Suite aux tueries survenues à Montauban et Toulouse, le président Nicolas Sarkozy mène l’offensive contre l’islam radical. Il souhaite notamment une accélération des procédures d’expulsion concernant les « extrémistes » présents en France. Dans la foulée, il souhaite aussi interdire la venue sur le territoire national de toutes les personnes tenant des propos infamants contre la France.
Que ce soit des imams ou des prédicateurs, ces personnes qualifiées par le ministère de l’Intérieur d’« extrémistes » auraient une conception de l’islam contraire aux valeurs de la République. Ce qui justifie l’introduction de mesures d’éloignement, une procédure qui se fait régulièrement.
« Le code de l’entrée du séjour des étrangers prévoit la possibilité d’expulser de France tout étranger qui constitue une menace grave pour l’ordre public, explique Stéphane Maugendre, juriste au Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Ce genre d’arrêtés peut être pris en urgence absolue -il ne faut pas que ce soit tout d’un coup parce qu’on décide de le faire qu’il y a urgence absolue- et à ce moment là, la condition d’expulsion n’est pas saisie par le ministère de l’Intérieur ou la préfecture. Et donc ça peut être fait dans les 24 heures ».
Pour autant ce n’est pas si simple et des recours sont possibles comme le détail Stéphane Maugendre : « En urgence, devant le tribunal administratif de Paris, pour voir si effectivement les conditions requises par le texte sont ou non remplies ». Les concernés peuvent aussi se tourner vers les instances européennes. « Il arrive régulièrement que la Cour européenne des droits de l’homme demande à la France de suspendre l’expulsion dans l’attente d’une étude approfondie du dossier ».
Depuis 2001, 129 islamistes radicaux ont été expulsés du territoire français.
IL Y A UNE SEMAINE, Nicolas Sarkozy annonçait aux députés avoir demandé aux préfets l’expulsion « sans délai » de « 120 étrangers, pas tous en situation irrégulière » impliqués dans les violences urbaines. Samedi soir, lors d’une visite au commissariat du VIII ème, le ministre promettait qu’elles auraient lieu « peut-être dès lundi ».
« Il ne s’agit pas de faire du chiffre, c’est une question de principe », précisait-il. Et hier, il a indiqué à l’Assemblée nationale que dix procédures d’expulsion d’étrangers ayant participé aux émeutes des banlieues avaient été engagées.
Une « cellule de vigilance » pour préparer d’éventuels recours.
Mais du discours à l’application, le pas se révèle toutefois plus difficile que prévu. Vilipendé par l’opposition (PS, Verts), accueilli favorablement par les députés de la majorité – dont l’un, Jean-Paul Garraud (UMP Gironde), a même proposé de déchoir de leur nationalité des fauteurs de troubles naturalisés – cette mesure se heurte avant tout, comme l’ont souligné nombre d’associations de défense des droits de l’homme, aux termes de la loi elle-même. L’affaire de l’imam de Vénissieux, visé par trois arrêtés successifs, avait démontré à quel point le cadre de ce type d’expulsion administrative est strict. « Il ne peut être justifié que dans des situations très rares de menace grave à l’ordre public », décrypte Marie Dufflo, du Gisti (Groupement de soutien et d’information aux immigrés). En énumérant les comportements en question (portant atteinte aux intérêts de l’Etat, ou liés à des activités terroristes, ou de provocation à la discrimination, la haine, la violence), la juriste interroge : « Une voiture brûlée entre-t-elle dans ces catégories ? »
Au-delà du flou sur leur nombre (une centaine sur les 1 500 gardés à vue selon la DGPN le 10 novembre), le profil même des émeutiers étrangers placés en garde à vue constitue en soi un obstacle, en raison des protections interdisant l’expulsion de certaines catégories d’étrangers. Dès vendredi, le Conseil national des barreaux estimait que « la plupart des jeunes » condamnés pour violences urbaines étaient « inexpulsables ». « On ne voit pas bien où ils vont les trouver, poursuit Marie Dufflo. Au minimum, ces étrangers doivent être majeurs, ne pas avoir résidé habituellement en France avant l’âge de 13 ans et ne pas y avoir de famille. » Pilier d’une « cellule de vigilance
» mise en place hier par le barreau de Seine-Saint-Denis afin de préparer d’éventuels recours contre des arrêtés pris « en urgence absolue », Me Hacene Taleb s’indigne : « M.Sarkozy est pourtant avocat ! A-t-il oublié l’esprit de la loi ? »
Saisi en référé par SOS Racisme samedi, le Conseil d’Etat avait débouté l’association de sa requête, confirmant la légalité du télégramme adressé par le ministre de l’Intérieur aux préfets, tout en estimant ses déclarations à l’assemblée « sujettes à caution au plan de la légalité ». Nombre d’associations estiment ainsi au final que « le but était avant tout d’ordre politique ». « Il a joué le symbole, le clin d’oeil aux électeurs du Front national, l’amalgame », estime Mouloud Aounit, du Mrap. « Faire des étrangers les responsables des émeutes lui permet de préparer un contexte favorable à son futur projet de loi sur l’immigration, attendu comme encore plus restrictif que le précédent », analyse Stéphane Maugendre, du Gisti. « Ni les jugements catégoriques, ni l’état d’urgence, ni les mesures expéditives d’éloignement ne favoriseront le vivre ensemble », a réagi à son tour la Cimade, en déplorant « une stigmatisation intolérable ».
120 émeutiers sont concernés. Un retour en arrière sur la double peine.
Aux orties la protection contre la double peine ? Il y a deux ans, Nicolas Sarkozy s’était refait une virginité en faisant voter l’interdiction d’expulsion des étrangers considérés comme des «quasi-Français». Hier, à l’Assemblée, le ministre de l’Intérieur a demandé aux préfets d’expulser «sans délai» les étrangers condamnés dans le cadre des violences urbaines des dernières nuits, «y compris ceux qui ont un titre de séjour». Sur 1 800 personnes interpellées, 120 ne sont pas françaises. Certaines ont des titres de séjour de courte, mais aussi de longue durée, d’autres pas. Place Beauvau, on ne veut surtout pas laisser croire que le ministre revient sur ses engagements. On explique donc que ces émeutiers ont rompu le contrat avec la France et constituent un trouble grave à l’ordre public. Un télégramme aux préfets est sur le point d’être envoyé.
Le ministère peut reconduire à la frontière les irréguliers. C’est même l’une de ses missions. Mais comment faire avec les étrangers protégés par la loi Sarkozy de 2003 en raison de l’ancienneté de leur présence en France ou de leurs liens familiaux ? L’une des modalités juridiques envisagées est de faire sauter cette protection, remise en cause par un comportement «constituant des actes de provocation explicite et délibérée (…) à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes». En langage clair, ces protections ne valent que si «le comportement ne dépasse pas le plafond». Et les «meneurs d’émeute peuvent se retrouver dans ce champ». Place Beauvau, on martèle le message : «On ne revient pas sur la double peine.» Et pourtant… la porte est désormais ouverte. «Sarkozy ne va pas s’encombrer de ses déclarations passées, il va piocher dans les notions qui l’arrangent, sans que cela colle à la réalité du texte», réagit Stéphane Maugendre, du Gisti (1).
Hier dans la soirée, le député UMP Jean-Paul Garraud a annoncé qu’il allait déposer une proposition de loi donnant aux tribunaux la possibilité de «déchoir de la nationalité française» les étrangers naturalisés «qui participent à la guérilla urbaine». Selon l’élu, ils cherchent «à détruire la nation française» et expriment «leur rejet de la France».
(1) Groupe d’information et de soutien des immigrés.
Stéphane Maugendre, vice-président du GISTI, propos recueillis par Simon Piel, 10/11/2005
Quelle est la réaction du GISTI aux dernières déclarations de Nicolas Sarkozy sur l’expulsion du territoire des étrangers arrêtés dans le contexte des émeutes ?
– Le GISTI va se réunir ce soir à ce sujet mais je pense que nous avoir, déjà dit l’essentiel. Quand Sarkozy parle de 120 étrangers condamnés il a tort. 120 condamnés, c’est faux. Cet ancien avocat confond interpellés et condamnés! Voici les chiffres du ministère de la Justice hier soir (mercredi 9 novembre): il y a eu 2.000 interpellations, 1.462 gardés à vue, et 329 déférés devant la justice. Il y a eu 173 condamnés définitivement à des peines de prison ferme et 32 avec sursis. De toute façon, il semblerait que le ministère ait fait une petite reculade. D’après la DGPN (Direction générale de la police nationale), parmi les 2.000 interpellations, il y aurait 6 à 8% d’étrangers. De toute façon c’est l’histoire d’une chronique annoncée. Le jour de l’Aïd, dire que ces jeunes sont corrompus par des mafias ça annonce quelque chose. Après, Villepin dit que les événements en banlieue doivent faire réfléchir sur la politique de l’immigration. Puis l’instauration du couvre-feu qui résonne historiquement de façon très symbolique. Au final, le message est: les responsables des émeutes, ce sont les étrangers.
Quels sont les textes sur lesquels le ministère de l’intérieur peut s’appuyer pour expulser les 120 étrangers évoqués par Nicolas Sarkozy ? Qu’en est-il des étrangers en situation régulière ? L’état d’urgence donne t-il des attributions particulières aux préfets en matière de procédure d’éloignement ?
Concernant la loi, pour les étrangers en situation irrégulière, il n’y a pas de problème. La loi permet la reconduite à la frontière par décision préfectorale. Pour les gens en situation régulière ça ne correspond pas à ce que j’ai pu voir. Si ce sont des mômes qui ont toutes leurs attaches sur le territoire français je ne vois pas comment ils pourraient être expulsés. Concernant l’État d’urgence, il ne donne aucune attribution particulière aux préfets en matière de procédure d’éloignement.
Concernant les déclarations de Jean-Marie Le Pen et de Jean Paul Garraud qui souhaitent que les émeutiers reconnus coupables soient déchus de leur nationalité française, quelle est la réalité de l’application d’une telle mesure ?
L’article 25 du code civil réglemente la perte de la nationalité française. L’article peut être applique si les intérêts de la France sont enjeu, mais pour un jet de cocktail molotov contre une voiture, il faut arrêter de délirer! Jean Paul Garaud veut déposer un projet de loi. Dans ce cas là on fait ça pour tout. Et puis même, autant ne pas leur donné la nationalité française. On est dans la surenchère délirante.
Certains politiques essaient sur la base d’événements sociaux et pas raciaux de recentrer ça sur l’étranger qui est l’ennemi de la France. Ils se retrouvent sur le terrain de Le Pen et ils essaient de grapiller d’éventuelles voix. Se droitiser, c’est un classique de Sarkozy. Il n’a pas pu tenir sa langue plus de dix jours. Il a remis de l’huile sur un feu qui était en train de s’éteindre.
Préposé pendant des années à l’éloignement des sans-papiers, Daniel Monédière sert désormais de conseil aux étrangers.
Pendant des années, Daniel Monédière, chef du 8e bureau de la direction de la police générale à la préfecture de police de Paris, chargé des «mesures d’éloignement des étrangers», a expulsé les clandestins. Avec application. Il y a trois ans, il quitte momentanément l’administration, monte un petit cabinet de conseil juridique, et depuis… défend ardemment? les étrangers. Drôle de reconversion.
Ce fonctionnaire zélé a longtemps été la bête noire des avocats spécialistes du droit des étrangers. Daniel Monédière débarque à la préfecture de police de Paris en 1988, à presque 40 ans. Auparavant, il a travaillé en mairie et à différents postes de l’administration, où il s’est plutôt ennuyé. Il raconte qu’il a passé le concours de l’ENA, mais a été «fusillé au grand O», le dernier oral: «J’avais pas le style.» Après cinq ans au 9e bureau de la préfecture «Afrique-Maghreb-Europe», il passe chef du 8e bureau, dédié à l’éloignement des étrangers. «Là, on est plus impopulaire.» Le travail lui plaît. «Je me suis bien investi», dit-il aujourd’hui. Il apprécie la simplicité des situations: «Il y a des catégories: « Régulier » ou non, et des critères. S’ils sont irréguliers, les étrangers doivent quitter le territoire.» C’est sa tâche. Et, pour l’accomplir, «il faut un instinct de chasseur». «Je devais résoudre cette question: concrètement, comment fait-on pour faire monter quelqu’un dans l’avion?», résume-t-il. Mais est-ce qu’on est méchant pour autant?» Il s’en défend: «On a pu dire que j’étais investi de la mission de nettoyer la France de ses étrangers, mais non.» Pour Daniel Monédière, le roi du 8e bureau, le chantre de l’action administrative, «l’important, c’est l’efficacité».
Subterfuges. «C’était un obsédé de la statistique, obnubilé par le chiffre de reconduites à la frontière», se souvient l’avocat Simon Foreman. «A la préfecture, on l’avait en face de nous, il ne jouait pas le jeu. Il avait des pratiques pour faire échec au droit de la défense qui nous heurtaient», raconte Me Stéphane Maugendre. Les avocats se souviennent de sa «hargne» à leur égard et lui reprochent d’avoir utilisé n’importe quelle ruse pour faire du chiffre. Il faut dire que Daniel Monédière traîne quelques boulets. En 1995, il passe en correctionnelle en citation directe pour «abus d’autorité». Il avait imaginé un subterfuge pour que les étrangers en instance d’expulsion, placés au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, passent devant le juge de Paris, et non celui de Meaux, dont dépend pourtant le centre, mais où la préfecture n’a pas de permanencier. Pour cela, il avait envoyé une note au commandant du centre de rétention pour demander de conduire les étrangers à l’audience «comme s’ils étaient retenus au dépôt» parisien. Le tribunal correctionnel de Paris avait jugé irrecevables les partie civiles. Mais, à l’audience, Monédière avait passé un sale quart d’heure (Libération du 2 décembre 1995). Les subterfuges de son invention, qui avait été évoqués alors, ont contribué à sa mauvaise réputation: renvoi dans son pays natal d’un Mauricien, père de famille interpellé sur le territoire, placé en centre de rétention, et qu’un juge avait pourtant décidé de libérer. Placement en garde à vue à l’aéroport d’une Ivoirienne, convoquée à la préfecture avec sa fille de quelques mois née en France, et finalement relâchée avec son bébé par un juge. Présentation différée au tribunal des étrangers dont le maintien en centre de rétention a expiré, dans l’espoir de trouver un juge moins laxiste… «Il était connu pour sa mauvaise foi», se souvient-on au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). «Le pire c’est qu’il a imprimé cet état d’esprit à ses subordonnées.» Monédière ou l’archétype du fonctionnement de la préfecture.
Ce même individu est devenu consultant. En 1997, le fonctionnaire se met en disponibilité et ouvre une officine pour «prestations de services et conseils en matière administrative», notamment sur le droit des étrangers. «C’est comme si le procureur devenait avocat de la défense», explique Stéphane Maugendre, en habitué des prétoires. L’année 1997 est celle de la circulaire Chevènement, qui prévoit des critères de régularisation. «Ça tombait bien, il y avait beaucoup de boulot.» Pour son premier client, un chauffeur de taxi qui demande un regroupement familial, Monédière fait «une belle lettre à la préfecture». Aussitôt, raconte-t-il, son ancien adjoint l’appelle: «Mais qu’est-ce que tu fous? Tu es contre nous?» Au sein de la préfecture, une commission de déontologie est saisie. Elle rend un avis favorable à l’exercice de son activité de consultant «sous réserve que l’intéressé s’engage à ne pas avoir d’activités de conseil en droit des étrangers dans le ressort de la préfecture de police de Paris».
Tollé. Daniel Monédière a traité des centaines de dossiers qu’il boucle en puisant dans son expérience au 8e bureau. Ses honoraires moyens s’élèvent, selon lui, à 4 000 francs par dossier. «Je suis content si un client est régularisé», dit-il. Comme pour se défendre, il ajoute aussitôt qu’il ne sautait pas de joie quand, à la préfecture, il renvoyait quelqu’un hors de France. Pourtant, il ne peut s’empêcher de retrouver un agacement très préfectoral: «Mais il n’y a rien de plus frustrant que de se faire annuler un dossier bien ficelé de reconduite à la frontière.» Parfois, le consultant a du mal à oublier le fonctionnaire qu’il était.
Sa nouvelle activité soulève un tollé chez les avocats. Pour certains, elle s’apparente à un «pantouflage» peu compatible avec une fonction publique. Surtout, il s’agit d’une activité de conseil juridique alors que Daniel Monédière n’est pas inscrit au barreau. Et puis, les avocats, qui l’ont toujours connu «acharné», pugnace, huilant inlassablement la machine à expulser les étrangers, trouvent mystérieux qu’il fasse aujourd’hui son possible pour les maintenir sur le territoire. Et se demandent s’il y met le même zèle. La mise en disponibilité de l’administration de Daniel Monédière court jusqu’en 2002.
Depuis longtemps, les avocats et les associations attendaient cette audience. Égrenant les mille ruses et subterfuges de la préfecture de police de Paris pour augmenter ses taux de reconduites à la frontière. C’est là-dessus que s’est penchée la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris mercredi. A la barre des prévenus, Daniel Monedière, chef du 8e bureau de la préfecture, celui qui est chargé de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Il était en effet cité par trois associations (la Cimade, le Mrap, le Gisti [1]) et deux syndicats (le SAF et le SM [2]), sous la grave accusation d’avoir commis le délit d’abus de pouvoir en détournant sciemment la loi. En cause, une note du 15 décembre 1994, rédigée par ses services et signée de son nom, donnant clairement des ordres afin de contourner les règles de la compétence territoriale des juges de Meaux, normalement chargés de statuer sur la rétention des étrangers détenus au centre du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne). Tout était organisé pour que les avocats et les juges n’y voient que du feu: «Afin d’éviter que les avocats des étrangers ne demande au juge de se déclarer incompétent (…), affirme la note, il est devenu d’usage de faire transiter par le centre de rétention de Paris les étrangers en provenance du Mesnil-Amelot. De cette manière un ordre d’extraction est émis et les étrangers sont conduits à l’audience comme s’ils étaient détenus au dépôt (…)» Et, pour parachever la supercherie, la note précise qu’«il importe que les gendarmes du Mesnil-Amelot ne soient pas présent à l’audience». Le président Jean-Yves Montfort, ironique mais sévère, n’en est pas revenu et a cuisiné pendant deux heures le haut fonctionnaire. «C’est un drôle de jeu que joue la préfecture. C’est vous qui décidez de promener les étrangers pour choisir Paris ou ailleurs? Vous modifiez délibérément et artificiellement la compétence du juge et ça ne vous paraît pas choquant?» Au ravissement des avocats et des représentants d’associations présents, habitués de ces audiences confidentielles de rétention, le prévenu s’en sort mal. De ses explications embrouillées, on retiendra une réponse, significative. «A Meaux, c’était compliqué, nous n’avons pas de représentant de la préfecture sur place.» Mais ça choque le président: «Voulez-vous nous dire qu’à Paris vous obtenez de meilleurs résultats pour la préfecture. Mais c’est une mise en scène, une réalité que vous avez créée de toutes pièces!» Et Jean-Yves Monfort a poursuivi son interrogatoire, pourchassant le moindre détail. Monedière précise que les gendarmes du Mesnil-Amelot et ceux de Paris arborent des galons de couleurs différentes. D’où l’importance de garder les premiers cachés «sauf à tomber sur un juge daltonien!» s’amuse le président. Que ni les magistrats ni les avocats de Meaux n’avaient jamais été informés de ce tour de passe-passe. Que les étrangers en instance de reconduite sont trimbalés devant plus d’une dizaine de fonctionnaires ou magistrats entre leur interpellation et la passerelle de l’avion qui doit les ramener au pays. «Mais alors comment voulez-vous qu’ils sachent reconnaître le moment important pour eux?» demande encore Jean-Yves Monfort.
Puis, par la voix des avocats, les étrangers sont entrés dans le prétoire, comme une cohorte d’ombres. On évoque, par exemple, cette jeune Mauricienne enceinte, mariée à un Français et collée dans un avion. Cette Zaïroise sommée de choisir entre le départ avec sa fille ou son placement à la Ddass. Cet homme libéré de sa rétention par un juge, mais menotté dès la fin de l’audience et renfermé au dépôt du seul pouvoir discrétionnaire de la préfecture. Ou cet autre, également libéré, mais aussitôt ramené entre des policiers au centre de rétention de Paris et expédié dans son pays, sans autre forme de procès. Ou encore ce bébé français de 8 mois, placé en garde à vue avec sa mère étrangère dans les locaux de la police de l’aéroport, avant d’être déféré avec elle devant le tribunal pour refus d’embarquer dans l’avion. Jusqu’à ce qu’un juge les libère tous les deux. On revoit les photos du dépôt des étrangers situés dans les sous-sols du palais de justice de Paris, fermé après une longue lutte des associations et des avocats. On parle aussi du président Philippe Texier, et de sa stupéfaction en voyant comparaître devant lui, à trois jours d’intervalle, un Algérien qu’il avait libéré, et qui notera, furieux, dans son ordonnance: «Non content de violer une décision judiciaire, la préfecture a tenté de tromper la justice en présentant un dossier incomplet.» On évoque ces avocats, dont les clients sont convoqués à la préfecture «pour examen de dossier» et à qui des fonctionnaires jurent que leur présence est inutile, mais qui constatent quelques heures plus tard que leur client est au dépôt.
Bref, au-delà de la note, ce sont toutes les pratiques douteuses des fonctionnaires du 8e bureau qui défilent devant le président: «Car vous avez des gens à la préfecture qui estiment que plus important que les lois est de nettoyer la France de ses étrangers», affirme Henri Leclerc, le président de la Ligue des droits de l’homme, cité comme témoin. Plaidant chacun pour une organisation, les avocats ont témoigné de leur pratique de spécialistes du droit des étrangers. «La préfecture a manipulé les juges depuis des années et ne les considère que comme les auxiliaires d’une procédure administrative», affirme Me Simon Foreman. «Il semble qu’en France les droits de l’homme soient réservés aux seuls Français», a ajouté Me Stéphane Maugendre. «Dans la guerre contre l’immigration clandestine, tous les coups sont permis, et ça fait froid dans le dos parce qu’à la guerre tout est permis!» a frémi Me Gérard Tcholakian. Et il s’est tourné vers le président: «Votre responsabilité est immense, si vous ne condamnez pas, je crains que votre décision ne soit un blanc-seing à l’Administration.» Sur la même ligne, l’avocat du prévenu, Me Martin-Commene, et François Reygrobellet, le représentant du parquet, ont soutenu l’irrecevabilité des parties civiles. Le jugement sera rendu le 4 janvier.
(1) Service oecuménique d’entraide, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés.
(2) Syndicat des avocats de France et Syndicat de la Magistrature.
Chose promise, chose due. Jean-Louis Debré, ministre de l’Intérieur, avait annoncé en août son intention de poursuivie « les opérations groupées de reconduite par avions affrétés». Objectif : doubler le nombre de reconduites à la frontière (soit 20000 expulsions) au moyen d’un charter par semaine.
Mercredi matin, ces mesures ont été mises une nouvelle fois à exécution : trente Africains (vingt Sénégalais, sept Ivoiriens, deux Cap- Verdiens et un Guinéen) ont été renvoyés chacun dans son pays. C’est le quatrième charter organisé sous le gouvernement Juppé (22 Roumains le 17 juin, 51 Tsiganes le 10 juillet et 43 Zaïrois le 18 juillet).
La Cimade, association de défense des étrangers, présente dans les centres de rétention, avait mercredi, un peu tard, détecté quelques regroupements d’étrangers. Embarqués à 8 h 26, les trente illégaux ont quitté l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle dans un Airbus A320 affrété par le ministère de l’Intérieur. « On ne va pas rester les bras croisés», assure Stéphane Maugendre (avocat), membre du Groupement d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti). De son côté, la Fasti (Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés) a protesté en appelant « à la plus grande vigilance et à la dénonciation de cette opération qui encore une fois n’honore pas le pays des droits de l’homme».
Le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) stigmatise une méthode « démagogique et dangereuse. Le gouvernement valide les thèses d’une extrême droite raciste et xénophobe qui fait de l’immigration son cheval de bataille». Malgré la convention européenne des droits de l’homme qui interdit les expulsions collectives, les charters sont juridiquement assimilés à des «reconduites individuelles d’étrangers prenant le même avion». Les associations posent la question de l’intérêt de ces actions. Le Mrap mentionne que, pour atteindre le nombre de 20000 éloignements par an, il faudrait organiser un charter par semaine… pendant sept ans. Pour ces organisations, une telle politique ne peut que décourager les étrangers qui voudraient régulariser leur situation. Ce n’est pas autrement que l’on fabrique des clandestins.
vous est soumis aujourd’hui non seulement un dossier de principe mais aussi le dossier d’un homme, d’un homme au parcours étrange.
Monsieur N. est né en France en 1961 -, il est de nationalité algérienne.
Il a toujours été scolarisé en France.
Il a toujours, depuis sa sortie de l’école, exercé un emploi en France.
Sa famille, arrivée en France en 1950, y a toujours résidé.
Toutefois, en 1978, son père, éboueur pour la ville de Paris, a décidé de retourner en Algérie pour des raisons religieuses. Il y est décédé quelques années plus tard.
Monsieur N., lui, malgré de nombreuses pressions paternelles, est resté en France comme ses frères et sœurs.
Sa mère, de nationalité algérienne, âgée de 72 ans, vit toujours en France. Ses six frères et sœurs sont tous nés en France ou ont la nationalité française et résident tous en région parisienne.
Il n’est allé en Algérie que deux fois dans toute son existence, durant des vacances scolaires.
Ainsi, toutes ses attaches culturelles, toutes ses attaches sociales, toutes ses attaches familiales sont en France, voire françaises.
Mais, à peine majeur, il est condamné à 18 ans de réclusion criminelle pour vols avec port d’arme et viols commis sous la menace d’une arme. En détention, Monsieur N. a cherché à préparer son avenir en suivant des études et une psychothérapie pour comprendre les raisons de son acte.
Il prépare et obtient le BEPC et des examens du CNAM (mathématiques supérieures, physique, électricité et électronique). Il participe à des stages de droit, d’électronique et de secourisme.
Tous ses éducateurs, tous ses professeurs et toutes les personnes qui l’ont côtoyé lors de son travail en prison soulignent le sérieux et le changement exceptionnellement important de Monsieur N.
Toutefois, en 1993, Monsieur le ministre de l’Intérieur lui notifie un arrêté d’expulsion au motif que : « en raison de son comportement l’expulsion de cet étranger constitue une nécessité impérieuse pour la sécurité publique ; que sa libération va intervenir, qu’il y a en conséquence urgence absolue à l’éloigner du territoire français
C’est cet arrêté d’expulsion qui est déféré à la censure de votre tribunal. Je ne reprendrai pas les points suivants évoqués dans mon recours et mon mémoire : – Incompétence du signataire – Absence de motivation (au sens de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs) – Violation de l’article 26 de l’ordonnance du 2 novembre 1945.
Toutefois, j’entends reprendre quelque peu la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Rappelons d’abord un passage de la décision de la Commission européenne des droits de l’homme dans l’affaire Beldjoudi qui considère que « l’arrêté d’expulsion ne saurait être considéré comme nécessaire « dans une société démocratique », dans la mesure où la loi du 20 décembre 1966 modifiant l’ordonnance du 21 juillet 1962 est contraire à la législation de l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe qui considèrent dans leur ensemble comme étant des nationaux les personnes qui sont nées sur leur territoire de parents qui y sont nés eux-mêmes ».
(Vient ensuite une analyse des décisions : – Conseil d’État, 19 avril 1991, affaire Belgacem/Ministère de l’Intérieur, – Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Mousta- quim/Belgique et Beldjoudi/France).
Monsieur N. se trouve être dans la même situation que les trois exemples que je viens de citer.
Toutes ses attaches culturelles, sociales et familiales sont en France voire françaises, je dirais même plus : il est français.
Vous sanctionnerez donc Monsieur le ministre de l’Intérieur. Autre point, l’erreur manifeste d’appréciation voire l’erreur de droit commise par Monsieur le ministre de l’Intérieur.
Le Conseil d’État, par un arrêt de principe en 1977, avait affirmé que l’autorité décisionnaire devait apprécier la situation au jour non des faits mais au jour auquel il prenait sa décision.
Cet arrêt, qui à ma connaissance ne semble pas avoir fait grande jurisprudence malgré ces considérants de principe, vient d’avoir son frère jumeau au mois de janvier de cette année en matière d’expulsion.
Concernant notre affaire, le directeur de la maison d’arrêt souligne l’excellent comportement de Monsieur N. et le changement de celui-ci : «Je puis attester que du point de vue de la prévention spéciale qui doit prendre en considération les gages et les efforts d’insertion fournis par l’intéressé, elle (l’expulsion) revêt un caractère somme toute très pénalisant ». Le premier juge de l’application des peines vous a écrit, Monsieur le Président, en ces termes : «… il apparaît que N., incarcéré alors qu’il avait à peine sa majorité, a engagé de réels efforts en vue d’une réinsertion déjà sérieusement amorcée, et que sa présence en France ne semble pas constituer un grave trouble pour la sécurité publique ».
Qui donc mieux que ces deux personnes peut avoir un avis plus éclairé sur l’évolution de ce jeune homme ?
Peut-on parler d’évolution ou de miracle ?
Eh bien, Monsieur le ministre de l’Intérieur ne semble pas comprendre que l’homme change,
il ne semble pas comprendre ce qu’est la peine,
il ne semble pas comprendre que des magistrats, des éducateurs, des chefs d’entreprise et parmi eux les plus courageux et dévoués, peuvent travailler à la réinsertion des délinquants et qu’ils y arrivent.
Pour Monsieur le ministre de l’Intérieur, Monsieur N. est toujours celui qui a commis les actes pour lesquels il a été condamné, puisqu’il va même jusqu’à affirmer : « à eux seuls ils justifiaient l’impérieuse nécessité de l’expulsion ».
Le préfet contestait la décision prise jeudi par un juge.
Décidément, il sera dit que, durant cette campagne électorale, seule Danielle Mitterrand se sera engagée pour protester contre les lois Pasqua. Mardi, elle visitait des étrangers sans papiers en grève de la faim et, vendredi, elle a débarqué sans prévenir au palais de justice de Paris. On y jugeait l’appel du préfet de police après la décision d’un juge de remettre en liberté jeudi 26 étrangers retenus au dépôt, dans les sous-sols du palais de justice (Libération du 21 avril). Elle est venue parce que «c’est terrible, les étrangers sont traités dans ces lieux comme des animaux. Ça me fait mal de savoir que la France a été condamnée par le Comité européen de prévention de la torture. C’est l’image de la France qui est en jeu.» Elle a souligné que, pour elle, «les lois Pasqua sont peu recommandables». Etait-ce le fait de sa présence ou de celle des journalistes et des caméras, l’audience n’avait pas lieu dans la minuscule mezzanine réservée habituellement au droit des étrangers. On avait ouvert les portes de la 13e chambre de la cour.
Devant le président Jean-André Collomb-Clerc, Mes Gérard Tcholakian, Stéphane Maugendre, Claire Freyssinet et Simon Foreman ont expliqué tour à tour les raisons de la décision du juge: «Les conditions immondes faites aux étrangers à quelques mètres sous nos pieds et qu’en tant que juge judiciaire, gardien des libertés, il était en droit de vérifier lui-même.» Une décision d’autant plus justifiée qu’il avait vu comparaître à son audience de jeudi un jeune homme, Minou Rama, le bras plâtré, le visage tuméfié, tenant à peine debout et pour qui le préfet demandait une prolongation de rétention de trois jours. Rappelant les plus récentes affaires du dépôt, une tentative de viol par un policier, un passage à tabac et un suicide, François Sottet, le juge, avait alors décidé d’aller constater sur place ce qui se passait au dépôt, mais le préfet s’était opposé à sa démarche en refusant l’accès des lieux aux avocats de Rama. «J’en tire toutes les conséquences de droit», avait alors décidé le magistrat en remettant en liberté Rama et les 25 autres étrangers qui lui ont été présentés dans la journée, «car le refus du préfet me laisse présumer qu’il se passe au dépôt des faits contraires à la Convention européenne des droits de l’homme».
C’est de ces ordonnances de mise en liberté qu’a fait appel le préfet. Selon ses arguments, le juge qui statue sur la rétention «intervient non pas en qualité de juge judiciaire dans la plénitude de ses fonctions mais dans un rôle limité, en qualité d’auxiliaire d’une procédure relevant du droit administratif». Cette assertion a fait bondir les avocats et les magistrats du Syndicat de la magistrature présents dans la salle, car elle reviendrait à dénier au juge «les pouvoirs qui lui sont conférés par la Constitution». C’est une thèse inverse qu’a développée l’avocat général, Bernard Delafaye. Dans un réquisitoire légèrement gêné, il a reconnu qu’une visite du parquet au dépôt le 29 mars dernier «a été insatisfaisante pour ne pas dire plus», mais il s’est pourtant lancé dans une étonnante défense en règle de la préfecture et du ministre de l’Intérieur, car, «si une amélioration est en cours au dépôt, c’est grâce à eux». Selon lui, le juge «n’était pas compétent pour apprécier les conditions matérielles dans lesquelles la rétention a lieu» et aurait, en agissant ainsi, commis un «détournement de pouvoirs». «Je vous rappelle qu’une décision de justice n’a pu être exécutée hier en raison de l’opposition d’un fonctionnaire de police, lui a rétorqué Me Gérard Tcholakian, et je dépose plainte cet après-midi pour connaître la position du parquet à ce sujet.»
La décision doit être rendue samedi.
En attendant, seul, parmi les syndicats de police, Différence (syndicat de la police nationale et personnels affiliés, minoritaire) dénonçait vendredi «le dépôt à la limite de l’explosion», tant pour «les conditions précaires d’hébergement des étrangers en rétention» que pour «les conditions de travail inacceptables de nos collègues». De source autorisée, on apprenait vendredi que le dépôt des étrangers de Paris serait fermé pour travaux début mai , date à laquelle les retenus seraient transférés dans les locaux de l’école de police de Vincennes
ÊTRE MARIÉ à une Française et père d’un enfant français d’un an n’a pas empêché un Zaïrois de trente-quatre ans d’être conduit sous escorte policière, mercredi 22 mars à l’aube, dans un avion pour Kinshasa. Wumba-Claude Nzaki est l’un des treize Zaïrois en situation irrégulière en France embarqués à bord du premier charter d’expulsions organisé à l’échelon européen (Le Monde du 24 mars). Affrété par les autorités néerlandaises, l’Airbus de la compagnie Martinair a convoyé au total quarante-quatre Zaïrois interpellés aux Pays-Bas, en Allemagne et en France. Au-delà de cette «première » contestée par des avocats qui y voient une forme d’expulsion collective, formellement prohibée par la Convention européenne des droits de l’homme, le cas individuel de M. Nzaki illustre la multiplication, en France, de pratiques juridiquement contestables et humainement scandaleuses destinées à nourrir les statistiques de reconduites à la frontière.
En 1991, Wumba-Claude Nzaki s’était vu refuser le statut de réfugié politique et avait fait l’objet, en septembre 1992, d’un arrêté de reconduite à la frontière par le préfet de police de Paris. Six mois plus tard, il épousait Dominique Beaurain, une Française aujourd’hui âgée de trente-six ans qui lui donnait un fils, Joris, français par sa mère. Toutes les démarches entreprises par le couple auprès de la préfecture se sont révélées vaines. En octobre 1993, le préfet leur opposait une fin de non-recevoir écrite basée sur la validité de son arrêté de reconduite de 1992.
VIOLATION DE LA VIE FAMILIALE
Par deux fois, des juges ont contesté cette position. En décembre 1993, M. Nzaki refuse de monter dans l’avion et se trouve déféré devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Le jugement le relaxe en arguant de la violation de sa vie familiale. Un an plus tard, c’est le tribunal administratif de Paris qui a annulé – fait rare – la décision du préfet qui refusait d’abroger l’arrêté de reconduite. Le jugement confirme la « réalité de la vie familiale » et se réfère à la Convention européenne des droits de l’homme pour estimer que l’arrêté préfectoral « a porté au respect de la vie familiale de M. Nzaki une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ce refus lui a été opposé».
Lorsque le couple, fort de ces deux jugements, reçoit une convocation à la préfecture de police, il pense logiquement qu’il va obtenir une régularisation. On lui demande de repasser le lendemain, mardi 21 mars, qui se trouve être la veille du jour où le « charter européen » pour le Zaïre est programmé. M. Zaki se présente avec son bébé. L’après-midi, on appelle son épouse sur son lieu de travail pour qu’elle vienne récupérer l’enfant. Elle se rend à la préfecture où on lui indique que son époux a été placé en rétention.
Dès le lendemain matin, le père de famille redevenu simple Zaïrois sans papier est conduit à Roissy, n a été maintenu en rétention moins de vingt-quatre heures, délai qui aurait obligé la police a saisir le juge, qui aurait probablement ordonné la remise en liberté. « Convoquer les irréguliers la veille d’un vol, c’est une petite malice courante, certes pas très glorieuse mais qui nous permet d’obtenir l’exécution de nos décisions », commente-t-on à la préfecture de police, où l’on estime que « faire un enfant français n’annule pas un arrêté de reconduite à la frontière », même si la loi protège les parents d’enfants français contre une telle décision puisque « l’arrêté avait été pris lorsque M. Nzaki était célibataire et reste parfaitement valable ».
Les avocats du Zaïrois, Daniel Voguet et Stéphane Maugendre ne l’entendent pas ainsi. Ils ont saisi, jeudi 23 mars, le président de la Commission européenne des droits de l’homme pour tenter de faire reconnaître plusieurs violations de la Convention européenne. Outre l’atteinte au principe du « respect de la vie familiale », les avocats plaident que M. Nzaki a été embarqué sans avoir pu exposer sa défense ni exercer le moindre recours.