Bouda, c’est ce danseur hip-hop, né en Tunisie, grandi à Dugny en Seine-Saint-Denis. L’une des victimes de la double peine qui a donné un visage à ce phénomène (condamnation pénale plus expulsion du territoire). Il a été l’un de ceux que Nicolas Sarkozy a choisi d’assigner à résidence, suspendant ainsi la menace d’éloignement. Bouda dont le père, aujourd’hui français, est arrivé de Tunisie en 1958 et dont toute la famille, excepté une grand-mère, est en France a maintenant un enfant. Un an après la loi Sarkozy sur l’immigration, malgré l’espoir que la réforme de la double peine votée à l’unanimité avait soulevé, Bouda se trouve dans la même situation. Il n’est hélas pas le seul.
L’adoucissement de la double peine est censé protéger de l’expulsion les étrangers qui ont des attaches en France : soit familiales, soit dues à l’ancienneté de leur présence (lire ci-contre). Ceux que Nicolas Sarkozy appellent les Français de facto. Mercredi, à l’Assemblée nationale, avocats et associations réunis pour la projection d’un documentaire (1) à l’initiative du député UMP Etienne Pinte ont dressé le premier bilan de cette réforme. Faible. Son application, lente et stricte, demeure décevante. Un comité de suivi devrait être mis en place.
Lenteur. Dans les couloirs, les avocats échangent les dernières nouvelles. «Tu sais ce que j’ai eu comme cas ? Un type à qui la préfecture reproche d’être revenu en France irrégulièrement…» «Et alors ?», demande l’autre. «Ben oui, et alors ?» Ou : «Dès qu’il s’agit d’une affaire de stup’, on sent que ça va être non.» «Je n’en suis pas sûr», conteste l’autre, mais le ministère joue la montre.» Flottements, incertitudes. Pourtant, la loi ne demande pas aux étrangers qui ont des attaches en France de faire la preuve de leur bonne conduite pour bénéficier de la protection imaginée par Sarkozy (2). Et contrairement à ce que croient certains juges et préfets, une condamnation dans une affaire de stupéfiants ne retire pas ce droit. Le député-maire de Versailles, Etienne Pinte a dû le rappeler lors d’une récente entrevue avec le directeur de cabinet de Dominique de Villepin. Chantre du combat contre la double peine au sein de la majorité, ce député admet des difficultés: lenteur, traitement trop tatillon, interprétation trop stricte de la loi. Sans parler des cas limites: «Que faire quand un étranger est arrivé à 13 ans et demi (et non avant 13 ans, comme l’exige la loi) ? Il faut alors trouver une solution (…), l’administration doit faire preuve de discernement.»
Et que dire des étrangers entrant dans les catégories protégées mais qui se trouvent hors de France ? Ils devraient bénéficier d’un visa pour retrouver leur famille ici. «J’ai réussi à obtenir un visa de retour, poursuit le député UMP, mais j’ai dû interpeller Villepin à l’Assemblée, pour lui dire qu’il ne respectait pas la loi. Si à chaque litige il faut monter à la tribune et fustiger le ministre…»
Etienne Pinte a dressé des statistiques : sur 125 dossiers qu’il parraine, 11 sont résolus. Sur 70 arrêtés d’expulsion, 21 ont été abrogés, 3 refusés, les cas restant sont en cours de traitement ou sans information. Sur 61 demandes de relèvement d’interdiction du territoire, 10 seulement ont été acceptées.
Minceur. A Lyon, la Cimade compte une moitié de réponses positives sur 50 demandes d’abrogation. En région parisienne, l’association a recensé 5 réponses favorables sur 39. Un «bilan plus que mitigé» selon Luis Rétamal, de la Cimade. Pris de découragement, des militants venus de Moselle demandent de l’aide : «Qu’est-ce qu’on fait avec les dossiers qu’on a ?» «Vous me les envoyez», répond Etienne Pinte, inquiet, car les recours ne pourront se faire au-delà du 31 décembre.
Pourquoi les demandes sont-elles peu nombreuses ? Selon Stéphane Maugendre, vice-président du Gisti, «la minceur des chiffres est à la hauteur de ce qu’est le texte : peu de gens sont concernés». Pas assez. «On en sauve quelques-uns, dit-il, mais la majorité ne rentre pas dans les catégories protégées.» Bernard Bolze, animateur de la campagne contre la double peine, nuance : «Je connais plein de gens à Lyon dont les situations sont réglées, mais ils ne sont pas passés par nous.» Autrement dit : les heureux, on n’en entend pas parler. Selon le ministère de l’Intérieur, au moins 204 d’entre eux ont obtenu l’abrogation de leur mesure d’expulsion.
(1) Des exceptions à l’absolu, de Florence Miettaux, JFR Productions.
⇒ Lire l’article