Archives de catégorie : droit pénal

Une manifestation nocturne en faveur des sans-papiers

index 24/05/1997

ENVIRON 700 personnes ont participé, jeudi 22 mai a Paris, une manifestation nocturne en faveur des sans-papiers qui avait tir baptisée « Paris s’illumine » par ses organisateurs. De l’église Saint-germains- des-Prés à la place de la Bastille, les manifestants ont tenté de montrer que, « malgré les mois passés, malgré les agressions policières, la flamme de (leur) lutte brille encore », résumait l’un de leurs délégués. Deux heures durant, les sans-papiers et leurs soutiens (LDH, Ras le Front, Droit devant, SUD…) ont crié leurs revendications, protégeant de la pluie battante les bougies, lanternes multicolores, flambeaux de jardin, torches électrique et autres feux de Bengale dont ils s’étalent munis pour l’occasion.

Outre la demande de régularisation, qui constitue leur principal objectif, les manifestants ont réclamé la libération d’El Hadj Momar Diop, délégué du troisième collectif de sans papiers, condamné a quatre mois de prison et dix ans d’interdiction du territoire pour «violences sur agent de la force publique », à la suite de l’occupation, le mercredi 14 mai, du Stade de France à Saint-Denis (Le Monde du 23 mai).

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Désordres policiers

index édito, 23/05/1997

UN photographe de presse et un journaliste qui affirment avoir été matraqués par des policiers, avant que le premier se voie confisquer des films. Un cameraman, au même moment, empêché de filmer, les conditions d’intervention des forces de l’ordre, le 14 mai, au Stade de France, occupé par deux cents étrangers sans papiers, sont vivement contestées. Violences, passage à tabac, « Injures racistes », selon plusieurs témoins, auraient accompagné cette évacuation musclée. Une nouvelle fois, en quelques mois, se trouve mise en cause la façon dont sont conduites des opérations de maintien de l’ordre,

Cela avait déjà été le cas à Marseille, le 11 mars, à l’issue d’une importante manifestation contre le Front national, la po¬lice était alors violemment inter¬venue, utilisant matraques et grenades lacrymogènes pour disperser le cortège. Les affrontements avalent duré deux heures. Plus de deux cents plaintes de particuliers ont par la suite été déposées, un comité de soutien aux manifestants dénonçant la mise en place par la police, ce soir-là, « d’une souricière, d’une nasse à manifestants ». Devant l’émoi provoqué dans la ville, une enquête était confiée à l’Inspection générale de la police nationale, chargée d’établir d’« éventuelles responsabilités policières ». Sans attendre ses résultats, le préfet délégué pour la sécurité et la défense, Michel Sappin, devait reconnaître, le 29 avril, « une erreur opérationnelle de commandement » dans la façon dont avait été encadrée la manifestation.

Une polémique semblable a suivi la manifestation qui s’est tenue à Strasbourg au moment du congrès du front national, le 29 mars, les forces de l’ordre sont, cette fols, mises en cause pour avoir levé trop tôt certain dispositifs de sécurité, la nuit s’étant achevée par de violents incidents provoqués en centre-ville par quelques dizaines de mystérieux casseurs.

Cette multiplication d’incidents, ces accusations répétées de violences policières – des militants de Droit au logement ont également protesté contre la façon dont ils ont été évacués, dimanche 18 mai, d’un Immeuble occupé à Paris – laissent planer de graves soupçons sur des opérations conduites sous la responsabilité des préfets et des directeurs départementaux de la sécurité publique. Jean-louis Debré, ministre de l’Intérieur, toujours prompt à soutenir sans réserve ses fonctionnaires, n’a pas eu un mot pour rappeler les exigences des lois de la République, ni même pour réaffirmer que les opérations de maintien de l’ordre ne sauraient supporter un manque de rigueur et de professionnalisme.

Les années 70 avaient été rythmées de ces débordements policiers empreints de violence. A l’époque, le ministre de l’intérieur Raymond Marcellin s’était forgé en la matière une solide réputation. Il serait déplorable qu’un tel climat puisse renaître, alors même qu’en haut lieu on redoute la multiplication des conflits sociaux.

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La police accusée de violences lors d’une intervention au stade de France

index, Nathaniel Herzberg, 

Extrait : L’AFFAIRE semble tristement classique : une occupation, une échauffourée, un manifestant poursuivi pour « rébellion » et « coups et blessures à agent », et un procès. Témoignage contre témoignage, certificat médical contre certificat médical. La justice donne raison aux policiers et condamne le militant.

Pourtant, cette aventure, qui vient de conduire El Hadj Moumar Diop à la prison de Fleury-Mérogis, pourrait bien se transformer en cas d’école. Depuis sa condamnation, vendredi 16 mai, par le tribunal de Bobigny à quatre mois de prison ferme et dix ans d’interdiction du territoire, sa situation sert désormais d’emblème aux soutiens des sans-papiers. Plus une déclaration sans une mention de son cas.

Sa demande de libération devrait figurer en tête des revendications de la manifestation nocturne des sans-papiers, jeudi 22 mai, à Paris. Enfin une pétition, signée par près de 300 personnalités (cinéastes, comédiens, universitaires), associations ou syndicats, dénonce « la violence et les insultes racistes qu’il a dû subir » en espérant « que la justice ne devienne pas une annexe du ministère de l’intérieur ».

Il y a d’abord le déroulement des faits qui sont reprochés…

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Double appel contre les brutalités policières.

logo-liberation-311x113  Béatrice Bantman

Les signataires demandent la libération de Momar Diop.

Le temps des pétitions est revenu. Thème imposé: la violence policière. Exemples choisis: l’évacuation brutale, dimanche 18 mai, d’un immeuble parisien investi par des militants et des sans-logis et l’arrestation musclée d’un sans-papiers, mercredi 14 mai, lors d’une manifestation au Grand Stade de Saint-Denis (93). Conséquence judiciaires: des manifestants molestés par les forces de l’ordre se retrouvent condamnés ou mis en examen.

Deux appels ont déjà été signés par plus de 300 personnalités, associations ou syndicats pour protester contre les brutalités policières et réclamer la libération de Hel Hadj Momar Diop, interpellé au Grand Stade et condamné à quatre mois de prison pour, entre autres délits, «violences à agent». Tous les témoins affirment pourtant qu’il a été roué de coups par les policiers. Parmi les signataires, «indignés par la violence et les insultes racistes» subies par ce Sénégalais, qui vit en France depuis plus de vingt ans, figurent des cinéastes dont Manuel Poirier (prix du Jury au Festival de Cannes), Jacques Audiard ou Enki Bilal, des écrivains comme Dan Franck ou Jean Vautrin, des comédiens, dont Annie Duperey, ainsi que des chercheurs, des universitaires tels Léon Schwartzenberg, des élus dont le sénateur-maire (PCF) d’Aubervilliers, l’ancien ministre Jack Ralite. Tous demandent la libération immédiate et la régularisation de Diop «pour que la justice ne devienne pas une annexe du ministère de l’Intérieur».
Parallèlement, un appel unitaire contre la répression et les violences policières circule depuis hier pour dénoncer l’attitude brutale des forces de police, dimanche, lors de la tentative d’occupation d’un immeuble place d’Iéna, inoccupé depuis six ans et appartenant au Crédit Lyonnais. «Trois militants, qui protégeaient pacifiquement des matraques les familles et leurs enfants, ont été victimes de violences, arrêtés, placés en garde à vue et mis en examen pour rébellion à agent avec arme par destination», rappelle le texte, qui souligne que de nombreux témoignages et images filmées confirment que cette accusation est dénuée de tout fondement et n’est qu’un «montage policier».
Une manipulation du même style est évoquée à propos de l’arrestation et de la condamnation de Diop. Lors de la manifestation devant le Grand Stade, un photographe de l’agence Associated Press a été molesté et une de ses pellicules a été saisie, tandis que la caméra d’un jeune homme qui avait filmé la scène a été confisquée. «Si la version de la police est aussi claire, pourquoi a-t-on fait disparaître les preuves?», interroge Stéphane Maugendre, l’avocat d’El Hadj Momar Diop. Le Syndicat national des journalistes dénonce pour sa part ces violences qui empêchent l’exercice de la profession. Pourtant, deux jours plus tard, au procès de Diop, les versions contradictoires des policiers et un certificat médical qui relevait que la déviation de la cloison nasale dont se plaignait un des policiers était un traumatisme ancien, n’ont pas empêché le président du tribunal de condamner le prévenu pour violence à agent. «Ces violences s’attaquent à des mouvements de chômeurs, de « sans droits et d’exclus, qui s’expriment par les seuls moyens en leur possession: les manifestations, les marches et les occupations. Ils visent aussi les militants associatifs, les citoyens qui leur apportent leur soutien et les journalistes qui font leur travail d’information», conclut l’appel.

Coups durs pour un sans-papiers

logo-liberation-311x113 David Dufresne, 19/05/1997

Interpellé mercredi, brutalisé par la police selon des témoins, il écope de dix ans d’interdiction du territoire.

Quatre mois de prison ferme, 4000 francs d’amende et dix ans d’interdiction du territoire, c’est la condamnation qu’a prononcée, vendredi Soir, la 17e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny à l’encontre de El Hadj Momar Diop. Porte-parole du troisième collectif des sans-papiers, d’origine sénégalaise, El Hadj Momar Diop avait été interpellé mercredi à proximité du Stade de France (Seine-Saint-Denis), où lui et les siens avaient choisi de manifester dans un «lieu symbolique». La justice avait retenu plusieurs inculpations contre lui: infraction à la législation relative aux étrangers, rébellion et violence à agent. Selon la police, il aurait, en se débattant dans le car, blessé un agent. Pour de nombreux témoins, c’est au contraire les forces de l’ordre qui ont agi avec une «extrême brutalité». Incarcéré à Fleury-Mérogis, le sans-papiers se réserve le droit de faire appel.

Dès samedi, un comité de soutien en sa faveur s’est constitué et un appel, lancé dans la foulée, a déjà recueilli une centaine de I signatures, dont plusieurs de cinéastes et d’écrivains. Rendu public demain, l’appel demande notamment sa «libération immédiate pour que la justice ne devienne pas une annexe du Ministère de l’intérieur». Et une réunion doit décider, mercredi, d’une campagne nationale «voire internationale», selon Madjiguène Cissé, déléguée de la coordination nationale des sans-papiers. De son côté, Reporters sans frontières a écrit à Jean-Louis Debré pour lui demander l’ouverture d’une enquête sur les conditions de l’interpellation, lors de la manifestation des sans-papiers mercredi, de Gaél Cornier, photographe de l’agence Associated Press. « Molesté » à coups de matraque et de bouclier, le photographe s’était vu saisir une de ses pellicules et avait été retenu quatre heures au commissariat central de Saint-Denis.

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Un sans-papiers au tribunal après une interpellation musclée

logo-liberation-311x113 16/05/1997

El Hadj Momar Diop, Délégué de la coordination nationale des «sans-papiers, interpellé mercredi soir après l’occupation du stade de France de Saint-Denis, a été déféré hier soir au tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Il doit être présenté aujourd’hui en comparution immédiate pour «coups et blessures sur agent de la force publique» et «infraction à la législation sur les étrangers». Selon la police, il aurait, en se débattant dans le car, blessé un fonctionnaire appartenant a une brigade anticriminalité qui a eu un arrêt de travail de cinq jours. Mais, selon des témoins, ce sont au contraire les policiers qui auraient très brutalement interpellé. La coordination des sans-papiers parte même de “passage à tabac», Un photographe travaillant pour l’agence Associated Press, qui prenait des clichés de la scène, avait été aussi interpellé mercredi soir et relâché quelques heures plus tard. Il envisageait hier de porter plainte contre la police, qui avait jeté à terre son matériel photographique.

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Trois jeunes en perdition condamnés pour un braquage

logoParisien-292x75 Geoffroy Tomasovitch, 08/04/1997

Il est 16 heures et le tribunal correctionnel d’Evry vient de condamner Cédric et Ahmed à trois ans de prison dont dix-huit mois avec sursis, leur complice Dominique écopant de trois ans dont deux avec sursis. Tous trois sont les auteurs d’un braquage au Crédit agricole de Ris-Orangis, le 30 octobre dernier. Des faits examinés hier par les juges d’Evry ; un braquage presque banal commis par des « jeunes en désarroi qui n’ont rien de bandits de grand chemin », selon l’expression de l’avocate d’Ahmed

Les faits sont simples et reconnus — à quelques détails près — par les prévenus. Ce 30 octobre, Ahmed, 22 ans, originaire de Vitry-sur-Seine (94) et Cédric, 20 ans, domicilié à Noisy-le-Grand (93) braquent «en douceur » la banque à l’aide d’une arme factice. Butin : 31000 F. Ils se le partagent après avoir « payé » leur complice de Brunoy, Dominique, 29 ans, oui leur a servi de chauffeur. Aucun d’eux n’a pensé à réclamer la bande enregistrée par le système de surveillance de la banque. Aussi, les braqueurs seront-ils rapidement interpellés et placés en détention provisoire. Mais, hier, la personnalité des prévenus a prévalu sur les circonstances du braquage, dont personne n’a nié la gravité.
Sans emploi et presque sans ressource, ces trois jeunes vivait dans des conditions plus que précaires. Cédric n’a jamais connu son père et sa mère, condamnée par la maladie, l’a émancipé à l’âge de 16 ans. Sa famille croule sous les loyers impayés et est menacée d’expulsion. « un jeune en perdition. Avec l’argent du butin, Cédric a réglé des dettes de téléphone, d’électricité et même des honoraires médicaux», explique son défenseur, Stéphane Maugendre. Ahmed, passionné de sport, a raté quant à lui sa formation à cause d’une blessure et d’un échec à un examen théorique. La commune de Vitry se dit prête à faciliter son insertion dans le monitorat sportif. Dominique enfin, père de deux enfants, souffre d’une invalidité et percevait le RMI à l’époque des faits.
Au vu du verdict, le tribunal ne semble pas avoir été insensible à l’évocation de la vie pas facile des trois prévenus.

Brulée vive parce qu’elle était trop belle

logo nouveau detective Corinne Montagner, 28/12/1995

Elle se tient droite à la barre des témoins. Le public massé dans la salle d’audience a ne la voit que de dos. Mais soudain, elle se retourne. Pour montrer un visage qui n’en est plus un…

Grande, élancée, le corps moulé dans un cardigan noir et un jean, elle s’avance vers les bancs de la partie civile avec une grâce de mannequin. Tous les regards, dans la cour d’assises de Bobigny, sont braqués sur son dos tandis qu’elle s’assoit à côté de son avocat. Alors, seulement, elle se retourne, of­frant au public son visage de grande brûlée. Dans le public, il y a d’anciens copains, d’anciennes amies qui ne l’ont pas revue depuis le drame et qui la découvrent soudain dans toute l’horreur de sa mutilation. « Dire que c’était la plus belle fille de la cité », s’exclame à voix basse un garçon d’une vingtaine d’années.

« C’était… » Les photos qui circulent sont là pour en témoigner… Mais au­jourd’hui, lundi 18 décembre 1995, sous les néons crus de la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis, ce n’est plus qu’une pauvre gosse de 18 ans qui es­saie, avec beaucoup de courage, de ra­valer les larmes qui lui montent aux yeux.

On reparlera souvent, durant les trois jours que vont durer le procès, de la beauté d’Odile Mansfield avant qu’elle ne soit défigurée. Et aussi de sa gentillesse,de sa joie de vivre, de ses projets d’avenir. Mais  la porte des accusés vient de s’ouvrir, et toutes les tètes se tournent vers la jeune  femme qui fait deux pas et se tomber, comme prise de vertige, sur le banc d’infamie.

Pour l’expert psychiatre,c’est une manipulatrice

Elle, on le devine, n’a jamais été jo­lie. Visage fermé, chignon sévère et re­gard noir, tout est sombre chez cette femme de 37 ans qui fixe les jurés d’un air dur, sans accorder le moindre re­gard à sa victime. Nadira Bitach, c’est manifeste, n’est pas émue outre me­sure par la souffrance muette d’Odile.

Le président Didier Wacogne, après avoir rappelé à l’accusée qu’elle est poursuivie pour tentative d’assassinat, procède à l’interrogatoire d’identité. La naissance de Nadira, le 27 janvier 1959, dans une famille de commerçants marocains installés en Algérie, son arri­vée en France en 1965, avec tous les ré­fugiés chassés par le FLN après l’indé­pendance du pays, son mariage avec un cousin en 1979, la naissance d’un petit garçon et son divorce, neuf ans après, quand elle découvre son mari dans les bras d’une autre femme.

— Mon mari était volage, reconnaît- elle.

Et pourtant, dès le début de l’au­dience, on a la désagréable impression que Nadira Bitach ne dit pas que la vé­rité. Faut-il la croire quand elle prétend se souvenir qu’à l’âge de 3 ans elle a vu sa tante mourir, assassinée par des soldats français ? Est-elle sincère quand affirme que son ex-mari, retourné en Algérie a été tue par les extrémistes  du GIA ? N’exagère-t-elle quand elle affirme avoir sauvé toute seule des flammes ses sept frères et sœurs pris au piège dans l’incendie du pavillon familial, alors qu’elle n’avait que 9 ans ?

Ce ne sont que des détail peut-être. Mais ces petites affabulations mettent mal à l’aise, et desservent l’accusée. On a des difficultés à la croire. « C’est une manipulatrice », dira d’ailleurs un expert psychiatre.

Elles  décide que son frère ne doit plus fréquenter Odile

Une manipulatrice que son divorce, en 1988. va profondément déséquili­brer. Dépressive, multipliant les tenta­tives de suicide et se gavant de médi­caments, Nadira Bitach perd son emploi et se replie chez ses parents, avec son fils. Son père et sa mère (ils sont absents du procès pour raison de santé) l’accueillent dans leur apparte­ment de la cité Youri-Gagarine, à Romainville, en Seine-Saint-Denis. Les autres enfants de la famille ont fait leur vie de leur côté. Ne reste plus alors à la maison qu’Abdelkrim. le pe­tit dernier, à l’époque âgé de 23 ans.

—J’étais le chouchou de ma sœur Nadira, vient témoigner Abdelkrim.

Un chouchou que Nadira surveille d’un œil jaloux. Pourtant, quand au printemps 1992, le garçon se met à fréquenter une petite voisine de 15 ans, Odile Mansfield, elle ne dit rien. Et pour cause : à l’époque, elle est amie avec Odette, la maman d’Odile. Mais un an plus tard, changement de décor : Nadira et Odette sont fâchées. Et Nadira décrète tout d’un coup qu’ Abdelkrim doit mettre un terme à sa liaison avec Odile.

— Elle me l’a dit à plusieurs reprises, mais je n’en tenais pas compte, explique avec une certaine désinvolture Abdelkrim à la barre.

En fait, personne, dans l’entourage des deux jeunes gens, ne prête atten­tion cet ultimatum. Et personne ne sent, au fil des jours, la haine que Nadira accumule contre la jeune Odile. On rit quand elle va voir un ma­rabout pour qu’il jette un sort sur la petite amie de son frère. Et quand un autre jour, dans un moment de colère, Nadira déclare qu’elle ira « mettre le feu à l’appartement d’Odile », on ne la prend pas au sérieux.

On a tort. Car Nadira, dans le passé, a déjà fait preuve de violence. Il lui est arrivé de menacer ses frères avec une arme, et même, elle a blessé d’un coup de pistolet à l’œil un chauffeur de la petite entreprise de bâtiment que diri­geait son père ! Mais pour tout le monde, elle est plus folle que mé­chante. Et personne ne comprend, en ce mois de mai 1993, que Nadira est rongé par un sentiment destructeur : la jalousie. Elle qui n’est pas jolie est ja­louse de la beauté d’Odile ; elle qui a raté sa vie de femme est jalouse du couple que la jeune fille forme avec Abdelkrim ; elle qui se sent investie d’une mission de sœur aînée est jalouse de voir son jeune frère lui échapper.

18 mai 1993. Odile se promène dans la cité Youri-Gagarine avec deux co­pains. Il est 22 h 30, la nuit est tombée. Soudain, Nadira l’interpelle.

— Viens, j’ai quelque chose à te dire ! Odile se sépare de ses amis et fait quelques pas à sa rencontre. Les deux jeunes femmes se trouvent à cet instant près du mur de l’école mater­nelle. Nadira fume une cigarette. Odile ne remarque pas le récipient en plastique qu’elle tient à la main.

La conversation tourne court.

— Il faut que tu arrêtes de fréquen­ter mon frère, dit Nadira d’une voix nerveuse. Et que tu me rendes les pho­tos et la gourmette qu’il t’a données.

« Il ne fallait pas qu’elle fasse partie de ma famille »

Odile ne veut pas en entendre da­vantage. Elle fait déjà demi-tour. Sans se méfier. Mais à peine a-t-elle fait I trois pas que Nadira se jette sur elle l’attrape par les cheveux, la retourne I et lui lance au visage le contenu de] son récipient. C’est de l’essence..! Transformée en torche vivante, Odile se met à courir, les mains sur ses yeux. Elle souffre atrocement, mais elle est | incapable de crier. Elle roule à terre…!

Un voisin, qui a assisté à la scène de la fenêtre de son appartement, a le réflexe de jeter une couverture aux deux garçons qui se précipitent sur Odile et éteignent tant bien que mal les flammes. Quand les secours l’emmè­nent enfin à l’hôpital Foch, à Suresnes,  la jeune fille est dans un état grave,  brûlée au troisième degré sur près du tiers de son corps.

Les policiers mettront à peine une  heure pour retrouver Nadira Bitach qui  s’est réfugiée dans l’appartement d’une voisine. La jeune femme, débusquée sous un lit, a alors ce mot horrible pour l’inspectrice qui l’arrête : « Elle n’a eu que ce qu’elle cherchait… »

Dans la cour d’assises de Bobigny, un silence pesant succède à l’évocation du drame. Odile, bouleversante, tourne son visage mutilé vers les jurés. Nadira Bitach, elle, se dresse dans son box. Elle se défend d’avoir voulu mettre le feu à l’essence dont elle venait d’asperger la jeune fille. Elle soutient que le liquide s’est enflammé au contact de la ciga­rette qu’elle tenait à la main.

— C’est un accident affirme-t-elle.

Et elle ajoute, sans manifester pour autant la moindre émotion :

—Je regrette le geste que j’ai fait. Vous croyez que cela ne me fait pas mal au cœur de la voir comme ça ?

Mais alors, pourquoi Nadira Bitach avait-elle emporté ce soir-là de l’es­sence ? (Ce qui lui vaut d’être poursui­vie pour tentative d’assassinat, la chambre d’accusation ayant retenu la préméditation). L’accusée esquive la question, louvoie, se bute. La seule ex­plication que le président Wacogne arrive à tirer d’elle est cette phrase :

– Tant qu’Odile vivait dehors avec mon frère, cela allait. Mais il ne fallait pas qu’elle fasse partie de la famille…

Voilà, on n’en saura pas plus. Et Me Maugendre, l’avocat d’Odile, à qui il re­vient de plaider en premier, le déplore.

– Aujourd’hui, dit-il, Odile est déçue par ce procès. Elle ne sait toujours pas pourquoi Nadira Bitach lui a fait tout ce mal. Elle avait 16 ans, elle était belle, amoureuse, pleine d’avenir. Maintenant malgré les vingt-trois opérations qu’elle a subies, elle est dé­figurée pour toujours.

L’avocat général, Martine Bouillon, lui succède. Pour le magistrat qui re­quiert une peine de quinze ans de ré­clusion criminelle, il ne fait aucun doute que Nadira Bitach, le soir du drame, avait prémédité son geste.

– Elle voulait supprimer Odile. Et de fait, Odile devrait être morte aujour­d’hui. Elle n’avait que peu de chances de survivre à de telles blessures !

« Ma cliente était sous l’emprise de médicaments ! »

Faux ! plaide à son tour Me Forster, le défenseur de Nadira Bitach, qui conteste, lui, la moindre prémédi­tation.

Pour l’avocat Nadira était à l’époque sous la dépendance des mé­dicaments

– Et ces médicaments l’empêchaient d’appréhender la réalité. Elle a agi en toute confusion !

Les débats sont terminés. Le dernier mot revient à l’accusée. De sa voix trop sèche, trop froide, elle déclare, sans un regard pour le masque tragique qu’Odile tourne vers elle :—Je regrette ce qui lui est arrivé, je  n’ai jamais voulu la tuer.

Après quatre heures de délibérations, les jurés – quatre femmes et cinq hommes- lui donneront en partie rai­son en écartant la préméditation. Nadira Bitach n’est plus convaincue d’assassinat, mais de tentative d’homicide volontaire. Et elle est condamnée à douze ans de ré­clusion criminelle. Odile Mansfield, en entendant le verdict baisse la tête. Elle, c’est à vie qu’elle gardera son visage dé­figuré.

Le geste criminel inexpliqué

index Maurice Peyrot, 22/12/1995

« ODILE est encore plus belle qu’elle ne l’était. » En lançant cette affirmation, l’avocat général de la cour d’assises de Bobigny (Seine-Saint-Denis), Martine Bouillon, regardait le visage de cette jeune fille de vingt ans, défigurée par une femme qui l’a arrosée d’essence un soir de mai 1993, dans la cité Youri-Gagarine à Romainville. C’est vrai, Odile est toujours très belle. Elle a cette beauté qu’aucun feu ne pourra jamais détruire. Un mot d’Odile, un geste, un regard, et le masque des grands brûlés disparaît derrière son extraordinaire force de caractère.. « J’ai entendu le souffle des flammes, a raconté la jeune fille. J’ai couru. J’ai vu un copain qui venait dans ma direction. J’ai obliqué pour ne pas l’enflammer»

Les dernières cicatrices ont semblé s’effacer quand Odile a ajouté qu’elle était venue pour comprendre. Pas un instant dans son discours, il n’y a eu le moindre mot trahissant la rancœur ou la colère envers celle qui lui a détruit son visage et une grande partie de son corps. « Vous avez été d’une dignité et d’une sagesse extraordinaires, insistait l’avocat général, la grandeur de l’homme est en vous. Vous ferez de grandes choses, mademoiselle. »

Si Odile est venue devant la cour d’assises pour comprendre, il n’est par sûr que son vœu ait été exaucé. Certes, Nadira Bitach, trente-sept ans, a été condamnée, mercredi 20 décembre, à douze ans de réclusion criminelle pour tentative de meurtre. Mais trois jours de débats, pourtant menés avec un soin méticuleux par le président Didier Wacogne, n’ont pas permis d’expliquer le geste de cette femme. Nadira elle-même ne donne aucune raison. Lors de l’enquête, elle avait fourni une foule de justifications. Ainsi, elle avait dit aux policiers qu’elle refusait qu’une catholique fréquente son frère Abdelkrim, de confession musulmane. Mais Nadira est catholique depuis qu’elle a été baptisée à l’âge de douze ans, à sa demande, avec l’accord de son père. A l’audience, elle a confirmé que cette explication n’avait « rien à voir», en rappelant qu’un autre de ses frères était marié avec une catholique. Elle avait aussi parlé d’une somme d’argent que lui au¬rait due la mère d’Odile, un mobile aussi peu convaincant qu’une jalousie envers celle que chacun désignait comme « la plus belle de la cité ».

Enfin, parmi d’autres justifications, Nadira avait, un temps, évoqué un envoûtement vaudou qu’Odile, fille d’un Antillais, aurait fait subir à son frère. Devant ses juges, Nadira n’a maintenu aucun de ces motifs, se contentant de dire qu’elle ne voulait « aucun mal » à Odile avant de soutenir qu’elle ne souhaitait pas la brûler mais que c’était la jeune fille qui s’était jetée sur sa cigarette, provoquant l’embrasement.

DÉPRESSIVE

Devant l’inexplicable, les jurés se sont tournés vers les psychiatres. Le hasard a voulu qu’ils déposent en fin d’audience, alors que le jury connaissait précisément chaque détail de l’affaire. Ils ont pu ainsi s’apercevoir que l’un des experts s’était appuyé sur plusieurs éléments erronés du dossier pour parvenir à la conclusion que Nadira était responsable de ses actes. Tout en émaillant son rapport d’idées reçues sur le mode de vie des familles maghrébines, il admettait cependant une atténuation de cette responsabilité en évoquant une « structure névrotique de type hystérique » et un « déséquilibre de la personnalité ».

Un second expert était allé plus loin en parlant d’un « état limite, présentant des moments de décompensation de type prépsychotique ». Mais leur confrontation ne donna lieu qu’à un échange de courtoisies confraternelles et l’on tomba d’accord pour dire que la nuance ne portait que sur les mots. Le jury a cependant pu apprendre que Nadira avait déjà commis des actes de violence, dont certains contre sa propre famille. Dépressive, après de graves échecs professionnels et affectifs, Nadira avait fait plus d’une vingtaine de tentatives de suicide. Elle était suivie depuis 1989 par un médecin généraliste qui lui prescrivait une association de plusieurs tranquillisants avec un antidépresseur. Dans une lettre à un expert, ce médecin écrivait : «Je la crois fort capable de faire n’importe quoi, sans s’en rendre compte véritablement (…), incapable de résister à son agressivité intérieure ». Mais il n’expliquait pas pourquoi, face à une telle éventualité, il n’avait pas jugé urgent de confier sa patiente à un confrère plus spécialisé.

Dénonçant une «folie consciente », l’avocat général avait demandé quinze ans de réclusion criminelle. «La maladie ne se condamne pas, elle se soigne ! ». lui rétorquait Me Lev Forster, en demandant que l’on tienne compte de l’état mental de sa cliente. C’est avec tous ces éléments, mais sans avoir reçu de véritables explications sur le crime de Nadira que les jurés se sont retires pour réfléchir pendant plus de quatre heures. Si juger, c’est comprendre, l’audience et cette peine de douze ans d’emprisonnement, issue d’un long délibéré, ne satisferont personne. Elles sont à l’image d’une juridiction criminelle, qui. devant certains comportements, atteint ses limites.

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