Avec 227 550 titres de séjour délivrés en 2016, l’augmentation de 41 % des titres « humanitaires » alloués à certains réfugiés et une hausse de 2,5 % des acquisitions de la nationalité française, les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur, en ce début d’année, pourraient laisser penser que l’exécutif a décidé de rompre avec ses politiques de contrôle et de rejet des étrangers. En réalité, la France ne s’est pas particulièrement montrée plus accueillante en 2016 que les années précédentes. Décryptage.
16,3 % C’est la baisse du nombre des expulsions d’étrangers.
Ce chiffre cache mal la poursuite des politiques autoritaires et répressives. L’exécutif recense 13 000 expulsions forcées et 841 aidées. Mais où sont passées les 35 000 interpellations d’exilés à la frontière franco-italienne, sans compter les reconduites quotidiennes de mineurs isolés en dehors de tout cadre légal, dont témoignent, entre autres, les associations et citoyens solidaires de la vallée de la Roya ? En 2015, l’attentat de Nice n’avait pas eu lieu et la frontière n’était pas officiellement fermée, le ministère de l’Intérieur parlait alors de 15 500 retours forcés, 9 900 aidés et 4 211 spontanés. La tendance n’est pas véritablement à la baisse.
Le gouvernement annonce aussi une hausse de 4,6 % des titres de séjour délivrés par la France. N’oublions pas que, l’an passé, s’est votée la loi modifiant le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. « Nous espérions que le gouvernement allait réinstaurer la carte de séjour de dix ans, explique Stéphane Maugendre, du Gisti. Au lieu de cela, il a créé une carte pluriannuelle qui ne garantit aucune stabilité à l’étranger qui la possède. » Ce nouveau titre de séjour peut, en effet, être retiré à tout moment « si l’étranger fait obstacle aux contrôles nécessaires » ou s’il ne se rend pas à une convocation. « Oublier de signaler un changement d’adresse ou ne pas relever régulièrement son courrier peut aujourd’hui avoir de graves conséquences », souligne encore le Gisti. La création de ce nouveau titre de séjour s’est, de plus, assortie pour les préfets d’un droit d’accès aux données personnelles détenues par des institutions telles que la Sécurité sociale et des opérateurs privés de l’énergie ou de la téléphonie
Parallèlement, cette même loi a instauré une interdiction de circulation pour les citoyens européens, ciblant particulièrement les populations roms, et a renforcé les dispositifs d’éloignement. En septembre 2016, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, n’a pas oublié de le rappeler aux préfets, juste avant le démantèlement du bidonville de Calais, dans une circulaire les invitant à « systématiquement notifier une obligation de quitter le territoire à l’ensemble des personnes déboutées » du droit d’asile et à « faire un plein usage des mesures restrictives et privatives de liberté » prévues dans la loi réformée.
Cette année 2016 fut, par ailleurs, celle d’affirmations douteuses de la part des droites conservatrices et xénophobes. Le député « Les Républicains » (LR) Éric Woerth, en août 2016, voyait, par exemple, dans le regroupement familial la « première source d’immigration ». Mais, en 2015, la France a décerné 217 533 titres de séjour et seulement 11 500 personnes l’ont obtenu en rejoignant un étranger membre de leur famille. En 2016, le chiffre de l’immigration pour raison familiale baisse de 2,3 % et les chiffres du gouvernement révèlent même que 55 % du contingent concerne des Français faisant venir leur famille. En réalité, les immigrés constituant le plus grand groupe à qui la France décerne des titres de séjour sont les étudiants. 70 300, en 2016. Un chiffre stable depuis plusieurs années.
70 949 C’est le nombre de dossiers de demandeurs d’asile non traités ou ayant reçu une réponse négative.
Si le gouvernement affiche 35,1 % d’augmentation du nombre d’acceptations des demandes d’asile, proportionnellement au nombre de dossiers constitués, la France est en réalité moins généreuse que l’année précédente. Sur 97 300 demandes enregistrées en préfecture, seules 27 % des personnes ont obtenu la protection de la France. Ce qui correspond à 73 % de dossiers non étudiés ou faisant l’objet d’un refus, en 2016, contre 69 % des demandes enregistrées à l’Ofpra, en 2015.
Même si, entre 2012 et 2016, 10 000 places ont été créées en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), la France ne met pas, non plus, assez de moyens pour héberger tous les chercheurs d’asile. Fin 2016, il existait 45 247 places d’hébergement. C’est-à-dire moitié moins que le nombre d’inscrits en préfecture. Et les 10 000 places supplémentaires annoncées pour 2017 ne feront pas non plus le compte.
La conséquence de cette politique au rabais est bien évidemment le peuplement d’innombrables bidonvilles et squats. Avant son démantèlement, la « jungle » de Calais était habitée par 2 200 demandeurs d’asile enregistrés sur 7 000 exilés encore présents en septembre 2016.
À ceux-là viendront s’ajouter les 9 220 déboutés du droit d’asile ou réfugiés statutaires qui logeaient, jusqu’à la fin 2016, « de façon indue » dans les Cada et dont Bernard Cazeneuve exigeait des préfets, dans son instruction du 19 septembre « relative à la fluidité d’hébergement des demandeurs d’asile », qu’ils soient mis dehors. Aujourd’hui, la France compterait 20 000 étrangers expulsables et dépourvus de toute assistance parce que déboutés du droit d’asile ou sous le coup des accords de Dublin. Dès lors, il n’est pas étonnant que l’Insee recense 55 % de personnes étrangères ou nées à l’étranger parmi l’ensemble des SDF que compte le pays.
Et si les prochains gouvernements ne prennent pas la mesure des enjeux, cet état de fait ne risque pas de s’amoindrir. Alors que les « publics isolés » sont devenus majoritaires parmi les nouveaux arrivants en France, seules 40,3 % des places d’hébergement existantes permettent leur accueil. En octobre 2016, ils représentaient encore 98 % des arrivées à Paris et Calais.
0,3 % C’est l’impact de l’arrivée des réfugiés sur la croissance allemande (1).
« Avec 6 millions de chômeurs et près de 9 millions de pauvres, l’immigration doit être fermement contrôlée et réduite au minimum », a l’habitude d’argumenter François Fillon, candidat de la droite à la prochaine élection présidentielle. C’est un discours donné dans le seul but d’agiter les peurs et les fantasmes. Alors que l’Allemagne enregistre trois fois plus de demandes d’asile que la France, avec 280 000 nouvelles demandes, en 2016, sur un total de 745 545 dossiers en cours de traitement, la croissance économique du pays atteint 1,9 %, contre 1,4 les années précédentes. À l’Institut économique de Berlin, Marcel Fratzscher estime que l’impact de l’arrivée des réfugiés sur la croissance pourrait atteindre 0,7 %. La chambre de commerce et d’industrie outre-Rhin ajoute que, en 2017, 500 000 postes devraient être créés dans l’éducation et la formation grâce à l’accueil des immigrés.
En France, selon l’Insee, contrairement aux boniments annonçant un « grand remplacement », seuls 6 % des habitants sont de nationalité étrangère. « La contribution des immigrés à l’économie est supérieure à ce qu’ils reçoivent en termes de prestations sociales ou de dépenses publiques », assurait, en septembre 2015, Jean-Christophe Dumont, chef de la division chargée des migrations internationales à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Une étude de cette très libérale organisation, menée sur une période de dix ans entre 2001 et 2011, indique même que les immigrés représentent 15 % des entrées en emploi dans les secteurs en croissance et 28 % dans les métiers en décroissance. C’est-à-dire ceux que les « natifs » ne veulent plus faire. De quoi fermer le bec aux oiseaux de mauvais augure qui accusent les étrangers de prendre le travail des bons Français.
Les droites xénophobes d’ailleurs ont aussi l’habitude de brandir la pseudo-injustice selon laquelle les demandeurs d’asile toucheraient plus que les pauvres Français au RSA. Qu’ils se rassurent ou se taisent sur cette question aussi car, en 2016, dans son projet de loi de finances, le gouvernement faisait passer l’aide journalière aux demandeurs d’asile de 11,50 euros par jour à 8,50 euros, soit 252 euros par mois.
7 495 C’est le nombre de personnes ayant trouvé la mort sur le chemin de l’exil, en 2016.
« Si le président François Hollande a rappelé au président Donald Trump sa conviction que “le combat engagé pour la défense de nos démocraties sera efficace uniquement s’il s’inscrit dans le respect du principe de l’accueil des réfugiés”, il est important de rappeler que la France fait partie des nombreux États qui mettent en place des mesures visant à empêcher les personnes de quitter leur pays et/ou d’arriver en France et sur le territoire européen », indiquait l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, ce lundi 30 janvier, dans un communiqué.
La parole de la France au niveau international et notamment au sein de l’Union européenne (UE) appuie, en effet, sans relâche la mortifère politique de l’Europe forteresse. Suite à l’émotion qui avait traversé les peuples à la diffusion de la photographie du corps du petit Aylan, retrouvé noyé à l’automne 2015, sur une plage de Turquie, la France avait soutenu le principe de relocation des réfugiés annonçant qu’elle en accueillerait 32 000. Au final, on en dénombre difficilement 3 000. Dix fois moins. « L’Europe ne peut plus accueillir autant de réfugiés », avait d’ailleurs lancé Manuel Valls, premier ministre de l’époque, lors de la conférence sur la sécurité, à Munich, en février 2016.
Cette posture française ne détonne en rien de celle de la majorité des pays membres de l’UE, qui multiplient les mesures visant à empêcher les candidats à l’exil de quitter leur pays ou d’arriver sur le territoire européen. La France, par exemple, n’a pas hésité, en 2013, à faire ajouter la Syrie sur la liste des pays soumis à visa de transit aéroportuaire et à participer à l’envoi d’officiers de liaison dans les pays de départ dits « à risque migratoire ». Plus récemment encore, elle a renforcé le bouclage de sa frontière avec l’Italie et multiplie les interpellations de citoyens solidaires. Onze d’entre eux passeront devant un juge au cours du premier semestre 2017.
Cette politique répressive s’accompagne d’une participation active aux logiques de l’UE d’externalisation de la gestion des flux migratoires. Après les accords de Rabat et de Khartoum, le gouvernement a soutenu, cette année, la signature de l’accord honteux entre l’UE et la Turquie. Il a envoyé 200 policiers et fonctionnaires en Grèce, versé aussi 300 millions d’euros pour le faire appliquer. Depuis, ont été signés de nouveaux accords de réadmission avec des pays en guerre comme l’Afghanistan, le Mali… et bientôt la Libye.
Dans son dernier rapport, publié en janvier 2017, Migreurop constate que, dans ce même élan, les étrangers sont de plus en plus enfermés avant d’arriver en Europe. Entre 2011 et 2016, à l’intérieur des frontières de l’UE, les lieux d’enfermement passent de 351 à 260. Tandis que leur capacité passe à l’extérieur des frontières européennes de 31 790 à 47 172, sans que les zones de privation de liberté libyennes, parmi les plus importantes, ne soient décomptées.
Des politiques inhumaines, mais également onéreuses et inefficaces. En quinze ans, plus de 11 milliards d’euros auront été dépensés par les États membres de l’UE pour éloigner les étrangers alors que seuls 40 % ont effectivement rejoint leur pays d’origine. Le nombre de morts sur les chemins de l’exil ne cesse, lui, d’augmenter. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, ils sont 18 500 en trois ans à avoir péri sur les sentiers de l’espoir.
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