Abu Kurke, un Erythréen de 25 ans, a fui la Libye à bord d’un zodiac au début de l’intervention militaire française en 2011. Il témoigne ce mardi et raconte que les armées françaises et espagnoles avaient repéré leur bateau mais ne lui sont pas venus en aide. 63 personnes sont mortes.
Le rescapé du naufrage d’un boat people porte plainte contre l’armée française et l’armée espagnole pour « non assistance à personne en danger ». La traversée de la Méditerranée depuis la Libye devait durer deux jours. Le bateau a dérivé deux semaines, alors que les deux armées savaient qu’il était au milieu de la mer.
Le 25 mars 2011, la France intervient militairement en Libye. Abu Kurke, un jeune immigré de 25 ans, originaire d’Erythrée décide de fuir à bord d’un zodiac. Il embarque aux côtés de 71 autres migrants africains.
« Le premier jour, ça allait. Mais le temps a changé et on était trop nombreux sur le bateau », se rappelle Abu Kurke. « Dès le deuxième jour, on a appelé (par téléphone satellitaire NDLR) le père Mussie Zerai », un prêtre érythréen qui transmet leur localisation à des gardes-côtes italiens.
63 morts
« Rapidement, les gens sont morts de faim ou de soif, d’autres ont été emportés par des vagues », raconte Abu Kurke. « Au début, on a essayé de garder les corps, mais à cause des odeurs, nous avons dû les jeter à la mer ». Pour survivre, il mange du dentifrice et boit son urine.
Abu Kurke a passé plusieurs jours allongé dans le bateau, sans pouvoir bouger. Il affirme avoir vu à plusieurs reprises des « hélicoptères, des navires militaires et des bateaux de pêche ». Mais personne ne les aide. Sauf le 27 mars, où le jeune homme raconte qu’un hélicoptère militaire leur a « donné de l’eau et des biscuits. On a montré qu’il y avait des bébés à bord. Ils ont fait le signe qu’ils allaient revenir mais ils ne l’ont pas fait ».
« Selon nos calculs, en une heure, une heure et demie, le Charles De Gaulle pouvait venir secourir les migrants » (association de migrants)
Selon Stéphane Maugendre, président du groupe d’information et de soutien des immigrés, l’armée française nie toute responsabilité dans ce drame. Il a déjà tenté de lancer une procédure l’année dernière, mais s’est vu recevoir cette réponse : « Nous n’étions pas sur place et si nous étions sur place, nous étions sous le commandement de l’Otan donc nous rendons l’avis qu’il n’y a pas lieu à poursuite ».
Pourtant, affirme Stéphane Maugendre, le porte-avion Charles De Gaulle naviguait bien au large de la Libye à ce moment là. « C’est un bateau extrêmement puissant, qui va très vite et selon nos calculs, en une heure, une heure et demie, le Charles De Gaulle pouvait venir secourir les migrants ».
Après 10 jours de dérive, le zodiac échoue sur les côtes libyennes, « à bord, en plus de moi, il restait dix personnes vivantes,mais une est morte une heure plus tard et une autre en détention ». Car le groupe est en effet placé en détention. C’est l’Eglise catholique qui les fait libérer. Les autorités libyennes les contraignent ensuite à prendre un bateau pour l’Italie. Arrivé en Europe, Abu Kurke réussit à obtenir des papiers et vit désormais aux Pays-Bas.
Rescapé du naufrage d’un bateau de migrants qui a fait 63 morts en avril 2011, Abu Kurke vient de déposer plainte. Avec plusieurs ONG, il pointe l’inaction des navires militaires de l’Otan présents en pleine guerre de Libye.
Abu Kurke est un survivant. Il y a deux ans, ce jeune Ethiopien a failli laisser la vie sur un zodiac d’une dizaine de mètres, censé lui faire gagner l’Italie en moins de 48 heures. L’esquif, parti de Libye avec 72 personnes à son bord, dans la nuit du 26 au 27 mars 2011, n’atteindra jamais les côtes européennes. Après quinze jours de dérive, il est rejeté à Zliten, localité libyenne. Seuls 11 passagers sont encore vivants. Deux d’entre eux mourront après le débarquement. Abu Kurke fait partie des neufs migrants rescapés.
«Si je suis en vie aujourd’hui, c’est grâce à Dieu», confie-t-il. Le jeune homme de 26 ans vit aujourd’hui aux Pays-Bas. Il a fondé une famille, élève un petit garçon. Mais il n’a pas oublié : «Je fais souvent des cauchemars la nuit, je revis cette tragédie. On n’oublie pas facilement la mort de 63 personnes.» Aujourd’hui, Abu Kurke veut «témoigner». Le voilà à Paris pour raconter son périple et cette «aide qui n’est jamais venue».
Cette traversée funeste, en effet, s’est déroulée peu après le début de la guerre en Libye. A l’époque, la Méditerranée est quadrillée par les forces de l’Otan. Les avions français, américains et britanniques multiplient les raids pour stopper l’avancée des forces de Mouammar Kadhafi. Le canot pneumatique, durant ses quinze jours en mer, croise à plusieurs reprises la route d’avions, d’hélicoptères et de navires militaires. Dont l’aide ne viendra pourtant jamais.
«Un crime de guerre a été commis»
Pour Abu Kurke, comme pour les ONG qui le soutiennent, il s’agit de «non-assistance à personne en danger». Deux plaintes contre X, avec constitution de parties civiles, ont été déposées ce mardi, à Paris et Madrid. Une première plainte, déposée en avril 2012, avait été classée sans suite par le parquet de Paris. Stéphane Maugendre, du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), espère que la nouvelle procédure pourra aboutir et déterminera des responsabilités. «Les autorités des différents pays ne peuvent pas se contenter de dire « On n’était pas là » ou « C’est la responsabilité de l’Otan »», explique-t-il.
«Nous pensons, sans l’ombre d’un doute, qu’un crime de guerre a été commis, abonde Gonzalo Boye, l’avocat chargé des démarches auprès de la justice espagnole. Des gens sont morts en raison du manque de réactivité des autorités.» Dans son viseur : les armées française et espagnole, qui auraient ignoré les appels de détresse de l’embarcation, et pourraient être tenues pénalement responsables de la mort des 63 migrants. Depuis de longs mois, un important travail de documentation a été réalisé par les ONG. Lorenzo Pezzani, de l’université Goldsmiths, à Londres, y a participé. «La cartographie, la géolocalisation et les témoignages ont permis d’aboutir à une image précise de ce qui s’est passé. Les réponses apportées par les gouvernements sont lacunaires, au mieux, ou trompeuses, au pire.»
«Le bateau était surchargé, absolument pas stable»
Abu Kurke, lui, n’hésite pas à raconter, encore et encore, son histoire. Il fuit l’Ethiopie en 2007, après avoir écopé d’une peine de six mois de prison pour ses activités politiques. Il passe deux ans au Soudan, puis entreprend de traverser le désert. Il arrive en Libye. «En 2010, j’ai tenté de rejoindre l’Europe une première fois. J’ai été arrêté et condamné à huit mois d’emprisonnement.» A peine libéré, il entreprend de nouveau de franchir la Méditerranée. «On a payé des passeurs avec des amis. Quand j’ai vu le bateau, j’ai eu peur. Il était surchargé, absolument pas stable. Je voulais rejoindre la rive à la nage, mais les militaires libyens risquaient de nous tirer dessus.»
La traversée vire rapidement au cauchemar. A bord, on compte 72 personnes, dont 20 femmes – certaines sont enceintes – et deux bébés. Après quelques heures de navigation, les migrants manquent déjà d’eau. Ils lancent un appel au secours à l’aide de leur téléphone satellitaire. Celui-ci est répercuté par les garde-côtes italiens, toutes les quatre heures pendant dix jours, à l’Otan et aux bâtiments militaires présents en Méditerranée.
Le 27 mars, en fin de journée, un hélicoptère survole le zodiac, largue des bouteilles d’eau et des biscuits. «On lui a montré les bébés, ils ont pris des photos. Mais personne n’est revenu», dit Abu Kurke. Les jours suivants, «on a vu plusieurs bateaux, mais ils ne nous ont pas aidés», ajoute-t-il. Un grand navire gris clair, notamment, s’approche à quelques mètres, sans intervenir. «Les premières personnes sont mortes au bout de trois jours, se souvient le rescapé. La mer était agitée et certains sont tombés à l’eau. On n’a pas pu les remonter à bord.»
Pour survivre, urine et dentifrice
Privée de carburant, l’embarcation dérive lentement vers les côtes libyennes. L’hécatombe se poursuit. «Certaines personnes étaient plus robustes que moi, mais j’ai remarqué que celles qui ont bu de l’eau de mer mouraient plus rapidement. On avait conservé des bouteilles d’eau vides, que l’on remplissait avec notre urine. Quand on avait la gorge trop sèche, on en buvait une gorgée.» Le jeune Ethiopien se «nourrit» aussi de dentifrice : «J’avais vu un capitaine ghanéen faire de même.»
A peine débarqués à Zliten, les rescapés sont incarcérés. Abu Kurke ne rejoindra l’Europe que quelques mois plus tard. Ce sont cette fois les hommes de Kadhafi qui l’y forcent. Une manière de mettre la pression sur les autorités européennes, en guerre contre le «Guide», leur ancien allié.
Réfutant la polémique, Manuel Valls a réaffirmé vouloir installer un climat plus serein autour du thème de l’immigration.
« Apaisement »: c’est le leitmotiv de Manuel Valls en matière d’immigration. En avançant avec une extrême prudence sur ce dossier explosif, le ministre de l’Intérieur réussit à éviter la polémique avec l’opposition. Du moins pour le moment. « Je suis très attentif à ce que pensent nos compatriotes en cette période de crise », répète souvent Manuel Valls, alors que, pour 69% des Français, selon un sondage récent, il y a « trop d’immigrés » dans le pays.
Dans ce contexte, pas question de « grands soirs » pour le ministre, qui expulse « au même rythme » que la droite (20 000 éloignements forcés attendus cette année) et ne compte pas augmenter le nombre de régularisations de sans-papiers (36 000 en 2012).
La rupture n’est pas dans les chiffres, mais elle l’est dans le ton. « Un climat de sérénité devrait toujours primer quand on aborde cette question de l’immigration, trop souvent instrumentalisée », déclarait encore jeudi le ministre de l’Intérieur.
Valls « n’instrumentalise plus la politique migratoire »
« Il a une politique sécuritaire comparable au précédent gouvernement, sauf qu’il n’instrumentalise plus la politique migratoire pour gagner les voix de l’extrême droite, résume la politologue Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS. C’est une méthode pour désarmer l’opposition qui ne peut l’accuser de mener une politique laxiste. » La tactique semble porter ses fruits. Jeudi, le ministre participait à un débat au Parlement sur « l’immigration professionnelle et étudiante », où le ton est resté très lisse. Même Marion Maréchal Le Pen (FN) l’a concédé, « l’immigration étudiante est en soi souhaitable ».
Guillaume Larrivé, député UMP de l’Yonne et ancien bras droit de Brice Hortefeux au ministère de l’Immigration, n’avait pas fait le déplacement pour ce « débat parcellaire ». Plus globalement, si l’immigration n’est plus un sujet politique, « c’est parce qu’il n’est pas porté par le président de la République », juge-t-il. François Hollande ne s’est jamais exprimé sur l’immigration depuis son élection, tandis que le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, ne l’a mentionné qu’à deux reprises.
Immigration: un débat trop apaisé?
Seul à la barre, Manuel Valls se garde d’aborder frontalement les sujets qui fâchent. Il fut le premier à émettre des doutes sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, estimant en septembre que la réforme ne représentait « pas une revendication forte ».
Et lors du débat au Parlement, il s’est bien gardé d’évoquer des quotas de travailleurs. Quand le candidat François Hollande avait promis un débat annuel au Parlement, il avait pourtant jugé nécessaire de « fixer les chiffres des besoins » de main d’oeuvre de l’économie. Au final, le débat était « apaisé, apaisant, peut-être trop », a conclu Manuel Valls.
C’est la limite de cette méthode, estime Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade. « Faire de l’immigration un non sujet ne contentera personne: ils n’iront jamais assez loin pour contenter une opinion publique de plus en plus frileuse et ils vont décevoir une opinion de gauche qui attend des positions renouvelées (…) Avec cette logique d’apaisement, on fait fi des urgences. Ca enkyste des situations, ce qui va nourrir des ressentis au niveau local », craint-il, en citant l’engorgement des structures d’hébergements d’urgence par les demandeurs d’asile ou les Roms expulsés.
Plus sévère, Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), ne voit qu’une sérénité « de façade ». « Quand on parle d’apaisement, c’est un apaisement vis-à-vis de la droite pas vis-à-vis des étrangers », précise-t-il.
Au ministère, on se défend de « vouloir faire disparaître l’immigration des radars. D’ailleurs, c’est impossible, on va le voir aux municipales », glisse un conseiller.
L’opposition semble bien fourbir ses armes, à commencer par l’ancien Premier ministre François Fillon, qui a lancé jeudi sur France 2: « il faut réduire la politique d’immigration ».
En avançant avec une extrême prudence sur ce dossier explosif, le ministre de l’Intérieur réussit à éviter la polémique avec l’opposition. Au moins pour le moment.
« Apaisement » : c’est le leitmotiv de Manuel Valls en matière migratoire. En avançant avec une extrême prudence sur ce dossier explosif, le ministre de l’Intérieur réussit à éviter la polémique avec l’opposition. Au moins pour le moment. « Je suis très attentif à ce que pensent nos compatriotes en cette période de crise », répète souvent Manuel Valls, alors que, pour 69 % des Français, selon un sondage récent, il y a « trop d’immigrés » dans le pays.
Dans ce contexte, pas question de « grands soirs » pour le ministre, qui expulse « au même rythme » que la droite (20 000 éloignements forcés attendus cette année) et ne compte pas augmenter le nombre de régularisations de sans-papiers (36 000 en 2012).
La rupture est dans le ton : « Un climat de sérénité devrait toujours primer quand on aborde cette question de l’immigration, trop souvent instrumentalisée », déclarait encore jeudi l’homme fort de Beauvau. « Il a une politique sécuritaire comparable au précédent gouvernement, sauf qu’il n’instrumentalise plus la politique migratoire pour gagner les voix de l’extrême droite », résume la politologue Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS. « C’est une méthode pour désarmer l’opposition qui ne peut l’accuser de mener une politique laxiste. »
La tactique semble porter ses fruits. Jeudi, le ministre participait à un débat au Parlement sur « l’immigration professionnelle et étudiante » : sur les bancs clairsemés de l’Assemblée, le ton est resté très lisse. Même Marion Maréchal Le Pen (FN) a concédé : « L’immigration étudiante est en soi souhaitable. »
Guillaume Larrivé, député UMP de l’Yonne et ancien bras droit de Brice Hortefeux au ministère de l’Immigration, n’avait pas fait le déplacement pour ce « débat parcellaire ». Plus globalement, si l’immigration n’est plus un sujet politique, « c’est parce qu’il n’est pas porté par le président de la République », juge-t-il.
François Hollande ne s’est jamais exprimé sur l’immigration depuis son élection, tandis que le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, ne l’a mentionné qu’à deux reprises. Seul à la barre, Manuel Valls se garde d’aborder frontalement les sujets qui fâchent. Il fut le premier à émettre des doutes sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, estimant en septembre que la réforme ne représentait « pas une revendication forte ».
« Un débat apaisé, apaisant, peut-être trop »
Plus récemment, interrogé par des députés sur la naturalisation des immigrés âgés, il s’est dit favorable à des avancées. Mais, a-t-il nuancé, « je n’envisage pas de réformer le cadre législatif à ce stade, car je me méfie des débats sur la nationalité dans le cadre actuel ».
Et lors du débat au Parlement, il s’est bien gardé d’évoquer des quotas de travailleurs. Quand le candidat François Hollande avait promis un débat annuel au Parlement, il avait pourtant jugé nécessaire de « fixer les chiffres des besoins » de main-d’oeuvre de l’économie. Au final, le débat était « apaisé, apaisant, peut-être trop », a conclu Manuel Valls.
C’est la limite de cette méthode, estime Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade. « Faire de l’immigration un non-sujet ne contentera personne : ils n’iront jamais assez loin pour contenter une opinion publique de plus en plus frileuse et ils vont décevoir une opinion de gauche qui attend des positions renouvelées. »
Plus grave, juge-t-il, « avec cette logique d’apaisement, on fait fi des urgences ». « Ça enkyste des situations, ce qui va nourrir des ressentis au niveau local », craint-il, en citant l’engorgement des structures d’hébergements d’urgence par les demandeurs d’asile ou les Roms expulsés.
Plus sévère, Stéphane Maugendre, président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), ne voit qu’une sérénité « de façade ». « Quand on parle d’apaisement, c’est un apaisement vis-à-vis de la droite, pas vis-à-vis des étrangers », dit-il.
Au ministère, on se défend de « vouloir faire disparaître l’immigration des radars. D’ailleurs, c’est impossible, on va le voir aux municipales », glisse un conseiller. L’opposition semble bien fourbir ses armes, à commencer par l’ancien Premier ministre François Fillon, qui a lancé jeudi sur France 2 : « Il faut réduire la politique d’immigration. »
Des ONG se constituent partie civile dans un procès qui s’ouvrira mardi en France et en Espagne.
Deux survivants d’un drame ayant causé la mort de 63 migrants en Méditerranée en avril 2011 vont déposer plainte mardi à Paris et à Madrid pour non-assistance à personne en danger, ont annoncé plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), qui se sont constituées parties civiles.
Ces dernières (Gisti, FIDH, LDH et Migreurop) estiment que les armées française et espagnole peuvent être tenues pénalement responsables de la mort de ces personnes, car elles auraient ignoré les appels de détresse de l’embarcation.
En avril 2012, une première plainte avait été déposée en France par plusieurs survivants, mais elle avait été classée sans suite. Cette fois-ci, les ONG se sont constituées parties civiles, « forçant ainsi l’ouverture d’une instruction pénale », a expliqué Arthur Manet, de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH). Lors de la première plainte, « le Parquet a classé sans suite sur la seule réponse du ministère de la Défense », pourtant « la première force à avoir repéré le bateau et à en avoir fait une photo, c’est l’armée française », a assuré Stéphane Maugendre, président du Groupe français d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti).
« Les militaires évoquent des navires sous commandement de l’Otan mais, d’après nous, peu de navires étaient en réalité sous le commandement de l’Otan. Comment peut-il y avoir autant de morts dans une mer aussi surveillée ? C’est la question ! » a précisé Stéphane Maugendre, qui tiendra mardi avec les autres associations une conférence de presse à Paris pour préciser leur démarche, en présence de l’un des survivants.
Les appels de détresse ignorés
Le 26 mars 2011, peu après le début du conflit libyen, 72 Africains âgés de 20 à 25 ans et deux bébés avaient embarqué à bord d’un fragile canot pneumatique dans l’espoir d’atteindre dans les 24 heures les côtes européennes. Ils avaient payé des trafiquants pour rejoindre l’Europe. Mais la situation s’était rapidement détériorée à bord de l’embarcation surchargée qui avait dérivé plusieurs jours pour être finalement rejetée sur les côtes libyennes le 10 avril.
D’après les ONG, le premier appel de détresse est reçu par les garde-côtes italiens qui adressent alors des messages de détresse à l’Otan et aux bâtiments militaires présents en mer Méditerranée en indiquant leur localisation. Ces appels seront renouvelés toutes les quatre heures pendant 10 jours. Le zodiac croise un avion, un hélicoptère militaire, deux bateaux de pêche et un gros navire militaire, qui ignorent ses signaux de détresse.
Aissam s’est vu refuser un regroupement familial. Raison officielle : un manque de ventilation dans ses toilettes !
L’administration française est tatillonne, prête à tout pour freiner l’immigration. Aissam, Marocain de vingt-neuf ans, a un diplôme, un travail, un bon salaire. Mais son épouse s’est vu refuser l’entrée sur le territoire. Le motif ? Il n’y a pas de ventilation dans les W-C d’Aissam… Cela semble fou. « Je constate que votre logement ne respecte pas les normes d’habitation exigées pour accueillir votre famille », conclut la Direction de l’immigration et de l’intégration dans une lettre ubuesque.
Diplômé, salarié, mais cela ne suffit pas
Aissam est arrivé en France en 2007, après avoir passé une maîtrise de génie mécanique à Kenitra, au Maroc. Parcours classique : il intègre l’école d’ingénieur de l’université de technologie de Troyes et en sort diplômé en 2009. Puis, il enchaîne sur un master 2 de génie des systèmes industriels, à la fac d’Évry. Au départ, Aissam pensait « rentrer au pays » après ses études. Mais il est remarqué par l’entreprise Accenture TS, spécialisée dans le conseil informatique, qui l’embauche au terme d’un stage. Il y travaille pendant trois mois, avant de trouver un nouveau boulot. Aissam est envoyé en mission chez Renault, puis chez Alstom Transport. Il gagne 2 200 euros net par mois. Et pense, logiquement, rester en France.
Le jeune homme se marie au Maroc en avril 2012. Le mois suivant, il dégote un studio de 28 m2 à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) et dépose un dossier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Premier pas dans le dédale bureaucratique, première déconvenue : « Ils m’ont dit que je devais avoir douze fiches de paie à présenter au moins égales au Smic, sans me préciser s’il fallait des fiches de mon employeur actuel ou tous employeurs confondus. » Le 12 septembre 2012, il redépose un dossier, en règle, à l’Ofii.
« On m’a alors annoncé que j’allais recevoir une visite de l’inspection du logement », raconte Aissam. La visite a lieu en novembre 2012 et l’agent ne fait aucune remarque spécifique. Mais, le 7 avril 2013, il reçoit l’avis de la Direction de l’immigration et de l’intégration. C’est un refus. En raison de l’absence de ventilation conforme dans les W-C. Il est par ailleurs précisé que la requête a été examinée « au regard des articles de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ». « Mais, je suis marocain ! » s’étonne Aissam.
Depuis, il a fait appel à un avocat et a demandé à son propriétaire de faire les travaux pour mettre en place une ventilation conforme. Et s’apprête à faire un autre recours à l’Ofii.
Pas de rupture avec Sarkozy « Le cas d’Aissam n’est qu’un exemple parmi d’autres », déplore l’avocat Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien aux immigrés. Selon lui, « tous les critères prévus dans les décrets servent de prétextes à des refus. Parfois, il suffit d’un mètre carré de surface habitable en moins ». Une conséquence de la politique de l’« immigration choisie », promue par Nicolas Sarkozy. Et laissée en état par la nouvelle majorité. « On aurait pu espérer que des circulaires préconisent une appréciation plus souple des critères. Mais, concrètement, les pratiques des préfectures restent dans la ligne directe de ce qui avait été impulsé par la droite sarkozyste. »
Par des magistrats et des militants pour les droits de l’homme,
Au mois de septembre sera inaugurée une annexe du Tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny au bord des pistes de l’aéroport de Roissy.
Pourquoi ce lieu incongru pour rendre la justice ? Parce que cet aéroport recèle le plus important lieu de détention d’étrangers (une «zone d’attente» dite Zapi) dans lequel sont enfermés, chaque année, des milliers de personnes (8 541 étrangers ont été placés en zone d’attente en 2011 dont près de 80 % à Roissy) empêchées d’entrer en France, parfois arbitrairement, par la Police aux frontières (PAF). La durée de cet enfermement est de quatre jours et peut être prolongée, à la seule demande de la PAF, par un juge judiciaire, le Juge des libertés et de la détention (JLD).
Faut-il s’en inquiéter pour la justice de notre pays ? Non, répondent, complices, les ministères de l’Intérieur et de la Justice. D’autant moins que cette «délocalisation» a été prévue de longue date par notre législateur et validée, sous réserves, par le Conseil constitutionnel.
Non, puisque sera ainsi respectée, dit-on, la dignité du justiciable, que la PAF ne sera plus obligée de transférer en fourgon de sa «geôle» de Roissy au TGI de Bobigny.
Non, argue-t-on, car il s’agit de bonne administration de la justice, alliée à des considérations d’efficacité puisque les effectifs de la PAF ne seront plus occupés qu’à la lutte contre les trafics de main-d’œuvre étrangère.
Ces justifications relèvent de la mystification.
Car l’indignité du transfert de Roissy à Bobigny – que rien n’interdirait d’humaniser – trouve sa source dans le principe même d’un enfermement dans le quasi secret et l’indifférence générale. Car le transfert d’avocats, de greffiers et de magistrats pour défendre et juger dans des locaux dépendant du ministère de l’Intérieur, constitue une atteinte à l’indépendance de la justice. Ce n’est pas la première fois que la justice tente de se «délocaliser» pour de fausses bonnes raisons. Les salles d’audiences des centres de rétention des étrangers du Canet et de Cornebarrieu ont d’ailleurs été fermées à la suite de la censure de la Cour de cassation.
Mais alors, pourquoi revenir à la charge, avec cette salle d’audience aéroportuaire ? Depuis le milieu des années 90, les ministères de l’Intérieur successifs font pression pour que ces audiences soient organisées à Roissy. Un premier local avait été aménagé à l’intérieur même de la Zapi mais était resté à l’abandon, tous les acteurs du monde judiciaire s’étant élevés contre cette délocalisation. En octobre 2010, un appel d’offres était lancé pour l’extension des locaux préexistants avec une seconde salle d’audience et un accueil du public, pour 2,3 millions d’euros. De toute évidence, le cahier des charges de ce marché était empreint de l’étude attentive des décisions de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel.
A quelques mois de cette inauguration où en sommes-nous ? Le principe fondamental de la publicité des débats, condition absolue de l’indépendance et de l’impartialité de la justice, ne sera pas respecté compte tenu de l’éloignement de la salle d’audience et de son isolement dans la zone aéroportuaire sans, quasiment, aucun transport en commun. Les tribunaux doivent être accessibles aux proches du justiciable, mais aussi au citoyen qui veut voir la justice de son pays ou au collégien qui vient découvrir ses métiers. Les procès de Roissy ne verront ni citoyens ni collégiens. Par ailleurs, le juge des libertés et de la détention et l’avocat seront isolés, à l’écart de leurs collègues, et sous la pression constante de la police, chargée à la fois de gérer la Zapi et de saisir le juge.
Situé dans l’enceinte barbelée de la zone d’attente et au rez-de-chaussée même du bâtiment dans lequel sont enfermés les étrangers, rien ne sépare le futur «tribunal de Roissy» de cette «prison», si ce n’est une porte blindée. Comment avoir confiance en l’impartialité d’une justice implantée dans le lieu même où l’on enferme ? En réalité, cette annexe n’aura, de justice, que l’apparence puisqu’il ne sera rendu de décisions qu’à l’égard d’une seule catégorie de personnes – des étrangers – à la demande d’une seule et même partie – la Police aux frontières – poursuivant inlassablement l’unique objectif de leur enfermement. Ainsi, le rêveinachevé du précédent gouvernement d’intégrer le juge dans une gestion performative des lieux où la France enferme ceux qu’elle entend refouler ou expulser est-il en passe d’être réalisé par des ministres apparemment déterminés à inaugurer ces tribunaux d’exception. Est-il trop tard pour les en dissuader ?
Signataires : Stéphane Maugendre Président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Françoise Martres Présidente du Syndicat de la magistrature, Flor Tercero Présidente de Avocats pour la défense des droits des étrangers (Adde), Pierre Tartakowsky Président de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Patrick Peugeot Président de la Cimade, Anne Baux Présidente de l’Union syndicale des magistrats administratifs (Usma), Jean-Jacques Gandini Président du Syndicat des avocats de France (SAF), Bernadette Hétier Coprésidente du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), Didier Ménard Président du Syndicat de la médecine générale (SMG), Anne Perraut-Soliveres Directrice de la rédaction de la revue «Pratiques», François Picart Président de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat), Didier Fassin Président du Comité médical pour les exilés (Comede), Jean-Eric Malabre Coprésident de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), Claude Peschanski Présidente de l’Observatoire citoyen du Centre de rétention administrative de Palaiseau.
Le Point.fr dresse un premier bilan de l’action du ministre de l’Intérieur socialiste. Tout n’a pas changé autant qu’on pourrait le croire…
L’élection de François Hollande le 6 mai 2012 devait beaucoup au rejet de Nicolas Sarkozy, et notamment de sa politique sécuritaire. Celle-ci avait été menée au ministère de l’Intérieur par lui-même, puis, après son accession à l’Élysée en 2007, par ses ministres : Michèle Alliot-Marie et, surtout, Brice Hortefeux et Claude Guéant. Ces derniers avaient largement développé la doctrine sarkozyste alliant une répression rapide à une forte présence médiatique. Après une décennie de sarkozysme, le retour d’un ministre socialiste Place Beauvau pouvait laisser penser à un changement radical. Mais un an plus tard, l’hyperactif Manuel Valls ne fait pas l’unanimité.
Avril 2012 : plus de 200 policiers se rendent spontanément sur les Champs-Élysées pour exprimer leur colère. La cause de cette fronde inédite en France : la mise en examen pour homicide involontaire d’un de leurs collègues qui avait abattu un suspect au cours d’une poursuite, mais surtout un profond malaise. Les fonctionnaires ne supportent plus la politique du chiffre, la baisse drastique des effectifs et le fossé qui se creuse de plus en plus avec les citoyens. Et ce n’est pas l’enterrement en catimini de la promesse d’attribuer un matricule aux policiers pour permettre les réclamations qui va réconcilier les citoyens et leurs anges gardiens.
Police : la politique du chiffre reste ancrée
Christophe Crépin, porte-parole du syndicat Unsa Police, considère que le nouveau ministre de l’Intérieur « a rétabli un climat de dialogue et d’écoute » avec ses fonctionnaires. Satisfaits par une certaine normalisation des relations, les fonctionnaires attendent pourtant encore que le changement politique se traduise dans leur quotidien. Si l’outil statistique (le fameux tableau de bord de la délinquance) a changé et que, officiellement, ils ne sont plus jugés sur la seule quantité, les pratiques ne semblent pas avoir vraiment évolué sur le terrain. « Je ne suis pas convaincu que les chefs des services ne soient plus contraints par un agenda qui est celui du politique », nous explique diplomatiquement Emmanuel Roux, secrétaire général du premier syndicat de commissaires de police, le SCPN. Pour lui, la gauche aura, elle aussi, « besoin d’un bilan qui, en France, ne peut se faire qu’avec des chiffres ». « L’abolition de la politique du chiffre a été bien reçue dans la police », explique encore Christophe Crépin. « Malgré tout, beaucoup d’encadrants continuent à travailler comme ça par habitude… Il va falloir que ça change », ajoute-t-il.
« Sur le terrain, nous n’avons pas vu de différence sensible », nous confirme un gardien de la paix, CRS depuis 12 ans, sous le couvert de l’anonymat. « Les missions changent parfois de nom, mais restent les mêmes : la lutte contre les violences urbaines est par exemple devenue la présence en zone de sécurité prioritaire« , ajoute-t-il. Et s’il reconnaît un léger « relâchement de la pression pour la verbalisation » juste après l’arrivée de Manuel Valls, c’est surtout parce que « c’était dit moins clairement ». Pour le maintien de l’ordre public, durant les manifestations notamment, « le métier ne change pas, quel que soit le ministre », et la réaction des CRS « dépend comme avant de l’impact médiatique ». Un peu amer avec le nouveau gouvernement comme avec l’ancien, le CRS estime que « le mot d’ordre, c’est de ne pas faire de vagues ».
Immigration : « un changement dans la continuité » de Sarkozy
Concernant l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, le ministre de l’Intérieur a également annoncé « la fin de la politique du chiffre ». Dans les colonnes du Monde, il a expliqué vouloir « rompre avec cette politique basée sur des critères arbitraires au profit d’une action ferme et déterminée dans le respect des droits des personnes », tout en précisant : « Cela ne veut pas dire que nous éloignerons moins. Nous tenterons toujours de faire un maximum d’éloignements. Mais dans un cadre transparent. »
Envoyée en mars aux préfets, une circulaire énonce leurs critères d’évaluation (« efficacité de la procédure », « sécurité juridique » et « quantitatif »), qui, contrairement à ce qu’affirme le ministre, ne sont pas nouveaux, et auxquels vient s’ajouter la traditionnelle demande de lutter contre les filières d’immigration clandestine. De manière plus inédite, le texte insiste sur l’éloignement des déboutés du droit d’asile et demande aux préfets de ne plus comptabiliser les retours volontaires comme des expulsions. Le texte préconise également de privilégier « l’assignation à résidence plutôt que le placement en rétention », et demande de mettre fin aux interpellations aux guichets des préfectures lorsqu’un étranger s’y rend pour tenter de régulariser sa situation.
Des inflexions qui ne sont pas mises en oeuvre dans la pratique, explique le président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Stéphane Maugendre, qui évoque « un changement dans la continuité » et « un discours de fermeté et d’humanité », également servi par les précédents ministres de l’Intérieur. Pointant du doigt les différentes circulaires, il dénonce « des textes peu contraignants » : « Si on veut que des textes soient opposables aux administrations, on change le Code de l’entrée et du séjour des étrangers. » Il évoque « une industrialisation des reconduites à la frontière », dans la continuité de ce qui a été mis en place sous l’ère Sarkozy : « Le centre du Mesnil-Amelot, qui compte 240 places, a été construit sous le gouvernement précédent. On est en train de faire pareil aux TGI de Bobigny et de Meaux, ce qui revient à déplacer la justice dans les lieux d’enfermement des étrangers. » Ce dont la droite a rêvé, la gauche l’a mis en place, conclut-il.
Sans-papiers : une réponse qui ne va « pas assez loin »
Marie Enoc regrette que le texte n’aille pas assez loin et réclame « une amnistie sociale et pénale à destination des employeurs », pour les inciter à délivrer les documents prouvant que l’étranger a bien été salarié dans l’entreprise. Elle déplore également qu’il soit devenu plus compliqué d’accéder aux procédures et de déposer des demandes pour les motifs non prévus par la circulaire, en citant l’exemple des étrangers malades et les jeunes majeurs. Par ailleurs, le ministre a annoncé une réforme d’ampleur du contrat d’accueil et d’intégration (CAI) et la création de titres de séjour pluriannuels pour mieux accueillir et intégrer « ceux qui ont vocation à rester en France ».
Roms : « Les évacuations continuent au même rythme »
Laurent El Ghozi, cofondateur du collectif Romeurope, qui regroupe plusieurs associations de défense des Roms, évoque « une double politique » à l’égard des Roms. Selon lui, la circulaire du 26 août qui « prévoit que l’ensemble des administrations publiques doivent être associées à la mise en oeuvre de situations plus dignes et plus protectrices pour les gens » et la nomination d’Alain Régnier en tant que délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, pour proposer une nouvelle approche de la question, montrent « une volonté de rompre avec la politique précédente. »
Pourtant, il regrette que cette rupture « tarde à se mettre en oeuvre » : « Les évacuations continuent au même rythme qu’avant, sans que le texte [qui n’a pas de valeur juridique contraignante, NDLR] soit appliqué. » Interviewé par LeParisien en mars, le ministre de l’Intérieur a déclaré que les démantèlements étaient plus que jamais nécessaires et qu’ils se poursuivraient, précisant que les familles roms désireuses de s’intégrer constituaient « une minorité ». Une approche sécuritaire qui se situe dans la droite ligne de celle de ses prédécesseurs.
Vidéosurveillance et fichage toujours soutenus
Les associations de protection de la vie privée s’étaient inquiétées sous l’ère Sarkozy de la prolifération des caméras de vidéosurveillance (alors rebaptisée vidéoprotection par le gouvernement). Les choses ont un peu changé, pour des raisons budgétaires : les financements étatiques se sont légèrement réduits. Pour autant, Manuel Valls n’a pas lancé d’étude sur l’efficacité du dispositif. « Cela fait vingt ans que nous avons de la vidéosurveillance en France, et nous n’avons aucun rapport sur l’intérêt, ni sur le nombre de caméras réellement déployées : on ne sait pas », explique Jean-Marc Manach, journaliste spécialisé sur les questions concernant l’informatique et les libertés*.
Mais ce n’est peut-être pas le principal problème aujourd’hui. Il s’agirait plutôt du fichage des citoyens, selon Jean-Marc Manach, qui dénonce l’évolution des fichiers de police. « Alors que la Cour européenne des droits de l’homme répète qu’on ne doit pas ficher les innocents, en France on continue ! » explique-t-il, faisant référence notamment au fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) dans lequel figurent 2,2 millions de Français, dont « 80 % de personnes innocentes, qui n’ont pas été condamnées ». Et ce n’est pas l’actuelle ministre de l’Écologie et experte des fichiers de police, Delphine Batho, qui pourra changer quelque chose : elle a été expulsée du ministère de la Justice. Son projet de loi, cosigné avec l’UMP lorsqu’elle était députée PS avant l’arrivée de François Hollande à l’Élysée, semble bel et bien enterré…
Pire, Manuel Valls n’a pas modifié le projet de fusion du Stic (police) et de Judex (gendarmerie) dans le nouveau fichier commun TAJ (traitement des antécédents judiciaires) : malgré les réserves de son camp sur le fond comme sur la forme, il laisse le projet de Claude Guéant aboutir. Même constat pour l’intégration des empreintes biométriques dans tous les documents d’identité ou pour le maintien du plan Vigipirate. Cette mesure d’exception, qui devait être temporaire, est en vigueur dans sa version moderne depuis plus de deux décennies. Pourtant, les dispositions du plan Vigipirate ne sont pas « normales » pour Emmanuel Roux. Selon lui, « si l’on entérine tout cela, on régresse sur les libertés publiques ».
La censure d’Internet, un outil normal
« Manuel Valls a voulu interdire la consultation des sites internet dits terroristes », se souvient Jean-Marc Manach, en rappelant que le juge antiterroriste Marc Trévidic avait immédiatement dénoncé ce projet, en arguant que c’est justement grâce aux imprudences des terroristes sur Internet que la police peut les repérer et les arrêter. Plus récemment, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a voulu, avec le parquet de Paris, censurer un article de Wikipédia, ce qui s’est traduit par un lamentable échec. Comme son collègue Benoît Hamon, Manuel Valls ne semble pas opposé à un filtrage d’Internet en France.
Malgré (ou grâce à ?) ce bilan qui n’a pas répondu à toutes les attentes de changement, Manuel Valls est une des stars du gouvernement socialiste. L’homme a vu sa cote de popularité bondir de 30 % lors de son entrée au gouvernement à 40 % aujourd’hui (source : TNS-Sofres).
Introduction à la journée d’information du Gisti du 16 avril 2013
Le point sur les réformes (loi sur la « retenue », étudiants, nationalité, régularisation…)
Suite à l’envoi de la lettre des amis du Gisti (lettre que nous envoyons aux donateurs) au mois d’octobre 2012 [1] dans laquelle nous dénoncions déjà le projet de loi sur la retenue judiciaire en remplacement de la GAV des étrangers et le traitement infligé aux Roms, notamment durant la période estivale, je recevais un mot d’un ou d’une donatrice selon lequel nous aurions du d’abord mettre en avant les mesures positives prises par le gouvernement à l’égard des étrangers.
Je dois dire que cette critique est régulièrement faite au Gisti chaque fois qu’un gouvernement de gauche arrive au pouvoir mais en l’espèce je ne voyais pas du tout à quoi il était fait référence.
Je n’imagine pas la tête qu’il ou elle devait faire suite au rebond publié sous ma signature (mais en réalité écrit à plusieurs mains) dans libération le 17 janvier 2013 titré « Au Parti socialiste, un zeste de xénophobie ? ». [2]
Mais revenons en arrière !
Dès la campagne électorale, les choses étaient claires.
Rien dans le programme du candidat Hollande, sauf l’annonce de la réapparition du serpent de mer socialiste ou plutôt du monstre du Loch ness, c.a.d du droit de vote des étrangers aux élections locales, sans éligibilité. Nous savons qu’en à peine une année cette promesse est définitivement abandonnée.
Quant à une régularisation des sans papiers nous savions qu’elle ne serait pas globale mais au cas par cas et selon des critères précis. Rhétorique classique, rodée et apprise par cœur.
Et les sbires de la campagne de venir, dans les conférences de presse, les réunions publiques… , nous dire le soutien du PS à nos luttes de soutiens aux sans papier, aux Roms, aux étudiants étrangers…mais sans engagement plus avant.
Pour faire bonne figure, le Gisti était même reçu Rue de Solférino pour dire nos « revendications », comme si nos écrits n’étaient pas suffisamment clairs.
La nomination du Maire d’Evry qui voulait plus de « blancos » ou de « white » pour une vidéo de sa ville en juin 2009 [3], au poste d’un Ministère de l’Intérieur, dont l’omnipotence était héritée directement du Sarkozisme le plus dur, imprimait dés le départ une conception policière et répressive de la politique d’immigration [4].
Dès les mois de juillet et aout 2012, les plus brutales exactions étaient commises à l’encontre de Roms, plus que ce qui avait été fait après le discours de Grenoble de juillet 2010, pour finir par une circulaire dont l’hypocrisie se constate quotidiennement [5].
Le 25 septembre 2012, à Calais, la police a mis à sac le lieu de distribution des repas qui permettait aux organisations humanitaires d’assurer un minimum d’assistance aux exilés et demandeurs d’asile abandonnés à la rue [6].
D’ailleurs, les réponses du gouvernement au questionnement des associations sont édifiantes puisque Jean-Marc Ayrault, en janvier dernier, n’hésitait pas à exciper de la « nécessité de concilier deux exigences : la fermeté (…) ; mais aussi le respect de la dignité et l’humanité de l’action administrative face à des situations souvent très douloureuses » comme Eric Besson, en avril 2009, avait affirmé que sa « politique continuera d’allier fermeté et humanité ».
Et le Ministère de l’Intérieur, il y a quelque jours de répondre au 3D, par un insupportable déni, « Les faits évoqués dans votre décision reposent essentiellement sur des déclarations de responsables d’associations rapportant des propos non vérifiables et concernant des faits anciens qu’aucun élément objectif ne peut soutenir aujourd’hui. Seule une minorité des organisations associées à la saisine sont d’ailleurs effectivement présentes et actives auprès des migrants dans le Calaisis » [7].
Exactement comme le proclamait Eric BESSON qui affirmait que « la crédibilité du gisti était quasiment nulle » lorsque nous avions publié des décisions démontrant l’existence de poursuites et de condamnations sur le fondement du délit « dit » de solidarité [8].
Le Ministre de l’Intérieur annonce ensuite que rien ne changera dans les nombres de reconduites ou de régularisation.
En bref, beaucoup de fermeté réelle mais aussi beaucoup d’humanité virtuelle.
Aux actes et aux paroles sont venus s’associer les textes.
Mais attention, pas n’importe quel texte et pas dans n’importe quelle chronologie.
D’abord, il est fait choix délibéré de saucissonner le droit des étrangers, sans vision globale.
Ensuite, il est décidé de prendre des circulaires pour éviter d’inscrire dans le marbre législatif les critères de régularisation ou de non enfermement des familles, créant ainsi, toujours et encore, du non-droit.
Si si du non droit, puisque les principaux intéressés ne peuvent s’en prévaloir contre l’administration et que le pouvoir de contrôle du juge est écarté.
Il y a eu d’abord la circulaire du 31 mai 2012 sur le changement de statut des étrangers laissant un très large pouvoir d’appréciation aux autorités administratives et n’enlève rien, en pratique, à la difficulté du changement de statut au sortir de ses études pour occuper un emploi salarié [9].
Ensuite, la Circulaire du 6 juillet 2012 [10] sur le placement des familles en rétention. François Hollande dans une lettre adressée le 20 février 2012 (un mois après la condamnation de la France par la CEDH par l’arrêt dit Popov) à RESF et à l’Observatoire de l’enfermement des étrangers écrivait : « je veux prendre l’engagement, si je suis élu à la présidence de la République, de mettre fin dès mai 2012 à la rétention des enfants et donc des familles avec enfants. La protection de l’intérêt supérieur des enfants doit primer » [11].
Or, elle ne met pas fin à la rétention des enfants et tout au contraire l’autorise dans un certain nombre de cas.
Je vous renvoie au placement au Centre de rétention de Oissel d’un enfant de trois ans, malade, avec sa mère, cueilli dans son lit à 6 heures du matin [12].
Vient ensuite la circulaire Roms, j’en ai déjà dit trois mots.
Alors qu’il avait assuré qu’il mettrait fin aux pratiques restrictives du gouvernement précédent, qui s’était félicité de ce que le nombre d’étrangers naturalisés avait chuté de 30 % en 2011[13], le ministre de l’intérieur édicte la circulaire du 16 octobre relative aux procédures d’accès à la nationalité [14]. Or. La parution de celle-ci n’a pas été de nature à confirmer cette intention affichée et de son analyse il résulte que ce gouvernement reste fondamentalement imprégné par l’idée que la nationalité française est une faveur qui se mérite et non le droit pour toute personne qui vit en France depuis un certain nombre d’années de rejoindre en droit la population à laquelle elle appartient déjà en fait. [15]
Enfin, la circulaire du 28 novembre 2012 sur les « conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière » dite de régularisation [16].
La première réaction du Gisti a été une mise en garde afin d’éviter que des personnes, en allant déposer une demande en préfecture, ne s’exposent à une mesure d’éloignement (en trois jours, elle avait déjà été téléchargée 15 000 fois !).
Notre seconde initiative a été de rédiger un vade-mecum expliquant le contenu de la circulaire [17].
Et nous venons de faire une Note pratique, analyse et mode d’emploi de la circulaire.
Pendant le même temps, en utilisant l’urgence constitutionnelle, le gouvernement a fait voter la Loi du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées [18]
On se pose encore la question de savoir pourquoi il a été utilisé l’urgence pour élargir les immunités pénales du délit d’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier, alors qu’une simple instruction aux parquets suffisait,
Si, on le sait, il fallait contenter quelques partenaires associatifs.
On se pose encore la question de savoir pourquoi il a été utilisé l’urgence pour dépénaliser le seul délit de séjour irrégulier déjà inexistant depuis les arrêts El Dridi et Achughbabian [19] et préciser les modalités des contrôles d’identité [20].
Si, on le sait, il fallait montrer que ce gouvernement était humain.
On se pose encore la question de savoir pourquoi il a été utilisé l’urgence pour créer une nouvelle GAV spéciale étrangers.
Si, on le sait, c’est une commande des préfectures et des services de police.
Je laisserai mes petits camarades de la journée vous décrypter tous ces textes, d’ailleurs on est là pour ça.
J’ai oublié de vous parler de la continuation des pratiques d’éloignements criminels d’étrangers malades couvertes par les inspections générales, quelles soient de l’administration auprès du ministère de l’intérieur ou des affaires sociales [21].
J’ai oublié de vous parler des visas de transit imposés aux syriens [22], pour les empêcher de fuir les horreurs de la guerre, validés par le Conseil d’Etat [23] imprégné de ce mythe de la nécessité d’éviter « un afflux massif de migrants clandestins » et confirmant qu’il est un complice objectif de cette politique de la maitrise des flux migratoires.
J’ai enfin et aussi oublier de vous parler des pratiques scandaleuses à l’égard des étrangers hors de la métropole et notamment à Mayotte concernant l’enfermement, l’accès aux soins et aux droits malgré les condamnations de toutes les institutions internationales, européennes et françaises [24].
Nous écrivions dans Libé que le gouvernement avait « un discours politique implicite qui murmure aux Français que le pouvoir les protège malgré tout de l’adversité puisqu’il frappe les étrangers. »
Nous nous sommes trompés, le discours politique n’est pas implicite, il est très explicite et il ne murmure pas, il crie.
Nous écrivions « devenir xénophobe pour essayer d’être populaire, tel est désormais le programme. » C’est faux c’est une réalité et la lecture du rapport de la CNCDH sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie ne lasse pas de nous inquiéter à cet égard [25].
Face à ce constat de la première année, nous devons nous inquiéter de ce qu’il ressortira de la mission FEKL, Député PS désigné par le Ministre de l’Intérieur, pour faire un rapport sur l’accueil en préfecture, les titres de séjours pluriannuels et le juge de la rétention administrative.
Dans les affaires de violences policières, il y a les expertises et les contre-expertises médicales. Et si elles vont dans le même sens, défavorable aux policiers, de nouvelles expertises. Parce qu’à la fin, il y a une certitude : il n’y aura pas de procès. Cette tradition française, dénoncée à maintes reprises par les organisations de défense des droits de l’homme, la cour d’appel de Versailles l’a encore honorée, en confirmant, en moins d’un mois, trois ordonnances de non-lieu. A chaque fois, les magistrats justifient leur décision par les « divergences » entre experts.
La chambre de l’instruction de la cour d’appel a clos, le 22 février, le dossier Mahamadou Marega, mort le 30 novembre 2010 à la suite d’une intervention policière à Colombes (Hauts-de-Seine). Puis, le 28 février, celui d’Ali Ziri, mort le 9 juin 2009 après son interpellation à Argenteuil (Val-d’Oise). Et, enfin, le 12 mars, celui d’Abou Bakari Tandia, mort le 24 janvier 2005 six semaines après être tombé dans le coma en garde à vue à Courbevoie (Hauts-de-Seine). Les parties civiles se sont pourvues en cassation. « La chambre de l’instruction exige des certitudes. Ce n’est pas son rôle, estime Me Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille Tandia. A ce stade, seules des charges suffisantes sont nécessaires. »
LES INCOHÉRENCES ÉCLATENT AU GRAND JOUR
Cette dernière instruction est peut-être la plus symbolique, en termes de dissimulation et de lenteur. Le 6 décembre 2004, M. Tandia sort de garde à vue dans le coma. Les policiers assurent qu’il s’est tapé lui-même la tête contre la porte dans sa cellule. Le parquet de Nanterre classe sans suite.
A la suite d’une plainte de la famille, une instruction est ouverte pour « torture et actes de barbarie ayant causé la mort » et les incohérences éclatent au grand jour : une caméra de surveillance opportunément débranchée, un dossier médical qui disparaît puis réapparaît. Une expertise de trois médecins de l’Institut médico-légal (IML) conclut en 2009 à « un ébranlement cérébral par violentes secousses de la victime » et met en doute les déclarations de l’un des policiers, puis, en 2011, après une reconstitution, attribue le coma à « une privation d’oxygène due à des contentions répétées ».
Le juge d’instruction demande alors au parquet d’élargir sa saisine à un « homicide involontaire ». Le procureur suit, et demande même la mise en examen du policier qui a maîtrisé M. Tandia. Mais entre-temps, le juge a changé, et il refuse, dans l’attente de nouvelles expertises, confiées à un autre médecin. Celui-ci reprend la version policière en tout point.
LA TECHNIQUE DU « PLIAGE »
C’est ce même professeur, spécialiste d’anatomie pathologique et de médecine légale, qui, appelé à la rescousse dans l’affaire Marega, estime que cet homme de 38 ans est mort d’une « crise drépanocytaire aiguë », conséquence d’une maladie génétique très courante et indétectable, la drépanocytose.
Rien à voir, donc, avec son arrosage au gaz lacrymogène, suivi de 17 tirs de pistolet à impulsion électrique (Taser), dont certains à bout portant, ou du « pliage » (technique de contention) subi dans l’ascenseur, pour le maintenir dans cet espace réduit. D’ailleurs, le contre-expert n’a trouvé qu’un seul impact de Taser – ce qui contredit l’ensemble des éléments du dossier. Le premier rapport, rédigé par l’IML, avait conclu « à la mort par insuffisance respiratoire aiguë massive par inhalation d’un toxique dans un contexte de plusieurs contacts de tir de Taser avec cinq zones d’impact ».
Dans l’affaire Ziri, les médecins de l’IML sont aussi assez sûrs d’eux : la technique du « pliage » – prohibée – est en cause. Ce retraité de 69 ans, interpellé de façon musclée à Argenteuil alors qu’il était le passager d’un conducteur arrêté en état d’ivresse, est « décédé d’un arrêt cardio-circulatoire (…) par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ». Mais d’autres médecins optent pour une maladie « méconnue », une cardiomyopathie.
« TOUTES MES DEMANDES ONT ÉTÉ REFUSÉES »
Le juge n’a pas cherché à en savoir plus : il n’a produit aucun acte d’enquête durant son instruction pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Dans l’affaire Marega, Me Marie-Alix Canu-Bernard, avocate des proches, s’est aussi heurtée à un mur : « Toutes mes demandes ont été refusées. »
La dernière a été rejetée par la chambre de l’instruction, qui a estimé, dès avril 2012, que l’enquête allait de toute façon se conclure par un non-lieu. Et le magistrat n’a pas jugé utile de coter au dossier la décision sévère rendue par le Défenseur des droits en mai 2012 dans ce dossier. « Il faudrait des magistrats qui ne s’occupent que de ça et qui n’auraient pas besoin des mêmes policiers le lendemain dans leurs enquêtes », estime Me Stéphane Maugendre, avocat de la famille Ziri.
Sous la pression du Défenseur des droits, la prise en charge disciplinaire de ces dossiers a néanmoins évolué. Selon nos informations, 5 avertissements ont été prononcés, fin 2012, dans l’affaire Ziri. Dans le dossier Marega, un conseil de discipline a été convoqué. Jusqu’ici, dans les affaires complexes, l’administration s’abritait derrière l’enquête judiciaire pour justifier son inertie administrative.