidat Jospin ne s’était jamais engagé a régulariser tous les sans-papiers comme le réclamaient les associations, il s’était prononcé trop rapidement ? pour I’abroga­tion des lois Pasqua Debré » lors d’un meeting des Jeunes socialistes au Zénith le 15 mai 1997. Plus tard, il parlera d’ « une solution juste et humaine » pour ces clandestins. « On s est dit que peut être on allait arriver a quelque chose. Même si le gouvernement n’allait pas régulariser tous les sans papiers, il allait faire un gros effort en reprenant les critères mis en avant par tous les collectifs », se souvient Stéphane Maugendre. Puis vint le temps de la régularisation et du vote de la loi Chevène­ment, en mai 1998, qui marqua le début de la cas­sure avec les associations. La loi Chevènement a assoupli certains critères mais a maintenu le cadre général de la loi Pasqua.

L’incompréhension est alors totale. Pour le gouvernement et le PS, pas de doute.: la régulari­sation de près de 85 000 étrangers en situation irrégulière et l’application de la loi Chevènement ont apaisé les polémiques. Les associations par­lent, elles, d’une « usine à gaz ingérable » et d’une « nouvelle fabrique de sans-papiers ». Des chiffres sont brandis  près de 70 000 sans-papiers vivent dans la clandestinité. Pire, en rechignant à appli­quer les textes, les préfectures en créeraient  chaque jour de nouveaux,  » Il n’y a pas eu de volonté politique de faire appliquer la loi « . constate Gérard Tcholakian du Syndicat des avocats de France (SAF). Les fonctionnaires des préfectures, pour la plupart en poste depuis des années, ont été formés dans une logique de suspicion et de fermeture: les quelques ouvertures contenues dans la loi, comme la disposition qui reconnaît un droit au séjour après dix ans de présence  ne sont que très peu appliquée», selon les pointages des associations le stock des sans papiers est donc reconstitué. Pour Lionel Jospin, comme il l’avait vertement rappelé à Dommique Voynet en 1998; le dossier est classé.

LA DOUBLE PEINE

C’est ensuite la double peine qui prend le relais des déceptions. Histoires de vies brisées, le film de Bertrand Tavemier, ancien signataire contre la loi Debré, est venu remobiliser les soutiens de la gauche associative. Un peu partout en France, les soirées de projection font salle comble depuis des mois. Avec ces simples témoignage d’étrangers durablement installés et menacés d’une expulsion à la suite d’une condamnation pénale le réa­lisateur montre comment des dizaines de milliers de familles sont percutées par ce bannissement. Quelque dix-sept mille peines complémentaires d’interdiction du territoire français (ITF) sont pro­noncées chaque année par les tribunaux.

Pourtant, en 1998, le cabinet d’Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, avait réuni les asso­ciations et les syndicats pour tenter de trouver une solution au dossier. La magistrate Christine Chanet, mandatée par la ministre, avait préconiser « l’interdiction absolue » des interdictions du territoire à rencontre des étrangers ayant vécu et ayant été scolarisés en France depuis au moins l’âge de six ans. Un an plus tard, c’est dans le même esprit que la ministre envoyait une circulaire aux parquets. Le texte est resté lettre morte : selon le SAF les parquets continuent à requérir autant d’ITF contre les étrangers qu’auparavant. Quant à la réforme législative, pour supprimer ta double peine, le Parti Socialiste l’a bien inscrite dans son programme, mais le candidat Jospin ne l’a pas reprise dans ses proposi­tions.  « Il suffirait d’un peu de courage politique », admet Malek Boutih de SOS Racisme. « Les uns après les autres les responsables du PS m’appellent pour me dire qu’ils sont contre la double peine et qu’ils vont en parler à Lionel » remarque Bertrand Tavernier.

Reste la revendication du droit de vote. Paradoxalement, sa reprise aujourd’hui par le candidat socialiste inspire plus de méfiance que d’espoir. Voila vingt ans que la gauche le promet, rappellent en choeur les associations. A leurs yeux le gouvernement a eu tout le loisir  de faire voter Ia proposition de loi des Verts : mais en refusant de l’inscrire à l’ordre du jour du Sénat, Lionel Jospin n’a pas voulu endosser une telle réforme. « Pour les socialistes, ce n’est jamais le moment. Et ses avancées sont toujours timides et très calculées » remarque Nabil Azouz du collectif Un(e) résident(e), une voix. Adeline Azan, Secrétaire nationale aux questions de société, reconnait que sur cette question, « ça achoppe ». Du coup. Jean-Christophe Cambadélis a fixé, pour le PS, rendez-vous avec la gauche associative. Comme il l’avait fait en 1997. Mais avec des partenaires qui, cette fois, ne veulent plus s’en laisser conter.

⇒ Voir l’article