Archives de catégorie : Avocat

Le tribunal de Paris « libère » deux passagers nigériens clandestins

index 17/02/1995

JACQUELINE COCHARD, président du tribunal de grande instance de Paris, a ordonné, mercredi 15 février, la libération de deux passagers clandestins nigériens que le ministère de l’intérieur empêchait de débarquer du cargo français Véronique-Delmas, depuis son arrivée, le 12 février, à Saint-Nazaire, puis le surlendemain à Rouen. Les deux hommes, John Osas et Eldis Ojo, embarqués à Dakar, avaient en vain demandé l’asile en France et avaient été consignés à bord. Le tribunal de Paris a jugé que cette décision constituait une voie de fait, ainsi que l’avaient plaidé Mes Simon Foreman et Stéphane Maugendre. « La mesure de consignation d’étrangers à bord d’un navire n’est prévue par aucun texte », a estimé le tribunal, censurant l’attitude de l’administration comme il l’avait fait, récemment, dans le cas comparable d’un mineur mozambicain (Le Monde daté 5 et 6 février 1995). L’ordonnance rappelle que la loi impose le placement des demandeurs d’asile non admis sur le territoire dans les «zones d’attente» spécifiques, où ils peuvent faire valoir leurs droits. Quelques heures après la lecture de l’ordonnance, les deux demandeurs d’asile ont été autorisés à débarquer mais transférés dans la zone d’attente de l’aéroport Charles-de-Gaulle à Roissy.

« Faute de droit » contre un jeune réfugié mozambicain

index  Nathaniel Herzberg, 05/02/1995

Extrait : « UN GARÇON comme un autre », résume sa famille d’accueil. Si ce n’est qu’après avoir vu ses parents massacrés sous ses yeux, traversé la planète dans un cargo comme passager clandestin, passé quelques jours dans les prisons allemandes et atterri à Quimper à l’issue d’un western maritimo-judiciaire, Zito, jeune Mozambicain âgé de quatorze ans, pose des problèmes aux services de Charles Pasqua. Examiné, vendredi 3 février, par le tribunal administratif de Paris, son cas menace aujourd’hui l’ensemble de l’édifice érigé par le ministre de l’intérieur en matière de droit d’asile.

Lorsque le Mimoza, cargo battant pavillon des Bahamas en provenance de Durban (Afrique du Sud), arrive à Brest le 23 juin 1994, la police de l’air et des frontières (PAF) a été avertie de la présence d’un clandestin à bord. Zito est immédiatement consigné sur le navire (Le Monde du 1 juillet 1994). Quatre jours plus tard, le ministère de l’intérieur juge sa demande d’asile « manifestement infondée » et ordonne au transporteur de le réembarquer. Mais, le 29 juin, le tribunal de grande instance de Paris dénonce une « voie de fait » de l’autorité administrative. Alors que le Mimoza vient d’appareiller, une vedette va rechercher le jeune Mozambicain en haute mer. Confié à la tutelle de l’Union départementale des associations familiales (UDAF) du Finistère, il est placé dans une famille bretonne.

L’affaire aurait pu en rester là. Mineur, Zito ne risquait pas d’être frappé d’un quelconque arrêté de reconduite à la frontière. Pourquoi l’UDAF s’obstina-t-elle alors à vouloir faire annuler le rejet de sa première demande d’asile ? Le ministère de l’intérieur n’avait-il pas indiqué, par écrit, qu’il considérait son entrée comme régulière puisque « autorisée (…) par l’autorité de police » et que, à l’âge de dix-huit ans, l’administration ne pourrait donc pas invoquer ce motif pour rejeter une demande de régularisation ?

Pour l’UDAF, M Simon Foreman a d’abord rappelé que « le…

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Regroupement familial : la nouvelle donne

images fig Marie-Amélie Lombard, 10/11/1994

Les immigrés devront se plier à des régies plus strictes

Fondé sur le principe constitutionnel du droit à une « vie familiale normale » pour les Immigrés, le regroupement familial existe depuis vingt ans en France. Il permet au conjoint et aux enfants mineurs d’un étranger séjournant régulièrement an France de le rejoindre. Quelque 32 000 personnes bénéficiant chaque année de cette procédure qui a été modifiée par la loi du 24 août 1993. Le décret d’application et Isa deux arrêtés ministériels introduisant ces changements sont parus ce matin au Journal officiel. Voici ces nouvelles dispositions et leurs conséquences pour la première source (en nombre) d’immigration légale en France.

Ce jour-là, une dizaine de dossiers de regroupement familial devaient passer « à la signature « , une « fournée » relativement normale pour la préfecture des Hauts-de-Seine. Au sommet de la pile, on découvrait le cas d’une Haïtienne,  « ouvrière nettoyeuse », arrivée en France en 1987, voulant faire venir son fils de sept ans. La dernière chemise cartonnée concernait un Marocain de 48 ans, ouvrier du bâtiment, qui souhaitait que sa femme le rejoigne: Autant d’histoires différentes que de dossiers.

Délai minimal

« Les gens ayant vraiment la volonté de s’installer en France y mettent le temps, mais finissent par y arriver ». Ce constat, fait car Jean-Pierre Troussard, directeur de la réglementation est. à ce titre, chargé du regroupement, familial à la préfecture des Hauts- de-Seine, ne fait pas l’unanimité. Ainsi, Me Stéphane Maugendre, avocat spécialisé dans le droit de l’immigration estime-t-il que « la politique actuelle tend à multiplier les obstacles au regroupement familial, poussant les candidats A opter pour la clandestinité. » Jusqu’à présent, trois conditions étalent nécessaires – et, en principe, suffisantes – pour prétendre au regroupement : être en situation régulière en France sur les plans du séjour et du travail depuis au moins un an, disposer de ressources suffisantes et stables (le Smic) pour subvenir aux besoins de sa famille, disposer d’un logement (la superficie exigée dépend de la taille de la famille). La demande de regroupement devait être faite alors que la famille ne se trouvait pas encore en France.

Désormais, le délai minimal de résidence en France est porté à deux ans. Un allongement qui, de l’avis général, ne change rien sur le fond, les immigrés ne demandant le regroupement qu’après plusieurs années passées ici. Trois conditions supplémentaires sont également exigées. Le regroupement doit, sauf exception, être sollicité pour l’ensemble de la famille. « Nous cherchons ainsi à éviter qu’un père fasse venir ses aînés, dans l’Idée de leur trouver un emploi, et laisse sa femme et ses plus Jeunes enfants au pays », explique Gérard Moreau. directeur de la population au ministère des Affaires sociales.

Autre condition nouvelle, la non-polygamie. Une règle claire en théorie: « le bénéfice du regroupement familial ne peut être accordé à un autre conjoint » que celui résidant sur le territoire – mais pouvant être difficile à appliquer. Peu fréquente chez les Maghrébins, la polygamie concernerait « quelques milliers de personnes de l’Afrique sub-saharienne », principalement les Maliens et les Sénégalais.

La dernière condition concerne l’avis du maire (celui du lieu de résidence de l’intéressé), qui doit désormais être pris par les autorités préfectorales mais ne les Iie pas. Cette nouveauté, vieille revendication des élus municipaux, risque de provoquer de multiples conflits entre préfecture et mairies concernées par le regroupement familial et, donc, par une immigration nouvelle.

En principe, précise la circulaire d’application, « le maire doit formuler son avis sur les conditions de ressources et de logement du demandeur». Mais, comme ailleurs, la préfecture des Hauts-de-Seine s’attend à recevoir des avis plus « politiques que techniques » et a devoir arbitrer des situations délicates. Jusqu’à présent, le regroupement familial était un droit pour les personnes remplissant les conditions requises. Entre-t-on aujourd’hui dans le domaine de l’opportunité, les autorités bénéficiant alors d’un pouvoir d’appréciation?  La question est aujourd’hui débattue.

« Les maires feront des choix électoraux », anticipe Me Stéphane Maugendre, tout en estimant qu’aujourd’hui déjà des obstacles déguisés existent dans certaines municipalités. Ainsi, en serait-il des communes qui évitent la construction de logements sociaux de plus de trois pièces, s’« épargnant » ainsi les familles immigrées, a priori nombreuses.

« Devant le fait accompli »

Un de mes clients, Malien, en France depuis quinze ans, voudrait faire venir ses enfants. Il vit actuellement dans un deux pièces. Quand II fait une demande d’appartement plus grand, l’office HLM lui répond : « On verra lorsque vos enfants seront là. » Du coup, Il ne dispose pas d’un logement suffisent pour faire sa demande de regroupement  ».

La fermeté adoptée par les autorités se manifeste également par «des refus systématique», selon Me Maugendre, d’admettre au regroupement des familles déjà présentes sur le territoire. Position défendue à la préfecture des Hauts-de- Seine par Jean-Pierre Troussard : « Nous voulons éviter d’être mis devant le fait accompli, les femmes et enfants présents illégalement sur le territoire n’étant que très rarement expulsés. »

Aujourd’hui, les Marocains arrivent en tête des demandes de regroupement familial, suivis par les Turcs. Souvent, les étrangers attendent plusieurs dizaines d’années avant de se lancer dans la procédure. Tel cet Algérien de 59 ans, chauffeur-livreur, qui demande à ce que sa femme le rejoigne dans son logement de 36 mètres carrés. « Sans doute a-t-il un projet de retraite ici.  A priori, le dossier ne pose pas de problèmes » Commente Jean-Pierre Troussard

La maîtrise de l’immigration

En revanche, le dossier de ce Tunisien de 51 ans, travaillant dans l’automobile et souhaitant la venue de son fils est accompagné d’un avis défavorable : « Logement de 37 mètres carrés non conforme et de grande vétusté, ne convenant pas à un adolescent (pièces sombres, sales, peinture à refaire, humidité, w.-c. extérieur pas de douche ».

Sans compter les « refus au guichet » pour dossiers manifestement Infondés ou incomplets, environ un tiers des de mandes sont rejetées. Pour le premier semestre 1994, la direction de la population a constaté une baisse des demandes de 25 %.

Une diminution qui pourrai bien s’expliquer par « l’effet rigueur » de la loi de 1993 celle-ci ayant parfois été comprise, dans las banlieues comme un arrêt définitif mis à la procédure. Instauré pour faciliter l’intégration des immigrés et éviter les ghettos de « célibataires » forcés envoyant tout leur pécule au pays, le regroupement familial hésite aujourd’hui entre sa fonction première et celle d’instrument servant à la maitrise de l’immigration.

École piégée pour les enfants d’étrangers

logo-liberation-311x113 Nathalie Gathie, 29/09/1994

Quand les parents sont demandeurs d’asile ou en situation irrégulière, l’inscription scolaire des enfants devient un exercice des plus dangereux.

LILIA 8 ANS. Et déjà l’intuition de ne pas être une fillette ordinaire. Son cartable est vide et ses cahiers vierges. Lili n’est jamais en retard, elle n’a pas d’emploi du temps. Pas plus que de devoirs ou de leçons à réciter à sa mère, Zaïroise en situation irrégulière. Lili a peur de «ne rien savoir quand elle sera «grande». Jour après jour, elle ânonne sa crainte de «devenir plus bête que les autres». Les autres, tous ceux qui vont à l’école quand Lili se morfond. «A la rentrée, la mairie d’un arrondissement parisien me demandait trop de documents, j’ai préféré fuir. Je ne peux pas être repérée, sinon on m’expulsera. Aujourd’hui, on veut tellement se débarrasser des étrangers qu’on utilise les enfants. Tout est bon pour nous dégoûter», explique Miyama, la mère de Lili.

Comme d’autres, inquantifiables, Lili est exclue du système scolaire parce que des mairies, parisiennes ou franciliennes, refusent d’inscrire dans leurs écoles des enfants -français ou étrangers- sous prétexte de lutter contre l’immigration clandestine. En exigeant de leurs parents étrangers qu’ils présentent un titre de séjour en cours de validité lors de l’inscription de leur progéniture, les mairies contreviennent aux règles du droit français et international. La Constitution et la Convention des droits de l’enfant garantissent noir sur blanc le droit à l’éducation pour tous. Une circulaire de l’Éducation nationale, datée de 1984, rappelle que «les titres de séjour des parents ou des responsables du mineur n’ont pas à être demandés».

Autant de textes sur lesquels plusieurs mairies s’asseyent allègrement. Si la plupart d’entre elles finis¬sent par inscrire, ce n’est qu’à l’issue de multiples tentatives de découragement. « Elles savent que l’opinion est globalement de leur côté. Et, si on les traîne en justice pour voie de faits ou discrimination raciale, elles n’auront pas plus de 10.000F d’amende. Dérisoire», explique Me Stéphane Maugendre (avocat). Habitué de ces dossiers, il a obtenu la condamnation de Pierre Bernard, maire divers droite de Montfermeil, qui, dès 1986, refusait l’inscription de 44 enfants.

La sanction a été peu dissuasive. En atteste l’obstination de Gérard Probert, maire divers droite de Clichy-sous-Bois en Seine-Saint-Denis: depuis bientôt deux ans, il contrarie l’inscription de deux fillettes dont la mère, domiciliée dans sa commune, est dé¬boutée du droit d’asile. Aujourd’hui, les enfants étudient dans une institution privée trop onéreuse au regard des ressources familiales. Quant à Gérard Probert, il campe sur ses positions. «Le droit à l’éducation existe, mais celui de respecter l’école de la République aussi: il faut vivre à Clichy pour comprendre que les étrangers ne le respectent pas. On a déjà 42% d’immigrés ici, et les clandestins ne font qu’appauvrir la ville. On ne peut pas toujours dire que la France est une terre d’asile.» Quid du droit des enfants «Mais les clandestins sont contre le droit», rétorque le premier magistrat de Clichy.

Récemment, le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) dénonçait  l’«apartheid scolaire». Et ajoutait, documents à l’appui, que les mairies des IXe, XIIe, XIVe, XVe, XVIe, XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe réclament toutes des titres de séjour. Roger Chinaud, maire UDF du XVIIIe, procède ainsi «par souci de recoupement. Je ne fais pas le travail de la police: chacun son métier». Les mairies récusent donc toute arrière-pensée. Elles vérifient. Pour rien?

Il y a quelques mois, Pablo et Maria, couple de Colombiens déboutés de droit d’asile, s’installent dans le XVIlle. Hébergés par des amis, ils ont un domicile fixe et décident, en décembre 1993, de scolariser leurs deux enfants, dont une fillette de nationalité française. La mairie réclame illico un titre de séjour dont les parents ne disposent pas. En février 1994, la Cimade intervient. Mais le dossier «est à l’étude ». Il le demeure, puisque ni l’un ni l’autre des enfants ne sont aujourd’hui en classe. En revanche, le couple, qui, avant ces demandes d’inscription, n’avait jamais été inquiété par les services de police incapables de les localiser, a été convoqué par le commissariat du XVIIIe. Et s’est vu confisquer ses passeports.

Le père de Lili a vécu sensiblement la même «coïncidence ». A cette différence près qu’il est aujourd’hui incarcéré. Car les ennuis de la fillette et de sa mère ne datent pas de cette rentrée scolaire. Ils remontent à l’époque où la famille décide de s’installer à Levallois-Perret. «En septembre 93, j’ai voulu inscrire la petite. Il ont refusé deux fois, mais l’inspection académique est intervenue», explique Miyama, la mère de Lili. Très vite, elle et son époux déchantent. « On était filés et des inspecteurs de police sont venus chez nous >, se souvient-elle. Au même moment, des employés municipaux contactent le Mrap pour l’informer qu’un courrier dénonçant la présence des parents de Lili sur la commune vient d’être adressé à la préfecture à la demande de Patrick Balkany, maire RPR de Levallois. Le 16 juin dernier, le père de Lili est interpellé. Et écope, en comparution immédiate au tribunal de Nanterre, d’une peine de cinq mois de prison ferme assortie d’une interdiction temporaire du territoire de cinq ans.

Isabelle Balkany, conseillère municipale, chargée de la communication, le reconnaît volontiers  » On a écrit au préfet pour savoir quoi faire. Ce type est fêlé d’avoir voulu inscrire son enfant, c’est comme les femmes qui viennent accoucher ici pour que les gosses aient la nationalité française ou les mariages blancs on marche sur la tète ». Les lois concernant l’éducation? «Une ville ne dépend pas d’une circulaire de l’Education nationale, tranche Isabelle Balkany La législation s’est durcie pour les étrangers parceque c’est la volonté du peuple. Et puis un enfant suit ses parents, les mômes de clandestins doivent repartir aussi.»

Lili vit aujourd’hui à Paris Elle attend la libération de son père. Et rêve d’aller en classe .

procédure «en urgence absolue»

images fig Marie-amélie Lombard, 01/09/1994

La procédure «en urgence absolue» utilisée par le ministère de l’Intérieur avait fait l’objet de recours judiciaires de la part des avocats des intégristes présumés

Des profondeurs de l’Aisne à l’exotisme de Ouagadougou : ce fut hier un aller simple pour vingt des vingt-six assignés à résidence de la caserne de Folembray. Sous le coup d’un arrêté d’expulsion, les sympathisants ou militants présumés du Front Islamique du salut ont été embarqués à bord d’un Boeing 737 affrété par le gouvernement, qui a décollé à 9 h 40 de la base militaire de Reims. Destination, un temps gardée secrète par les autorités mais vite éventée : le Burkina Faso, ancienne colonie française d’Afrique, où l’islam est la confession dominante, et qui entretient de très bonnes relations avec l’Algérie.

Les six autres hommes sont restés en France, sous surveillance. Ainsi, Saïd Magri, en grève de la faim, a-t-il été assigné à résidence à Lille. Quant à Larbi Kechat, imam de la mosquée parisienne de la rue de Tanger, qui avait reçu le soutien de diverses personnalités, il est revenu hier à Paris. Un troisième, Abdeslam Ouili, a été assigné à résidence au Blanc, dans l’Indre. Un quatrième, Sara Ramani, un étudiant en électronique de 29 ans, a été assigné à résidence dans un petit bourg de Seissan, à une vingtaine de kilomètres d’Auch, dans le Gers.

Pour tous prenait donc fin un séjour forcé et parfois mouvementé à Folembray. Il avait commencé au lendemain de l’assassinat de trois gendarmes et deux agents consulaires français, le 3 août dernier, à Alger. L’opération avait été comprise comme la réplique de Charles Pasqua aux islamistes. Très vite, les avocats des assignés avaient engagé une polémique avec le ministère de l’Intérieur. Leurs critiques portaient à la fois sur les conditions de l’assignation à résidence (surveillance policière, liberté de mouvement toute relative) et sur le silence observé par les autorités pour expliquer les motivations de cette mesure.

Le mois d’août était sur le point de s’achever ainsi. Entre grève de la faim, protestation des habitants appréciant modérément ce nouveau voisinage, et mise en garde contre la France lancée par le porte- parole improvisé des assignés, Djaffar el-Houari, président de la Fraternité algérienne en France. Deux « rendez-vous » avaient cependant été fixés dans la bataille juridique engagée entre avocats et ministère de l’Intérieur.

« Fait du prince »

Le premier était pris pour aujourd’hui devant le tribunal des référés, à Laon, où Charles Pasqua avait été assigné pour voie de fait, l’objectif des avocats étant de démontrer que l’assignation à résidence s’apparentait à une « détention illégale ». Hier, après l’expulsion, les avocats étaient, semble-t-il, décidés à se rendre malgré tout à Laon. Il paraissait cependant peu probable que le tribunal statue aujourd’hui sur une situation déjà dépassée.

La seconde procédure était engagée devant le tribunal administratif d’Amiens, en principe amené à se prononcer dans la première quinzaine de septembre. L’expulsion sur¬prise d’hier a donc permis à Charles Pasqua de court-circuiter ces voies judiciaires. Le régime de l’expulsion lui en laissait la possibilité. « C’est en effet une des rares mesures relevant encore du « fait du prince » », note Me Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des étrangers, qui critique toutefois « l’usage qui en est fait aujourd’hui, où la simple suspicion devient un élément à charge ».

C’est une ordonnance de 1945 qui régit « l’expulsion en urgence absolue ». Une telle mesure, administrative, doit remplir deux conditions (non cumulatives depuis la loi Pasqua de 1993) : une urgence absolue et une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique. Par; ailleurs, si l’étranger frappé d’une mesure d’expulsion établit « qu’il ne peut ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans aucun autre pays », il « peut être astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés ».

C’est en théorie le cas de figure de Folembray. Dès le début, le ministère de l’Intérieur avait déclaré que les occupants de la caserne, sous le coup d’un arrêté d’expulsion, devaient eux-mêmes chercher un pays d’accueil, et que, dans l’Intervalle, ils étaient assignés à résidence. Version aussitôt réfutée par les avocats, qui indiquaient que les assignés ne pouvaient guère communiquer avec l’extérieur, et encore moins se dénicher une « Invitation » à l’étranger. Dialogue de sourds, donc, que les tribunaux n’auront sans doute pas le loisir de trancher. Au-delà des questions de procédure et de forme, les critiques s’élevaient hier sur l’opacité observée par les autorités depuis le début de l’affaire. Avec une question récurrente : que reprochait-on exactement à ces vingt-six personnes ? En la matière, le ministère de l’Intérieur n’avait pas, juridiquement, l’obligation d’apporter des précisions sur ses soupçons ou griefs à l’égard des assignés. Au cours du mois, les arrivées successives de ces 26 personnes – 25 Algériens, 1 Marocain – à Folembray avaient été justifiées par « leurs activités en relation avec un mouvement qui prône et pratique la violence et le terrorisme ».

Hier, après l’expulsion, le communiqué du ministère indiquait qu’ils avaient été « signa-lés par les services de police comme se livrant à des activités susceptibles de présenter des dangers pour la sécurité de nos compatriotes ». Ce genre de formule fait inévitablement bondir les avocats. « On a tapé au pif ! » lance Me Philippe Petillault. « Cela a des relents de ratonnade », estime pour sa part Me Dupond-Moretti.

La plupart des occupants de la caserne avaient une « façade » relativement anodine. Des étudiants, des commerçants, un imam, etc. Sept d’entre eux avaient déjà fait l’objet d’une précédente assignation à résidence, à l’automne 1993, lors de l’opération « Chrysanthème ». Cette « rafle » dans les milieux supposés islamistes avait été organisée après l’enlèvement d’un couple de Français, les époux Thévenot, en Algérie.

« Façade » anodine

De leurs clients, les avocats ne possèdent souvent qu’un curriculum vitae relativement succinct. Et seraient fondés, selon eux, à connaître les éléments retenus contre eux par les pouvoirs publics. De son côté, le ministère de l’Intérieur observe un mutisme complet sur le sujet. Conclusion des avocats : si des charges sérieuses avaient existé, des poursuites auraient été engagées. Ce qui n’a jamais été le cas – aucun des assignés de Folembray n’avait fait l’objet de poursuites judiciaires, et ce qui tendrait à prouver, disent, les conseils, que les dossiers sont vides.

En un mois, peu d’informations sont finalement parvenues sur ces vingt-six hommes. Voici le portrait rapide fait par Me Petillault d’un de ses clients : « Ali Amar, la trentaine, marié, trois enfants. Cet étudiant, en cours de thèse dans un domaine scientifique, habitait à Orléans avec sa famille. Depuis l’automne dernier, il avait été assigné à résidence dans le Cantal. Il se déclare lui-même sympathisant de la Fraternité algérienne en France et du FIS, mais il n’est membre d’aucune de ces organisations. Il était arrivé en France il y a quatre ans pour poursuivre ses études. » Biographie incomplète, mais qui le restera sans doute.

Par ailleurs, les conseils soulignent les « problèmes humains » soulevés par l’expulsion : des familles restées en France, des professions ou des études brusquement inter¬rompues. Les expulsés seront « libres de leur mouvement et pourront aller là où ils veulent quand ils le souhaitent », indiquait hier le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso. Tout au long de la journée, un léger malentendu semblait planer sur le nombre exact de passagers à bord du Boeing 737 parti de Reims : 20 pour la France, 19 pour le Burkina. Hier matin, dans un ministère de l’Intérieur visiblement satisfait du tour pris par les opérations, ne répondait-on pas que l’avion avait pris la direction du «triangle des Bermudes» ?

Comparutions immédiates : les habitués de la 23ème

la-croix-logo Florence Couret, 07/05/1994,

Première porte à gauche, par l’entrée du Quai des Orfèvres. L’audience des comparutions immédiates de la 23e chambre correctionnelle du palais de justice de Paris est ouverte. Comme d’habitude, la « 23e » fait salle comble. Sous le regard impavide des traducteurs, les avocats jettent un ultime coup d’œil sur leurs dossiers.

Le premier prévenu se lève. Et dans un murmure inaudible décline son identité. Farid est algérien. Débarqué en France à l’âge de 16 ans, il est depuis près de sept ans en situation irrégulière sur le territoire. Le tribunal l’entend ce jour-là pour une tentative de vol de portefeuille: «D’habitude je reconnais les laits, mais là c’est pas vrai», plaide-t-il dans un souffle. «D’habitude», dit Farid… Un casier judiciaire long comme une nuit au dépôt et un dossier frappé, comme beaucoup d’autres, du tampon «ITF». Ce sont les «interdits» de territoire français. Régulièrement condamné, régulièrement repris.

Environ quinze minute par dossier

La comparution immédiate est une procédure réservée aux affaires simples ». Les prévenus ont par ailleurs souvent des antécédents judiciaires ou sont en séjour irrégulier. La capitale traite à elle seule 25% des ces affaires. Soit, environ, 40 à 50 dossiers par jour. Une charge énorme qui pèse sur les après- midi de la 23e… Même en «tirant» les audiences jusqu’à 22 heures parfois, le temps moyen accordé à un dossier excède rarement 15 minutes.

Un quart d’heure pour faire la lumière… « parodie de justice», disent les avocats qui peuvent avoir jusqu’à trois ou quatre dossiers le même jour et ne disposent de quelques heures le matin pour rencontrer les prévenus. « On n’a généralement pas le temps de contacter les familles ou de se procurer les documents nécessaires », raconte Florence Rémy, avocate à Paris. Une défense difficile à assurer dans de telles conditions, ajoute Stéphane Maugendre, avocat à Bobigny et membre du Syndicat des avocats de France : « Il n’y a pratiquement aucune étude de personnalité. Ce qui fait qu’on a entre les mains les seuls procès»verbaux de police! »

La « 23ème » est un petit monde où le temps presse, sans cesse. Et où l’on sent rapidement poindre la routine. Avec des dossiers qui ressemblent à s’y méprendre à ceux de la veille; des arguments stéréotypés, du côté de la défense comme du côté de l’accusation ; des peines qui tombent, un peu comme si les « tarifs » étaient affichés à l’entrée; des prévenus qui portent gravement cette même mauvaise mine que collent immanquablement les heures passées dans la «souricière» – le sous-sol du palais où ils attendent; et enfin les «tricoteuses», ces indéracinables collées aux bancs du public, qui viennent là comme on va au spectacle.

Farid attend les réquisitions. Inquiet. Le substitut du procureur est visiblement exaspéré : « Moi, ici, je n’entends que des innocents toute la journée! Voilà quelqu’un qui nous promène depuis des semaines en changeant en permanence de nom, avec une quinzaine d’alias. Il faut un emprisonnement dissuasif » Dissuasif? L’avocate s’interroge : « Après un an de prison, Farid sortira et son pays n’en voudra pas. Il a déjà fait huit mois, puis encore six mois. Pourquoi douze mois seraient-ils soudain plus efficaces?»

Justice rapide ou justice bâclée?

Dossier suivant. Pascal, 23 ans, plusieurs fois condamné pour vol à la tire, SDF, toxicomane, malade du sida, atteint de tuberculose. La prison, c’est le cadet de ses soucis. Il demande simplement, d’une voix douce, qu’on lui fasse parvenir ses médicaments. F. Rémy fulmine : « Les comparutions immédiates sont à la fois rapides, sévères et sans suivi. Les toxicomanes vont en prison parce qu’ils ont volé. Mais ils volent parce qu’ils sont toxicomanes. Alors qu’est-ce qu’on fait?»

À cette question, les représentants de l’accusation répondent invariablement : il y a eu faute, il doit donc y avoir sanction. Justice à la chaîne? Justice rapide ne veut pas dire bâclée, rétorquent-ils. A 17 h 30, les délibérations sont terminées. Farid est condamné à dix mois de prison et une interdiction de territoire de dix ans. Pascal fera aussi quelques mois. La cour le presse de rester en contact avec l’hôpital et d’aller se faire saigner »… En réponse, Pascal marmonne que de toute façon il n’en a « plus pour très longtemps ». S.Maugendre, lui, n’en démord pas: « Décider de la vie de quelqu’un en quelques minutes, c’est tout, sauf de la justice. »

Le syndicat des avocats de France dénonce les «lettres de cachet» de Charles Pasqua

logo-liberation-311x113 Dominique Simonnot, 14/04/1994

Sur le thème «Demain, j’enlève le droit», le 21è congrès du SAF (Syndicat dos avocats de France) s’est achevé hier à Bobigny par le vote unanime de six motions, toutes peu ou prou consacrées au thème de l’accès au droit.

Comme l’avait annoncé Patrick Tillie, le président du SAF (gauche, un tiers des votes aux : élections professionnelles) les lois de Charles Pasqua et le rôle du ministre de l’Intérieur se sont retrouvés, trois jours durant, au centre des débats du syndicat.

Dans une motion intitulée « On a enlevé le droit », les avocats fustigent des « atteintes inadmissibles à des principes et à des valeurs essentielles à tous ».

Ainsi, en mai 1994, à Lyon où deux jeunes manifestants ont été expulsés en urgence absolue. Ou en août 1994 à Folembray avec  » lettres de cachet et expulsion collective d’étrangers suspectés de liens avec les milieux intégristes sur de simples et sommaires allégations administratives ». Et encore la « séquestration à fond de cale » à Brest et à Dunkerque, en avril et juin de demandeurs d’asile. Pour le SAF « ces quelques exemples montrent que les autorités et l’administration de la République piétinent l’État de droit ».

Passant à la loi sur la maîtrise de l’immigration, le SAF rappelle s’être inquiété lors de son précédent congrès de la vie familiale et privée des étrangers en France. Un an plus tard, la situation s’est encore dégradée, affirme-t-il et, le SAF exige le rétablissement immédiat d’une loi interne conforme aux engagements internationaux de la France.» Autre préoccupation du syndicat, l’amélioration du système de l’aide juridique afin que l’accès au droit, à la justice et a la défense soit accessible et égal pour tous».

Mais le grand moment du congrès a été, selon tous les participants, l’arrivée de quatre avocates algériennes venues décrire à leurs confrères ce qu’était leur vie en Algérie. «Je n’ai jamais vu un congrès aussi émouvant, raconte Stéphane Maugendre, président de la section du SAF à Bobigny, toute la salle était au bord des larmes et certains pleuraient franchement. »

Solidarité avec les avocats algériens

Parmi les avocates algériennes, Me Dalila Meziane qui a fait une demande d’asile à la France et a expliqué: « Je suis la fille d’un homme qui a versé son sang pour l’indépendance et aujourd’hui viens me réfugier au de vous. ». Deux motions ont été consacrées a l’Algérie. La première, générale, affirme une solidarité avec le peuple algérien tandis que la France a fermé encore davantage l’accès du territoire « refuse le plus souvent de reconnaître la qualité de réfugié aux Algériens et fait  chaque jour interpeller et reconduire à la frontière des algériens anonymes ». La deuxième résolution concerne spécialement les avocats algériens pour qui le SAF appelle « les ordres et tous les avocats à apporter aide et assistance aux avocats algériens contraints de s’expatrier ».

Salarié étranger: qui c’est celui-là ?

Avocat et entreprises, Cécile Cochard, avril 1994

_DSC0053Si l’embauche de salaries étrangers s’impose pour toutes les sociétés dont les activités néces­sitent des relations quo­tidiennes avec l’international, elle concerne également la plupart des entreprises françaises. Des recrutements qui, loin d’être une simple formalité, relève plutôt du parcours d’obs­tacles. Une législation en constante évolution, une multitude de régimes particuliers, des sanctions lourdes en cas d’irrégularité… Mieux vaut s’informer avant d’engager !

Une société d’import- export de Seine-Saint- Denis assure le transit de marchandises entre Alger, Paris et Londres. Après avoir longtemps cherché un commercial parfaitement tri­lingue, elle trouve enfin la perle rare : un algérien disposant d’une solide expérience commerciale, pratiquant l’arabe, le français, l’anglais et possédant un visa long séjour. L’entreprise remplit le contrat de l’Office des Migra­tions Internationales (OMI) et l’adresse, par l’intermédiaire de la préfecture, à la Direction Départementale du Travail, de ‘Emploi et de la Formation Professionnelle (DDTEFP).

Refus formel de celte dernière qui lui oppose la situation de l’emploi : pour cette catégorie de postes, l’ANPE enregistre dans le département une de­mande trop importante par rap­port à l’offre. Si l’entreprise avait travaillé avec Madrid et voulu recruter un espagnol trilingue, elle n’aurait pas rencontré ce type de problème puisque les membres de la CEE bénéficient d’un régime particulier (comme d’ailleurs les cambodgiens, vietnamiens, gabonais…). De même, si elle avait souhaité embauché un cadre étranger ré­munéré plus de 17 000 F par mois, la DDTEFP se serait sans montrée moins draconienne, les consignes ministérielles préconisant  alors davantage de « bienveillance ».

Des textes à profusion

Le droit des étrangers est très complexe, explique Bruno Marcus, Bâtonnier du Barreau de Seine-Saint-Denis, car il contient une multitude d’ex­ceptions et de régimes particu­liers selon le titre de séjour, le pays d’origine ou la fonction du travailleur étranger. Par ailleurs, il évolue à un rythme tel qu’il est difficile pour les employeurs de s’y retrouver sans l’aide d’un spécialiste”. Ainsi, le texte de référence en la matière – l’or­donnance du 2 novembre 1945 relative à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire français – a été modifié au moins une trentaine de fois depuis 1974 ! Sans compter les di­verses circulaires qui se succè­dent si rapidement qu’elles sont appliquées avant même d’être publiées. A cette profusion de textes s’ajoutent les contraintes administratives également susceptibles d’effrayer les entreprises. Où s’adresser ? A quel moment ? OMI, Préfecture, DDTEFP, Inspection du Travail… Les organismes compétents sont nombreux et les démarches souvent longues. Certaines grandes entreprises, comme par exemple la Comatec (société de nettoyage de la RATP), disposent d’un système de boîte aux lettres destiné à accélérer le traitement des dossiers, mais la plupart des PME ne bénéficient pas de tels avantages. Faute d’informations précises, elles sont parfois amenées à refuser des candidats qui ont le droit travailler et leur conviendraient parfaitement. Les autorisations provisoires de séjour, par exemple, suscitent quelque méfiance alors que cer-taines permettent à leurs déten¬teurs d’exercer une activité pro-fessionnelle en toute légalité.

Des sanctions de plus en plus sévères

Malgré la complexité des textes et des procédures, les entreprises ont d’autant plus intérêt à ne négliger aucune vérification que les sanctions appliquées pour lutter contre le travail clandestin tendent à se renforcer. Outre celles visées dans le Code du Travail, l’ordonnance du 2 novembre 1945 condamne l’aide directe ou indirecte à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers sur le territoire français. Amende de 2 000 F à 200 000 F, emprisonnement de deux mois à cinq ans, interdiction de séjour, impossibilité d’exercer pendant cinq ans au maximum l’activité dans laquelle l’infraction a été commise, fermeture de l’établissement… La liste s’est encore allongée avec l’entrée en vigueur, le 1er mars 1994, du nouveau code pénal. Des sanctions qui peuvent dissuader même les entreprises soucieuses de respecter les règles ! En effet, comment se sentir à l’abri de la moindre erreur quand il faut affronter un tel parcours d’obstacles ?

Quelques précautions s’imposent

“Le droit des étrangers, souligne Stéphane Maugendre, avocat au Barreau de Seine-Saint-Denis, est devenu une affaire de spécialistes”. Or, les PME/PMI ne disposent pas toujours d’une direction du personnel ou de services juridiques qui en maîtrisent toutes les subtilités. Certaines préfèrent donc s’en remettre aux conseils d’un avocat sans attendre que surgissent d’éventuelles difficultés. “Pourtant, les avocats spécialistes de ce domaine sont encore insuffisamment nombreux, souligne Bruno Marcus, et dans un contexte économique difficile les entreprises privilégient souvent la rentabilité immédiate au détriment d’une stratégie à plus long terme”. Soumises à une forte concurrence, elles sont par¬fois obligées d’embaucher vite et à moindre frais, quitte à s’apercevoir ensuite qu’elles ont négligé quelques précautions élémentaires. La première consiste à vérifier le titre de séjour du candidat. Présente-t-il une mention résident, étudiant, visiteur ou salarié ? A chacune d’entre elles correspond, en effet, un régime particulier. Pour le résident, il suffit de conserver une photocopie de sa carte et de vérifier son renouvellement tous les 10 ans. L’étudiant, en revanche, ne peut exercer d’activité professionnelle que s’il obtient une autorisation provisoire de travail (valable jusqu’à 20 heures par semaine) et les visiteurs s’engagent à ne pas travailler sur le territoire sauf si leur activité n’est pas soumise à autorisation. C’est le cas des professions libérales (architectes, médecins, enseignants…), chercheurs, guides, interprètes, cadres détachés en France par une entreprise étrangère, intermittents du spectacle… Concernant la carte de séjour mention “salarié”, il faut savoir qu’elle est valable un an et limite par¬fois les possibilités d’embauche à un secteur d’activité et/ou à une région déterminés. Si l’étranger est entré sur le territoire avec un visa long séjour en vue d’obtenir une carte de séjour mention “salarié” (pour certains pays, un visa court séjour de trois mois suffit), l’employeur doit remplir un contrat OMI et le transmettre à la DDTEFP qui opposera ou non la situation de l’emploi. Pour éviter un refus, notamment quand il s’agit de candidats atypiques, mieux vaut spécifier, de façon très détaillée, la nature du poste et les compétences requises, en joignant au contrat une lettre d’accompagnement. Plutôt que de se référer aux catégories assez rigides de l’ANPE, l’administration effectuera ainsi une recherche plus approfondie et reconnaîtra sans doute que les commerciaux parlant couramment arabe, français et anglais ne sont pas légion en Seine-Saint-Denis.

La rafle de novembre contre les Kurdes

Justice, Entretien avec  Stéphane Maugendre réalisé par Jean-Claude Bouvier et Pierre Jacquin, avril 1994

« Le seul élément, c est le rapport du ministère de l’Intérieur… « 

Justice : Qu’est devenue la procédure visant les Kurdes ?

Stéphane Maugendre : … Sur les 21 mandats de dépôt, une personne est sortie après le débat différé, les autres ont été sorties par la chambre d’accusation ou par le juge. B en reste aujourd’hui 8 en détention provisoire. Ce sont des responsables nationaux des associations kurdes et du comité du Kurdistan, sauf les deux qui ont été assignés à résidence sur arrêté ministériel d’expulsion ; un est considéré comme un intellectuel, un « idéologue » ; un ou deux autres sont des militants purs et durs qui se revendiquent tels ; trois autres sont en infraction à la législation sur les étrangers.

Justice : Que leur reproche-t-on et quels éléments viennent étayer ces mises en examen ?

Stéphane Maugendre : On leur reproche à tous le même délit d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste… Quant aux éléments, il n’y en a pas, si ce n’est le rapport du ministère de l’Intérieur.

Justice : Aucun élément supplémentaire ne s’y est ajouté après la phase proprement dite des « rafles » ?

Stéphane Maugendre :: … Au moment des rafles on retrouve un carrai.r, nombre de documents qui sont des comptes, région par région… On suppose, sans que la preuve en apparaisse au dossier, que cet argent provient de racket alors qu’il a jours été revendiqué comme étant le produit de la solidarité. Il y a même cette mystérieuse liste composée de chiffres été reproduite dans la presse… et traduite par le enchaîné : on s’est aperçu qu’il s’agissait d’une liste de courses !

Les policiers ont tout saisi et dans le dossier il y a donc tout et n’importe quoi. On a ainsi trouvé des bouteilles de plastique vides…, des jerricans vides ayant peut-être contenu- produits inflammables… Mais on ne retrouve — et c’est intéressant au regard du contenu du rapport du ministère de l’Intérieur — ni shit, ni cocaïne, ni héroïne… pas un seul gramme; on ne retrouve aucune liste de gens passés clandestinement — on avait pourtant parlé d’organisation de trafic de clandestins… —, aucune arme, pas un seul pistolet, pas une seule cartouche.

Dans toutes les régions, Lyon, Grenoble, où des gens ont été arrêtés, des enquêtes ont été effectuées par la police auprès de la communauté turque et kurde pour essayer de savoir si certaines plaintes seraient déposées pour racket… Pour l’instant, elles n ‘ont rien donné.

Justice : Où en est l’instruction aujourd’hui ?

Stéphane Maugendre : Elle est terminée. En fait, elle était terminée… dès le départ. La procédure était essentiellement motivée par nos relations avec la Turquie. L’élément déclenchant réside sans doute dans la vente d’hélicoptères de la France à la Turquie, début novembre si mes souvenirs sont bons. A la suite de quoi, on sent que cela bouge dans le milieu kurde qui essaie de s’organiser au niveau européen pour contrer l’influence d’une Turquie dont l’Europe a besoin pour établir des bases par rapport à la Bosnie, par rapport à l’Irak, etc Et cet élément joue beaucoup. Il explique la rafle du 18 novembre, dont le seul intérêt consiste dans son effet d’annonce : certains journalistes étaient d’ailleurs informés deux jours avant les descentes.

Justice : … Un effet d’annonce légitimé par les 21 mandats de dépôt décernés le 20 novembre par Laurence Le Vert et Roger Le Loire, juges d’instruction antiterroristes… ?

Stéphane Maugendre : Tout à fait: La procédure démarre avec les autorisations de perquisitions accordées par Marie-Paule Moracchini, sur la base des deux rapports du ministère de l’Intérieur et des fiches de renseignement qui les accompagnent.

Au bout de 36-48 heures, les dossiers remontent sur le bureau de Laurence Le Vert qui vient d’être désignée… il y en a dix tomes — environ 5 000 pages. Et le juge d’instruction s’y colle de dix heures du matin à minuit. Mais quelle consultation a-t-elle pu faire d’un tel dossier si l’on sait que durant plusieurs semaines, il a été impossible de s’y retrouver ? La greffière a mis 3 ou 4 jours pour seulement coter le dossier : donc pas moyen d’avoir de copie et comme cela passe par la d’accusation, le juge d’instruction lui-même n’en a pas. L’organisation matérielle interdit au juge de faire son travail de juge, au greffier de faire son travail de greffier… et à l’avocat de faire son travail de défense. Personne n’a vraiment pratiquement pu lire le dossier durant pratiquement un mois parce qu’il n’y avait qu’un seul original et que le dossier naviguait entre les référés-liberté, les appels sur mandats de dépôt, les demande de mise en liberté, etc. Au niveau même de la défense, il y avait impossibilité de faire les choses correctement. Et durant un  mois, notre seule chance a été d’avoir le dossier lors de nos tous premiers appels parce que, par hasard, il se trouvait à ce moment-là devant la chambre d’accusation.

Justice : Avec une procédure pareille « montée » par le ministère de l’intérieur celui-ci est assuré de voir les choses tenir le temps qu’il estime nécessaire ?

Stéphane Maugendre : Oui. D’ailleurs dans ce contexte de désorganisation les seuls qui étaient vraiment armés, dès le début, dans cette procédure… c’était comme par hasard le parquet. Lors des débats contradictoires, le 20 novembre, le chef de la section antiterroriste était constamment dans le couloir, et elle avait ses fiches de renseignements avec un petit résumé sur chacune des personnes. Dans ces conditions, le juge d’instruction était en quelque sorte « otage » du matériel que lui fournissait le parquet, sans avoir le moindre recul par rapport à ces éléments. Tant le juge d’instruction — qui n’a pas cinquante mains et cinquante yeux — que la défense nous n’avons été au point sur le dossier qu’au bout d’un mois…

Nouveau code, vieilles recettes

logo_site Véronique Lopez, 24/02/1994

Le nouveau bréviaire des juristes entre en vigueur le 1er mars. L’arsenal de répression en sera une nouvelle fois renforcé.

Une refonte totale de la codification napoléonienne de 1810, « une réforme sans précédent », bref « un événement » ; tout en satisfecit et en grandes pompes, le ministre de la Justice saluait, fin janvier, devant le gratin de la magistrature et du barreau, un «nouveau » code pénal «inspiré par les droits de l’homme, à la fois plus clair, plus juste et plus efficace».

De prime abord, la présentation est attirante et ne manque pas de faire référence aux travaux préparatoires impulsés par la commission de révision Badinter de 1981. L’actuel garde des Sceaux, Pierre Méhaignerie, aurait tort, d’ailleurs, de ne pas se gargariser de ce code « consensuel », voté entre 1989 et 1992. Un texte de « compromis », à même de faire la part des choses entre une protection accrue de « la personne j humaine dans sa vie, sa dignité et son intégrité » et le souci de limiter « le recours à ‘l’emprisonnement » et de favoriser « l’individualisation de la peine ». Dépoussiéré des incriminations tombées d’elles-mêmes en désuétude, le délit de vagabondage par exemple à une époque où la France compte 400 000 SDF, le nouveau code pénal devait être selon l’expression du ministre «plus expressif des valeurs de notre société, à savoir le respect des droits de l’homme».

Sagesse et hauteur de vue donc, tout à la fois pour un texte «humaniste» et le ministre d’un gouvernement pourtant plus préoccupé de sécurité que d’humanité.

« Une mascarade qui camoufle derrière une apparente bienveillance, un retour au tout répression et à l’ordre moral », tel est pourtant, à l’égard du nouveau texte, le point de vue des juristes les plus virulents. Alors que les plus cléments invoquent « un code en trompe l’œil, flou et sans réflexion ».

Parmi ces derniers, Jean-Claude Bouvier, juge d’application des peines et membre du Syndicat de la magistrature, critique un texte qui «reprend pour l’essentiel l’architecture générale de l’ancien code de 1810 et conserve l’emprisonnement, clé de voûte de tout le système pénal depuis près de deux siècles, comme peine de référence».

Le NCP, cet « instrument juridique adapté à notre époque» comme aime à le ressasser Pierre Méhaignerie fait l’impasse sur des décennies de travaux doctrinaux reconsidérant le sens de la sanction pénale, le rôle social de l’enfermement ou sur les peines alternatives à la prison.

A première vue pourtant, l’article 131-3 pose une disposition générale supprimant la hiérarchie des peines, égalisées entre elles. On ne parlera plus dorénavant de peine de substitution en tant que telle. La prison devient — grande avancée théorique — une peine parmi les autres, équivalente au travail d’intérêt collectif (TIG) ou au jour-amende. Ce beau principe ne résiste cependant pas longtemps à sa mise en examen.

La voix posée, le juge Bouvier jongle avec ses petits livres rouges pour décrypter article par article la nouvelle législation pénale : « Après la définition de l’infraction, la référence principale reste la peine de prison et l’amende. La soustraction frauduleuse de la chose d’autrui (le vol) est révélatrice de cette hypocrisie théorique. Si la peine d’emprisonnement stagne, l’amende, elle, connaît une inflation vertigineuse en passant de 20 000francs à 200 000francs ! ».

« L’échelle des peines, d’une manière générale, et quel que soit le délit visé, est revue à la hausse, soit directement, soit par le jeu de combinaisons perverses. Pour la catégorie des vols simples, la nouvelle loi ne prévoit pas moins de huit circonstances aggravantes. Le vol «commis dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs» sera plus sévèrement puni qu’un vol à la tire mais au grand air. « La SNCF et la RATP, note Catherine Erhel, deviennent une circonstance aggravante du vol qui alourdit la condamnation possible de deux à cinq ans (1) .

La mèche en bataille, Stéphane Maugendre fulmine. Cet « avocat de base », comme il se définit lui-même, pénaliste et ancien président de la commission pénale du Syndicat des avocats de France (SAF) accuse en bloc le système mis en place par ce nouveau code  « Sous prétexte de dépoussiérage, on cède avant tout à la mode. C’est ça le nouveau code pénal, un code-mode, avec des délits, des crimes dans le coup ! Le législateur cède à la pression sociale et médiatique. Or, ce n ‘est pas son rôle. Le législateur n est pas là pour répondre a l’envie populaire du moment mais pour donner des principes, une philosophie pénale qui fait totalement défaut dans le nouveau texte »

Remise en cause de l’individualisation des peines par la disparition de la logique des circonstances atténuantes et I’augmentation des peines de sûreté instaurées par Alain Peyrefitte, disparition du sursis dès la seconde condamnation, multiplication des aggravations de circonstances, renforcement du système de « la double peine » pour les étrangers, le rapport du SAF n’en finit pas de décliner cette « poussée répressive ».

Respectueux des grands principes,  on accordera au NCP le bénéfice du doute profite encore, sauf à Nice, à l’accusé. En  fin de compte et au regard de la législation envers les étrangers, « c’est bien un code reflétant les valeurs de notre temps, mais qui ne sont pas celles des droits de l ‘homme » déplore Jean-Claude Bouvier.

Un code de marchandage aussi ente Sénat et Assemblée nationale, discuté le nez sur les faits-divers et les fantasmes collectifs : viols et meurtres d’enfants, insécurité urbaine, squats, tags, tout ce qui est directement perceptible est incriminé en tant tel. La mise en place de ce code policé s’accompagne comme c’est souvent le cas d’un retour à la morale destiné à lutter contre dépravation des mœurs. L’article 227-4, introduit à la hussarde en commission mixte paritaire, rétablit un retour à l’ordre moral et à la censure impulsé par les ligues de vertu qui pourront à tout moment se constituer partie civile pour attaquer livres, films, photos propageant « un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité de la personne humaine (…) lorsque ce message sera susceptible d ’être vu ou perçu par un mineur ». Enfin de compte, la seule promesse tenue par Pierre Méhaignerie lors de son discours inaugural, semble bien être celle d’un code simplificateur, permettant la compréhension de la loi par tous, tant il est vrai que la rédaction du nouveau code pénal doit beaucoup à la presse à scandales.

(1) « La loi et le fait-divers « , Catherine Erhel. revue Esprit, octobre 1993.