Véronique Lopez, 24/02/1994
Le nouveau bréviaire des juristes entre en vigueur le 1er mars. L’arsenal de répression en sera une nouvelle fois renforcé.
Une refonte totale de la codification napoléonienne de 1810, « une réforme sans précédent », bref « un événement » ; tout en satisfecit et en grandes pompes, le ministre de la Justice saluait, fin janvier, devant le gratin de la magistrature et du barreau, un «nouveau » code pénal «inspiré par les droits de l’homme, à la fois plus clair, plus juste et plus efficace».
De prime abord, la présentation est attirante et ne manque pas de faire référence aux travaux préparatoires impulsés par la commission de révision Badinter de 1981. L’actuel garde des Sceaux, Pierre Méhaignerie, aurait tort, d’ailleurs, de ne pas se gargariser de ce code « consensuel », voté entre 1989 et 1992. Un texte de « compromis », à même de faire la part des choses entre une protection accrue de « la personne j humaine dans sa vie, sa dignité et son intégrité » et le souci de limiter « le recours à ‘l’emprisonnement » et de favoriser « l’individualisation de la peine ». Dépoussiéré des incriminations tombées d’elles-mêmes en désuétude, le délit de vagabondage par exemple à une époque où la France compte 400 000 SDF, le nouveau code pénal devait être selon l’expression du ministre «plus expressif des valeurs de notre société, à savoir le respect des droits de l’homme».
Sagesse et hauteur de vue donc, tout à la fois pour un texte «humaniste» et le ministre d’un gouvernement pourtant plus préoccupé de sécurité que d’humanité.
« Une mascarade qui camoufle derrière une apparente bienveillance, un retour au tout répression et à l’ordre moral », tel est pourtant, à l’égard du nouveau texte, le point de vue des juristes les plus virulents. Alors que les plus cléments invoquent « un code en trompe l’œil, flou et sans réflexion ».
Parmi ces derniers, Jean-Claude Bouvier, juge d’application des peines et membre du Syndicat de la magistrature, critique un texte qui «reprend pour l’essentiel l’architecture générale de l’ancien code de 1810 et conserve l’emprisonnement, clé de voûte de tout le système pénal depuis près de deux siècles, comme peine de référence».
Le NCP, cet « instrument juridique adapté à notre époque» comme aime à le ressasser Pierre Méhaignerie fait l’impasse sur des décennies de travaux doctrinaux reconsidérant le sens de la sanction pénale, le rôle social de l’enfermement ou sur les peines alternatives à la prison.
A première vue pourtant, l’article 131-3 pose une disposition générale supprimant la hiérarchie des peines, égalisées entre elles. On ne parlera plus dorénavant de peine de substitution en tant que telle. La prison devient — grande avancée théorique — une peine parmi les autres, équivalente au travail d’intérêt collectif (TIG) ou au jour-amende. Ce beau principe ne résiste cependant pas longtemps à sa mise en examen.
La voix posée, le juge Bouvier jongle avec ses petits livres rouges pour décrypter article par article la nouvelle législation pénale : « Après la définition de l’infraction, la référence principale reste la peine de prison et l’amende. La soustraction frauduleuse de la chose d’autrui (le vol) est révélatrice de cette hypocrisie théorique. Si la peine d’emprisonnement stagne, l’amende, elle, connaît une inflation vertigineuse en passant de 20 000francs à 200 000francs ! ».
« L’échelle des peines, d’une manière générale, et quel que soit le délit visé, est revue à la hausse, soit directement, soit par le jeu de combinaisons perverses. Pour la catégorie des vols simples, la nouvelle loi ne prévoit pas moins de huit circonstances aggravantes. Le vol «commis dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs» sera plus sévèrement puni qu’un vol à la tire mais au grand air. « La SNCF et la RATP, note Catherine Erhel, deviennent une circonstance aggravante du vol qui alourdit la condamnation possible de deux à cinq ans (1) .
La mèche en bataille, Stéphane Maugendre fulmine. Cet « avocat de base », comme il se définit lui-même, pénaliste et ancien président de la commission pénale du Syndicat des avocats de France (SAF) accuse en bloc le système mis en place par ce nouveau code « Sous prétexte de dépoussiérage, on cède avant tout à la mode. C’est ça le nouveau code pénal, un code-mode, avec des délits, des crimes dans le coup ! Le législateur cède à la pression sociale et médiatique. Or, ce n ‘est pas son rôle. Le législateur n est pas là pour répondre a l’envie populaire du moment mais pour donner des principes, une philosophie pénale qui fait totalement défaut dans le nouveau texte »
Remise en cause de l’individualisation des peines par la disparition de la logique des circonstances atténuantes et I’augmentation des peines de sûreté instaurées par Alain Peyrefitte, disparition du sursis dès la seconde condamnation, multiplication des aggravations de circonstances, renforcement du système de « la double peine » pour les étrangers, le rapport du SAF n’en finit pas de décliner cette « poussée répressive ».
Respectueux des grands principes, on accordera au NCP le bénéfice du doute profite encore, sauf à Nice, à l’accusé. En fin de compte et au regard de la législation envers les étrangers, « c’est bien un code reflétant les valeurs de notre temps, mais qui ne sont pas celles des droits de l ‘homme » déplore Jean-Claude Bouvier.
Un code de marchandage aussi ente Sénat et Assemblée nationale, discuté le nez sur les faits-divers et les fantasmes collectifs : viols et meurtres d’enfants, insécurité urbaine, squats, tags, tout ce qui est directement perceptible est incriminé en tant tel. La mise en place de ce code policé s’accompagne comme c’est souvent le cas d’un retour à la morale destiné à lutter contre dépravation des mœurs. L’article 227-4, introduit à la hussarde en commission mixte paritaire, rétablit un retour à l’ordre moral et à la censure impulsé par les ligues de vertu qui pourront à tout moment se constituer partie civile pour attaquer livres, films, photos propageant « un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité de la personne humaine (…) lorsque ce message sera susceptible d ’être vu ou perçu par un mineur ». Enfin de compte, la seule promesse tenue par Pierre Méhaignerie lors de son discours inaugural, semble bien être celle d’un code simplificateur, permettant la compréhension de la loi par tous, tant il est vrai que la rédaction du nouveau code pénal doit beaucoup à la presse à scandales.
(1) « La loi et le fait-divers « , Catherine Erhel. revue Esprit, octobre 1993.