Archives de catégorie : droit pénal

Un militant d’extrême gauche algérien

BOBIGNY, 12 sept (AFP) – Un militant d’extrême gauche algérien a été condamné vendredi par le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) à 80 heures de travail d’intérêt général pour « séjour irrégulier et refus de se soumettre à une mesure d’éloignement du territoire français », a-t-on appris de source Judiciaire.

Interrogé par l’AFP, Me Stéphane Maugendre, avocat du prévenu, s’est félicité de la décision du tribunal qui, selon lui, s’apparente « à une mesure de protection Judiciaire ».

Le substitut du procureur, Mme Molina, avait requis une peine d’emprisonnement ferme couvrant le mois de détention provisoire exécuté par le prévenu non assortie d’une interdiction du territoire français.

L’avocat a expliqué à l’audience que son client, membre fondateur d’un mouvement trotskiste algérien, était en danger de mort s’il retournait en Algérie. Il a invoqué, dans sa plaidoirie, « un état de nécessité » pour justifier son maintien sur le sol français et a réclamé le réexamen de son dossier». Me Maugendre a indiqué que le prévenu (qui a souhaité garder l’anonymat pour des raisons de sécurité) avait été un proche de Nabila Djahnine, fondatrice de l’association « Le cri des femmes », qui fut assassinée en Algérie la 15 février 1995.

Il a également produit, devant le tribunal, les témoignages écrits de deux Journalistes du « Monde » spécialistes du Maghreb, d’un journaliste d’un quotidien algérien, d’un professeur algérien de l’université Paris VIII et de deux leaders d’extrême gauche français, Alain Krivine (LCR) et Arlette Laguiller (LO), qui était présente à l’audience»

Arrivé en France en 1991, le prévenu avait demandé le bénéficie du statut de réfugié politique qui lui a été refusé par l’QFPRA en 1992. Devenu clandestin, il avait été Interpellé le mois dernier et avait refusé de quitter le territoire français».

Me Maugendre a indiqué qu’il allait saisir le ministère de l’Intérieur d’une demande d’asile territorial.

Le chef du 8ème bureau de la préfecture de police de Paris passera en correctionnelle

logo-liberation-311x113 Dominique Simonnot, 30/03/1995

Le chef du 8ème bureau de la préfecture de police de Paris, chargé de l’éloigne-ment du territoire des étrangers, passera prochainement en correctionnelle pour « abus d’autorité »,après une citation directe du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature. Dans une note datée du 15 décembre 1994 et adressée au commandant du centre de rétention du Mesnil-Amelot, Daniel Monedière expliquait en effet une ruse qu’ il avait imaginée : « Il est devenu d’usage de faire transiter par le centre de rétention de Paris les étrangers en provenance du Mesnil-Amelot. » Ce qui permet, poursuit la note, de conduire les étrangers à F audience « comme s’ils étaient retenus au dépôt» de Paris. Il s’agit donc de les soustraire à la compétence du juge de Meaux, au profit de celui de Paris. Mais demeurait le risque que les avocats et les magistrats parisiens ne trouvent étrange la présence de gendarmes du Mesnil-Amelot et ne se demandent d’où viennent en réalité les étrangers qu’on leur présente. Pour parer au danger, la note précise ; « Afin d’éviter toute ambiguïté, il importe que les gendarmes du Mesnil-Amelot ne soient pas présents à l’audience… Aussi A… je vous serais obligé de  donner toutes instructions pour que Y… escorte en provenance du Mesnil-Amelot attende dans les locaux dut centre de rétention. » Pour les deux organisations syndicales, ces faits tombent sous le coup du nouveau code pénal, qui réprime « le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi ».

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Des avocats dénoncent les subterfuges juridiques des responsables du dépôt des étrangers à Paris

index Nathaniel Herzberg, 30/03/1995

Une note de service qui donne des instructions «pour tromper les juges» est mise en cause

Le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France devaient citer à comparaître, mercredi 29 mars, le chef du bureau chargé de l’éloignement des étrangers à la préfecture de police de Paris pour « abus d’autorité ». Les deux organisations lui reprochent d’avoir, dans une note de service, donné des instructions pour « tromper les juges » sur le lieu de rétention des étrangers frappés d’un arrêté de reconduite à la frontière.

LA BONNE MARCHE de l’administration autorise-t-elle que l’on bafoue les règles de droit ? Le Syndicat de la magistrature (SM) et le Syndicat des avocats de France (SAF) poursuivent le chef du bureau chargé de l’éloignement des étrangers à la préfecture de police de Paris, pour «abus d’autorité». Les deux organisations reprochent à Daniel Monedière de violer sciemment la loi en faisant passer, auprès des magistrats parisiens, les étrangers retenus au centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) pour des «pensionnaires» du tristement célèbre dépôt des étrangers de Paris. Une manœuvre destinée à «gérer» le flux considérable d’étrangers passant par le centre et sans laquelle nombre d’entre eux devraient être remis en liberté.

Au départ, une simple question de compétence territoriale: lors-qu’un étranger interpellé sans papiers fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, la police le place en rétention. Vingt-quatre heures d’abord, puis, après passage devant le juge délégué, six jours supplémentaires. Il est alors conduit dans un centre de rétention. En région parisienne, cela peut être le dépôt de Paris, son annexe du bois de Vincennes, ou encore le centre du Mesnil-Amelot, près de l’aéroport de Roissy. Avant 1993, la police devait avoir organisé son rapatriement dans ces délais. Mais, depuis le vote de la loi Pasqua d’août 1993, l’administration dis-pose d’une nouvelle prolongation de trois jours encore contrôlée par le juge. C’est là que tout se corse.

Le décret du 13 juillet 1994 prévoit que «le» juge en question soit celui du département dans lequel se trouve le centre de rétention. Pour le Mesnil-Amelot, tout devrait donc se dérouler au tribunal de Meaux. L’usage voulait toutefois que les étrangers soient présentés à Paris, où le nombre de magistrats est beaucoup plus important et où la préfecture dispose d’un permanencier à même de défendre le point de vue de la police. Du coup, les gendarmes du centre amenaient eux-mêmes les étrangers retenus à l’audience. Jusqu’à ce qu’en septembre 1994 un avocat soulève l’incompétence du juge délégué. Surpris, ce dernier ne pouvait que lui donner raison. Sa décision était confirmée par la cour d’appel deux mois plus tard.

La préfecture de police décide de tourner la difficulté. Le 15 décembre, Daniel Monedière envoie une note au commandant du Mesnil-Amelot. «Afin d’éviter que les avocats des étrangers concernés ne demandent au juge de se déclarer incompétent (…), il est devenu d’usage de faire transiter par le centre de rétention de Paris les étrangers en provenance du Mesnil-Amelot De cette manière, un ordre d’extraction du dépôt est émis et les étrangers sont conduits à l’audience comme s’ils étaient retenus au dépôt ».

Comme si… L’opération consiste généralement à faire passer la porte du dépôt aux étrangers, à les fouiller, et à les faire ressortir en direction de la salle d’audience.

« MISE EN SCÈNE »

Opération si factice que M. Monedière invite son collègue à prendre ses précautions : « Afin d’éviter toute ambiguïté, il importe toutefois que les gendarmes du Mesnil-Amelot ne soient pas présents à l’audience, les étrangers étant placés pendant la durée de celle-ci sous la responsabilité des gendarmes du Palais de justice. Aussi je vous serais obligé de donner toutes instructions pour que l’escorte en provenance du Mesnil-Amelot attende dans les locaux du centre de rétention que les étrangers leur soient ramenés après leur passage devant le juge. »

Pour le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France, cette note « est ouvertement destinée à bafouer les droits de la défense (…) en évitant que les avocats ne fassent valoir un moyen de droit ». Pis, elle organise un détournement de la loi « en mentant aux magistrats délégués en créant l’illusion de la compétence territoriale de Madame le président du tribunal de grande instance de Paris ». Dénonçant cette « mise en scène », les organisations accusent M. Monedière d’«abus d’autorité contre la chose publique ».

Pour la préfecture de police, cette note est « nulle et non avenue ». «La personne qui l’a rédigée n’avait pas autorité pour le faire et nous l’avons annulée», affirme le directeur de la police générale, Jacques- André Lesnard. Pour donner corps à cette volte-face, les policiers ne disposent d’aucune nouvelle note. En revanche, une correspondance interne à la gendarmerie confirme qu’« il y a lieu de considérer que cette note n’a aucune existence ».

Toutefois, la pratique qui y est décrite est bien réelle. « Le tribunal de Meaux n’a pas la capacité d’ac¬cueillir les étrangers du Mesnil-Amelot, explique M. Lesnard. Par ail¬leurs, nous n’allons pas déplacer systématiquement à Meaux un représentant de la préfecture. Enfin, le préfet est maître du choix du lieu de rétention. » Quant à savoir si la po¬lice trompe les juge, il soupire : « Ce qui est important, c’est que l’étranger passe devant un juge délégué. Peu importe le lieu. »

Au tribunal de grande instance de Paris, on juge les termes de la note « assez effarants ». Quant à la pratique, que les juges ignoraient, semble-t-il, totalement, «elle n’est peut-être pas illégale, mais c’est un détournement ».

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Comparutions immédiates : les habitués de la 23ème

la-croix-logo Florence Couret, 07/05/1994,

Première porte à gauche, par l’entrée du Quai des Orfèvres. L’audience des comparutions immédiates de la 23e chambre correctionnelle du palais de justice de Paris est ouverte. Comme d’habitude, la « 23e » fait salle comble. Sous le regard impavide des traducteurs, les avocats jettent un ultime coup d’œil sur leurs dossiers.

Le premier prévenu se lève. Et dans un murmure inaudible décline son identité. Farid est algérien. Débarqué en France à l’âge de 16 ans, il est depuis près de sept ans en situation irrégulière sur le territoire. Le tribunal l’entend ce jour-là pour une tentative de vol de portefeuille: «D’habitude je reconnais les laits, mais là c’est pas vrai», plaide-t-il dans un souffle. «D’habitude», dit Farid… Un casier judiciaire long comme une nuit au dépôt et un dossier frappé, comme beaucoup d’autres, du tampon «ITF». Ce sont les «interdits» de territoire français. Régulièrement condamné, régulièrement repris.

Environ quinze minute par dossier

La comparution immédiate est une procédure réservée aux affaires simples ». Les prévenus ont par ailleurs souvent des antécédents judiciaires ou sont en séjour irrégulier. La capitale traite à elle seule 25% des ces affaires. Soit, environ, 40 à 50 dossiers par jour. Une charge énorme qui pèse sur les après- midi de la 23e… Même en «tirant» les audiences jusqu’à 22 heures parfois, le temps moyen accordé à un dossier excède rarement 15 minutes.

Un quart d’heure pour faire la lumière… « parodie de justice», disent les avocats qui peuvent avoir jusqu’à trois ou quatre dossiers le même jour et ne disposent de quelques heures le matin pour rencontrer les prévenus. « On n’a généralement pas le temps de contacter les familles ou de se procurer les documents nécessaires », raconte Florence Rémy, avocate à Paris. Une défense difficile à assurer dans de telles conditions, ajoute Stéphane Maugendre, avocat à Bobigny et membre du Syndicat des avocats de France : « Il n’y a pratiquement aucune étude de personnalité. Ce qui fait qu’on a entre les mains les seuls procès»verbaux de police! »

La « 23ème » est un petit monde où le temps presse, sans cesse. Et où l’on sent rapidement poindre la routine. Avec des dossiers qui ressemblent à s’y méprendre à ceux de la veille; des arguments stéréotypés, du côté de la défense comme du côté de l’accusation ; des peines qui tombent, un peu comme si les « tarifs » étaient affichés à l’entrée; des prévenus qui portent gravement cette même mauvaise mine que collent immanquablement les heures passées dans la «souricière» – le sous-sol du palais où ils attendent; et enfin les «tricoteuses», ces indéracinables collées aux bancs du public, qui viennent là comme on va au spectacle.

Farid attend les réquisitions. Inquiet. Le substitut du procureur est visiblement exaspéré : « Moi, ici, je n’entends que des innocents toute la journée! Voilà quelqu’un qui nous promène depuis des semaines en changeant en permanence de nom, avec une quinzaine d’alias. Il faut un emprisonnement dissuasif » Dissuasif? L’avocate s’interroge : « Après un an de prison, Farid sortira et son pays n’en voudra pas. Il a déjà fait huit mois, puis encore six mois. Pourquoi douze mois seraient-ils soudain plus efficaces?»

Justice rapide ou justice bâclée?

Dossier suivant. Pascal, 23 ans, plusieurs fois condamné pour vol à la tire, SDF, toxicomane, malade du sida, atteint de tuberculose. La prison, c’est le cadet de ses soucis. Il demande simplement, d’une voix douce, qu’on lui fasse parvenir ses médicaments. F. Rémy fulmine : « Les comparutions immédiates sont à la fois rapides, sévères et sans suivi. Les toxicomanes vont en prison parce qu’ils ont volé. Mais ils volent parce qu’ils sont toxicomanes. Alors qu’est-ce qu’on fait?»

À cette question, les représentants de l’accusation répondent invariablement : il y a eu faute, il doit donc y avoir sanction. Justice à la chaîne? Justice rapide ne veut pas dire bâclée, rétorquent-ils. A 17 h 30, les délibérations sont terminées. Farid est condamné à dix mois de prison et une interdiction de territoire de dix ans. Pascal fera aussi quelques mois. La cour le presse de rester en contact avec l’hôpital et d’aller se faire saigner »… En réponse, Pascal marmonne que de toute façon il n’en a « plus pour très longtemps ». S.Maugendre, lui, n’en démord pas: « Décider de la vie de quelqu’un en quelques minutes, c’est tout, sauf de la justice. »

La rafle de novembre contre les Kurdes

Justice, Entretien avec  Stéphane Maugendre réalisé par Jean-Claude Bouvier et Pierre Jacquin, avril 1994

« Le seul élément, c est le rapport du ministère de l’Intérieur… « 

Justice : Qu’est devenue la procédure visant les Kurdes ?

Stéphane Maugendre : … Sur les 21 mandats de dépôt, une personne est sortie après le débat différé, les autres ont été sorties par la chambre d’accusation ou par le juge. B en reste aujourd’hui 8 en détention provisoire. Ce sont des responsables nationaux des associations kurdes et du comité du Kurdistan, sauf les deux qui ont été assignés à résidence sur arrêté ministériel d’expulsion ; un est considéré comme un intellectuel, un « idéologue » ; un ou deux autres sont des militants purs et durs qui se revendiquent tels ; trois autres sont en infraction à la législation sur les étrangers.

Justice : Que leur reproche-t-on et quels éléments viennent étayer ces mises en examen ?

Stéphane Maugendre : On leur reproche à tous le même délit d’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste… Quant aux éléments, il n’y en a pas, si ce n’est le rapport du ministère de l’Intérieur.

Justice : Aucun élément supplémentaire ne s’y est ajouté après la phase proprement dite des « rafles » ?

Stéphane Maugendre :: … Au moment des rafles on retrouve un carrai.r, nombre de documents qui sont des comptes, région par région… On suppose, sans que la preuve en apparaisse au dossier, que cet argent provient de racket alors qu’il a jours été revendiqué comme étant le produit de la solidarité. Il y a même cette mystérieuse liste composée de chiffres été reproduite dans la presse… et traduite par le enchaîné : on s’est aperçu qu’il s’agissait d’une liste de courses !

Les policiers ont tout saisi et dans le dossier il y a donc tout et n’importe quoi. On a ainsi trouvé des bouteilles de plastique vides…, des jerricans vides ayant peut-être contenu- produits inflammables… Mais on ne retrouve — et c’est intéressant au regard du contenu du rapport du ministère de l’Intérieur — ni shit, ni cocaïne, ni héroïne… pas un seul gramme; on ne retrouve aucune liste de gens passés clandestinement — on avait pourtant parlé d’organisation de trafic de clandestins… —, aucune arme, pas un seul pistolet, pas une seule cartouche.

Dans toutes les régions, Lyon, Grenoble, où des gens ont été arrêtés, des enquêtes ont été effectuées par la police auprès de la communauté turque et kurde pour essayer de savoir si certaines plaintes seraient déposées pour racket… Pour l’instant, elles n ‘ont rien donné.

Justice : Où en est l’instruction aujourd’hui ?

Stéphane Maugendre : Elle est terminée. En fait, elle était terminée… dès le départ. La procédure était essentiellement motivée par nos relations avec la Turquie. L’élément déclenchant réside sans doute dans la vente d’hélicoptères de la France à la Turquie, début novembre si mes souvenirs sont bons. A la suite de quoi, on sent que cela bouge dans le milieu kurde qui essaie de s’organiser au niveau européen pour contrer l’influence d’une Turquie dont l’Europe a besoin pour établir des bases par rapport à la Bosnie, par rapport à l’Irak, etc Et cet élément joue beaucoup. Il explique la rafle du 18 novembre, dont le seul intérêt consiste dans son effet d’annonce : certains journalistes étaient d’ailleurs informés deux jours avant les descentes.

Justice : … Un effet d’annonce légitimé par les 21 mandats de dépôt décernés le 20 novembre par Laurence Le Vert et Roger Le Loire, juges d’instruction antiterroristes… ?

Stéphane Maugendre : Tout à fait: La procédure démarre avec les autorisations de perquisitions accordées par Marie-Paule Moracchini, sur la base des deux rapports du ministère de l’Intérieur et des fiches de renseignement qui les accompagnent.

Au bout de 36-48 heures, les dossiers remontent sur le bureau de Laurence Le Vert qui vient d’être désignée… il y en a dix tomes — environ 5 000 pages. Et le juge d’instruction s’y colle de dix heures du matin à minuit. Mais quelle consultation a-t-elle pu faire d’un tel dossier si l’on sait que durant plusieurs semaines, il a été impossible de s’y retrouver ? La greffière a mis 3 ou 4 jours pour seulement coter le dossier : donc pas moyen d’avoir de copie et comme cela passe par la d’accusation, le juge d’instruction lui-même n’en a pas. L’organisation matérielle interdit au juge de faire son travail de juge, au greffier de faire son travail de greffier… et à l’avocat de faire son travail de défense. Personne n’a vraiment pratiquement pu lire le dossier durant pratiquement un mois parce qu’il n’y avait qu’un seul original et que le dossier naviguait entre les référés-liberté, les appels sur mandats de dépôt, les demande de mise en liberté, etc. Au niveau même de la défense, il y avait impossibilité de faire les choses correctement. Et durant un  mois, notre seule chance a été d’avoir le dossier lors de nos tous premiers appels parce que, par hasard, il se trouvait à ce moment-là devant la chambre d’accusation.

Justice : Avec une procédure pareille « montée » par le ministère de l’intérieur celui-ci est assuré de voir les choses tenir le temps qu’il estime nécessaire ?

Stéphane Maugendre : Oui. D’ailleurs dans ce contexte de désorganisation les seuls qui étaient vraiment armés, dès le début, dans cette procédure… c’était comme par hasard le parquet. Lors des débats contradictoires, le 20 novembre, le chef de la section antiterroriste était constamment dans le couloir, et elle avait ses fiches de renseignements avec un petit résumé sur chacune des personnes. Dans ces conditions, le juge d’instruction était en quelque sorte « otage » du matériel que lui fournissait le parquet, sans avoir le moindre recul par rapport à ces éléments. Tant le juge d’instruction — qui n’a pas cinquante mains et cinquante yeux — que la défense nous n’avons été au point sur le dossier qu’au bout d’un mois…

Nouveau code, vieilles recettes

logo_site Véronique Lopez, 24/02/1994

Le nouveau bréviaire des juristes entre en vigueur le 1er mars. L’arsenal de répression en sera une nouvelle fois renforcé.

Une refonte totale de la codification napoléonienne de 1810, « une réforme sans précédent », bref « un événement » ; tout en satisfecit et en grandes pompes, le ministre de la Justice saluait, fin janvier, devant le gratin de la magistrature et du barreau, un «nouveau » code pénal «inspiré par les droits de l’homme, à la fois plus clair, plus juste et plus efficace».

De prime abord, la présentation est attirante et ne manque pas de faire référence aux travaux préparatoires impulsés par la commission de révision Badinter de 1981. L’actuel garde des Sceaux, Pierre Méhaignerie, aurait tort, d’ailleurs, de ne pas se gargariser de ce code « consensuel », voté entre 1989 et 1992. Un texte de « compromis », à même de faire la part des choses entre une protection accrue de « la personne j humaine dans sa vie, sa dignité et son intégrité » et le souci de limiter « le recours à ‘l’emprisonnement » et de favoriser « l’individualisation de la peine ». Dépoussiéré des incriminations tombées d’elles-mêmes en désuétude, le délit de vagabondage par exemple à une époque où la France compte 400 000 SDF, le nouveau code pénal devait être selon l’expression du ministre «plus expressif des valeurs de notre société, à savoir le respect des droits de l’homme».

Sagesse et hauteur de vue donc, tout à la fois pour un texte «humaniste» et le ministre d’un gouvernement pourtant plus préoccupé de sécurité que d’humanité.

« Une mascarade qui camoufle derrière une apparente bienveillance, un retour au tout répression et à l’ordre moral », tel est pourtant, à l’égard du nouveau texte, le point de vue des juristes les plus virulents. Alors que les plus cléments invoquent « un code en trompe l’œil, flou et sans réflexion ».

Parmi ces derniers, Jean-Claude Bouvier, juge d’application des peines et membre du Syndicat de la magistrature, critique un texte qui «reprend pour l’essentiel l’architecture générale de l’ancien code de 1810 et conserve l’emprisonnement, clé de voûte de tout le système pénal depuis près de deux siècles, comme peine de référence».

Le NCP, cet « instrument juridique adapté à notre époque» comme aime à le ressasser Pierre Méhaignerie fait l’impasse sur des décennies de travaux doctrinaux reconsidérant le sens de la sanction pénale, le rôle social de l’enfermement ou sur les peines alternatives à la prison.

A première vue pourtant, l’article 131-3 pose une disposition générale supprimant la hiérarchie des peines, égalisées entre elles. On ne parlera plus dorénavant de peine de substitution en tant que telle. La prison devient — grande avancée théorique — une peine parmi les autres, équivalente au travail d’intérêt collectif (TIG) ou au jour-amende. Ce beau principe ne résiste cependant pas longtemps à sa mise en examen.

La voix posée, le juge Bouvier jongle avec ses petits livres rouges pour décrypter article par article la nouvelle législation pénale : « Après la définition de l’infraction, la référence principale reste la peine de prison et l’amende. La soustraction frauduleuse de la chose d’autrui (le vol) est révélatrice de cette hypocrisie théorique. Si la peine d’emprisonnement stagne, l’amende, elle, connaît une inflation vertigineuse en passant de 20 000francs à 200 000francs ! ».

« L’échelle des peines, d’une manière générale, et quel que soit le délit visé, est revue à la hausse, soit directement, soit par le jeu de combinaisons perverses. Pour la catégorie des vols simples, la nouvelle loi ne prévoit pas moins de huit circonstances aggravantes. Le vol «commis dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs» sera plus sévèrement puni qu’un vol à la tire mais au grand air. « La SNCF et la RATP, note Catherine Erhel, deviennent une circonstance aggravante du vol qui alourdit la condamnation possible de deux à cinq ans (1) .

La mèche en bataille, Stéphane Maugendre fulmine. Cet « avocat de base », comme il se définit lui-même, pénaliste et ancien président de la commission pénale du Syndicat des avocats de France (SAF) accuse en bloc le système mis en place par ce nouveau code  « Sous prétexte de dépoussiérage, on cède avant tout à la mode. C’est ça le nouveau code pénal, un code-mode, avec des délits, des crimes dans le coup ! Le législateur cède à la pression sociale et médiatique. Or, ce n ‘est pas son rôle. Le législateur n est pas là pour répondre a l’envie populaire du moment mais pour donner des principes, une philosophie pénale qui fait totalement défaut dans le nouveau texte »

Remise en cause de l’individualisation des peines par la disparition de la logique des circonstances atténuantes et I’augmentation des peines de sûreté instaurées par Alain Peyrefitte, disparition du sursis dès la seconde condamnation, multiplication des aggravations de circonstances, renforcement du système de « la double peine » pour les étrangers, le rapport du SAF n’en finit pas de décliner cette « poussée répressive ».

Respectueux des grands principes,  on accordera au NCP le bénéfice du doute profite encore, sauf à Nice, à l’accusé. En  fin de compte et au regard de la législation envers les étrangers, « c’est bien un code reflétant les valeurs de notre temps, mais qui ne sont pas celles des droits de l ‘homme » déplore Jean-Claude Bouvier.

Un code de marchandage aussi ente Sénat et Assemblée nationale, discuté le nez sur les faits-divers et les fantasmes collectifs : viols et meurtres d’enfants, insécurité urbaine, squats, tags, tout ce qui est directement perceptible est incriminé en tant tel. La mise en place de ce code policé s’accompagne comme c’est souvent le cas d’un retour à la morale destiné à lutter contre dépravation des mœurs. L’article 227-4, introduit à la hussarde en commission mixte paritaire, rétablit un retour à l’ordre moral et à la censure impulsé par les ligues de vertu qui pourront à tout moment se constituer partie civile pour attaquer livres, films, photos propageant « un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité de la personne humaine (…) lorsque ce message sera susceptible d ’être vu ou perçu par un mineur ». Enfin de compte, la seule promesse tenue par Pierre Méhaignerie lors de son discours inaugural, semble bien être celle d’un code simplificateur, permettant la compréhension de la loi par tous, tant il est vrai que la rédaction du nouveau code pénal doit beaucoup à la presse à scandales.

(1) « La loi et le fait-divers « , Catherine Erhel. revue Esprit, octobre 1993.

Les avocats dénoncent une «opération politique»

Accueil 01/12/1993

«Nos clients étaient poursuivis pour délit de solidarité, maintenant, on peut carrément parler de délit d’opinion.» C’est Me Maugendre qui parle. Il vient d’apprendre que le Conseil des ministres a décidé d’interdire le Comité du Kurdistan et les vingt-trois associations kurdes regroupées dans la Fédération des associations culturelles des travailleurs du Kurdistan. La nouvelle est tombée au beau milieu de la conférence de presse donnée hier par les avocats des vingt-quatre Kurdes mis en examen après la rafle policière de la semaine dernière. Vingt sont incarcérés, deux font l’objet d’un arrêté d’expulsion, dont une, Rojine Ayaz, est assignée à résidence dans les Deux-Sèvres.

D’entrée de jeu, Me Jacoby, président de la Fédération internationale des ligues de droit de l’homme, donnait le ton: «Nous sommes en présence d’une affaire politico-juridique. Une fois de plus, le pouvoir se sert de la justice pour réaliser une opération politique.» Selon lui, la principale raison de la rafle est à chercher dans le fait que la France est aujourd’hui le premier exportateur vers la Turquie. «Il y a trois semaines, le ministre de la Défense, M. Léotard, a réalisé un fructueux contrat de vente d’armes à Ankara. Dans cette affaire, la France était en concurrence avec d’autres pays. La rafle des Kurdes a été la cerise sur le gâteau.»

Me Jacoby s’indigne du «cynisme» de la France, qui recommence «avec la Turquie ce qu’elle a fait autrefois avec l’Irak de Saddam Hussein». Il dénonce les méthodes utilisées: «Des journalistes avaient été prévenus avant l’opération. Le journal turc «Hurriyt» du 20 novembre publiait des extraits du rapport de la DST qui avait servi de base à toute l’opération. Un rapport qualifié d’ultra-secret, qui annonçait que le PKK s’apprêtait à assassiner un diplomate turc et à enlever un journaliste en France. Le 27 novembre, le même journal annonçait que la France allait remettre six membres du PKK à la Turquie et publiait leurs noms. On a aussi photocopié des «preuves» qu’on a remises à certains journaux: «France-Soir» a ainsi publié une facture censée prouver qu’il y avait eu un racket, mais c’était en réalité une note de blanchisserie.»

A son tour, Me Martineau révèle que des documents concernant des personnes protégées par la Convention de Genève sur les réfugiés ont été livrées à la police turque et souligne la gravité d’une telle violation. Me Voituriez insiste sur le fait que les dossiers sont vides. Le seul chef d’inculpation qu’on ait trouvé est «association de malfaiteurs pour collecte de fonds au bénéfice d’une organisation terroriste». Mais, s’indignent les avocats, au regard des atrocités commises par l’armée turque au Kurdistan et qui n’ont fait que s’aggraver ces derniers temps, n’est-il pas naturel que la communauté kurde de France manifeste sa solidarité en versant aux collectes? «On vient de créer le délit de solidarité!», s’exclame Me Mangin.

En conclusion, Me Jacoby se déclare consterné par la décision du Conseil des ministres: «Tout cela est triste pour l’avenir des libertés en France. Mais nous ne laisserons pas faire. Et nous espérons que les magistrats nous suivront et refuseront de servir de bras à une telle opération politique.»

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Le gouvernement dissout deux associations kurdes

logo-liberation-311x113 01/12/1993

«Ces façades légales du PKK» se livreraient «à des actions de caractère terroriste ou délictuel».

Deux semaines après la rafle touchant les membres présumés en France du Parti des travailleurs du Kurdistan, ce mardi, Charles Pasqua a voulu à sa manière boucler le dossier policier de l’affaire. A sa demande, le Conseil des ministres d’hier matin a dissous par décret deux importantes associations présentées par le ministre de ’ Intérieur comme «des façades légales du PKK qui, en France comme dans d’autres pays d’Europe, se livre à des actions de caractère terroriste ou délictuel». Il s’agit du Comité du Kurdistan et de la Fédération des associations culturelles et des travailleurs patriotes du Kurdistan en France, Yekkom-Kurdistan, ainsi que de sept comités appartenant à cette dernière, qui rentreraient sous les coups de la loi de janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées.

Dans une conférence de presse tenue hier après-midi, et sans rentrer dans les détails des charges retenues contre les deux associations (mais énumérant plusieurs actes commis contre des intérêts turcs en France et attribués au PKK), Charles Pasqua a défini pour l’avenir les limites des activités qui seront permises aux 60 000 Kurdes résidant sur le territoire. «L’immense majorité d’entre eux n’aspirent qu’à s’ intégrer à la communauté française, et c’est aussi notre vœu. De multiples associations kurdes existent qui ont un objet culturel. Il n ’ est pas question de les interdire ».  Charles Pasqua a refusé tout lien entre les décisions françaises et les interdictions «anti-PKK» annoncées vendredi par les autorités allemandes. Il a déclaré que le sujet avait été abordé lundi, lors d’une rencontre à huis clos entre ministres de l’Intérieur européens, où l’on s’est penché entre autres sur « les menaces de terrorisme» et où le ministre français a «proposé à bref délai un programme  opérationnel».

Cinq avocats des 24 Kurdes mis en examen après la rafle du 18 novembre ont manifesté hier leur étonnement en apprenant l’interdiction des deux associations. «On est passé d’un délit de solidarité à un délit d’opinion ». s’est exclamé Me Stéphane Maugendre. Avec ses collègues, Daniel Jacoby. Christine Martineau, William Bourdon, Christophe Voituriez, ils ont voulu exprimer leur désarroi devant une affaire judiciaire où, selon eux, «il n’y a rien individuellement dans les dossiers qui justifie l’incrimination d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste».

Ezzat Dere, responsable du Comité du Kurdistan à Paris, s’est insurgé contre la dissolution d’associations qui n’auraient jamais mené «des activités qui violent la Constitution et la loi françaises». Cette décision ne serait qu « un ordre du gouvernement turc aux gouvernements européens». Les deux associations devraient se pourvoir devant le tribunal administratif.

Les prisons mal armées face aux délinquants sexuels

KdI9khBXPMWc33xfCxduK-fCc2MLzAp7jQ_15LyD1S4gOeointmcTAHR52beutqD4l_qMww=s170 Stéphane Rak et Isabelle Berdoll, 09/10/1993

Peut-on enfermer les délinquants sexuels pendant trente ans de manière incompressible? Les juristes et les personnels pénitentiaires sont réservés tant sur la mise en œuvre de cette mesure que son utilité.

L’affaire de la petite Karine aura marqué les esprits. Violée et tuée par un multirécidiviste. Comme à chacun de ces drames, la question est posée de savoir s’il ne faudrait | pas réintégrer dans le droit français la peine de mort pour les meurtriers d’enfants. Sans aller jusqu’à cette extrémité, une solution consiste à augmenter la durée de la sanction infligée et s’assurer que celle-ci soit rendue effective. C’est en tout cas l’intention affichée par le ministre de la Justice, Pierre Méhaignerie, qui envisage de faire passer la peine maximale à trente ans et de la rendre incompressible.

Finies les libérations conditionnelles, les remises de peine légales qui font de la perpétuité aujourd’hui une peine égale en moyenne à quinze ans d’emprisonnement. « On va enfin mettre un terme au système d’érosion des peines auquel la loi Chalandon de 1986 avait tenté de mettre un terme, en vain », souligne le secrétaire général de l’Association professionnelle des magistrats  (APM), Dominique Matagrin. Cela fait des années que ce magistrat de droite réclame une telle mesure.

Celle-ci n’a jamais vraiment recueilli l’unanimité parmi les professionnels de la justice, qui voient mal comment elle pourrait être mise en pratique. «Quand on enferme des gens pour trente ans sans espoir d’être libérés, ils deviennent de véritables fauves, difficilement gérables, car ils n’ont plus rien à perdre», estime le secrétaire général de l’Union des syndicats de magistrats (USM), Valéry Turcey.

« Absolument faux, rétorque Dominique Matagrin. Cette crainte d’en faire des fauves est légitime, mais infondée. Les délinquants sexuels sont loin d’être les plus dangereux. Par ailleurs, la grâce présidentielle, étant un droit constitutionnel, demeurera et restera un espoir pour les détenus condamnés à perpétuité. »

Le problème que soulèvent bien des juristes ne concerne pas la durée de la peine mais son utilité. « Qu’une personne soit enfermée 10, 20 ou 30, cela ne change rien s’il n’existe pas de structures à même de la soigner », indique Valéry Turcey. « Alors qu’on connaît des exemples étrangers sur lesquels on pourrait prendre modèle, les Etats-Unis ou le Canada, par exemple, où l’on applique des traitements psychiatriques aux détenus, en France, le débat n’a même jamais été soulevé. En général, le milieu médical est réticent à l’idée d’imposer de manière autoritaire des soins aux prisonniers. Une fois en prison, aucune thérapie n’est proposée aux délinquants sexuels. »

Me Stéphane Maugendre, responsable du syndicat des avocats de France, indique stupéfiait qu’à Fleury-Mérogis, « on ne compte que trois médecins pour quelque 15 000 détenus». Malgré cela, cet avocat ne remet pas en cause notre système judiciaire. « Le droit n’a pas à s’adapter à une rédaction épidermique à un moment donné », estime-t-il, soulignant que «ces individus ont certes commis des fautes très graves, mais ils sont malgré tout réinsérables. Il faut regarder les chiffres et on constate que le récidives dans ce domaine ne sont pas fréquentes. Pour un cas qui vaj faire scandale, on ne s’aperçoit pas que 150 autres ont pu reprendre! une vie normale ». ;

Et de conclure : « Ce débat revient presque à réintroduire la peine de mort. » « A la différence, explique le secrétaire général de l’Union des fédérations de l’administration  pénitentiaire (UFAP), Gilles Sicard que les délinquants sexuels restent en prison et que nous n’avons pas les moyens de les garder en toute sécurité. » Ce gardien de prison réclame, si le projet de loi venait à son terme, «davantage de moyens financiers et d’effectifs spécialisés, faute de quoi ce projet restera purement illusoire ».

Il n’est pas si facile de réaliser concrètement une demande, fut-elle majoritaire dans l’opinion publique.

Dans le droit fil de l’Inquisition

KdI9khBXPMWc33xfCxduK-fCc2MLzAp7jQ_15LyD1S4gOeointmcTAHR52beutqD4l_qMww=s170 Propos recueillis par S. B., 02/09/1993

Me Stéphane Maugendre est président de la commission pénale du Syndicat des avocats de France. La garde à vue, cet avocat sait ce que c’est. Depuis la mise en place de la réforme Vauzelle, en mars dernier, il est en effet obligé, à l’instar de ses confrères, d’assurer des permanences et la défense des gardés à vue qui le demandent.

Le QUOTIDIEN. – Quel bilan avez- vous tiré de ces huit mois passés en concubinage avec la réforme Vauzelle?

Me Stéphane MAUGENDRE. – Disons que deux mondes — les avocats et les policiers — qui ne se connaissaient pas, se sont rencontrés. Et ça c’est très bien passé. L’accueil dans les commissariats était en général très sympathique. Les policiers, à mon avis, pensaient que c’était plutôt bien. Ils nous l’ont dit : «Enfin, vous voyez dans quel monde on travaille!». Certains ont même dit que, grâce à nos visites, ils se montraient plus attentifs.

Q. – A la mise en place de cette loi, vous, les avocats, avez un peu rechigné… Maintenant, vous ne voulez plus revenir sur cet acquis de la défense.

Me Stéphane MAUGENDRE. – Les avocats ont tenu un pari, en dépit d’une loi imparfaite. Tous les barreaux se sont organisés et ont assuré gratuitement ce service public. Ils ne sont pas rémunérés pour cela, il faut le rappeler ! Ça n’a pas été facile, mais on l’a fait.

Q. – La garde à vue, qu’est-ce que ça signifie pour vous ?

Me Stéphane MAUGENDRE. – Pour moi, c’est un lieu, un espace-temps de non-droit, qui se place dans le droit fil de l’Inquisition. Le but, c’est l’aveu. Jusqu’à la loi du 4 janvier 1993 (loi Vauzelle), il n’y avait aucun contrôle. Cette réforme a permis ce contrôle par l’avocat et par l’obligation pour les policiers d’avertir immédiatement le procureur de la garde à vue. La loi allait instaurer la venue de l’avocat dès la première heure, pour coller à tout ce qui ce fait en matière de garde à vue en Europe. C’était bien. Maintenant on revient là-dessus. Pour moi, la «réforme de la réforme» est un véritable coup de poignard dans le dos. Un coup dur pour la défense. Je ne comprends par ce retour en arrière.